Le récit de vie : un texte dans le texte et le phénomène de résonance dans l’œuvre.
Choix et motivations
Le présent travail a eu ce qu’on peut appeler une naissance avec complications : de par le choix qui n’a pas été tout de suite évident, aussi de par le traitement lui-même de la problématique. Si le choix de l’œuvre Aurélia n’a pas été évident, cela n’exclura jamais que l’intérêt, le penchant ensuite l’adoration oserai-je dire pour Nerval ont été sans conteste. Cette disposition à l’Art de Nerval viendrait sans doute de sa capacité d’être ambivalent, et surtout à incarner l’ambivalence d’une manière qui dépasserait presque la perfection. Il la ressentait, la vivait et la disait jusqu’à ce que mort survienne. Sachant invoquer la vie, la beauté, l’amour à travers sa prose comme sa poésie, il a aussi fait appel à la mort, qu’il ne pouvait point attendre et qu’il a rejoint en se suicidant. Cet homme qui a su vivre dans le respect et le dévouement à la beauté, la lumière qu’il était allé chercher jusqu’à l’Orient, s’est éteint dans une des plus sombres et misérables rues françaises, en se pendant à une grille d’égout. Ce maître à enseigner « la raison », celle de solliciter l’aide de l’ailleurs, le lointain, ce qui est différent, étrange et étranger, avait vécu dans/avec « la folie ». Rares sont les êtres qui ont pris en main la vie et la mort, la force et la faiblesse, la beauté et la laideur, la raison et la déraison, des mortels qui sont pourtant restés éternels. Quant à l’œuvre, l’attrait immédiat a été pour Voyage en Orient, œuvre où le narrateur adopte odeurs, couleurs, bruits et goûts pouvant éveiller le corps et l’âme en leur prodiguant la connaissance, le tout dans un espace ensoleillé donnant jour à un être nouveau, une seconde naissance, une expérience unique et divine. L’attention a été ensuite détournée par Aurélia, une pratique plus particulière des mots et de l’être. C’est l’œuvre dernière, le testament de Nerval. L’essence y est : l’écrivain ne pouvait plus mieux dire, ne pouvait plus rien dire après : on est bel et bien placé entre la vie et la mort.
Vie
« Le rêve est une seconde vie », voici le premier énoncé qui nous parvient d’Aurélia de Gérard de NERVAL, œuvre datant du 19ème siècle où l’écrivain déchiré dans ses contradictions, ne voit d’autre solution que de les nier. Voici en quelques lignes, l’essentiel de la vie de ce dernier : Gérard de Nerval (1808-1855) est né à Paris, de son vrai nom Gérard Labrunie, il ne connut jamais sa mère, qui mourut en Allemagne deux ans après sa naissance. Elle avait en effet souhaité accompagner son mari, médecin militaire, dans les campagnes napoléoniennes, et y contracta une fièvre typhoïde. Élevé par son grand père, il passa son enfance à Mortefontaine, dans le Valois, région qui servira de cadre à la plupart des récits des Filles du feu. Reçu bachelier en 1826, Gérard travaille à une traduction du Faust de Wolfgang Goethe: publiée en 1828, sa traduction est fort appréciée et Goethe lui-même en salua la vivacité. Présenté à Victor Hugo, Gérard entre dans les cénacles littéraires qui entourent le « maître » du romantisme, il participe en 1830 à la bataille d’Hernani. S’il commence en 1832 des études de médecine pour complaire aux désirs de son père, ce sera pour une courte durée : le décès de son grand-père maternel le dote d’un héritage qui l’éloigne désormais de tout souci matériel et l’affranchit de la tutelle paternelle. Ce patrimoine sera cependant vite épuisé. Epris de la cantatrice Jenny Colon, Gérard lui voue une grande passion qui le pousse en mai 1835 à fonder pour célébrer son talent une luxueuse revue, « Le Monde dramatique », qui le ruinera bientôt. Il doit travailler pour plusieurs journaux et s’essayer à une carrière d’auteur dramatique. Le mariage de Jenny Colon en 1838 dissipa cependant cette activité théâtrale : Nerval effectua alors plusieurs voyages à l’étranger (Belgique, Allemagne, Autriche). De retour en France, il eut, en 1841 une première crise d’hallucinations et de délire. En 1843, il entreprit une visite de l’Orient (Égypte, Liban, Rhodes, Syrie, Turquie) qui inspira la rédaction du Voyage en Orient, publié en 1851. Interné à plusieurs reprises (janvier-février 1852, février-mars 1853, août 1853, mai 1854, fin 1854), il n’en continua pas moins ses allers et retours entre la France et l’étranger, principalement l’Allemagne, la « Terre-Mère ». Ses textes les plus importants parurent à la fin de sa vie : un recueil de douze sonnets (Les Chimères), des nouvelles poétiques (Les Filles du feu), où prend place l’admirable Sylvie (1854). Enfin son dernier récit, Aurélia, commençait à paraître en revue quand Nerval fut retrouvé, au matin du 26 janvier 1855, pendu à une grille, rue Basse-de-la Vieille-Lanterne, « la rue la plus noire qu’il pût trouver », comme l’a noté Baudelaire. Tous les éléments dont on a pris le soin de rapporter, apparaîtront dans des séquences, des chapitres d’Aurélia (sous leur vraie forme ou une forme déguisée).
Le romantisme
Si la vie de Nerval fut une des plus tourmentées, rappelons que cela est dû en grande partie à l’époque elle-même, particulière pour plus d’une raison : Le Mal du siècle : Cette expression désigne l’état d’incertitude et d’insatisfaction des deux premières générations romantiques. Ce trouble vient du décalage entre les espoirs et la réalité historique ; il prend la forme d’une alternance d’enthousiasme et de chagrin. Les symptômes sont divers : inquiétude, mélancolie, sentiment de perte et de chute pour une quête de l’identité. Les romantiques trop préoccupés par l’ennui de vivre, possédaient une sorte de fièvre en eux qui les poussaient à brûler leur vie toute entière en seulement dix ou vingt années d’existence adulte. D’ailleurs, le nombre de ceux qui sombrèrent dans la folie est plus grand qu’à aucune autre époque (Cowper, Hölderlin, Nerval…) et la liste des suicidés ou de morts jeunes est plus impressionnante encore. Le romantique procède à un plongeon vers le noir, le bas, le lugubre et même la démence alors qu’il ne cesse de se démener pour atteindre la beauté, l’infini. Le romantique est perpétuellement en désir : la jouissance que retient d’autres hommes ne le captive pas, il n’y est pas sensible. Il ne goûte qu’un instant à cette illusion du bonheur pour aussitôt tourner son appétit insatiable vers d’autres objets qui ne le contenteront pas davantage. Par ce fait, il est instable et sans cesse tourmenté car il n’arrive jamais à contenter ses projets, ses aspirations ; il se veut toujours plus affranchi à détruire tout ce qu’il a construit auparavant pour satisfaire un nouveau désir. Intériorité et spiritualité : Le romantique est attiré par tout ce qui gravite autour de l’illuminisme, de l’ésotérisme et de l’occultisme. Les spéculations ésotériques, mystiques, théologiques présentent bien des séductions car elles organisent du sens et proposent des visions différentes de l’universel. Elles fécondent le romantisme en lui fournissant de nombreux thèmes comme la palingénésie qui est une conception cyclique de l’histoire ouvrant sur la régénération. Un intérêt croissant porté à l’inconscient se fait ressentir, il devient ce centre vers lequel le romantique se tourne pour échapper à son isolement. Nodier ira même jusqu’à affirmer que le sommeil est « non seulement l’état le plus puissant, mais encore le plus lucide de la pensée…Il semble que l’esprit offusqué des ténèbres de la vie extérieure, ne s’en affranchit jamais avec plus de facilité que sous le doux empire de cette mort intermittente, où il lui reste permis de reposer dans sa propre essence et à l’abri de toutes les influences de la personnalité de convention que la société nous a faite. » Ces principes et filiations seront vite repérés dans l’œuvre de NERVAL, ainsi en parler nous prédispose déjà à une confusion et un désordre presque innés au niveau de la vie et de l’écrit de l’homme.
L’œuvre
Quant à l’œuvre, Aurélia, c’est le dernier texte écrit par Gérard de Nerval et publié au moment même où il se donne la mort. Le récit est la transposition des deux graves crises que Nerval a traversées, en 1841 et en 1853-1854 et qui lui vaudront d’être interné : « On voit des esprits qui vous parlent en plein jour, des fantômes bien formés, bien exacts pendant la nuit, on croit se souvenir avoir vécu sous d’autres formes, on s’imagine grandir démesurément et porter la tête dans les étoiles, l’horizon de Saturne ou de Jupiter se déroule devant vos yeux et des êtres bizarres se produisent à vous avec tous les caractères de la réalité. », écrit-il ainsi à un de ses amis au sortir de l’une de ses crises. Avec Aurélia, c’est la « non-frontière » entre le rêve et la réalité, entre la « raison » et la « folie », qui est ainsi magnifiquement évoquée et que l’on retrouvera également dans Nadja (André Breton, roman, 1928). L’influence des récits de Nerval est récente, mais considérable: d’abord sur le surréalisme qui en retient la confusion de la vie et du songe, le merveilleux quotidien, la volonté de la poésie d’aboutir enfin quelque part. Aussi ne doit on pas s’étonner de voir Proust citer Nerval comme initiateur et noter sur l’un de ses carnets cette phrase qui déclare son ambition, mais qui reconnaît sa dette : « Allons plus loin que Gérard » Marcel Proust s’influence de Nerval. Les souvenirs que celui-ci a vécus s’animent immédiatement dès qu’il fait contact avec une chose évocatrice. Pierre Loti aussi se sert de ce procédé narratif. Dans son Aziyadé il s’agit d’une aventure amoureuse vécue par un officier de marine à IStanbul en 1877. C’est grâce à ce journal qu’il s’efforce de revivre le passé qu’il avait vécu. Il tentait de s’emparer du secret et du sens de sa vie et de le revivre dans son esprit : « (…) l’oeuvre de Loti n’est en fait que la transposition des événements qu’il a vécus : Le Journal intime où il transcrivait ses impressions et ses souvenirs est la source de tous ses livres ».
Le Sujet Autobiographique En Quête
La narration
Le narrateur du récit autobiographique
Le narrateur est, et ne peut qu’être au cœur de la diégèse. C’est un narrateur intradiégétique-autodiégétique caractérisé par un nombre de traits révélés par son acte.
Une narration opaque et vertigineuse
Tout est centré autour du narrateur, figure principale de l’œuvre qui expose ses impressions et réflexions sous forme d’un monologue intérieur. C’est le noyau de la narration. Tout s’ordonne par rapport au narrateur, tout gravite autour de lui. L’immédiateté des pensées révèle un aspect essentiel du narrateur : Nous recevons ses impressions sur le champ, au moment même où elles frappent la conscience du narrateur, et en conjonction avec les événements ou les circonstances qui les provoquent, ce qui d’ailleurs va donner à sa narration une dimension tout à fait particulière. Dans la première partie du récit autobiographique, l’importance semble être accordée au récit des événements. Pour commencer, le narrateur a eu besoin de fixer son choix sur l’événement autour duquel va jalonner toute la narration. Il s’agit d’un triste souvenir d’amour, un échec émotionnel engendrant un drame qui envahit et dépasse de loin l’événement lui-même. Dans la seconde partie, les séquences discursives l’emporte sue les séquences où l’on a le récit des événements. Le narrateur, par son monologue et discours intérieurs envahit tout l’espace de la narration. On a la conscience de celui qui fait l’histoire et qui semble se passer de tout intermédiaire. Cependant, on pourrait presque dire que les faits sont indifférents au narrateur. Ils ne l’intéressent que dans la mesure où ils peuvent amener des impressions, des pensées d’ordre psychologique et moral. Il use et abuse d’un monologue intérieur particulier qui transmet « fidèlement » une perception intuitive et affective de la réalité. Son état l’empêche de « rassembler ses idées». Il enregistre instantanément les moindres mouvements de sa conscience dans leur désordre et leur confusion. Sa vision du monde est insolite, changeante, contradictoire et fragmentée entre des convictions mystiques et religieuses, qu’il ne cesse d’ailleurs de projeter sur tout ce qui est perçu et pensé. Le percepteur est un homme replié sur lui-même, vivant dans le remords et la culpabilité. Cette aliénation se manifeste dans son monologue intérieur bien adapté pour révéler les impressions les plus intimes et les pensées les plus subtiles. On est vite frappé par le mouvement oscillant, à donner le vertige, entre des impressions et des pensées réunies autour d’un pôle positif et un pôle négatif : « Condamné (…), je n’espérais plus le pardon » « Peu à peu le calme était rentré dans mon esprit… » « Je me représentais amèrement la vie que j’avais menée depuis sa mort… » « Tout est fini, tout est passé ! » « J’ai meilleur espoir de la bonté de Dieu…» «Je ne puis dépeindre l’abattement où me jetèrent ces idées. » « La plus morne tristesse entra dans mon cœur. » « Je suis allé promener mes peines et mes remords tardifs… » «(..) je me sentais comme perdu. » C’est son esprit fragilisé, qui lui impose cette loi d’instabilité dans les sensations qui sont souvent sombres et troublantes. Cette oscillation constante du texte autobiographique entre le récit et son commentaire ne manque pas de poser quelques problèmes quant à l’authenticité de son intention puisque le personnage focal est lui-même celui qui raconte, ce qui expliquerait l’incompréhension. Etant obsédé par certaines idées, le narrateur n’évolue pas. On assiste à un enregistrement détaillé des sensations et pensées subjectives (souvent pathologiques), dans le désordre de leur agencement, ce qui rend la narration opaque et alogique. Le récit ne progresse pas, mais reprend sans cesse les mêmes thèmes pour les développer. On a l’impression d’assister à une ascension qui ne se voit pas et qui ne se verra qu’au dénouement.
Le narrateur parodié par lui-même
Le narrateur s’est référé maintes fois à « des discours antérieurs », explicitement soit-il ou implicitement. Des références lui ont servi de modèles mais aussi, qu’il a détournées à son profit. Ainsi, on peut lire le mythe d’Ulysse, quand il cite les « dix années » que Dieu lui avait laissé pour se repentir et dont il n’avait pas profité, et qui correspondent aux dix années d’errance du héros de l’Odyssée. Mais il est clair que c’est la figure d’Orphée qui domine et détient une place privilégiée dans l’œuvre. Pourquoi d’abord cet acharnement à se servir du mythe ? Dès son origine, le mot mythe possède une ambiguïté: parole essentielle mais aussi fiction, il connote aussi bien la vérité que l’erreur. Il montre la dimension obscure d’une réalité qui, sans lui ne pourrait pas être dite. Le narrateur, par son jeu avec le mythe, exprime certainement, non sa prétention à dire le Sens, mais sa nostalgie à ne pouvoir l’atteindre. C’est le sacré qui s’incarne dans le profane, mais c’est aussi le profane qui cherche la protection du sacré. Le mythe apparaît ainsi comme un outil d’élucidation idéal parce qu’il propose une interprétation possible du réel. Le mythe est dans la parole du narrateur du récit autobiographique, l’expression d’un désir censuré: quelque chose qui doit être dit mais ne se dit que de façon oblique parce que l’expression directe en est impossible ou insupportable. Lui seul (le mythe), possède cette dimension purgative car il libère une réalité inquiétante sous une forme supportable. Ce sont probablement les raisons qui ont fait que notre narrateur s’acharne à s’approprier la figure orphique, vu les portes que cette dernière peut lui ouvrir. Mais l’usage de la figure et de la situation mythiques ne sont pas ici une simple répétition : les variations révèlent que la question se pose autrement, et qu’elle se pense différemment. Ainsi, l’usage du motif orphique dans le texte autobiographique fait apparaître la naïveté touchante du narrateur qui idéalise son amour pour Aurélia. Toutefois, s’agit-il réellement d’un homme amoureux? En fait, le recours du narrateur au mythe, établit une autre situation, celle du double discours, un discours ironique. Dans l’énonciation ironique, le narrateur à la fois énonce et porte une distance critique sur son énoncé. Cette distance est un signal pour autrui que l’énoncé est contraire, faux et ne reflète pas tout à fait l’opinion de celui qui l’énonce : Le dire contredit le dit. C’est une parole théâtralisée. Elle est mise en scène pour un autre qui doit « relire », réinterpréter les propos. Que peut-on relire derrière la figure d’Orphée exploitée par le narrateur ? Les traces de cette intention ne se laissent pas aisément saisir, les décrypter nous impose une interprétation aussi subjective que l’attitude de notre narrateur. La question prend une coloration tout à fait particulière dans le contexte d’un homme malade, pitoyable, seul, avec pour tout bagage une perte difficile à assumer, dans un monde déserté par les dieux. Alors que tout est joué d’avance (si on se référait au mythe), notre narrateur vit en permanence dans l’indétermination. Non seulement dans l’univers exploré, les dieux n’ont plus de place mais aussi les héros ont perdu leur gloire et leur éclat. Ne pouvant donner un sens à ce qui devenait de plus en plus confus et insaisissable, le narrateur fait appel à une histoire ayant une logique, mais qu’il finit par contaminer parl’ambiguïté et la médiocrité de sa situation. Son Hadès, ce sont des problèmes moraux, métaphysiques, qui concernent l’ensemble des relations de l’individu au monde, à autrui, à Dieu, à la mort. Le héros mythique a perdu deux fois sa bien-aimée, dans le cas de notre narrateur, y at-il jamais eu d’Eurydice ? Au milieu de l’effondrement, il manque au sujet quelque chose pour remplir l’abîme de l’existence. Mais comment exprimer cette foule de sensations fugitives éprouvées ? C’est le cœur qui fournira l’aliment à la pensée : « Chacun peut chercher dans ses souvenirs l’émotion la plus navrante, le coup le plus terrible frappé sur l’âme par le destin … » Il s’agira d’une femme selon ses désirs, tirée de lui-même, une beauté céleste qui correspondrait beaucoup plus à Eve qu’à Eurydice. Donc, l’amour représente le dernier refuge possible, c’est le seul accès ici-bas au monde du divin. Il n’y a pas que le mythe qui est parodié, mais aussi l’amour, par une situation totalement inauthentique : « (…) il y a trop d’orgueil à prétendre que l’état d’esprit où j’étais fût causé seulement par un souvenir d’amour. Disons plutôt qu’involontairement j’en parais les remords plus graves d’une vie follement dissipée où le mal avait triomphé bien souvent, et dont je ne reconnaissais les fautes qu’en sentant les coups du malheur. » Le narrateur s’efforce d’explorer les replis de son propre cœur par l’intermédiaire d’un héros pour remédier à son incapacité à se situer par rapport au monde. Il lui arrive de lutter contre son mal, mais avec indifférence et sans résolution de le vaincre, contrairement au véritable héros. Il s’agit de trouver remède à une étrange blessure de son cœur, qui n’est nul part et qui est partout. Ses moments de bonheur sont chimériques, courts comme si leur durée l’accablait. Mais est-ce que c’est vraiment la joie de l’amour qu’il quête ? Nous pouvons lire : « Quel bonheur je trouvai (…). Ainsi ce doute éternel de l’immortalité de l’âme (…) se trouvait résolu pour moi. » « (…) voulant avant de mourir jeter un dernier regard au soleil couchant. » « Je me sentais la force de prier, et j’en jouissais avec transport. » « (…) je bénissais l’âme fraternelle qui, du sein du désespoir, m’avait fait rentrer dans les voies lumineuses de la religion. » Même la conception qu’a le narrateur du bonheur est tout à fait particulière : « …une douce mélancolie » « …je ne ressentis qu’un vague chagrin mêlé d’espoir. » « O mon Dieu! cette larme, cette larme… Elle est séchée depuis si longtemps! Cette larme, mon Dieu! rendez-la-moi! » Le sujet semble chercher un bien inconnu. Partout, il y a des bornes, et même si elles n’étaient pas là, ce qui est fini et accompli semble n’avoir aucune valeur pour lui. Cet état troublant, ne lui est pas sans quelque charme. C’est sans doute tout l’amour dont il a besoin. Ainsi, nus pouvons affirmer que le mythe a été pratiquement vidé de toute valeur sémantique parce que employé pour résoudre tout un autre problème. Le narrateur a élu le mythe d’Orphée car il avait besoin d’une forte image qui aurait pour fonction de prendre en charge sa situation inédite, révélant les préoccupations, les désirs et fantasmes de ce dernier. L’amour est parodié puisque les pensées du narrateur trahissent son projet initial. En fait il se parodie lui-même car il convoque Orphée, personnage mythique ayant fait ses épreuves et conquis sa plénitude, lui sujet malade et misérable. Il a destitué le personnage mythique de sa grandeur héroïque et l’a investi en retour d’une « épaisseur » humaine : un autre système de valeurs mais complètement dévalorisé (remords, regret, angoisse,…etc). Cette transformation subie par le mythe est menée jusqu’au bout : la transformation sémantique s’associe à la transformation diégétique, c’est-à-dire de la modification des événements. Ainsi, l’action se trouve bouleversée, elle change de cadre et les personnages changent d’identité. Aurélia n’est pas Eurydice, elle n’est qu’ombre et cela dès le départ. Bref, les référents sont déformés par les renversements parodiques, une ironie féroce que leur a fait subir le narrateur. Tout a été détourné de son sens premier, dénaturé et perverti.
Conclusion
L’étude des deux récits répond aux questions posées dans l’introduction, dans la mesure où elle illustre l’appartenance des deux textes à deux sphères différentes qui pourtant s’appuient pour prendre sens. La particularité d’Aurélia réside dans le jeu qu’elle aménage entre deux univers. L’œuvre manifeste une écriture que l’on pourrait nommer métissée, installant le lecteur entre deux systèmes de références et effectuer un perpétuel mouvement entre réalité et rêve.
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Table des matières
Introduction
Première partie : Le sujet autobiographique en quête
Introduction
Chapitre1 : La narration
1. Le narrateur du récit autobiographique
1.1. Une narration opaque et vertigineuse
1.2. Le narrateur parodié par lui-même
1.3. Les repentirs dans la narration
1.4. Le narrateur, une perception « conditionnée »
2. Les rapports narrateur-narrataire
2.1. Le narrateur- narrataire : abus de pouvoir.
2.2. Le narrateur- narrataire : confiance et attendrissement
Chapitre 2 : Le système des événements du récit autobiographique
1. Un sentiment d’insatisfaction.
2. « Le regard » : promesse de bonheur
3. Errance, Souvenir, Ecriture et Nature : pour un réconfort et un apaisement
4. Le besoin de l’Autre
4.1. La « jeune femme » : vaine tentative de substitution
4.2. La mort d’Aurélia
4.3. Vers l’Autre
Chapitre 3 : Le système des actants
1. Le sujet : errant, étrange et insaisissable
2. Le sujet, sous l’emprise du Soleil
3. Aurélia, le personnage
4. Le sujet et l’Autre
Chapitre 4 : Le temps
1. Temps de la narration et du récit
2. Temps de l’histoire
2.1. Le sujet en marge du temps
2.2. Le temps : influence et pouvoirs
2.3. Le temps du Souvenir
2.4. Le temps : une dimension à restaurer
Chapitre 5: L’espace
1. Le regard, une donnée essentielle
2. La distance, omniprésence et persistance
3. Le sujet : entre statisme et itinérance.
4. Le temps : une influence remarquable sur l’espace.
5. Entre le clos et l’ouvert
6. L’espace, entre dégradation et satisfaction
Deuxième partie : Le récit de la « seconde vie » : un univers de signes
Introduction
Chapitre 1 : Au « seuil » d’un autre texte
1. Le sujet face à l’insuffisance.
2. Le récit autobiographique : un récit partiel
3. Le sujet : de nouveaux sens
3.1. Ébranlement du réel
3.2. Le sujet, une vision singulière
Chapitre 2 : De nouvelles dimensions
1. L’étrange, le bizarre, des données essentielles
2. Devant l’infini
3. Comme au théâtre
Chapitre 3: De nouveaux thèmes
1. La lumière
1.1. La lumière : une force bienfaitrice
1.2. Le soleil maléfique
1.3. Le motif solaire, omniprésent
1.4. L’ambivalence solaire
2. L’élément de l’eau et sa teneur dans le récit de la seconde vie :
2.1. L’eau entre la vie et la mort
2.2. L’eau et le feu
2.3. L’eau et les empreintes maternelles
Chapitre 4 : Les nouvelles dispositions du sujet
1. Le deuil, une épreuve à vivre.
2. Le sujet entre la filiation paternelle et la filiation maternelle
2.1. Le pôle maternel
2.1.1. Le trajet vers le foyer maternel et le récit des « origines »
2.1.2. Le corps maternel menacé
2. 2. Le pôle paternel
3. Le sujet et sa nouvelle expérience avec la matérialité
Troisième partie : Le récit de vie : un texte dans le texte et le phénomène de résonance dans l’œuvre
Introduction
Chapitre1 : des espaces et des temps “ volumineux”
1. L’espace pluridimensionnel et ses pouvoirs
1.1. L’immobilité dans l’espace autobiographique
1.2. Des lieux pluridimensionnels
1.3. De l’errance à la libération.
2. Un temps charpenté
2.1. De l’enfermement au vertige
2.2. Le souvenir
Chapitre 2 : Le premier rêve, un espace à vastes dimensions
1. Le sujet e(s)t « L’ange de la mélancolie » !
2. L’animé « et » l’inanimé
2.1. Le règne végétal
2.2. Le règne animal et les créatures fabuleuses
2.3. Le règne minéral
3. La magie des éléments
Chapitre 3 : La « durée » du sujet par et les figures de style
1. Un récit d’analogies
1.1. Obstinément : l’Orient mythique
1.2. Des voies/voix qui convergent toutes
1.3. Enchevêtrement et interpénétration
2. Un récit métonymique
2.1. Une proximité spatio-temporelle
2.2. De l’atmosphère à l’être
2.3. De l’être à l’atmosphère
2.4. Du temps apocalyptique au temps triomphateur
Chapitre 4 : le bien-être du sujet
1. Le procédé intertextuel
2. Réalité “ et ”Imagination
3. Un sujet satisfait
4. Aurélia, ou plusieurs voix en résonance
4.1. L’aspect sonore et l’écriture double
4.2. Aurélia, l’œuvre de la résonance
Conclusion
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