Gestion de la crise sanitaire
La gestion de la crise sanitaire causée par le virus a été assurée de façon très variée selon les modèles de système de santé propres à chaque pays. En Europe, la pandémie a mis en difficulté les capacités de réponse face à la propagation du virus et à l’explosion rapide du nombre de cas. En France, les premiers cas ont été officiellement décrits mi-janvier 2020(4). La première réponse forte a été apportée le 17 mars 2020 avec la mise en place d’un confinement strict du pays jusqu’au 11 mai 2020. Cela a permis une diminution nette du nombre de cas et, par conséquent, du nombre de patients hospitalisés. La reprise d’une activité économique et sociale fut permise durant l’été 2020 jusqu’à un rebond épidémique observé mi-septembre. En réponse à cette nouvelle vague, un couvre-feu a été instauré à compter du 23 octobre 2020 rapidement suivi une semaine plus tard d’un confinement national. Ce dernier prit fin le 15 décembre 2020 suivi de la reprise du couvre- feu. L’évolution des taux d’incidence sur l’année 2020 en France est décrite en annexe 3 (Santé publique France(5)). En France, entre le premier mars 2020 et le 5 janvier 2021, 268 607 patients ont été hospitalisés pour une infection à SARS-CoV-2 et l’on dénombre sur la même période 66 282 décès(5). Ces différentes phases ont vu émerger des problématiques en lien avec la focalisation du système de santé sur la prise en charge des patients atteints de la Covid-19 avec pour conséquence possible une prise en charge sous optimale d’autres pathologies aigues comme chroniques(6), (7). Une importante surmortalité a été notée durant l’année 2020 du fait, d’une part, de l’infection à SARS-CoV-2 et, d’autre part, des pathologies non liées à l’infection. Dans une étude américaine comparant la mortalité toutes causes entre une période allant du 1er mars 2020 au 2 janvier 2021 à celle de la même période des années 2014 à 2019, il était rapporté une surmortalité de 22,9 % (8). Dans une autre étude, il est décrit dans la population latino-américaine de Los Angeles une augmentation de la mortalité en 2020 (741,7 décès pour 100000) par rapport à 2019 (630,3 décès pour 100000) (9). Lors de la première vague épidémique, des études ont montré une réduction du nombre d’admissions pour infarctus du myocarde. Dans une étude menée en Italie durant une semaine lors du premier confinement (du 12 au 19 mars 2020), il a été montré une diminution de 26,5 % des admissions pour SCA ST +(10). Des résultats similaires, marqués par une réduction des admissions pour STEMI, ont été rapportés dans d’autres pays lors de la première vague(11), (12). D’autre part, dans une enquête internationale menée par l’European Society of Cardiology (ESC), les participants rapportaient une diminution des admissions pour SCA ST+, mais il s’agissait de réponses de professionnels de santé à un questionnaire(13). Certaines études décrivent un allongement des délais de prise en charge des SCA ST+. Une étude britannique rapportait un allongement significatif du délai entre le début des symptômes et le premier contact médical lors de la première vague(14). Des résultats similaires ont été décrits à Hong Kong(15). Les données de la littérature sont discordantes quant à l’augmentation de l’incidence des complications mécaniques, retrouvées seulement dans certaines études(16), (17), et pouvant être en lien avec l’allongement de ces délais. L’ensemble des données disponibles à l’heure actuelle tendent à montrer une modification de la prise en charge des SCA ST+ avec des conséquences encore mal évaluées dans les suites notamment en ce qui concerne les complications et la mortalité. De plus, peu de données sont disponibles concernant la deuxième vague ayant touché l’Europe fin 2020.
Souffrance myocardique liée au SARS-CoV-2
De par son affinité pour le récepteur ACE2 largement exprimé au niveau des cardiomyocytes, le SARS-CoV-2 présente un tropisme pour le cœur. L’IRM myocardique réalisée à distance de l’infection à SARS-CoV-2 dans une étude monocentrique allemande (intervalle médian entre PCR positive et IRM de 71 jours), chez des patients ambulatoires et hospitalisés, a mis en évidence chez 78 % des patients des anomalies comme un allongement du T1 ou du T2 ou un rehaussement tardif ; 60 % présentaient des signes IRM d’inflammation myocardique(24). L’orage cytokinique induit par l’infection peut entrainer des atteintes multi-viscérales parmi lesquelles une atteinte cardiaque(25). L’infection des cellules cibles par le SARS-CoV2 induit une libération d’un ensemble de molécules groupées sous le nom de DAMP (damageassociated molecular patterns) comprenant entre autre l’ATP, des acides nucléiques et l’IL-1. Ces dernières sont reconnues par les cellules environnantes notamment les cellules endothéliales qui produisent alors des cytokines et chemokines pro-inflammatoires conduisant au recrutement de macrophages et de lymphocytes T qui vont eux-mêmes libérer des cytokines pro-inflammatoires (telles que l’IL-6, l’interféron gamma) entretenant ainsi l’inflammation tissulaire. L’accumulation de cellules inflammatoires conduit à une surproduction des cytokines sus mentionnées entrainant ainsi une mort cellulaire et une altération de l’architecture des tissus infectés. La souffrance myocardique mise en évidence par une élévation de troponine est observée dans 7 à 20 % des cas d’infections(26), (27), et est associée à une augmentation de la mortalité chez les patients hospitalisés(28), (29). Dans une étude menée en février 2020 à Wuhan, les taux de mortalité chez les patients avec et sans comorbidité cardiovasculaire étaient respectivement de 69,4 % et 37,5 % en cas d’élévation de la troponine T contre 13,3% et 7,6% pour ceux ayant une troponine normale(30). Chez les patients ayant présenté une souffrance myocardique lors de l’infection à SARS-CoV-2, une étude multicentrique au cours de laquelle une IRM myocardique était réalisée à distance de l’infection a montré que 27 % de ces patients présentaient un aspect IRM compatible avec une myocardite, 22 % présentaient un aspect ischémique(31).
Coagulopathie au cours de l’infection à SARS-CoV-2
Le SARS-CoV-2 peut induire un état d’hypercoagulabilité responsable de thromboses veineuses et artérielles(41), (42). Les patients atteints d’une infection à SARS-CoV-2 présentent une coagulopathie(43) associée à un moins bon pronostic(44), (45). Les patients présentent une élévation marquée des D-dimères(27), (46), un allongement du temps de prothrombine(47), un fibrinogène normal voire légèrement élevé(48). Une thrombopénie est notée chez 5 à 41.7 % des patients atteints de pneumonie à SARS-CoV-2 avec une incidence plus marquée chez ceux présentant une forme sévère(49). La thrombopénie pourrait s’expliquer par plusieurs mécanismes à savoir : une destruction des progéniteurs plaquettaires par infection directe par le virus ou induction d’auto-anticorps et/ou une consommation accrue de plaquettes liée à la formation d’agrégats plaquettaires au sein des poumons atteints ou à l’atteinte endothéliale(50). Dans les formes sévères d’infection à SARS-CoV-2, il est noté une augmentation franche des cytokines inflammatoires telles que le TNF alpha, les interleukines 1 et 6(46) ; l’augmentation de celles-ci entraine une activation de la cascade de la coagulation ainsi qu’une inhibition des mécanismes d’anticoagulation endogène(51). D’autre part, les infections à coronavirus sont marquées par une activation de la fibrinolyse (47) pouvant expliquer l’augmentation des Ddimères. L’ensemble de ces données suggère que l’infection à SARS-CoV-2 en entrainant une inflammation endothéliale ainsi que des troubles de la coagulation pourrait augmenter le risque de formation de thrombus et par conséquent la survenue de SCA.
Discussion
En comparant les patients Covid positifs et négatifs, nous avons retrouvé une surreprésentation statistiquement significative des thromboses aigues de stent chez les patients infectés par le SARS-CoV 2. De multiples séries de cas décrivent des phénomènes de thromboses de stent précoces(55), (56) comme tardives(57). Dans un registre espagnol portant sur 1010 patients dont 91 Covid +, il était retrouvé une plus grande incidence des thromboses de stent post angioplastie(58). Une des hypothèses évoquée pour expliquer les thromboses de stent associées au SARS-CoV-2 est celle d’une hyperréactivité plaquettaire reconnue comme un facteur de risque de survenue de ces dernières(59). Dans leur étude, Manne et al.(60) montrent une modification de l’expression protéique chez les patients infectés par le SARS-CoV-2 résultant en une augmentation de la réactivité plaquettaire induisant un sur-risque thrombotique. D’autre part, le SARS-CoV-2 est associé à un risque thrombotique accru du fait d’une hypercoagulabilité, d’une dysfonction endothéliale et de l’orage cytokinique(61). Dans leur étude comparant 46 patients Covid + à 302 patients Covid – présentant un SCA ST+, Little et al., rapportaient une charge thrombotique plus importante en angiographie coronaire chez les patients Covid + comme l’attestait l’utilisation plus fréquente d’anti GPIIbIIIa et de la thromboaspiration ainsi qu’un flux selon la classification TIMI en post procédure inférieur(62). Néanmoins, il n’existe pas, à notre connaissance, d’études dédiées montrant une association entre infection à SARS-CoV-2 et thrombose de stent. Les patients Covid positifs présentaient des FEVG significativement plus basses. Dans une étude de 2020 portant sur 100 patients présentant une infection à SARS-CoV-2, Szekely et al. décrivent une prévalence de dysfonction systolique ventriculaire gauche (définie par une FEVG inférieure à 50%) de l’ordre de 10%(63). Cette altération de la FEVG serait d’autant plus marquée que l’infection à SARS-CoV-2 est grave(64). Dans leur étude portant sur 125 patients souffrant d’une pneumonie à SARS-CoV-2, Tudoran et al.(65) rapportent que l’ascension des marqueurs de nécrose myocardique est associée avec la persistance de la dysfonction systolique ventriculaire gauche 6 à 10 semaines après l’infection. La souffrance myocardique associée à l’infection à SARS-CoV-2, dont l’ascension de troponine est le témoin, est associée à un moins bon pronostic et est plus fréquemment rencontrée dans les formes sévères d’infection(66). Celle-ci peut s’expliquer par le sepsis(67), l’hypoxie(68) et les atteintes myocardiques du SARS-CoV-2 directes ou d’origine ischémique(31). Les résultats de notre étude sont compatibles avec ceux d’un registre espagnol portant sur 1010 patients présentant un SCA ST+(58). Il y était démontré une surmortalité des patients atteints de la Covid-19. Il retrouvait également des tableaux d’insuffisance cardiaque aigue et de choc cardiogénique plus fréquents que nous ne retrouvons pas. Bien que cela ne soit pas significatif, on peut constater dans notre étude une tendance à une plus grande incidence de certaines complications des SCA ST+ (OAP, chocs cardiogéniques, troubles du rythme ventriculaire, BAV complet) chez les patients Covid positifs. Le registre prospectif Nord-Américain NACMI incluant des patients issus de 64 centres aux Etats-Unis et au Canada dont les premiers résultats ont été publiés en avril 2021(69) montre que les patients admis pour SCA ST+ Covid positifs présentent plus fréquemment des tableaux de choc cardiogénique ainsi qu’une survenue plus fréquente d’un critère composite comprenant la mortalité, les AVC, la récidive d’infarctus du myocarde et une nouvelle revascularisation coronaire non planifiée. Le recrutement des patients est toujours en cours. Dans notre étude, le délai entre le début des symptômes et l’entrée en salle de coronarographie ne différait pas entre les patients Covid + et Covid -. Nous avons choisi de n’utiliser que ce délai devant la difficulté de récupérer des données précises permettant le recueil notamment du premier contact médical, du délai entre le début des symptômes et l’appel des secours ainsi que le délai entre l’entrée en salle de coronarographie et la reperfusion coronaire. L’étude de Little(62), rapportait des délais entre le début de la douleur et l’appel des secours et entre l’appel des secours et l’entrée en salle de coronarographie similaires mais il était rapporté un délai entre l’entrée en salle et la reperfusion significativement plus long chez les patients Covid +. L’absence de différence concernant le délai entre le début des symptômes et l’entrée en salle de coronarographie dans notre étude pourrait s’expliquer par un plus grand nombre de SCA ST+ intra-hospitaliers chez les patients Covid + ; les patients hospitalisés pour infection à SARS-CoV-2 présentant un risque accru de développer un infarctus du myocarde dans les semaines suivants le diagnostic(35). Lors des périodes première vague et deuxième vague en 2020 on constatait une diminution, respectivement, de 13% et 30 % des admissions pour SCA ST+ comparativement à 2019 alors qu’une telle réduction n’était pas retrouvée lors de la période intercritique. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que l’épidémie active dissuadait les patients de recourir aux services de soins. Dans une étude portant sur les admissions aux urgences à Brescia, une des villes italiennes les plus impactées par la pandémie, lors de la première vague(70), il a été démontré une réduction de l’ordre de 30 % des admissions aux urgences principalement chez les patients se présentant par eux-mêmes. Dans une autre étude américaine portant sur 9 centres, il était noté lors de la première vague une diminution de 38 % des admissions pour SCA ST+(11). Dans un registre espagnol portant sur 81 centres, les auteurs décrivaient une réduction de 40 % des angioplasties pour SCA ST+ lors du premier confinement en Espagne(12). Dans leur étude(62), Little et al. décrivaient une diminution de 21 % des admissions pour SCA ST+ lors de la première vague. Ils rapportaient également une augmentation du délai entre le premier appel des secours et l’entrée en salle de coronarographie ; ceci pourrait suggérer une saturation des lignes d’appel et une mobilisation importante des moyens techniques et humains conduisant à une attente plus longue et possiblement un renoncement à l’appel des services de secours. Lors de la comparaison des périodes première vague de 2019 et 2020, nous n’avons pas montré de différence en ce qui concerne le délai entre l’heure estimée de début de la douleur et l’heure d’entrée en salle de coronarographie ni sur les complications des SCA ST+. Dans une étude française menée dans 16 centres, portant sur 2064 patients présentant un SCA ST+ entre le 15 janvier 2020 et le 14 avril 2020 ayant bénéficié d’une revascularisation percutanée, les auteurs montraient un allongement du délai entre le début des symptômes et le premier contact médical chez les patients admis aux urgences lors du premier confinement(71). Cependant, cette étude portait sur la phase initiale du confinement en ne s’étendant qu’au 14 avril, la différence observée ne portait que sur les patients se présentant aux urgences et non dans la population générale des SCA ST+ notamment ceux pris en charge par le SAMU. De plus, il n’était pas retrouvé de différence en ce qui concerne le délai entre le début des symptômes et l’admission en salle de coronarographie. Une étude japonaise(17) portant sur 422 patients présentant un SCA ST+ a montré une augmentation significative des complications mécaniques ainsi que du délai entre le début des symptômes et l’admission en salle de coronarographie. Ces différences entre les études pourraient s’expliquer, d’une part, par le caractère rétrospectif des recueils pouvant fausser l’estimation des délais et, d’autre part, par les disparités en ce qui concerne les réseaux de soins entre les différents centres. Lors de l’analyse des différentes périodes, il s’avérait que le délai entre le début des symptômes et l’entrée en salle de coronarographie était significativement plus court lors de la période intercritique de 2020 comparativement à la même période en 2019 et à la première vague de 2020. Ce résultat pourrait s’expliquer par un biais lié au recueil des données. En effet, de nombreuses données concernant le délai sont manquantes sur cette période (57 % de données aberrantes ou manquantes). De plus, les variables extrêmes prises en compte dans la moyenne sont plus basses que pour les autres périodes. De surcroît, de tels résultats n’ont, à notre connaissance, pas été rapportés dans la littérature. Au cours de la première vague et de la période intercritique en 2020, la durée d’hospitalisation semble plus courte sans que cela n’atteigne les seuils de significativité statistique. Ces résultats sont compatibles avec ceux d’autres études notamment une étude turque monocentrique(72) et une étude multicentrique américaine(73) qui démontraient une réduction des durées moyennes de séjour lors de la première vague de l’épidémie. Ceci pourrait être expliqué par une pression sur le système de santé importante(74) conduisant les personnels médicaux à libérer plus rapidement des places d’hospitalisation et à reporter des angioplasties de complément ou, au contraire, à les réaliser plus rapidement devant des difficultés de reprogrammation. Lors de la période intercritique en 2020 et la deuxième vague en 2020, nous avons retrouvé des troponinémies significativement supérieures en comparaison de la première vague de 2020. Ceci aurait pu s’expliquer par des délais plus longs ce qui n’est pas le cas dans notre étude. Il aurait également pu être évoqué la possibilité d’une plus grande fréquence des occlusions coronaires devant une tendance à une prévalence plus importante de celles-ci, néanmoins sans significativité statistique. Cependant, ce résultat n’était pas retrouvé lors de la période intercritique. D’autre part, pour le recueil des valeurs de troponine de ces deux périodes, on constate que l’écart-type est plus important par rapport à celui de la première vague. Le fait qu’un autre marqueur de nécrose myocardique que sont les CPK ne soient pas plus élevées va dans le sens d’un résultat expliqué par un biais inhérent au recueil des dosages de troponine ainsi que des délais de prélèvement possiblement différents.
|
Table des matières
I/ Introduction
A/ Contexte épidémiologique
B/ Gestion de la crise sanitaire
C/ Mécanisme d’action du SARS-CoV-2
D/ Atteintes cardiovasculaires au cours de l’infection à SARS-CoV-2
Souffrance myocardique liée au SARS-CoV-2
SARS-CoV-2 et syndromes coronariens aigus
Coagulopathie au cours de l’infection à SARS-CoV-2
E/ Objectif principal
II/ Méthodes
A/ Dessin de l’étude
B/ Objectifs
C/ Population étudiée
D/ Recueil des données
E/ Analyse statistique
III/ Résultats
A/ Comparaison des caractéristiques des patients Covid + et Covid –
B/ Comparaison des années 2019 et 2020
C/ Comparaison de la première vague et de la période intercritique de 2020
D/ Comparaison des première et deuxième vagues de 2020
IV/ Discussion
A/ Discussion
B/ Conclusion
V/ Annexes
VI/ Références bibliographiques
Télécharger le rapport complet