Introduction
Épidémiologie
Le traumatisme crânien (TC) est une des premières causes d’hospitalisation aux urgences. En Europe, on estime que 1,5 million de personnes sont hospitalisées pour ce motif chaque année (tout âge et gravité de traumatisme confondus), et environ 57000 personnes en meurent chaque année.
L’épidémiologie des TC de l’adulte évolue. Si dans les années 1970-1990 les TC étaient secondaires à des traumatismes à haute cinétique (accidents de la voie publique, rixes) chez des patients jeunes et sans comorbidité (2), il existe depuis plusieurs années une augmentation de la prévalence des TC graves chez les personnes de plus de 65 ans. Ces traumatismes sont souvent de plus faible cinétique (chute de la hauteur) mais aggravés par la prise d’anticoagulants ou antiagrégants plaquettaires (3). Chez les personnes âgées aux plus lourds antécédents et avec une capacité de récupération réduite, le pronostic vital et fonctionnel est beaucoup plus réservé.
A tout âge de la vie, les conséquences sociales et économiques sont donc importantes : en Europe, il est estimé qu’environ 375 années de vie perdues par an sont dues aux TC (4).
Le score de Glasgow
L’état de conscience du patient est évalué à partir de trois critères : l’ouverture des yeux (score Y), la réponse motrice (score M) et la réponse verbale (score V). (Tableau 1)
Le traumatisme crânien : définition
Classiquement, les TC sont classés en fonction du score de Glasgow. Ainsi le TC grave est défini par un score de Glasgow ≤ 8, un TC modéré par un score de Glasgow compris entre 9 et 12, et TC léger par un score ≥ 13 (7).
Ce score permet de définir rapidement la gravité des TC mais il faut, d’une part répéter l’examen le plus souvent possible afin de diagnostiquer rapidement une aggravation neurologique, mais aussi notifier la composante motrice du score de Glasgow ainsi que la taille et la réactivité pupillaire (7). En effet, ces deux éléments sont les éléments les plus prédictifs d’une évolution neurologique péjorative retrouvés dans les analyses multivariées des études IMPACT (8)
Après la phase aigüe bien codifiée dans les 24 premières heures par la SFAR (7) en neuro-réanimation et la phase d’hospitalisation, une sortie d’hospitalisation est envisagée pour ces patients.
Après l’hospitalisation
Une étude du Dr Claire Jourdan parue en 2012 (9) a montré que 30% des patients ayant subi un traumatisme crânien grave sortaient directement de l’hôpital vers leur domicile.
Soixante-quatre pour-cent des TC étaient admis dans un centre de rééducation : 45% étaient admis dans un centre spécialisé en neurologie et 19% dans un centre non spécialisé. Six pour-cent étaient perdus de vue à leur sortie (9)
Le suivi par le médecin traitant (MT)
Les patients consultent en moyenne 6,3 fois par an un médecin toutes spécialités confondues en France en 2017 selon le rapport annuel de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (13), aucune donnée n’est disponible sur le nombre moyen de consultations chez un médecin généraliste par an et par habitant en France. Si on compare le suivi en médecine générale seul après un évènement aigu et grave tel un infarctus du myocarde (IDM) par rapport à un suivi conjoint avec un médecin spécialiste (cardiologue), le suivi en médecine générale seul s’est avéré moins efficace sur mortalité qu’un suivi conjoint (14).
Dans le cas du traumatisé crânien grave aucune recommandation sur le suivi après 24h n’est formellement définie.
Les médecins généralistes sont donc libres d’exercer la médecine selon leur bon sens clinique sans guide lines et d’avoir recours aux spécialistes si besoin.
Le suivi juridique et social
Ces patients fragilisés par leur pathologie sont vulnérables et nécessitent parfois une aide sociale et juridique.
La protection juridique
La protection des patients et de leurs biens est primordiale afin d’éviter les abus, dans le cas des traumatisés crâniens graves, le processus est parfois long avant une pleine récupération de leurs moyens, ce qui nécessite la mise en place de mesures juridiques de protection. Pour cela il existe différents moyens :
La sauvegarde de justice
La sauvegarde de justice est une mesure de protection juridique de courte durée qui permet à un majeur d’être représenté pour accomplir certains actes. Cette mesure peut éviter de prononcer une tutelle ou une curatelle, plus contraignantes. Le majeur conserve l’exercice de ses droits, sauf exception. Il existe 2 types de mesures de sauvegarde de justice, judiciaire ou médicale. Nous nous intéresserons qu’à la partie médicale.
Les sources de revenus
Les TC peuvent engendrer un handicap lourd avec une incapacité de reprendre le travail antérieur voir même l’incapacité de retravailler un jour. Pour ces personnes une source de revenu est possible par l’intermédiaire des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH).
Créées par la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005, les MDPH sont chargées de l’accueil et de l’accompagnement des personnes handicapées et de leurs proches. Il existe une MDPH dans chaque département, fonctionnant avec un guichet unique pour toutes les démarches liées aux diverses situations de handicap.
L’allocation aux adultes handicapés (AAH) est une aide financière qui permet d’assurer un minimum de ressources. Cette aide est attribuée sous réserve de respecter des critères d’incapacité, d’âge, de résidence et de ressources. Elle est accordée sur décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées. Son montant vient compléter les éventuelles autres ressources de la personne en situation de handicap.
Pour accéder à l’AAH le médecin traitant doit remplir le dossier à retourner à la MDPH. Une évaluation sera faite sur le niveau du handicap ainsi que sur le montant de l’AAH accordée au patient.
Dans un souci d’optimisation de la prise en charge globale des patients, notre étude va se porter sur le suivi organisé de manière naturelle de ces patients en absence de recommandation formelle.
Analyse statistique
Les variables qualitatives sont exprimées en pourcentage et les qualitatives sont exprimées en médiane avec leur maximum et minimum.
Les tests statistiques ont été réalisés à partir du logiciel en ligne BioStatTGV, avec des tests exacts de Fisher. Les comparaisons ont été effectuées en situation bilatérale et une valeur de p < 0,05 était considérée comme significative.
Résultats
Population
Entre le 30 novembre 2015 et le 31 décembre 2016, la recherche auprès du département d’informatique médicale nous a permis de retrouver 1814 patients admis en réanimation médicale et chirurgicale. Cent douze patients ont fait l’objet d’une évaluation pour inclusion dans la cohorte. Au terme de cette évaluation, une décision de non-inclusion a été retenue pour 13 patients : 4 traumatismes rachidiens sans TC, 2 patients avec un polytraumatisme sans TC, et 7 patients dont ni l’anamnèse, ni l’imagerie n’a permis de retrouver de TC. Au total 99 patien ts ont été inclus dans la cohorte.
Trente-huit patients sont décédés dans les 3 premières semaines de prise en charge (38%)
Huit dossiers NEURODATA manquaient lors du recueil de données.
Sur les 52 dossiers disponibles des patients vivants, 44 avaient un médecin traitant référencé sur REFERENCE (85%).
Notre taux de réponse téléphonique était de 65% avec 34 médecins traitants qui ont pu être contactés des 52 dossiers.
Dix-huit médecins traitants n’ont pu être joints (35%), 10 pour cause d’absence après 5 appels, 4 médecins référencés sont partis à la retraite sans pouvoir contacter le nouveau médecin traitant, 2 ont refusé de répondre aux questions et 2 n’avaient pas de médecin traitant (un patient était migrant et un autre était son propre médecin traitant).
Le pronostic des patients des médecins joints était le suivant (figure 1) :
– GOS-E ≥ 4 = 26
– GOS-E < 4 = 5
Trois patients n’ont pas eu de pronostic établi car étaient perdus de vue lors du 1 errecueil de données sur le handicap à 1 an.
Le suivi au CHU de Caen
Sur les 52 dossiers traités, 32 (61%) ont eu une consultation avec un neurochirurgien dans l’année qui a suivi le TC, ces consultations ont été retrouvées sur REFERENCE.
Trois patients (6%) ont eu une consultation endocrinologique et 27 (52%) ont eu une consultation avec d’autres spécialistes : orthopédiste, chirurgien maxillo-facial, ORL et gastro-entérologue.
En reprenant le pronostic (tableau 4), les résultats ne montrent pas de lien significatif entre le fait de consulter au CHU de Caen et le pronostic des patients.
Suivi en médecine générale
Vingt-cinq patients (78%) ont gardé le même médecin traitant (avant et après le TC), 6 ont changé de médecin traitant après leur TC.
La médiane de consultation était de 3 [0-24] consultations par an. Le maximum de consultations dans l’année était de 24, le motif de consultation pour ces nombres élevés de consultations était le renouvellement d’arrêt de travail dans le cadre d’accident de travail. Certains patients n’ont jamais revu leur MT, par perte de vue ou par absence de problème de santé.
En étudiant les patients ayant consulté 2 fois ou moins leur MT (n=11) on a observé que 8 d’entre eux n’ont pas eu leur consultation neurochirurgicale à 3 mois.
Dans le groupe qui a consulté plus de 2 fois son MT (n=23) seulement 7 personnes n’ont pas eu leur consultation à 3 mois (Tableau5).
Examens complémentaires
Au total, 9 patients ont eu des examens complémentaires prescrits par leur MT : 6 patients ont bénéficié d’une imagerie cérébrale, 7 ont bénéficié d’un bilan neuropsychologique et 5 ont bénéficié d’autres examens complémentaires type EEG ou bilans écologiques (étude environnementale dans certain service de réadaptation avec équipe pluridisciplinaire).
La protection sociale
Cinq patients ont bénéficié d’une sauvegarde de justice, 4 ont été placés sous curatelle, 3 ont été placés sous tutelle. Ces démarches ont toutes été initiées par leur médecin traitant.
Il n’y a pas de corrélation entre le score pronostic et la mise sous mesure de protection juridique (tableau 9) Pour douze patients, des dossiers MDPH ont été remplis par leur MT, 14 ont été mis sous ALD pour une prise en charge à 100% de leur pathologie.
A un an, 9 patients (29%) ont repris leur travail antérieur et 2 ont bénéficié d’adaptation de poste, demandée par leur MT.
Le problème de l’alcoolisme chronique et du tabagisme
Six patients avaient un problème d’alcoolisme chronique.
Quatre de ces patients ont bénéficié d’une sensibilisation par leur médecin traitant, 3 ont bénéficié de tentatives de sevrage hospitalier et 2 ont eu un suivi addictologique secondaire via leur MT.
Il n’a pas été possible de recueillir les habitudes tabagiques par absence d’information dans les dossiers des MT.
Discussion
Méthode
Notre étude respecte les normes d’une étude de cohorte prospectif avec un dossier de recueil des données validées par un CPP, le cahier NEURODATA, qui a déjà fait l’objet de thèses d’exercice médical. (15)
Le choix des appels téléphoniques aux MT a été fait pour avoir un meilleur taux de réponses par rapport à un questionnaire médical envoyé (15). Notre taux de réponse est de plus de 50% ce qui est convenable dans ce type d’étude. Aucun conflit d’intérêt n’est présent dans cette étude.
Résultats
Notre travail sur la première cohorte prospective des traumatisés crâniens au CHU de Caen (centre de référence pour un bassin de population de 1 479 000 habitants) montre que les patients traumatisés crâniens étudiés ont un suivi différent selon leur pronostic à 1an. Deux modes de suivi se dégagent :
– La population de bon pronostic avec un suivi possible par leur MT du fait de leur autonomie même partielle.
– La population de mauvais pronostic représentée par des patients trop lourds à prendre en charge en médecine générale et souvent institutionnalisés.
Notre étude montre que la majorité des actions faite par les MT concerne la population de bon pronostic. C’est sur cette population que le MT semble avoir le rôle le plus pertinent.
Selon Trevena et al (16), les plaintes somatiques courantes sont plutôt représentées par des convulsions, des céphalées, des vertiges et troubles du sommeil. Les problèmes psychiatriques comprennent : la dépression, la psychose et l’anxiété. Des changements cognitifs et comportementaux ou de personnalité peuvent être significatifs et persister pendant un certain temps après le TC. Dans ce cadre-là, le suivi se doit d’être répété et prolongé.
Dans notre étude, les sujets à bon pronostic sont plus suivis par leur médecin traitant, ce qui permet un dépistage précoce de ces pathologies associées au TC.
Le faible effectif de notre étude conduit à une absence de significativité pour la plupart des tests effectués.
Mais en regardant nos résultats, nos travaux ont montré de manière significative que les patients observants dans leur suivi avec le neurochirurgien ont également consulté plus souvent leur MT.
Il n’a pas été rapporté si ces patients voyaient déjà leur médecin traitant de manière régulière avant leur TC. Mais, l’observance de ces patients après leur TC semble être la clef de la prévention de complications.
Notre étude tend à montrer que les patients ayant un mauvais pronostic avec un GOS-E < 4 étaient moins suivis par leur MT. Ce qui laisse penser que le MT entre peu en jeu dans la prise en charge de ces patients lourds, qui sont pour la plupart institutionnalisés. Les prises en charge par les centres de rééducation et les Maisons d’accueil spécialisées sont globales et de ce fait, les patients font peu appel à leur MT durant l’année qui suit le TC (17).
L’étude de Jourdan et al (9) montrant que 30% des patients rentrent directement à domicile après leur hospitalisation, suggère que ces patients ont d’emblée un bon pronostic.
Notre étude tend également à montrer que les patients de bon pronostic sont suivis régulièrement par leur MT, suggérant ainsi qu’ils ne sont pas en errance médicale sans aucun suivi et à risque de complications.
Conclusion
Il se dégage de notre étude que le rôle du médecin généraliste dans la prise en charge des traumatisés crâniens est d’assurer la coordination des soins autour du patient avec un bon pronostic à 1 an.
Le patient de mauvais pronostic, par définition lourd, dispose d’un suivi relevant de l’ordre des spécialistes et des centres de soins de suite et réadaptation.
Le nombre important d’adressages à différents spécialistes met en évidence que les patients présentent des plaintes multiples dans l’année qui suit leur TC.
La création de consultations multidisciplinaires pourrait être organisée sur une même journée de manière systématique lors de la consultation à 3 mois auprès des neurochirurgiens. Il serait probablement nécessaire d’organiser ce type de consultations à 6 mois et 1 an, afin de dépister les complications secondaires du TC, aidant ainsi le MT.
Le traumatisé crânien ne faisant pas exception, il devrait bénéficier du même suivi conjoint entre les spécialistes et le médecin généraliste, ce qui est déjà le pilier de la prévention secondaire dans différentes pathologies.
De nouvelles recherches avec plus de puissance statistique, en ajoutant les effectifs de la cohorte NEURODATA de 2017 et 2018, devraient être menées pour retrouverdes résultats significatifs.
|
Table des matières
I.Introduction
A. Epidémiologie
B. Le score de Glasgow
C. Le traumatisme crânien grave : définition
D. Le retour à domicile
E. Le Glasgow outcome scale
F. Le suivi au centre hospitalier universitaire de Caen
G. Le suivi par le médecin traitant
H. Le suivi juridique et social
II. Objectif Page
III. Matériel et méthode
A. Aspect éthique
B. Type d’étude
C. Critères d’inclusion, de non inclusion, d’exclusion
D. Recueil des données
E. Analyse statistique
IV. Résultats Page
A. Population
B. Caractéristiques de la population étudiée
C. Pronostic des patients à 1 an
D. Suivi au CHU de Caen
E. Suivi en médecine générale
F. Examens complémentaires
G. Adressage aux professionnels de santé par les MT
H. La protection sociale
I. Traitements médicaux
J. Le problème de l’alcoolisme chronique et du tabagisme
V. Discussion Page
VI. Conclusion