« Rejet, anxiété, curiosité ou fascination, les mathématiques laissent rarement indifférent. Elles intéressent, passionnent voire transportent les uns, alors qu’elles peuvent provoquer rejet et anxiété chez les autres. Nous ne semblons pas égaux face aux mathématiques, pourtant le mythe de la bosse des maths est mort. Cette diversité de sensations est due aux rapports que nous entretenons avec elles, à la façon dont nous les utilisons, aux démarches qui ont été utilisées pour nous les enseigner. Malgré ces différences, j’ose dire qu’en chacun de nous sommeille une mathématicienne, un mathématicien. Nous faisons tous des maths, de gré ou de force, mais nous n’y prenons pas le même plaisir, c’est certain ! Et c’est à tort que nous allons jusqu’à penser que rien n’y fera. » (Dias, 2015).
Le système de numération décimale
La numération est une « méthode systématique de représentation de la quantité à l’aide de signes ou de chiffres, de symboles et de règles conventionnelles » (Centre national de ressources textuelles et lexicales, 2005). Pour constituer le nombre, de nombreux systèmes ont été utilisés par des peuples et à des époques variés. Le système de numération indo-arabe est aujourd’hui le plus répandu dans le monde et c’est celui que nous utilisons.
Le nombre
Le nombre est un concept, une notion fondamentale des mathématiques qui permet d’évaluer et de comparer des quantités ou des mesures, mais aussi d’ordonner ou nommer des éléments par une numérotation. C’est une notion abstraite que l’élève doit construire mentalement. On peut dissocier deux aspects du nombre : le nombre comme mémoire de la quantité (aspect cardinal) et le nombre comme mémoire de la position (aspect ordinal). « Les connaissances du nombre comme mémoire de la quantité ne construisent pas le nombre comme mémoire de la position. Autrement dit, enseigner l’aspect cardinal du nombre ne suffit pas pour construire l’aspect ordinal » (Margolinas, 2015). L’école doit permettre à l’enfant de construire le nombre sous ces deux formes. Selon le didacticien des mathématiques Roland Charnay (2013), le concept de nombre est caractérisé par :
– Les situations problématiques qui lui donnent sens
– L’ensemble des propriétés et des techniques qui permettent d’opérer sur les nombres
– Les représentations qui permettent d’évoquer le concept (sous forme langagière, symbolique, graphique…) .
Il s’agit pour l’apprenant de construire le nombre en lui donnant du sens. Une première difficulté apparaît quant à l’usage du terme. Dans le vocabulaire courant, une confusion langagière existe entre les notions de chiffre et de nombre. Le nombre exprime une valeur représentant des grandeurs, des quantités ou des positions, alors que le chiffre correspond aux symboles utilisés pour représenter un nombre. Cette confusion peut être un obstacle pour les élèves, c’est pourquoi il est important de s’y attarder. La genèse du nombre est une construction « foisonnante, longue, complexe, probablement jamais achevée » (Dias, 2018). Elle s’inscrit dans le long terme dans le développement cognitif de l’enfant. Thierry Dias, docteur en didactique des mathématiques et sciences de l’éducation, exprime que « les nombres doivent d’abord être des outils de description et d’utilisation des choses du monde réel avant d’être des objets de connaissances ».
Le nombre peut se représenter de diverses manières qui permettent de le conceptualiser. On distingue trois représentations relatives au concept de nombre : la représentation analogique, la représentation verbale et la représentation symbolique. Les élèves doivent être capables de passer d’un mode de représentation à un autre. C’est ce que Roland Charnay (2013) appelle le transcodage.
Le concept de nombre est le fondement de toute activité mathématique. Des connaissances fragiles vis-à-vis du nombre peuvent entrainer de grandes difficultés. L’élève rencontre des obstacles notamment pour comprendre la numération décimale. Dans cet écrit, nous nous intéresserons particulièrement à cette notion. Il est donc nécessaire de rappeler les grands principes de notre système de numération.
Les principes de la numération décimale
La numération décimale est un système de désignation des nombres :
– de base dix : uniquement dix symboles (0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9) sont utilisés pour écrire une infinité de nombres. Les groupements sont réguliers et toujours effectués par paquets de dix.
– positionnel : la valeur de chaque chiffre dépend de la position qu’il occupe dans le nombre (15 et 51 ne désignent pas la même quantité ; dans 34 le 3 désigne trois paquets de dix). Pour passer d’un rang à un autre immédiatement supérieur, on pratique un groupement et un échange de dix unités.
– qui possède un zéro : le zéro indique l’absence de groupement d’un certain ordre.
Comme l’exprime Stella Baruk (2016), chercheuse en pédagogie des mathématiques, le système décimal est « fondé sur le fait que nous avons dix doigts ». Il est possible de montrer, compter et représenter « dix » facilement en utilisant ses mains. Ce système de numération présente de nombreux atouts mais son enseignement s’avère complexe. Pour expliquer la numération décimale aux élèves, l’enseignant doit les amener à comprendre deux fondements principaux : le groupement et l’échange.
Les groupements
Il s’agira de construire des stratégies pour dénombrer rapidement et de manière fiable des collections, en utilisant des paquets de dix, puis des paquets de paquets de dix et ainsi de suite. L’objectif des activités de groupements est de comprendre la valeur des chiffres en fonction de leur position dans le nombre.
Les échanges
Les situations d’échanges consistent à échanger dix éléments contre un seul qui a la même valeur. Elles permettent de distinguer la quantité de la valeur et d’explorer les règles d’échanges qui justifient notre système de numération. La notion de valeur est difficile à comprendre pour certains élèves qui privilégient la quantité et préfèrent posséder dix jetons plutôt qu’un seul valant les dix.
En France, notre système de numération orale présente des irrégularités qui peuvent être à l’origine de difficultés de compréhension pour l’apprenant. Ces irrégularités seront l’objet du point suivant.
Des irrégularités dans notre système de numération orale
Dans la compréhension du fonctionnement de la numération décimale, l’élève se retrouve confronté à des obstacles. Les mots-nombres ont une seule énonciation mais deux écritures : en mots et en chiffres. De plus, notre système de numération décimale n’est pas en parfaite correspondance avec notre système écrit. Pour décrire ces difficultés, nous nous appuierons sur le travail de Stella Baruk (2016) qui s’est intéressée à « la langue des nombres » et à ses irrégularités.
Les mots-nombres onze, douze, treize, quatorze, quinze et seize
Le nombre 17 se prononçant « dix-sept », les nombres de 11 à 16 pourraient, de la même manière, se lire « dix-un, dix-deux…dix-six » ce qui mettrait en évidence que le 1 désigne un paquet de dix. Mais l’Histoire en a décidé autrement. Stella Baruk qualifie ces nombres de « cachottiers ». Prenons l’exemple du 16 (seize) : nous pouvons expliquer que le « dix » s’entend dans le « zzze » en fin de mot. Cela donnerait « six-dix », mais ce fonctionnement est le contraire de la plupart des nombres à deux chiffres, où on a d’abord le mot exprimant le chiffre des dizaines puis le mot exprimant le chiffre des unités. Par exemple, pour 37 (trente-sept), le trente désigne le chiffre des dizaines 3 et le sept le chiffre des unités. Les mots-nombres de 11 à 16 sont un réel obstacle pour les élèves.
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Table des matières
INTRODUCTION
CADRE THEORIQUE
1. Le système de numération décimale
2. L’apprentissage de la numération décimale à l’école
3. De la manipulation à l’abstraction
4. La manipulation en numération
5. Problématique et hypothèses
CADRE METHODOLOGIQUE
1. Justification de la méthodologie choisie au regard de la problématique
2. Présentation du dispositif d’enquête
3. Présentation de la méthode de recueil et d’analyse des données
PRESENTATION DES RESULTATS
1. Résultats de l’analyse de corpus
2. Résultats de l’expérimentation
DISCUSSION DES RESULTATS
1. Recontextualisation
2. Conclusions par rapport aux hypothèses de départ
3. Limites de la manipulation
4. Perspectives
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
INDEX DES ANNEXES