LE SYNDROME POST-ARRÊT CARDIAQUE
Étiologie et épidémiologie de l’arrêt cardiaque
En médecine humaine, l’étude de l’arrêt cardiaque représente un grand intérêt du point de vue de la santé publique dont il est l’un des enjeux majeurs. Cette affection est une situation pouvant être décrite comme une ischémie généralisée où chaque organe subit les effets de la privation d’oxygène et de la baisse des apports sanguins. Les cellules subissent de surcroît une atteinte particulière du fait de l’interdépendance des différents tissus au sein de l’organisme.
Nous étudierons successivement les causes de l’arrêt cardiaque, les moyens d’anticiper son apparition et son épidémiologie chez les carnivores domestiques et dans l’espèce humaine.
Définition
L’arrêt cardiaque (AC) se définit comme un arrêt de toute contraction cardiaque efficace sur le plan hémodynamique. Cet état induit donc un arrêt de la perfusion généralisée à l’ensemble des organes et tissus de l’organisme et constitue alors une urgence médicale absolue. Auparavant, l’arrêt cardiaque était dénommé arrêt cardio-respiratoire et définit comme l’arrêt de tout mouvements spontanés respiratoires et par la perte de pouls [72].
Étiologie
Étiologie générale
Chez l’Homme comme chez l’animal, l’étiologie de l’AC peut être divisée en deux catégories : les causes strictement cardiaques et les causes non cardiaques, comme montré par le tableau 1 [72 ; 136 ; 137].
Tableau 1 : Étiologie générale des arrêts cardiaques
Étiologie
Causes cardiaques
Causes non cardiaques
– Infarctus du myocarde
– Arythmie acquise ou congénitale
– Insuffisances circulatoires ou état de choc
– Décompensation d’une insuffisance cardiaque
– Insuffisances respiratoire, asphyxie
– Déséquilibres acido-basiques ou électrolytiques
– Lésion neurologiques
– Septicémie ou endotoxémie
– Causes toxiques
– Traumatismes
– Électrocution
Autres – accident anesthésique
Situations à risque chez les carnivores domestiques
L’étiologie de l’AC chez les carnivores domestiques est variée et peut impliquer l’ensemble des grandes catégories vues au paragraphe précédent. Cependant, la majeure partie des AC en médecine vétérinaire intervient au cours d’une anesthésie générale et les causes purement cardiaques sont bien plus rares que chez l’Homme [113].
D’après une étude épidémiologique de l’arrêt cardiaque chez 161 chiens et 43 chats, les trois causes principales d’arrêt cardiaque chez les carnivores domestiques sont : l’hypoxémie (36%), l’état de choc (18%) et l’anémie (13%) [79]. Cette même étude précise que les animaux présentaient souvent des historiques cliniques complexes associant différentes causes.
Cela montre que chez les carnivores domestiques, au contraire de la situation décrite en médecine humaine, les causes d’arrêt cardiaque sont non spécifiques et découlent souvent d’une situation complexe et multifactorielle. L’arrêt cardiaque est alors, en dehors des situations particulières de traumatismes ou des intoxications, l’aboutissement d’une maladie chronique à l’origine d’une perturbation générale des mécanismes biologiques incluant les mécanismes cardiaques (insuffisances d’organes, processus tumoraux, etc.)
Étiologie cardiaque chez l’Homme
Chez l’Homme, les causes cardiaques d’arrêts cardiaques sont très fréquentes, au contraire des carnivores domestiques [59]. Les maladies sous-jacentes et leurs proportions respectives sont illustrées par la figure 4 (adaptée de [196]). On observe donc que l’infarctus du myocarde représente de loin la plus fréquente de ces affections.
Figure 4 : Répartition des principales d’arrêts cardiaques d’origine cardiaque aux États-Unis en 1998. (d’après [196])
La comparaison entre les situations observées en médecine vétérinaire et en médecine humaine est donc difficilement réalisable. Avec l’infarctus du myocarde, ou les autres maladies cardiaques, l’Homme subit le plus souvent un arrêt cardiaque isolé de tout autre contexte pathologique pouvant venir compliquer le tableau clinique. Chez les carnivores domestiques, l’arrêt cardiaque survient souvent comme l’aboutissement fatal d’un processus chronique touchant d’autres organes. En terme de pronostic les situations sont très différentes et ne peuvent être comparées.
Examens complémentaires permettant d’anticiper l’apparition d’AC en médecine vétérinaire
Les situations à risques peuvent être détectées par des examens complémentaires appropriés permettant d’anticiper l’apparition de l’AC [113].
1 Mesure de la pression artérielle
C’est une mesure peu invasive et peu coûteuse. Elle permet de mettre en évidence une éventuelle défaillance circulatoire. Une valeur inférieure à 60 mmHg signe une fort risque d’AC [136].
2 Oxymétrie de pouls
Rapide à mettre en place, cette technique permet d’observer la fréquence cardiaque ainsi que la saturation en oxygène du sang artériel. Cependant, de nombreux artefacts dû au positionnement du capteur en font un outil assez peu sensible pour le diagnostic précoce des AC.
3 Capnographie
La capnographie est l’une des mesures les plus fiables pour la détection de défaillance respiratoire. Elle constitue de plus un très bon indicateur pronostic de la réanimation puisqu’une valeur supérieure à 20/25 mmHg lors de la réanimation cardiopulmonaire est associée aux meilleurs taux de survie.
4 Électrocardiogramme (ECG)
Cet examen, peut coûteux et rapide à mettre en place, permet d’objectiver une situation à risque d’AC par la détection des arythmies cardiaques :
• Tachycardie ventriculaire
Elle provient de dépolarisations d’origine ectopique dans le myocarde ventriculaire ou le système de Purkinje. Elle peut évoluer vers la fibrillation ventriculaire. Différentes affections sont en cause : hypoxie, douleur, ischémie, infection, désordre électrolytique, traumatisme, pancréatite, dilatation gastrique, volvulus, affection cardiaque primaire, etc. [137] Elle se caractérise à l’ECG, comme sur la figure 5 suivante, par une fréquence cardiaque supérieure à 180 bpm associée à des QRS larges.
Figure 5 : Tracé ECG caractéristique d’une tachycardie ventriculaire chez le chien. (d’après [136] ).
• Bradycardie sinusale
Elle correspond à une fréquence cardiaque inférieure à 40-60 bpm chez les chiens et inférieure à 120-140 bpm chez les chats avec un rythme sinusal normal à l’ECG. Elle peut résulter d’une augmentation du tonus vagal, d’une hypothermie, d’une hyperkaliémie, d’une augmentation de pression intracrânienne ou de l’administration d’agents bradycardisants tels que les α2-agonistes [137].
Les arythmies ne constituent pas les seules situations à risque d’AC. Chez l’Homme, mais aussi chez l’animal, il existe de nombreuses autres situations à risque où la détection très précoce, voire même le dépistage, à l’aide de l’ECG est souvent possible (arythmie d’origines génétiques, lésions d’infarctus du myocarde, etc.). Cette détection passe par une analyse plus fine, et détaillée des différents segments du tracé ECG que nous ne détaillerons pas ici.
Épidémiologie
Épidémiologie de l’AC chez les carnivores domestiques
En 1992, une étude menée par Wingfield et Van Pelt s’est intéressée aux caractéristiques épidémiologiques des ACR observés chez 200 chiens et 65 chats en milieu hospitalier [186]. Cette étude, l’une des rares concernant l’épidémiologie de l’arrêt cardiaque intra-hospitalier chez les carnivores domestiques, a permis de recenser les animaux en fonction de leur âge, leur sexe, leur race etc. Les auteurs y distinguent les arrêts purement respiratoires (avec conservation des battements cardiaques efficaces) de l’arrêt cardiorespiratoire.
Une partie des résultats de cette étude est présentée dans le tableau 2.
Tableau 2 : Age moyen des animaux ayant présenté un arrêt cardiaque ou respiratoire chez 200 chiens et 65 chats. D’après l’étude de Wingfield [186].
Les arrêts purement respiratoires sont ainsi fortement minoritaires par rapport aux arrêts cardiorespiratoires et les AC d’origine respiratoire concernent surtout des animaux âgés, du fait de nombreux facteurs favorisants apparaissant à partir de cette limite d’âge (tumeurs, désordres métaboliques, etc.) à l’origine d’une dysfonction respiratoire.
L’organisation actuelle des soins vétérinaires fait que l’essentiel des données sur les AC chez les carnivores domestiques ne prend en compte que le cadre hospitalier excluant ainsi les arrêts cardiaques extra-hospitaliers qui surviennent brutalement, chez les propriétaires. De ce fait, ils ne sont pratiquement jamais pris en charge voir même signalés aux vétérinaires traitants. Les statistiques ne considèrent alors que l’AC de type hospitalier. Cependant, compte-tenu du fait que les causes strictement cardiaques (notamment l’infarctus du myocarde) sont plus rares, il est probable que l’arrêt cardiaque extra-hospitalier soit, lui aussi, de moindre incidence.
La majeure partie des réanimations cardiopulmonaires entreprises en médecine vétérinaire concerne des arrêts cardiorespiratoires d’origine iatrogène, le plus souvent consécutifs à l’administration d’agents anesthésiques [113]. On estime l’incidence des arrêts cardiaques à environ 0,17% de l’ensemble des anesthésies. Dans ce cas précis, le taux de survie à la suite d’un arrêt cardiaque est d’approximativement de 6% [79]. L’anesthésie constitue cependant la situation à risque où le pronostic est le plus favorable. En effet, le taux global de décharge hospitalière des animaux victimes d’arrêt cardiaque est très bas, entre 2% et 6% suivant la nature de l’arrêt cardiaque [119].
Épidémiologie de l’AC chez l’Homme
L’arrêt cardiaque constitue l’une des complications majeures de nombreuses affections cardiovasculaires et représente, dans de nombreux pays industrialisés, l’une des premières causes de mortalité. En Amérique du nord, on observe que l’incidence annuelle d’arrêts cardiorespiratoires extra-hospitaliers est d’environ 0,55 ‰ [174].L’arrêt cardiaque extra-hospitalier représente 70% de l’ensemble des arrêts cardiaques. En conséquence, compte tenu du délai de réaction inévitable des secours et de la présence ou non de témoins, le pronostic d’un arrêt cardiaque extra-hospitalier est assez faible et le taux de survie varie de 2,5% à 12% suivant les études et les régions considérées .L’incidence des arrêts cardiaques extra-hospitaliers survenant chez l’Homme en fonction des classes d’age est illustré dans la figure 6 .On note donc une augmentation des maladies cardiovasculaires suivant l’âge considéré quelque soit le sexe. Il semble cependant, au moins pour les tranches d’âge inférieures à 84 ans, que l’incidence chez les femmes soit moins élevée que chez les hommes.
En conclusion, l’arrêt cardiaque peut avoir une origine cardiaque ou extra-cardiaque. Même si l’arrêt cardiaque, du fait de sa faible fréquence chez les carnivores domestiques, est assez peu étudié en médecine vétérinaire, il semble que, chez l’Homme, il soit dans la très large majeure partie des cas dû à une cause strictement cardiaque comme l’infarctus du myocarde. Chez les carnivores domestiques, la cause est souvent non cardiaque et principalement liée aux situations d’anesthésies générales et aux dépressions cardiorespiratoires associées. En médecine vétérinaire, les moyens d’anticiper sont apparition sont multiples et relativement simple à mettre en place. Cependant elle ne permettent qu’une détection tardive. L’arrêt cardiaque représente chez l’Homme un problème de santé publique majeure avec une incidence annuelle est d’environ 55 cas pour 10 000 en Amérique du Nord par exemple.
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Table des matières
PREMIERE PARTIE : SYNTHÈSE BIBLIOGRAPHIQUE ISCHÉMIE GÉNÉRALISÉE ET ARRÊT CARDIAQUE
A. Physiopathologie des affections ischémiques
1. Définition
2. Altérations biochimiques
3. Altérations ioniques
4. Stress oxydant et espèces réactives de l’oxygène
5. Les anomalies mitochondriales
6. Mort cellulaire
B. Étiologie et épidémiologie de l’arrêt cardiaque
1. Définition
2. Étiologie
3. Épidémiologie
C. Prise en charge de l’arrêt cardiorespiratoire et réanimation cardiopulmonaire
1. Caractérisation de l’arrêt cardiaque
2. Conduite à tenir lors d’arrêt cardiorespiratoire chez les carnivores domestiques
3. Pronostic de la réanimation cardiopulmonaire
4. Effets de la réanimation cardiopulmonaire
LE SYNDROME POST-ARRÊT CARDIAQUE
A. Définition et importance
B. Atteinte neurologique
1. Importance et caractérisation
2. Physiopathologie cellulaire
3. Effets hémodynamiques cérébraux
4. Régionalisation de l’atteinte
C. Dysfonction myocardique
1. Importance et caractérisation
2. Anomalies lésionelles
3. Anomalies fonctionnelles
4. Période de récupération
D. Syndrome de réponse systémique inflammatoire
1. Réponse inflammatoire
2. Coagulopathie
3. Dysfonction surrénalienne
E. Gestion et thérapeutique
1. Gaz du sang et ventilation
2. Hémodynamique
3. Système neuromusculaire
4. Neuroprotection pharmacologique
5. Hypothermie thérapeutique
HYPOTHERMIE THÉRAPEUTIQUE
A. Introduction
B. Effets physiologiques de l’hypothermie
1. Mise en jeu des mécanismes de compensations
2. Déterminisme de la thermorégulation
3. Effets métaboliques de l’hypothermie
4. Effets cardiovasculaires de l’hypothermie
5. Effets de l’hypothermie sur les autres organes
6. Effets biochimiques de l’hypothermie
C. Le rôle protecteur de l’hypothermie thérapeutique
1. Fenêtre de protection
2. Application de l’hypothermie au décours d’un arrêt cardiaque
D. Mécanisme de la protection
1. Mécanismes cardioprotecteurs
2. Mécanismes neuroprotecteurs
3. Mecanismes protecteurs vis-à-vis de l’inflammation
E. Modalités de refroidissement
1. Méthodes non invasives
2. Méthodes invasives
3. Utilisation des perfluorocarbones
VENTILATION LIQUIDE
A. Historique
B. Applications
1. Syndrome de détresse respiratoire du nouveau-né
2. Syndrome de détresse respiratoire chez l’adulte
3. Hypothermie thérapeutique
SECONDE PARTIE : ÉTUDE EXPÉRIMENTALE
A. Introduction
B. Matériels et Méthodes
1. Conditions générales des expériences
2. Première étape du projet : caractérisation de l’arrêt cardiaque induit par un épisode d’asphyxie
3. Deuxième étape du projet : étude de l’effet de la ventilation liquide totale hypothermisante
C. Résultats
1. Première étape : caractérisation de l’arrêt cardiaque induit par un épisode d’asphyxie
2. Deuxième étape : étude de l’effet de la ventilation liquide totale hypothermisante
D. Discussion
BIBLIOGRAPHIE
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