Depuis fort longtemps, les boissons alcoolisées ont été consommées par l’homme. On raconte des histoires en rapport avec ces boissons dans les livres anciens, comme la bible dans Genèse 9 , concernant Noé qui a bu trop de vin pour fêter la fin du grand déluge. Habituellement, c’est une pratique plutôt masculine. Au fil du temps, les mœurs ont changé et les femmes s’y mettaient aussi, et même certaines femmes enceintes. Les conséquences sur le fœtus de la consommation d’alcool au cours de la grossesse sont longtemps restées méconnues, ainsi que la dangerosité potentielle pour le fœtus de dose d’alcool même modérée ou d’ingestion occasionnelle. On attribue à Paul Lemoine, un pédiatre français, et ses collaborateurs le mérite d’avoir reconnu pour la première fois en 1968 un type d’anomalie congénitale et des troubles du développement chez les enfants nés de parents alcooliques. En 1973, Jones et Smith ont donné le nom de « fœtal alcohol syndrome » ou syndrome d’alcoolisation fœtale à ces anomalies. Le SAF est une maladie grave et invalidante. Il est considéré comme la première cause de déficience mentale et d’anomalie congénitale évitable dans les pays occidentaux. La mise en commun de plusieurs études permet d’estimer qu’en 2001 le SAF est présent chez 0,5 à 2 enfants sur 1000 naissances vivantes en Amérique du Nord (1), 1 à 3 sur 1000 naissances vivantes dans les autres pays industrialisés. A La Réunion, l’incidence annuelle du SAF est élevée : 4,3 pour 1 000 naissances vivantes (2). Peu ou presque pas d’études ont été faites à Madagascar sur l’incidence du SAF. Notre objectif principal est de calculer l’incidence du SAF au CHUA-SGOB. Nos objectifs secondaires consistent à déterminer la fréquence de différentes caractéristiques cliniques et sociodémographiques de ce syndrome. Apres les quelques notions générales sur le syndrome d’alcoolisation fœtale de la première partie, nous présenterons notre travail proprement dit dans la deuxième partie. Les commentaires et discussions seront émis dans la troisième partie. Nous terminerons par une conclusion.
REVUE DE LA LITTERATURE
Généralités
Selon Le Petit Larousse 2007, l’alcool éthylique est une substance obtenue par la distillation de jus sucré fermenté (raisin, par exemple) ou de matière amylacée (grains, fécules, etc.) transformées en glucose. C’est un produit toxique et tératogène, la consommation d’alcool par les femmes enceintes est un sujet sensible. En cas d’excès occasionnel ou chronique durant la grossesse, le fœtus peut subir de nombreuses agressions susceptibles de provoquer un handicap durable. Dans la littérature scientifique, ces dommages sont décrits comme étant l’Ensemble des Troubles Causées par l’Alcoolisation Fœtale (ETCAF).
Le SAF est la forme la plus complète et la plus sévère de l’ETCAF, il est composé de quatre éléments principaux : un antécédent d’exposition à l’alcool in utero, des signes de dysmorphie craniofaciale, un retard de croissance (pré et/ou post natal) et un dysfonctionnement du système nerveux centrale (3).
Rappel historique
Une certaine relation entre l’alcool et la gestation était connue depuis l’antiquité. Bien que l’on trouve dans la littérature des écrits antérieurs décrivant de manière générale le thème alcool (éthyle) et grossesse ou quelques descriptions isolées d’enfants malformés chez des mères alcooliques, c’est à Nantes en 1968 que Paul Lemoine, un pédiatre français a décrit pour la première fois, à partir de 127 cas, l’embryopathie fœtoalcoolique ou syndrome d’alcoolisme fœtal et en 1973 que les Américains Jones et Smith écrivirent dans la revue « The Lancet » la description désormais classique du « fetal alcohol syndrome » (FAS). Dès lors parurent plusieurs publications en Suisse (Ferrier, 1979) et dans les pays scandinaves (Larsson et al, 1985) .
La consommation d’alcool à Madagasçar
L’alcool comme le tabac est un produit dangereux pour la santé, mais sa commercialisation est autorisée à Madagascar comme dans beaucoup d’autres pays dans le monde. Dans notre pays, la consommation d’alcool commence dès le plus jeune âge (l’âge scolaire). Soit par curiosité soit suite à une sollicitation des amis. Selon une étude faite dans 6 grandes villes de Madagascar en 2004 auprès de 1171 élèves de 15 à 19 ans révolus : 36% auraient déjà consommé de l’alcool (6). C’est aussi un ingrédient incontournable de presque toutes les festivités : mariage, exhumation, rites cultuelles traditionnelles. Enfin, il ne faut pas oublier les consommateurs qui pour oublier leur problème abusent de l’alcool. Ils deviennent de plus en plus nombreux actuellement.
Selon une étude menée par le Service de Lutte Contre les Maladies Liées aux Modes de Vies du Ministère de la Santé et du Planning en 2005, la prévalence de la consommation d’alcool pour l’ex-province de Toliara est de 48,64 % contre 36,19 % pour l’province d’Antananarivo, les hommes buvant plus que les femmes. La consommation excessive (plus de 5 verres par jour) serait de 7,3% pour la province de Toliara contre 6,3% pour la province d’Antananarivo ; ce qui donne la moyenne de 6,8% de la population étudiée (7).
Épidémiologie
Epidémiologie de la consommation d’alcool
On estime que la consommation nocive d’alcool (c’est-à-dire la consommation qui entraîne des pathologies) concerne quelques 55 millions d’adultes dans l’UE, dont 23 millions sont considérés alcooliques (8). La proportion de femmes buvant de l’alcool a considérablement augmenté ces derniers temps. En France, en 1960 une femme est repérée comme alcoolique pour 12 hommes, en 1990 on est passé à une malade alcoolique pour trois hommes (9). Au canada, selon l’ELNEJ (Enquête Longitudinale Nationale sur les Enfants et les Jeunes 1994, 1995), entre 17 et 25 % des mères ont consommé de l’alcool à un moment ou à un autre de la grossesse; entre 7 et 9 % en ont consommé pendant toute la durée de la grossesse (10).
A Madagascar, on ne dispose pas de chiffre comparatif, mais selon une enquête réalisée par le MIN SAN/PF en 2005, la prévalence de la consommation d’alcool dans l’ex-province d’Antananarivo serait de 36,2% dont le quart serait l’apanage des femmes (7).
Les facteurs de risque du SAF
Tous les enfants exposés à l’alcool ne développent pas tous l’ETCAF. Selon une enquête de l’INSEE en 1986,10 à 20 % des fœtus exposés sont atteints. On estime cependant que, pour les femmes alcoolodépendantes qui consomment beaucoup durant leurs grossesses, le risque de mettre au monde un enfant présentant des symptômes de SAF est de 30 à 40% (11). Plusieurs études indiquent que de nombreux facteurs interviennent dans l’apparition des atteintes pré- et postnatales spécifiques (11) (12), dont les plus cités sont les suivants:
o La modalité de la consommation d’alcool pendant la grossesse:
– la quantité par prise
– la manière de boire (consommation chronique ou occasionnelle) : Jacobson et Jacobson (1999) ont en effet montré que le fait de boire plusieurs verres à la fois (« Binge drinking ») au lieu de les répartir sur plusieurs jours augmenterait le risque de SAF
– le moment de l’exposition (la consommation au cours du 1er trimestre serait le plus tératogène) (13)
o L’interaction avec d’autres substances (consommation de tabac, de drogues et de médicaments)
o Les facteurs socio-économiques : l’alimentation, les conditions de vie matérielles, la pauvreté, la classe sociale et le statut matrimonial de la mère
o Une prédisposition génétique .
Epidémiologie du SAF/ETCAF
L’incidence du SAF varie d’un pays à un autre, d’une région à une autre et elle varie aussi en fonction des caractéristiques ethniques et socioculturelles. Les États-Unis est le seul pays au monde qui produit régulièrement des données de prévalence du SAF basées sur un recueil actif. En 2005, l’incidence du SAF aux Etats-Unis variait de 0,3 à 4,8 pour 1000 naissances vivantes, et une incidence de l’ETCAF à 9,1 sur 1000 naissances vivantes (1). Au Canada, on ne connaît pas exactement l’incidence du SAF/ETCAF, mais récemment, à partir de trois études démographiques, Sampson et coll. ont estimé que l’incidence de SAF se situait entre 2,8 à 4,8 sur 1000 naissances vivantes, et que celle de l’ETCAF correspondait à au moins 9,1 sur 1000 naissances vivantes (12) (13). En Australie, les chiffres rapportés sur l’incidence du SAF par le registre des malformations congénitales allaient de 0,02 à 2,76 pour 1000 naissances vivantes et ce en fonction des zones géographiques et des caractéristiques ethniques des populations (14). A La Réunion, l’incidence annuelle du SAF est élevée, estimée à 4,3 pour mille naissances vivantes (contre 1 à 3pour milles pour les pays industrialisés) et un taux d’enfants touchés par de possibles Effets de l’Alcool sur le Fœtus (EAF) pourrait être beaucoup plus élevé, de l’ordre de 10 pour 1 000 naissances (contre 9 pour 1 000 nouveau-nés dans les pays industrialisés) (1) (2). A Madagascar, il n’y a presque pas de chiffres connus sur l’incidence du SAF.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
1 Généralités
1.1 Rappel historique
1.2 La consommation d’alcool à Madagascar
2 Épidémiologie
2.1 Epidémiologie de la consommation d’alcool
2.2 Les facteurs de risque du SAF
2.3 Epidémiologie du SAF/ETCAF
3 Physiopathologie
3.1 L’alcool éthylique et son métabolisme
3.2 Particularités des femmes vis-à-vis de l’alcool
3.3 Conséquences de la consommation d’alcool chez les femmes enceintes
3.3.1 Gravidique
3.3.2 Fœtale : l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (ETCAF)
4 Diagnostic positif
4.1 Type de description : SAF confirmé ou complet
4.1.1 L’exposition à l’alcool in utero
4.1.2 Les signes physiques
4.1.3 Les signes paracliniques
4.2 Les formes cliniques
4.2.1 Selon la gravité
4.2.2 Selon l’âge
5 Diagnostic différentiel
5.1 Le syndrome de Williams-Beuren
5.2 Le syndrome de Noonan
5.3 Le syndrome fœtal dû aux anticonvulsivants
5.4 Le syndrome d’Aarskog ou syndrome facio-digito-génital
6 Prise en charge
6.1 La prévention
6.1.1 La prévention primordiale
6.1.2 La prévention primaire
6.1.3 La prévention secondaire
6.1.4 La prévention tertiaire
6.2 La prise en charge thérapeutique
6.2.1 Buts
6.2.2 Moyen
6.2.3 Indications
7 Evolution et pronostic
7.1 Évolution des signes dysmorphiques craniofaciales
7.2 Evolution du retard de croissance
7.3 Evolution des troubles neurologiques
8 Conclusion
DEUXIEME PARTIE : NOTRE TRAVAIL
1 Matériels et méthode
1.1 Type d’étude
1.2 Lieu de l’étude
1.3 Période de l’étude
1.4 Population étudiée
1.4.1 Critère d’inclusion
1.4.2 Critères d’exclusion
1.5 Paramètres étudiés
1.5.1 Les paramètres maternels
1.5.2 Les paramètres néonatals
1.6 Définition de cas et critères de jugement
1.6.1 La modalité de consommation d’alcool par les mères
1.6.2 Le diagnostic final
1.7 Déroulement de l’étude
1.7.1 L’inclusion
1.7.2 Considération éthique
1.7.3 L’enquête alimentaire
1.7.4 L’examen du nouveau-né
1.7.5 Analyse
2 Résultats
2.1 Description épidémiologique
2.1.1 Contexte épidémiologique maternel et fœtal
2.1.2 Contexte socio-économique maternel
2.2 Description clinique de la population d’étude
2.2.1 Biométrie
2.2.2 Description de l’hypotrophie
2.2.3 Description des signes dysmorphiques craniofaciaux
2.2.4 Description des signes neurologiques
2.2.5 Description des signes malformatifs
2.2.6 Description de l’exposition du fœtus à l’alcool
2.3 Fréquence des différents diagnostics
2.4 Description clinique sur la sous-population de SAF confirmé
2.4.1 L’hypotrophie
2.4.2 Les signes dysmorphiques craniofaciaux
2.4.3 Les signes neurologiques
2.4.4 L’exposition à l’alcool in utero
TROISIEME PARTIE : COMMENTAIRES ET DISCUSSIONS
1 Limites de notre étude
2 Commentaires et discussions
2.1 Description épidémiologique
2.1.1 L’incidence des différents diagnostics
2.1.2 Contexte épidémiologique maternel et fœtal
2.1.3 Contexte socio-économique maternel
2.2 Description clinique
2.2.1 Sur la population d’étude
2.2.2 Sur la population de SAF confirmé
SUGGESTIONS
CONCLUSION