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LE SUR-RISQUE THROMBO-EMBOLIQUE VEINEUX INDUIT PAR LES ESTROPROGESTATIFS
Chez une femme en âge de procréer et indemne de tout facteur de risque spécifique, le risque de survenue d’un accident thrombo-embolique veineux, qu’il s’agisse d’une phlébite, ou d’une embolie pulmonaire est d’environ 2 pour 10 000 femmes par an.
Selon l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament, il est d’environ 5 à 7 pour 10 000 femmes avec la plupart des estroprogestatifs de deuxième génération (EP2G) et d’environ 9 à 12 pour 10 000 femmes avec la plupart des estroprogestatifs de 3ème génération (EP3G).(22)
A ce jour, le sur-risque lié aux estroprogestatifs dits de 4ème génération (EP4G) est estimé être du même ordre que celui des EP3G.(23–25)
Par ailleurs, le sur-risque d’accident thrombo-embolique veineux est plus important au cours de la première année d’utilisation d’un contraceptif estroprogestatif, quelle que soit la génération.(26,27) Le risque d’accident thrombo-embolique veineux varie avec la dose d’éthinyl-estradiol et dépend du type de progestatif associé, mais d’autres facteurs sont susceptibles de l’influencer.(26)
Ainsi, chez un même sujet, le risque thrombo-embolique veineux augmente avec:
-l’âge.
-la consommation de tabac.
-une immobilisation prolongée.
-la notion d’antécédent familial d’accident thrombo-embolique veineux.
-la notion d’un trouble de la coagulation, à type de thrombophilie par exemple, chez le sujet ou un parent.
-les suites de certains types de chirurgies, -certaines pathologies telles que le cancer.
Ainsi, le prescripteur a pour rôle de dépister ces facteurs de risque avant toute instauration ou modification d’une contraception hormonale.
Les nombreuses modifications hormonales au cours d’une grossesse normale sont connues pour favoriser également le risque thrombo-embolique veineux. (6 accidents pour 10 000 femmes).(28) On utilise souvent ce chiffre pour comparer les risques relatifs des estroprogestatifs par rapport à cette situation physiologique et fréquente.
Il faut cependant rappeler que, d’après l’actuel modèle contraceptif français, la durée d’exposition au facteur de risque que représente une grossesse est d’ordinaire inférieure à la durée de consommation d’un estroprogestatif au cours de la vie d’une femme.(29)
Une patiente sous estroprogestatif est exposée au sur-risque vasculaire chaque année d’utilisation, quand une femme enceinte présente un sur-risque thrombo-embolique élevé le seul temps de la grossesse et du post-partum.
Malgré le risque de survenue d’accidents vasculaires rares mais graves qu’ils induisent, ces produits demeurent l’une des références en termes d’efficacité contraceptive.
Dans sa fiche de bon usage de médicament de novembre 2012,(30) la Haute Autorité de Santé rappelle que « les contraceptifs oraux estroprogestatifs sont parmi les moyens les plus efficaces (indice de Pearl < 1) pour la prévention des grossesses non désirées ».
Un indice de Pearl inférieur à 1 signifie que moins d’une grossesse non désirée est attendue sur 100 femmes utilisant une contraception donnée sur un an.(rp) Enfin, elle précise que « l’efficacité des différents types de contraceptifs oraux estroprogestatifs est du même ordre ».
Une crise de confiance qui s’approfondit
Du scandale du DISTILBENE® en 1971, à celui du MEDIATOR® en 2009, la santé publique française essuie en quarante ans des crises aussi nombreuses que redoutables, bien souvent en lien avec un produit de santé.
Elles contribuent pour beaucoup à ébranler la confiance du public envers le dispositif de sécurité sanitaire national et l’industrie pharmaceutique.
Ainsi, Hervé Gisserot, président de Leem, fédération des entreprises du médicament, déclare le 31 janvier 2013 que « Tout accident lié au médicament […] interpelle les industriels » et « personne ne peut traiter avec mépris ou indifférence ce type d’évènement ». Mais « en France, très rapidement nous sommes confrontés à une sorte de malaise profond et persistant » et « chaque interrogation très rapidement se transforme en réquisitoire » contre le médicament et ses acteurs.(40)
La loi du 29 décembre 2011
Prédécesseur de M. Gisserot à la tête de Leem, Blandine Fauran écrit dans l’ouvrage accompagnant la loi du 29 décembre 2011 sur les produits de santé: « La pression sociétale devenant plus forte à l’occasion des récentes crises politiques ou sanitaires, ces questions » de « confiance des citoyens dans leurs institutions et dans l’impartialité des décisions publiques qui les régissent […] ont dû être remises à plat et c’est notamment dans ce contexte qu’un projet de loi a été déposé à l’été 2011, à l’initiative de François Sauvadet, Ministre de la fonction publique, mettant en œuvre les préconisations du rapport de la Commission de réflexion sur la prévention des conflits d’intérêt dans la vie publique ».
Marisol Touraine, Ministre des affaires sociales et de la santé, préface le livre: « Les récentes crises […] ont pu ébranler la confiance des Français dans leur système de santé, et plus particulièrement dans notre dispositif de sécurité sanitaire des produits de santé. Seule une réforme en profondeur peut rétablir cette confiance ».
Mais Xavier Cabannes, professeur des universités, membre de l’Institut Droit et Santé, est plus critique: « Il ne fait aucun doute que la réforme […] a été nettement influencée par […] l’émotion suscitée par l’affaire du MEDIATOR® […] et, suite à une surexposition médiatique, par la volonté d’offrir aux citoyens une image d’indépendance. […] Nous sommes là, sans nul doute, dans le symbole».
L’analyse de Jacky Richard, président adjoint et rapporteur général de la section du rapport et des études du Conseil d’Etat, l’amène à détailler quelles « défaillances dans le système de sécurité sanitaire français […] l’affaire du MEDIATOR® » a-t-elle contribué à révéler. Il évoque : « l’insuffisante indépendance de l’expertise sanitaire publique à l’égard des laboratoires pharmaceutiques ; le manque de réactivité des autorités sanitaires ; la répugnance à retirer du marché des médicaments déjà autorisés alors que l’utilité thérapeutique n’est plus justifiée au regard des risques qu’ils présentent ; la facilité avec laquelle la prescription des médicaments est faite hors des indications pour lesquelles ils ont obtenu une autorisation de mise sur le marché ;la défaillance du dispositif de pharmacovigilance à évaluer les cas d’effets indésirables ; et enfin, l’insuffisante formation des prescripteurs soumis, dans des conditions insatisfaisantes, au démarchage des laboratoires et des visiteurs médicaux ».
Il peut paraitre surprenant d’estimer à quel point cette analyse pourrait être appliquée à l’affaire des EP3G et EP4G, un an exactement après la réforme de décembre 2011.
La loi du 29 décembre 2011 :
-crée l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), succédant à l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS), -généralise la déclaration de conflits d’intérêts,
-renforce le dispositif de pharmacovigilance.
-encadre et contrôle davantage les prescriptions hors autorisation de mise sur le marché .(41)
Les représentations du médicament
Selon Sophie Chauveau, écrivain et journaliste, le « médicament pourrait être une forme de cristallisation entre le capital et la santé » du fait des « usages », de « la conception » et des « enjeux économiques et politiques » qui lui sont propres.(42)
Une étude de Piquet et al. en 2000 (43), évalue les représentations du médicament chez 187 patients ; ainsi 94% parlent de « produits chimiques », 73% évoquent des « risques pour l’organisme », 68% craignent une « dépendance ».
Des prises de position divergentes de la part des institutions
Le développement des connaissances au fil des ans a permis de mieux définir dans quelle mesure les EP3G et EP4G étaient susceptibles d’induire un risque plus important d’accident thrombo-embolique veineux par rapport aux autres générations.
Une évaluation européenne en 2001
Six ans après le « pill scare » britannique, l’Agence européenne pour l’évaluation des médicaments réévalue le risque d’accident thrombo-embolique veineux induit par les EP3G. Elle conclut:
-qu’il existe un sur-risque par rapport aux EP2G.
-que les données ne suggèrent pas que le risque soit plus faible avec les EP3G dosés à 20 µg d’éthinyl-estradiol, qu’à 30µg.
-que le rapport bénéfice/risque des EP3G reste positif.
De ce fait, l’indication thérapeutique des EP3G n’est pas modifiée.(23)
L’évaluation française de 2002
La Commission de la transparence est chargée d’évaluer le « service médical rendu » et l’ « amélioration du service médical rendu » d’un produit de santé ayant acquis une autorisation de mise sur le marché, lorsque le laboratoire qui le commercialise souhaite obtenir son inscription sur la liste des médicaments remboursables.
Selon la Haute Autorité de Santé, le « service médical rendu » est un critère prenant en compte plusieurs aspects du médicament: (44)
-d’une part la gravité de la pathologie pour laquelle le médicament est indiqué.
-d’autre part des données propres au médicament lui-même dans une indication donnée :
-efficacité et effets indésirables.
-place dans la stratégie thérapeutique.
-intérêt pour la santé publique.
Plus le « service médical rendu » est élevé, plus le taux de remboursement du produit peut l’être, selon la décision de l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie.
L’ « amélioration du service médical rendu » est déterminée selon les progrès qu’est susceptible d’apporter le produit par rapport aux traitements déjà disponibles.
En 2002, la Commission de la Transparence attribue un « service médical rendu » important et une « amélioration du service médical rendu » nulle à l’ensemble des EP3G oraux.
Il n’est pas retenu de différence d’efficacité sur la prévention des grossesses entre les différentes générations.
Les EP3G conservent leur place dans la stratégie thérapeutique, bien que les avis de la Commission de la transparence rappellent une augmentation du risque d’accident thrombo-embolique veineux de 1,5 à 2 fois par rapport aux EP2G.
Par ailleurs, la Commission demande des informations complémentaires: « Cet avis sera revu au plus tard dans 24 mois. En effet, en l’état des données, il est très difficile de situer cette spécialité versus ses alternatives. Pour cette révision le laboratoire devra fournir des données permettant d’évaluer la tolérance de sa spécialité versus un EP2G ».
Les laboratoires ne se plieront pas à cette demande.(45)
En effet, en 2002, ni la Haute Autorité de Santé, ni l’AFSSAPS, prédécesseur de l’ANSM, n’ont les moyens de contraindre les industriels à réaliser ces études.
C’est la directive européenne du 15 décembre 2010 qui octroiera ce pouvoir aux autorités sanitaires nationales, assorti d’un droit à opposer des sanctions pécuniaires.(41) L’ANSM en héritera à sa création par la réforme du 29 décembre 2011.
A ce stade, bien qu’envisageable selon l’avis de la Commission de la transparence, le remboursement des EP3G n’est pas effectif.
2007-2009: Les EP3G en deuxième intention, mais remboursables
En 2007, le Ministre de la santé saisit la Commission de la transparence afin de réétudier le cas des EP3G « sur la base de l’état actuel de la science en vue d’une éventuelle admission au remboursement ».
Les conclusions de l’avis sont superposables mais la commission recommande cette fois la prescription des EP3G oraux en deuxième intention seulement, au vu du sur-risque d’accident thrombo-embolique veineux.
Elle invite à « la réalisation d’une étude prospective, comparative de large échelle permettant une comparaison pertinente entre les contraceptifs oraux ».(45)
En 2009, Varnoline-Continu, l’un des 38 EP3G oraux pour lesquels la Commission de la transparence a donné un avis favorable devient le premier à être remboursé à 65% par l’Assurance maladie.
2009-2011: EP3G et EP4G: des risques comparables
La publication, cette même année 2009, d’une étude menée au Danemark concernant le risque d’accident thrombo-embolique veineux lié aux estroprogestatifs oraux contenant de la drospirénone (EP4G), déclenche une réflexion européenne.(23)
En mai 2011, le sur-risque d’accident thrombo-embolique veineux pour les EP4G oraux par rapport aux EP2G est confirmé et paraît être du même ordre que celui observé avec les EP3G, désormais bien connu.(23–25)
L’ANSM met en place des opérations de communication auprès des prescripteurs et du public dès novembre 2011.(46)
Le rapport bénéfice/risque des EP3G et EP4G oraux fait alors l’objet de réévaluations au niveau de l’Union Européenne, mais aussi aux États-Unis, au Canada et au Danemark. Tous les avis concordent: le rapport bénéfice/risque reste positif, les thromboses veineuses étant considérées comme des événements rares.(25,46,47)
La remise en question de la place des EP3G dans la stratégie thérapeutique
Saisie le 27 décembre 2011 par la Direction Générale de la Santé, la Commission de la transparence est sommée de rendre un avis au sujet de « l’évaluation des EP3G, s’agissant en particulier de l’appréciation du « service médical rendu » de ces traitements, de leur place dans la stratégie thérapeutique et de leur périmètre de prise en charge ».
Sur les 50 EP3G oraux alors commercialisés, seuls 23 sont remboursables.
Cette fois, la Commission de la transparence considère que le service médical rendu par ces spécialités doit être qualifié d’ « insuffisant » pour une prise en charge par la solidarité nationale et précise même que : « Les nouvelles données disponibles ne permettent plus de positionner les contraceptifs oraux de 3ème génération en deuxième intention ». (45)
Cette dernière mention ne trouvera pas écho décisionnaire puisqu’à la date de rédaction de ce travail, la plupart des EP3G a conservé cette place dans la stratégie thérapeutique.
En revanche, le déremboursement de l’ensemble des EP3G oraux dès septembre 2013 est annoncé en septembre 2012 par la Ministre de la santé.(48)
Le 2 janvier 2013, deux semaines après le début de la crise, il sera avancé à mars 2013.
Ce n’est finalement qu’en octobre 2012, que la prescription d’EP2G (au levonorgestrel) est recommandée publiquement par l’ANSM en première intention, les EP3G et les EP4G oraux étant relégués en seconde intention. (47)
Cinq ans auparavant, la Commission de la transparence avait recommandé cette stratégie thérapeutique.
La Haute Autorité de Santé étend la recommandation de prescription en première intention des EP2G aux EP1G en novembre.(30)
Dix jours avant la médiatisation de l’affaire, l’A gence Nationale de Sécurité du Médicament diffuse le 4 décembre 2012 une « fiche de bon usage destinée aux professionnels de santé » et organise une « consultation publique visant à mieux encadrer la publicité en faveur des contraceptifs oraux combinés et autres contraceptifs combinés ».(49)
En novembre 2012 et selon la Haute Autorité de Santé : « aucune étude n’a démontré que les EP3G oraux apportaient un bénéfice supplémentaire par rapport aux EP2G/EP1G » en terme de tolérance(30) et ce alors qu’ils sont commercialisés depuis 28 ans.
Le communiqué de presse du Ministère
Le 11 janvier 2013 paraît un document publié par le Ministère des Affaires Sociales et de la Santé. Marisol Touraine y « réaffirme l’importance de la contraception dans les meilleures conditions de sécurité » et « rappelle que la pilule est avant tout ce qui permet à des millions de femmes d’exercer librement leur droit à la contraception, droit qui constitue une priorité pour le gouvernement » et que « le débat actuel ne doit en aucun cas jeter le discrédit sur les méthodes contraceptives ».
Une mise au point est faite quant au système de veille sanitaire : « la Ministre vient également de demander à l’ANSM de rendre publiques les données de pharmacovigilance. […] Elle souhaite enfin que le dispositif de pharmacovigilance soit amélioré et simplifié, afin que les professionnels de
santé puissent plus facilement déclarer les effets indésirables des médicaments, et notamment de tous les contraceptifs oraux ».
Le communiqué fait un bref rappel des mesures entreprises par l’ANSM et la Haute Autorité de Santé depuis septembre 2012, soulignant leur antériorité à la crise.
De la même manière, il est écrit que « la Ministre avait pris, dès le mois de septembre 2012, la décision de dérembourser les pilules de 3ème génération.
Ce déremboursement n’était pas une réponse à un risque sanitaire. Il s’agissait de donner suite à l’avis de la Haute Autorité de Santé qui considérait que « le service médical rendu par ces spécialités doit être qualifié d’insuffisant pour une prise en charge par la solidarité nationale» ». Elle fait part de sa décision « de saisir l’Agence européenne du médicament pour que les autorisations de mise sur le marché des (EP3G et EP4G oraux) soient modifiées: l’objectif est que ces pilules ne soient plus prescrites aux femmes en premier choix. La France est ainsi le premier pays à saisir les instances européennes sur cette question ». (78)
L’ANSM introduit donc, le 22 janvier 2013, une procédure d’arbitrage auprès des institutions communautaires.(49)
Cette procédure se soldera par un refus de l’Agence européenne du médicament en octobre 2013, relativement peu couvert par la presse française.(79)
Les actions de l’ANSM auprès de ses partenaires
Les prescripteurs
L’ANSM veut inclure les prescripteurs dans la problématique. Le 21 décembre 2012, son président le Pr Dominique Maraninchi, publie une « mise en garde adressée aux médecins généralistes, médecins gynécologues et sages-femmes » qui rappelle les recommandations émises en octobre et les conditions de prescription des contraceptifs oraux.(49,80).
Par la suite, deux réunions de concertation sont organisées: -le 4 janvier avec les professionnels de santé concernés, -le 8 janvier avec leurs représentants.
Une « réunion de travail » a lieu le 25 janvier pour « identifier précisément les mesures et les outils pratiques permettant de limiter la prescription et la délivrance » des EP de dernières générations hors recommandations.(49)
Le public
L’ANSM assure que « des échanges ont lieu avec les associations de patients et de victimes » qu’elle « a tenu informées de ses actions et leur a communiqué, préalablement à leur diffusion, les informations qu’elle met à disposition des patients ».
Elle fait savoir qu’ « un numéro vert […] a été ouvert le 23 janvier pour répondre aux questions des femmes ; 16 117 appels ont été traités jusqu’à la fermeture de la ligne le 11 mars 2013 ».(49)
Les industriels
Le 11 janvier 2013, l’ANSM met en ligne sur son site Internet des recommandations à l’attention des firmes concernant les publicités pour contraceptifs.
Elle déclare refuser celles qui ne mettraient « pas en exergue la mention de l’augmentation du risque thromboembolique veineux ».
Elle demande aux laboratoires concernés « de lui transmettre les données relatives aux conditions actuelles d’utilisation en France et […] des données de pharmacovigilance spécifiques à la France sur les 5 dernières années ». Par ailleurs, l’ANSM fait savoir qu’elle « suit, auprès des industriels concernés les capacités d’approvisionnement du marché en pilules de 2ème génération, du fait du transfert de prescription ».(49)
Prise en charge des EP3G par l’Assurance maladie
Pas d’évaluation « médico-économique » du médicament en France ?
Pour voir un produit bénéficiaire d’une autorisation de mise sur le marché être pris en charge par l’Assurance maladie, le fabricant doit soumettre sa demande à la Commission de la transparence. Celle-ci transmet son avis à l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie qui fixe le taux de remboursement.
C’est une autre instance qui établit le prix du produit: le Comité économique des produits de santé. L’Inspection générale des affaires sociales, dans son rapport de juin 2011 (81), « relève que cette situation est source d’une grande confusion entre les acteurs du système de santé. L’appréciation de l’« amélioration du service médical rendu » par la Commission de la transparence ne repose à l’heure actuelle sur aucune évaluation médico-économique » mais « est déterminée uniquement sur la base d’une analyse du rapport bénéfices/risques du produit. Et pour cause, lors de l’évaluation du médicament par » la Commission de la transparence, « le prix de celui-ci n’est pas connu », commente François Bocquet dans l’ouvrage commentant la réforme de 2011. (41)
La France, par cette façon de faire, se distingue d’autres pays tels que l’Allemagne, la Suède ou le Royaume- Uni dont une partie de la politique de santé et de protection sociale repose sur la notion d’évaluation « médico-économique » du médicament.(41)
Quelles ont-été les raisons du déremboursement des EP3G ?
C’est seulement trois ans après le début de leur prise en charge par l’Assurance maladie que Marisol Touraine décide en septembre 2012, du déremboursement des EP3G.
Par ailleurs les EP4G n’ont jamais été pris en charge.(78)
Exigeant le retrait du marché des EP oraux de dernières générations, l’Association française du planning familial et l’Association des victimes d’embolie pulmonaire ont vu dans leur déremboursement un mi-chemin « totalement incohérent ».(6)
Dans son communiqué du 11 janvier 2013, le Ministère précise que « ce déremboursement n’était pas une réponse à un risque sanitaire. Il s’agissait de donner suite à l’avis de la Haute Autorité de Santé » de juin 2012 Pierre Boutouyrie et Stéphane Laurent, deux professeurs de pharmacologie de l’université Paris-Descartes, ainsi que Hervé Le Louet, président de la Société internationale de pharmacovigilance, expliquent que « la balance bénéfice-risque d’un […] médicament, mesure scientifique répondant à une méthodologie standardisée, et qui guide la décision d’autorisation de mise sur le marché, est trop souvent confondue avec son rapport « coût-efficacité », mesure à déterminisme sociétal qui guide les décisions de remboursement et de fixation des prix ».(72)
Mais Pascale Krémer du Monde remarque que c’est, « à peine les parents de Marion (Larat) » et le fondateur de l’Association des victimes d’embolie pulmonaire « sortis du Ministère de la santé, le 19 septembre, que Marisol Touraine annonçait le déremboursement ». Elle explique que les intéressés étaient « reçus […] depuis peu par toutes les autorités sanitaires »(6) et cela trois mois environ avant la crise publique.
Quoi qu’il en soit, c’est bien en pleine crise médiatique, mercredi 2 janvier 2013, que la date de déremboursement des produits est avancée de six mois par le Ministère, soit de septembre à mars 2013.(82)
De nombreux intervenants regrettent le déremboursement des EP3G, dont le docteur Elisabeth Paganelli, secrétaire générale du Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France. Il risque selon elle de détourner les femmes de la contraception.(6)
En effet, cette décision semble réduire de fait l’accès à la contraception pour des motifs économiques.
Mais la Commission de la transparence rappelle en marge de sa réévaluation de 2012 les enjeux de santé publique concernant l’accès à une contraception sûre et efficace pour toutes les femmes qui le désirent et que celle-ci ne saurait se limiter au remboursement des produits concernés.(26,45)
Par ailleurs, les gynécologues s’inquiètent ; on lit dans le Journal de gynécologie obstétrique et biologie de la reproduction de juin 2013 (83) : « Il est important de mettre à la disposition des femmes le plus large éventail possible de choix contraceptifs afin que les besoins individuels puissent être assurés du mieux possible ». Les médecins craignent « la restriction de l’accès aux contraceptifs estroprogestatifs de troisième génération » sous toutes leurs formes, qui « empêcherait le recours à des galéniques non orales ou à l’utilisation des contraceptifs de troisième génération dans des circonstances d’intolérance ».
Ils ajoutent qu’ « en l’absence d’alternative, il faut garder à l’esprit que la survenue d’une grossesse non désirée est toujours porteuse d’un surcroît de risque par rapport à n’importe quel type de contraception ».
Dans ce même numéro, ils répondaient aux revendications des adversaires des EP3G, l’ Association des victimes d’embolie pulmonaire en tête, réclamant la mise en place d’un dépistage systématisé des troubles de la coagulation avant la prescription d’un EP(6) : « le bilan de thrombophilie […] ne doit pas être prescrit systématiquement. Les indications de ce bilan ont été précisées et argumentées sous forme de recommandations professionnelles en 2009, en particulier avant la prescription d’une contraception estroprogestative.
En effet, de nombreux facteurs de prédisposition sont susceptibles de moduler l’effet thrombogène des contraceptions estroprogestatives. La maladie thromboembolique veineuse est une maladie multifactorielle. La majorité des évènements thromboemboliques survient chez des femmes n’ayant pas de thrombophilie.
Il n’y a pas d’étude en France qui permette de quantifier le nombre d’accidents thrombotiques qui seraient évités par la réalisation d’un bilan systématique de thrombophilie. En revanche, un grand nombre de patientes se verraient exclues de la contraception estroprogestative pour un risque incertain, tandis que d’autres, sans anomalie biologique, (feraient) quand même un accident ». L’Association des Victimes d’Embolie Pulmonaire est en effet très engagée sur ce terrain. On retrouve sur son site internet des conseils aux femmes qui souhaiteraient débuter une contraception hormonale: « Pour savoir si vous êtes porteuse de mutations génétiques d’hypercoagulabilité, il faut demander un dépistage d’hypercoagulabilité du sang à votre médecin prescripteur avant la prise de la contraception hormonale quel que soit le type d’hormones, sous quelque forme que ce soit: pilule, patch, implant, stérilet hormonal, anneau vaginal, etc… Si votre médecin n’est pas d’accord, insistez ou changez de médecin car votre santé et votre vie sont en jeu. »(84)
Le clou est enfoncé puisque sur une autre page il est rappelé qu’ « avant de prendre la pilule il serait sage de se faire dépister, et ce même si votre gynécologue n’est pas d’accord. Et surtout s’il n’est pas d’accord. C’est un dépistage génétique mais facile à faire et pour un coût de 80€ seulement dont la moitié est remboursée. Pour 80 € vous pouvez sauver votre vie. »(85)
Marion Larat, proche de l’association, soutient cette façon de faire: « Je dis aux filles: mentez ! Mentez ! […] dites aux gynécos : « voilà, j’ai des antécédents familiaux » » dans le but de bénéficier d’un dépistage de thrombophilie systématique.(86)
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Table des matières
PREMIERE PARTIE
1) Résumé de l’histoire de la contraception orale estroprogestative
2) Le sur-risque thrombo-embolique veineux induit par les estroprogestatifs
3) L’affaire des estroprogestatifs de troisième et quatrième générations
3.1) Les fondements de l’affaire
3.1.1) La méfiance du public et des médias
3.1.1.1) Le « pill scare »
3.1.1.2) Une crise de confiance qui s’approfondit
3.1.1.3) La loi du 29 décembre 2011
3.1.1.4) Les représentations du médicament
3.1.2) Des prises de position divergentes de la part des institutions
3.1.2.1) Une évaluation européenne en 2001
3.1.2.2) L’évaluation française de 2002
3.1.2.3) 2007-2009: Les EP3G en deuxième intention, mais remboursables
3.1.2.4) 2009-2011: EP3G et EP4G: des risques comparables
3.1.2.5) La remise en question de la place des EP3G dans la stratégie thérapeutique
3.1.3) Taux de prescription important des EP3G/EP4G
3.2) Le facteur précipitant: le cas de Marion Larat
3.3) Le coeur de l’affaire
3.3.1) Les volets judiciaire et médiatique de la crise
3.3.1.1) La plainte de Marion Larat
3.3.1.2) L’article du Monde : « Alerte sur la pilule de 3ème et 4ème génération »
3.3.1.3) La médiatisation de l’affaire
3.3.2) Des experts publiquement suspectés de conflits d’intérêts
3.3.3) La réplique institutionnelle
3.3.3.1) Le communiqué de presse du Ministère
3.3.3.2) Les actions de l’ANSM auprès de ses partenaires
3.3.3.2.1) Les prescripteurs
3.3.3.2.2) Le public
3.3.3.2.3) Les industriels
3.4) Prise en charge des EP3G par l’Assurance maladie
3.4.1) Pas d’évaluation « médico-économique » du médicament en France ?
3.4.2) Quelles ont-été les raisons du déremboursement des EP3G ?
3.5) Les répercussions commerciales sur l’année 2013
3.5.1) Les ventes
3.5.2) Les perspectives commerciales
3.6) L’enquête Fecond 2013 : « Vers un nouveau modèle contraceptif ? »
3.7) La veille sanitaire
3.7.1) Les données de la pharmaco-épidémiologie
3.7.2) La sous-notification des effets indésirables
3.7.2.1) Des réformes insuffisantes ?
3.7.2.1.1) La directive européenne du 15 décembre 2010
3.7.2.1.2) La loi française du 29 décembre 2011
3.7.2.2) Les notificateurs
3.7.2.3) Les freins à la notification
3.8) Le cas de DIANE 35® et de ses génériques
3.8.1) Un cadre de prescription bien défini par les autorités sanitaires
3.8.2) Des produits massivement vendus et prescrits hors autorisation de mise sur le marché
3.8.3) La procédure de suspension de l’autorisation de mise sur le marché
4) Discussion
4.1) Une dilution des responsabilités
4.2) Le déremboursement des EP3G
4.3) Les échecs de la pharmacovigilance
4.4) Quelles sont les conséquences de l’affaire sur le modèle contraceptif français?
DEUXIEME PARTIE
Introduction
Matériel et Méthodes
Résultats
Discussion
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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