LE SYSTÈME DE LA RÉSIDENCE D’ARTISTES

LE SYSTÈME DE LA RÉSIDENCE D’ARTISTES

Un matériau archivistique très apprécié par les artistes

Si les artistes utilisent les archives dans leurs travaux, c’est qu’ils y ont trouvé un intérêt bien particulier qui répond sans nul doute, à certaines de leurs attentes en matière de support de création. C’est quelque chose qui va « leur parler », qui va leur donner des idées, de l’inspiration, qui va leur permettre de montrer, de démontrer, de prouver, et surtout de faire ressentir quelque chose par le iais de l’art. Quelles sont alors les différentes caractéristiques des archives qui « séduisent » les artistes et qui les conduisent à les utiliser dans leurs œuvres ?

La notion de l’émotion

Une des principales raisons qui incitent les artistes à utiliser des archives dans leurs œuvres, est la force évocatrice de celles-ci. En plus de leur fonction à prouver, à informer, à témoigner, les archives possèdent aussi cette capacité à émouvoir, à troubler, à toucher, à procurer donc de l’émotion46. Beaucoup d’archives, de par leur contexte, leur modalités de création, véhiculent en elles-mêmes des informations sensibles, qui ont souvent un lien avec l’intime, le sensible, voire le privé. Certains documents vont acquérir un caractère précieux, de part un « mélange subtil de rareté, de beauté et d’authenticité »47. Les archivistes eux-même peuvent être confrontés, lors du traitement d’un fonds par exemple, à des archives qui vont les émouvoir, qui vont susciter une émotion particulière, cela va les conforter d’une certaine manière, à l’intérêt de leur métier, à conserver des documents comme ceux qu’ils rencontrent. Les archives sont donc vecteurs d’émotions, que ce soit avec la sensibilité, la valeur effective, l’âge, le symbole, l’imaginaire, la dimension psychologique48. Via l’émotion, un document d’archives se dote d’un caractère inhabituel qui suscitera une certaine curiosité et un réel intérêt49. Il existe un pouvoir d’attirance, et de fascination des archives quand celles-ci suscitent de l’émotion50. Les artistes cherchent donc à intensifier cette émotion que peut procurer un document d’archives et ainsi faire redécouvrir ou questionner le spectateur sur son rapport au monde51. Il est vrai en effet que la dimension émotive est liée au « récepteur », celui qui se retrouve confronté aux archives et plus particulièrement à sa lecture du document.Dans le contexte artistique, la dimension de l’émotion est centrale, puisque les artistes cherchent à troubler, à toucher, voire à déstabiliser le spectateur, afin que celui-ci puisse se questionner, redécouvrir son rapport au monde53. Le potentiel émotif des archives passe donc pour être une des caractéristiques de premier plan, qui est beaucoup apprécié par les artistes. Christian Boltanski a exploité cette « face cachée » des archives, comme le dit Yvon Lemay. Dans son livre d’artiste54 « Archives » en 1989, il regroupa une centaine de photographies de femmes, d’hommes et d’enfants, qu’il découpa en 1972, dans un magazine spécialisé dans les faits divers criminels « Détective ». L’assemblage confronte des visages de victimes et de meurtriers sans qu’il n’y ait aucune distinction, il n’y a aucune information permettant d’identifier les événements. Le spectateur est appelé à se laisser toucher par cette galerie de portraits d’individus anonymes en noir et blanc.

La notion de la mémoire

La notion de mémoire est également très ancrée dans la pratique artistique des archives, elle est aussi évocatrice que l’émotion. Quelle que soit sa forme, la mémoire va pouvoir rappeler, toucher, évoquer, sensibiliser, confronter. Les artistes vont valoriser cet aspect tout comme l’émotion, en suscitant des interrogations chez le spectateur, et en lui posant inconsciemment des questions qui vont le toucher personnellement telles que : te souviens-tu de ? As-tu toi aussi vécu cela ? Cette question de vécu similaire interroge dans beaucoup de cas les souvenirs du spectateur. Il s’agit pour les artistes qui exploitent le document d’archives, de s’interroger sur des questions qui leurs sont en générale familières, personnelles ou encore collectives, quand ils travaillent par exemple sur un événement qui a marqué l’histoire et qui restera dans les mémoires. Les artistes ont la capacité à utiliser les archives de manière originale et vont permettre ainsi de mieux comprendre comment se matérialisent les liens entre ces archives et la mémoire. Ils vont en  fait opérer une sorte de réactualisation du passé, et mettre en évidence comme le disent Yvon Lemay et Anne Klein « le fait que l’archive n’est ni close, ni tournée vers le passé mais orientée vers l’avenir et en devenir »58. Ils ajoutent, en s’appuyant sur les propos de Laura Millarque dans son article Touchstones : Considering the Relationship between Memory and Archives, que « la mémoire trouve son origine dans le présent de celui qui se souvient ». Autrement dit sans le présent, le processus mémoriel ne pourrait fonctionner. Pour nous rappeler, il faut donc que nous vivions dans le présent, ainsi, nous sommes en mesure de comparer un moment qui se produit « maintenant », actuellement, avec un moment qui a eu lieu « alors » avant, dans le passé. Par conséquent, les conditions et les réalités du présent non seulement, aident, mais influencent et façonnent aussi ce que nous nous rappelons et la manière dont nous le faisons59. Ils poursuivent en notant que les œuvres réalisées par les artistes contemporains nous rappellent que les archives, et le processus de mémoire qu’elles enclenchent, ont peu de rapport avec le passé puisqu’au contraire, tant les archives que la mémoire ont besoin de l’action du présent pour exister.60 Si l’émotion passe pour être une caractéristique de premier plan des archives exploitées par les artistes, la notion de mémoire est toute aussi importante et intéresse beaucoup le champ artistique. Certains artistes vont se préoccuper d’avantage de la dimension individuelle, personnelle de la mémoire, c’est le cas de Sophie Calle, qui, comme Boltanski, simule la vérité et fait croire au spectateur à son Faux mariage en 1992. Il s’agit d’une photo frontale en noir et blanc, où l’artiste a convié sa famille et ses amis sur les marches d’une église, le cliché fut par la suite, suivi d’une fausse cérémonie civile. Avec ce cliché l’artiste nous donne à voir un « semblant » de son vécu personnel, une mémoire qui lui est propre, individuelle, mais irréelle puisqu’elle est construite de toute pièce. D’autres artistes vont principalement travailler sur une dimension plus collective de la mémoire, qui va toucher un plus grand nombre de personnes, comme l’artiste russe Ilya Kabakov, ou le collectif d’artiste slovène IRWIN61. En ce qui concerne Christian Boltanski, ce qui est intéressant c’est qu’il va plutôt travailler avec le lien qui existe justement entre ces deux types de mémoire. On peut effectivement dire qu’une mémoire individuelle peut devenir collective, si elle arrive à toucher ne serait ce qu’une autre personne, qui aurait peut être des souvenirs semblables. À l’inverse, une mémoire collective peut devenir individuelle, quand elle rappelle un souvenir précis et unique à une personne.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : QUAND LES ARCHIVES S’ASSOCIENT À L’ART…QUAND L’ART CONTEMPORAIN SE SERT DES ARCHIVES
1. UNE RELATION, UNE PRATIQUE : LES INDICES D’UNE ANTÉRIORITÉ
2. UNE PRÉSENCE DES ARCHIVES ANCRÉE DANS LES PRATIQUES ARTISTIQUES
2.1. Des manifestations internationales qui en découlent
2.2. Un apport théorique
2.3. Mais une certaine limite en France ?
3. UN MATÉRIAU ARCHIVISTIQUE TRÈS APPRECIÉ PAR LES ARTISTES
3.1. La notion de l’émotion
3.2. La notion de la mémoire
3.3. La matérialité des archives
DEUXIÈME PARTIE : L’ART AU SERVICE DES ARCHIVES ? QUELS APPORTS DE CETTE EXPLOITATION ? 1. VERS UNE MISE EN VALEUR DES ARCHIVES PAR LE BIAIS DE L’ART ?
2. VERS UNE DOUBLE UTILISATION DES ARCHIVES : EN TANT QUE MATIÈRE PLASTIQUE ET LIEU D’EXPOSITION
3. QUELS INTÉRÊTS POUR L’ARTISTE, POUR LE SERVICE D’ARCHIVES ? BIBLIOGRAPHIE ÉTAT DES SOURCES TROISIÈME PARTIE : LA RÉSIDENCE D’ARTISTES DANS LES SERVICES D’ARCHIVES PUBLICS EN FRANCE
1. LE SYSTÈME DE LA RÉSIDENCE D’ARTISTES
1.1. Définition et enjeux
1.2. Organisation et mise en place
2. LES RÉSIDENCES D’ARTISTES DANS LES SERVICES D’ARCHIVES PUBLICS EN FRANCE
2.1. État des lieux
2.2. Premiers bilans
3. LE CAS DES RÉSIDENCES D’ARTISTES DE DANIÈLE TOURNEMINE AUX ARCHIVES DEPARTEMENTALES DE L’AUBE ET AUX ARCHIVES NATIONALES DU MONDE DU TRAVAIL
3.1. La résidence aux archives départementales de l’Aube
3.2. La résidence aux Archives nationales du monde du travail
4. CONCLUSION CONCLUSION TABLE DES ILLUSTRATIONS TABLE DES ANNEXES TABLE DES MATIÈRES

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