Le système climatique et sa prévisibilité

L’eau est indispensable au fonctionnement de tout être vivant et est présente partout sur Terre : océans et mers, atmosphère, lacs et rivières, nappes souterraines, sols… Même si les océans constituent environ 97 % de la masse totale d’eau sur Terre, seuls environ 3% d’eaux douces existent. C’est parmi ces 3% d’eaux douces que l’homme va pouvoir utiliser l’eau en tant que ressources. Or, ces ressources en eau sont inégalement réparties dans l’espace et dans le temps. Leur gestion est donc un enjeu majeur pour les activités humaines (alimentation en eau potable, production d’électricité, irrigation pour l’agriculture, risques d’inondations…) mais aussi pour la préservation de l’environnement (qualité et quantité de l’eau, faune aquatique, écosystèmes…). De plus, l’évolution de la pression anthropique sur les ressources en eau (accroissement de la population, modification de l’usage des sols et des pratiques agricoles …), conjuguée aux variations récentes du climat, fait que la demande en eau ne cesse de croître. La gestion de l’eau est donc devenue un enjeu grandissant dans de nombreuses régions, en France comme dans le monde. Les organismes de gestion des ressources en eau (services institutionnels, gestionnaires de barrages…) ont besoin d’outils d’aide à la décision pour le suivi et/ou la prévision des ressources en eau. Si de plus en plus d’outils existent pour le suivi, les outils de prévision à l’échelle de la saison pour l’hydrologie sont encore très peu développés, notamment en France. Or, justement prévoir les étiages et d’éventuelles sécheresses agricoles ou hydrologiques quelques mois à l’avance est crucial pour ces organismes. Une prévision de bonne qualité permettrait alors de prendre des mesures préventives pour anticiper voire éviter une crise.

Le système climatique et sa prévisibilité 

Le système climatique est un système dynamique dont les composantes interagissent entre elles en permanence. Ses différentes composantes sont principalement constituées de : l’atmosphère, les océans et les mers, la cryosphère (la neige, les glaciers et banquises…), la biomasse (tous les êtres vivants) ainsi que la lithosphère (surfaces continentales). Le système climatique est donc un système avec plusieurs processus complexes se déroulant à différentes échelles spatio temporelles. La connaissance de ces différents processus et de leurs interactions permet cependant de prévoir, sous certaines conditions, l’évolution du climat.

La prévision saisonnière est une prévision d’un état moyen de l’atmosphère quelques mois à l’avance. Elle est ainsi possible grâce à l’évolution lente des conditions aux limites de l’atmosphère : température de surface des océans tropicaux, humidité des sols, couverture neigeuse, et végétation sur les surfaces continentales. Les prévisions saisonnières (par exemple, de températures et de précipitations) constituent alors un outil d’aide pour les organisations qui doivent prendre des décisions sur des intervalles de temps du mois à quelques mois, comme pour la gestion de la ressource en eau.

La circulation atmosphérique

L’atmosphère est une des composantes essentielles du système climatique, interagissant principalement avec les océans et les surfaces continentales, mais aussi la biosphère et la cryosphère (FIG. 1.1). Comprendre la circulation atmosphérique générale est donc essentiel pour comprendre comment fonctionne le système climatique. Tout d’abord, intéressons-nous aux mécanismes moteurs qui mettent en place la circulation atmosphérique.

Les mécanismes moteurs de la circulation atmosphérique générale

L’existence de la circulation atmosphérique est la conséquence de la rotation de la Terre et de déséquilibres énergétiques existants sur la Terre.

Premièrement, un déséquilibre d’énergie d’axe vertical atmosphère/surface est observé : l’énergie est déficitaire dans l’atmosphère tandis qu’elle se révèle être excédentaire à la surface. Ce déséquilibre énergétique atmosphère/surface est alors compensé à travers les flux de chaleur sensible et latent pour rééquilibrer le bilan radiatif global de la planète (FIG. 1.2). La chaleur sensible et la chaleur latente transportent l’énergie par advection de masses d’air et d’eau plus chaudes (froides) vers les pôles (l’équateur), et par les changements de phase du contenu en eau dans l’atmosphère. Par exemple, les mouvements atmosphériques existants dans les tropiques, permettent de redistribuer l’énergie de l’équateur vers les pôles sous forme de mouvements verticaux dans le plan altitude/latitude correspondant à une circulation cellulaire entre Tropiques et SubTropiques, dite circulation de Hadley (FIG. 1.3). Les cellules de Hadley sont ainsi observées tout autour du globe ; à l’interface entre les hémisphères Nord et Sud, leurs branches ascendantes forment une zone de convection à grande échelle qui varie en fonction des saisons, la Zone de Convergence Intertropicale (ZCIT). Ces fortes ascendances présentes dans la ZCIT sont à l’origine des nuages et des fortes précipitations caractéristiques de cette zone.

Le second déséquilibre énergétique est lié à la répartition du rayonnement solaire à la surface de la Terre. En effet, le rayonnement solaire est très variable dans le temps (fonction de la saison) et l’espace (fonction de la latitude), conséquence de l’axe d’inclinaison et de la rotation de la Terre. La quantité moyenne de rayonnement solaire reçue par les pôles est ainsi environ deux fois inférieure à celle reçue par l’équateur. Ce déséquilibre énergétique est donc un déséquilibre énergétique méridien. Toutefois, les basses et hautes latitudes sont en équilibre énergétique en moyenne annuelle grâce aux processus transportant l’énergie des régions équatoriales vers les pôles par les différentes composantes fluides du système climatique. Les composantes fluides contribuant le plus sont l’atmosphère et l’océan, ce dernier agissant alors comme un régulateur thermique à travers la circulation océanique. Les transports énergétiques dans les tropiques se font essentiellement grâce aux océans (> 50 % du transport total d’énergie) et sont réalisés à deux niveaux : en surface, avec les vents et la force de Coriolis ; et en profondeur, avec la circulation thermohaline gouvernée par les différences de densité des masses d’eau (fonctions de la température et de la salinité). Par contre, aux hautes latitudes, les transports d’énergie se font majoritairement grâce à l’atmosphère (FIG. 1.4).

La circulation atmosphérique aux moyennes latitudes 

Les moyennes latitudes sont les deux bandes situées entre 35 et 70 degrés de latitude dans les hémisphères Nord et Sud. La circulation atmosphérique dans ces régions est caractérisée par la zone barocline et les ondes quasi-stationnaires (ou ondes de Rossby).

Un fluide est barocline lorsque les lignes isobares (d’égale pression) croisent les lignes d’isopycne (d’égale densité). La zone barocline présente aux moyennes latitudes est ainsi définie par :
(i) de fortes variations méridiennes de température (dues à une interaction des masses d’air chaud provenant des tropiques avec les masses d’air froid provenant du pôle) ;
(ii) un flux d’ouest dans la troposphère (première couche de l’atmosphère où se produisent les phénomènes météorologiques s’élevant jusqu’à 8 km aux pôles et 15 km à l’équateur) du à la force de Coriolis qui fait dévier les vents à droite dans l’hémisphère Nord ;
(iii) une pression en moyenne zonale plus haute du côté tropical que du côté polaire.

Toutefois, cette zone barocline aux moyennes latitudes fluctue et constitue alors « la toile de fond » du portrait de la circulation atmosphérique à ces latitudes. Ces perturbations restent cependant de plus petite échelle que celle des ondes stationnaires.

Les ondes quasi-stationnaires, ou ondes de Rossby, sont des mouvements ondulatoires de la circulation atmosphérique de grande longueur d’onde pouvant atteindre quelques milliers de kilomètres. Elles sont donc d’ordre planétaire. Ces ondes sont principalement initiées par les grands reliefs (comme les Rocheuses aux Etat-Unis), et la variation de la force de Coriolis [Coriolis, 1835], elle-même conséquente de la rotation de la Terre. Elles sont donc induites par la conservation du tourbillon absolu. Prenons f , la latitude à laquelle la rotation du flux d’air est due à la force de Coriolis, et ζ , la rotation locale dans le flux d’air, aussi appelé tourbillon relatif. Le tourbillon absolu étant conservé, alors nous avons ζ + f qui est une constante. En d’autres termes, lorsque l’air passe au-dessus d’un obstacle, tel qu’un relief, il doit alors s’écouler dans une couche atmosphérique plus mince, ce qui accélère la rotation dans le flux (ζ ) . Mais pour conserver le tourbillon absolu ζ + f , l’air doit alors se déplacer vers l’équateur pour diminuer la latitude (f). Puis, lorsque l’air redescend de l’autre côté de l’obstacle, il est contraint d’aller vers une latitude plus polaire. Ceci induit ainsi une ondulation de la circulation atmosphérique.

Variabilité du climat

La partie précédente était une brève description sur les mécanismes moteurs qui mettent en place la circulation atmosphérique, en particulier aux moyennes latitudes. L’atmosphère est donc une des composantes essentielles du système climatique pour prévoir le climat, mais l’océan a aussi une grande importance pour la prévision climatique comme nous allons le voir au cours de cette section. Le climat connaît des variations en permanence. Pour le prévoir, il faut donc connaître ses variations, définies par des structures spatiales caractéristiques évoluant sur des échelles de temps interannuelles correspondantes.

Echelle de temps et d’espace

Une classification usuelle des phénomènes atmosphériques existe en fonction de leur échelle spatio-temporelle. Les circulations persistantes de plusieurs semaines à plusieurs mois (nous intéressant dans le cadre de cette thèse) sont d’échelle planétaire : citons par exemple les circulations de Hadley (cf. 2.1.1.), la NAO (« North Atlantic Oscillation ») et les régimes de temps (que nous décrirons dans les prochaines sections). La dimension spatiale de référence à cette échelle est à peu près du même ordre de grandeur que le rayon de la Terre et peut aller jusqu’à 10000 km. Ensuite, si nous descendons dans cette échelle spatio-temporelle, vient alors l’échelle synoptique, qui correspond à des phénomènes dont la taille caractéristique est le millier de kilomètres et d’une durée de quelques jours. C’est le cas des dépressions et des anticyclones se développant surtout sur les océans aux moyennes latitudes. Viennent ensuite les phénomènes de mésoéchelle, d’une dizaine à une centaine de kilomètres, comme les vents régionaux dont la durée est d’une heure à une journée. Puis, à plus petite échelle encore, soit entre 10 km et quelques centaines de mètres, on se situe dans l’échelle d’aérologie avec les orages isolées ou encore les tornades. Ensuite, il y a la microéchelle (moins de 2 kilomètres) avec les tourbillons de poussières et les rafales. Et enfin, à l’échelle dite microscopique se trouvent les processus de formation des nuages et des gouttes de pluie. Notons que cette séparation d’échelles est utile en théorie, puisqu’en fonction de ce que l’on cherche à mieux connaître et à étudier, les échelles correspondantes ne sont pas les mêmes ; cette séparation possède toutefois des limitations, car en pratique, toutes les échelles interagissent entre elles.

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Table des matières

Chapitre 1 – Introduction
Chapitre 2 – Le système climatique et sa prévisibilité
2.1. La circulation atmosphérique
2.1.1 Les mécanismes moteurs de la circulation atmosphérique générale
2.1.2 La circulation atmosphérique aux moyennes latitudes
2.2 Variabilité du climat
2.2.1 Echelle de temps et d’espace
2.2.2 Modes de variabilité du climat et grands indices climatiques
2.2.3 Modes de variabilité du climat : régimes de temps
2.3 La prévision saisonnière : état de l’art
2.3.1 Définition
2.3.2 Sources de prévisibilité
2.3.3 Outils de modélisation en prévision saisonnière
2.3.4 Les projets PROVOST, DEMETER, ENSEMBLES
2.3.5 Les centres de systèmes opérationnels
2.4 Synthèse du chapitre
Chapitre 3 – La prévision des ressources en eau grâce à la modélisation hydrométéorologique
3.1 Généralités
3.1.1 L’eau et le cycle de l’eau : quelques chiffres
3.1.2 L’étude des bassins versants
3.1.2.a L’unité spatiale : le bassin versant
3.1.2.b Les principaux termes du bilan hydrologique
3.2 La modélisation hydrologique pour prévoir les débits
3.2.1 Typologie des modèles hydrologiques
3.2.2 Les chaînes de modélisation hydrométéorologique
3.2.2.a Prévoir les débits pour prévoir les crues et inondations
3.2.2.b Prévoir les débits pour prévoir les étiages et sécheresses
3.2.2.c Réaliser des projections pour mieux anticiper l’impact du réchauffement climatique sur l’hydrologie
3.2.2.d Quelques exemples de chaînes de modélisation hydrométéorologique
3.3 Le modèle hydrométérologique SAFRAN-ISBA-MODCOU (SIM) et ses applications
3.3.1 Le système d’analyses météorologiques SAFRAN
3.3.2 Le schéma de transfert de surface ISBA
3.3.3 Le modèle hydrogéologique MODCOU
3.3.4 Le couplage SIM et ses différentes applications hydrométéorologiques
3.4 La prévision saisonnière hydrologique
3.4.1 Définition
3.4.2 Les sources de prévisibilité
3.4.3 Le choix de l’outil pour la prévision saisonnière hydrologique
3.5 La chaine de prévision saisonnière hydrologique : Hydro-SF
3.5.1 Description de la chaine Hydro-SF : mise en œuvre
3.5.1.a Descente d’échelle
3.5.1.b Le calcul en anomalies standardisées
3.5.2 Tests sur les débits de quelques bassins versants et sur l’indice d’humidité des sols en France
3.5.3 Evaluation de la chaîne Hydro-SF : les principaux résultats
3.6 Synthèse
Chapitre 4 – Outils statistiques de vérification et d’évaluation des prévisions saisonnières
4.1 Scores déterministes
4.2 Scores probabilistes
4.3 Scores de comparaison et tests statistiques
4.4 Synthèse et applications
Chapitre 5 – La prévisibilité du système hydrologique en France métropolitaine au printemps
5.1 Résumé de l’article
5.2 Article publié dans Hydrology and Earth System Sciences
5.3 Quelques éléments complémentaires
5.3.1 Compléments pour les expériences de prévisibilité avec ARPEGE-ENSEMBLES (1960-2005)
5.3.2 Amélioration du forçage atmosphérique : ajustement du seuil de discrimination pluie/neige
5.3.3 Utilisation d’une autre version du modèle ARPEGE
5.3.3.a Expériences de prévisibilité avec ARPEGE-DEMETER (1971-2001)
5.3.3.b Evaluation des forçages atmosphériques
ARPEGE-DEMETER, ARPEGE-ENSEMBLES et ARPEGE-S3 (1971-2001)
5.4. Conclusion
Chapitre 6 – La descente d’échelle des prévisions saisonnières
6.1 Théorie et généralités
6.1.1 Les méthodes dynamiques
6.1.2 Les méthodes statistiques
6.1.3 Avantages et inconvénients de l’approche dynamique et l’approche statistique
6.2 Descente d’échelle par type de temps et analogues avec DSCLIM sur le printemps en France métropolitaine
6.3 Impact de DSCLIM sur les prévisions saisonnières atmosphériques : comparaison avec une descente d’échelle simple
6.3.1 Les températures
6.3.2 Les pluies
6.3.3 La neige
6.4 Impact de DSCLIM sur les prévisions saisonnières hydrologiques : comparaison avec une descente d’échelle simple
6.4.1 Les SWI
6.4.2 Les débits
6.5 Conclusion
Chapitre 7 – Application de prévisions saisonnières en été pour l’hydrologie
7.1 Les étiages et les sécheresses : outils actuels de suivi et de prévision
7.1.1 Définition des étiages et enjeux
7.1.2 Outils actuels de suivi et de prévision d’étiages et des éventuelles sécheresses en été
7.2 Différentes dates d’initialisation des prévisions saisonnières hydrologiques avec Hydro-SF
7.2.1 Méthodologie des expériences
7.2.2 Résultats
7.2.2.a Approche globale
7.2.2.b Approche spatiale
7.3 Apport de la prévision saisonnière de climat sur le système hydrologique
7.3.1 Méthodologie
7.3.2 Résultats
7.4 Conclusion
Chapitre 8 – Conclusions et perspectives
ANNEXE A
ANNEXE B
Références bibliographiques

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