L’écosystème sénégalo-mauritanien fait partie du Système du Courant des Canaries (CanCS, pour Canary Current System), situé dans l’Atlantique Nord et qui est l’un des quatre Systèmes d’Upwelling de Bord Est (EBUS, pour Eastern Boundary Upwelling System) . Les autres EBUS sont le Système du Courant du Benguela (BCS, pour Benguela Current System) dans l’Atlantique Sud, le Système du Courant de Humboldt (HCS, pour Humboldt Current System) (Pérou-Chili) dans le Pacifique Sud et le Système du Courant de Californie (CalCS, pour California Current System) dans le Pacifique Nord. Ces EBUS, caractérisés par des remontées d’eau profonde (upwelling) qui favorisent l’enrichissement en sels nutritifs de la bande côtière, sont les plus productifs au monde . En effet, malgré une superficie relativement modeste de moins de 1 % de la surface des océans, ces régions concentrent une part importante du volume de pêche, jusqu’à 39 million de tonnes (50 %) des captures mondiales d’espèces marines (Fréon et al., 2005).
Dans ces systèmes, les petits poissons pélagiques comme les sardines, les sardinelles ou les anchois ont une importance particulière du fait de leur position intermédiaire dans le réseau trophique mais aussi de leur abondance. En effet la biomasse totale de poisson dans les écosystèmes d’upwelling est dominée par ces petits poissons pélagiques. Bien que constituées d’un faible nombre d’espèces de petits pélagiques (écosystème de type « wasp-waist » Bakun, 2006; Cury et al., 2000), les populations atteignent de grandes abondances qui peuvent varier drastiquement en taille (Checkley Jr et al., 2009). Ces poissons étant planctonophages, les variations d’intensité de l’upwelling affectent directement la distribution et l’abondance du phytoplancton, premier maillon de la chaîne alimentaire (Bakun, 1996), qui à son tour va conditionner la dynamique des consommateurs primaires, notamment le zooplancton (Trathan et al., 2006) et les petits poissons pélagiques (Montevecchi and Myers, 1997; Frederiksen et al., 2007). L’abondance de ces petits pélagiques, va influencer celle des prédateurs supérieurs. Ainsi cet échelon intermédiaire va jouer un rôle central dans la structure et la dynamique de l’écosystème, à la fois par le contrôle de type « top-down » (contrôle des prédateurs supérieurs sur les maillons trophiques inférieurs) sur le plancton dont il se nourrit, et par contrôle « bottom-up» sur les nombreux prédateurs marins qui les consomment (i.e. « bottom-up and top-down from the middle » Cury et al., 2000; Hunt and McKinnell, 2006).
Les petits poissons pélagiques constituent la base nourricière de nombreux écosystèmes (Bakun, 1996; Cury et al., 2000) et sont d’importance économique et biologique cruciale. Ils constituent la matière première d’une véritable industrie de conserves, de traitement et de transformation en huile et farine animale, exportée partout dans le monde pour l’élevage des poulets et des porcs, et plus récemment pour l’aquaculture. Ces poissons pélagiques occupent ainsi un poids important dans l’alimentation et l’économie mondiale (Tacon, 2004). Ainsi, en Mauritanie la production en farine, destinée exclusivement au marché international, est passée de 15 000 tonnes en 2009 à plus de 34 000 tonnes en 2010 soit environ 170 000 tonnes équivalent frais (Braham, 2010; IMROP, 2010). Au Sénégal, une part relativement importante des petits pélagiques côtiers débarqués fait l’objet d’une transformation artisanale. Une gamme de produits comme le kéthiakh (poisson braisé, salé et séché), le guedj (poisson fermenté et séché), le métorah (poisson fumé et séché), le tambadiang (poisson entier salé et séché) et le yoss (juvéniles de poisson séchés) fait l’objet d’exportation en Afrique avec des perspectives importantes. Sur les 60000 pêcheurs artisanaux dénombrés au Sénégal, 20 % (12000) relèvent de la seule pêcherie de poissons pélagiques (Deme et al., 2012). L’importance de telles espèces dans la vie socio-économique de ces pays nécessite la bonne compréhension de l’importance écologique de l’écosystème pélagique pour une bonne gestion équilibrée de la ressource entre ces différents pays. Dès lors il demeure primordial de bien comprendre les relations existantes entre la ressource et son environnement.
Les upwellings
Les études comparatives sur les habitats des poissons ont pu identifier trois processus physiques majeurs qui rendent l’habitat favorable à la production des poissons pélagiques côtiers ainsi qu’à d’autres espèces de poissons. Il s’agit des processus d’enrichissement (upwelling…), des processus de concentration (convergence, structure frontale, stabilité de la colonne d’eau) et des processus favorisant la rétention à l’intérieur de l’habitat approprié (Bakun, 1996). Parmi les processus d’enrichissement, il convient de mentionner l’upwelling côtier, qui est un processus complexe créant des structures physiques, chimiques et biologiques originales qui diffèrent de celles rencontrées habituellement dans les zones océaniques du large ou dans les écosystèmes tempérés Roy (1992).
Dans le monde il existe de nombreuses régions soumises au phénomène d’upwelling. En plus des quatre systèmes d’upwelling de bord Est cités plus haut, on peut citer les côtes de la Somalie dans l’océan indien occidental (Mann and Lazier, 1991; Young et al., 2004), les zones côtières de la Côte d’Ivoire et du Ghana (Bakun, 1996), le littoral centre Sud du Brésil dans la région de Cabo Frio (Mascarenhas et al., 1971; Okuda, 1962; Rodrigues, 1973). Il y a aussi les upwellings équatoriaux dans l’Océan Atlantique mais aussi dans le Pacifique.
Comment ce mécanisme se met-il en place ?
La friction du vent sur la surface de la mer génère un déplacement d’eau, dans une couche de surface dite d’Ekman, dont l’épaisseur varie avec la latitude, de l’ordre de 20m dans la zone Sénégal-Mauritanie. Ce courant est orienté en surface à 45 degrés vers la droite (dans l’hémisphère Nord) du vent dans des conditions de viscosité verticale constantes, et à ∼9 degrés lorsque la viscosité verticale est plus réaliste (Madsen, 1977), ce qui est en accord avec les observations in situ où le courant de surface est pratiquement parallèle à la direction du vent. Cet angle augmente avec la profondeur pour former ce qu’on appelle la spirale d’Ekman (Ekman, 1905) et dans les deux cas (Ekman et Madsen), cette spirale intégrée sur la verticale est orthogonale à la tension du vent et donne un transport net d’eau orienté vers la droite de 90° dans l’hémisphère Nord qui est appelé transport d’Ekman.
Comment expliquer la richesse de la zone d’upwelling ?
Les zones d’upwelling, notamment les écosystèmes de bord Est sont connus pour leur forte production biologique, en plancton et en poisson. Cette richesse est due à la remontée des eaux profondes, froides et riches en nutriments. En effet les eaux profondes sont chargées de nutriments, en raison de leur enrichissement permanent par les fèces de zooplancton, poissons, invertébrés et de leur carcasses qui coulent en se reminéralisant et en s’accumulant en profondeur. Ces eaux profondes, advectées dans la couche euphotique (couche de surface délimitée par la profondeur à laquelle 1 % des radiations incidentes parviennent), permettent le développement de nombreux organismes phytoplanctoniques. Dans cette couche se créent les conditions pour une forte croissance du phytoplancton (production primaire) qui alimente le zooplancton (production secondaire) et ainsi l’ensemble du réseau trophique.
Le système d’upwelling Nord africain
Le système d’upwelling de bord Est de l’Océan Atlantique Nord-Est, plus connue sous le nom de Système du Courant des Canaries (CCS), s’étend depuis environ 10°N jusqu’à la péninsule Ibérique (43°N). L’upwelling des Canaries proprement dit se situe le long de la côte Nord-Ouest de l’Afrique, depuis Gibraltar (36°N) jusqu’au Sud du Sénégal et longe les côtes du Maroc, de la Mauritanie et du Sénégal . L’upwelling Nord-Ouest africain suit la migration Nord-Sud du système atmosphérique de haute pression de l’Atlantique Nord. Le système d’upwelling subit des variations saisonnières et interannuelles (Hagen, 2001). L’upwelling apparaît seulement au nord en été (entre 20°N et 33°N) et en hiver au sud (entre 10°N et 25°N), suivant l’extension méridionale des alizés qui est définie par la position de la zone de convergence intertropicale (ITCZ, pour InTertropical Convergence Zone). Il est permanent dans sa partie centrale entre 20°N et 25°N (Wooster et al., 1976; Van Camp et al., 1991; Hagen, 2001).
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Table des matières
1 Introduction Générale
1.1 Contexte générale
1.2 Les upwellings
1.3 Le système d’upwelling Nord africain
1.3.1 Caractéristiques Physiques
1.3.2 Caractéristiques biogéochimiques
1.4 Les populations de petits poissons pélagiques présents dans la zone SénégalMauritanie
1.4.1 Distribution géographique de Sardinella aurita
1.4.2 Sardinella aurita de la zone sénégalo-mauritanienne
1.5 Objectifs de la thèse
1.6 Structure de la thèse
2 Matériels et méthodes
2.1 Introduction
2.2 Modèle hydrodynamique ROMS
2.2.1 Le modèle
2.2.2 ROMS dans la zone Nord-Ouest Africaine
2.2.3 Configuration ROMS SM1 et SM2
2.3 Le modèle couplé physique-biogéochimique ROMS-PISCES
2.4 Modèle individu centré ICHTHOP
3 Modélisation des premiers stades de vies de Sardinella aurita
3.1 Introduction
3.2 Analyse de la sensibilité des facteurs biologiques
3.3 Résumé de l’article
3.4 Article FOG-12094 : Do Sardinella aurita spawning seasons match local retention patterns in the Senegalese–Mauritanian upwelling region ?
3.5 Introduction
3.6 Methodology
3.6.1 Hydrodynamical modeling
3.6.2 Individual-based Lagrangian model
3.6.3 Release experiments
3.6.4 Data
3.7 Results
3.7.1 Evaluation of hydrodynamic solutions
3.7.2 Larval Retention patterns
3.8 Discussion
3.9 Conclusion
4 Variabilité spatio-temporelle de l’habitat de ponte de Sardinella aurita
4.1 Introduction
4.2 Modélisation de l’habitat de ponte de la sardinelle
4.2.1 Calcul de l’habitat de potentiel de ponte
4.2.2 Validation de la simulation interannuelle ROMS-PISCES
4.3 Variabilité de l’habitat de ponte potentiel
4.3.1 Variabilité saisonnière
4.3.2 Variabilité interannuelle
4.4 Discussion
4.4.1 Habitat de ponte et stratégie de reproduction
4.4.2 Habitat de ponte et migration saisonnière de la sardinelle
4.4.3 Impact des conditions environnementales sur la variabilité interannuelle du stock de sardinelle
4.5 Conclusion
5 Conclusion Générale