Au plan épistémologique et historique, le stress est en lien étroit avec la notion d’équilibre ou plus exactement celle de la rupture d’équilibre, la célèbre dyscrasie pythagoricienne. Plus tard, Claude Bernard (1813-1878) va poser les bases du phénomène d’homéostasie qui postule que les mécanismes vitaux tendent vers un but unique qui est celui de maintenir l’unité des conditions de vie dans le milieu intérieur : « la constance et la stabilité de l’environnement interne sont les conditions sans lesquelles la vie ne peut être libre et indépendante ». Le mot stress lui-même, qui vient du latin stringere qui signifie « rendre raide, serrer, presser », était initialement utilisé en anglais dans le domaine de la mécanique. Il avait le sens de « force, poids, tension ou effort ». En 1963, Hans Selye (1907-1982) introduit ce terme en médecine comme étant en lien avec : « des tensions faibles ou fortes, éprouvées depuis toujours, et déclenchées par des événements futurs désagréables ou agréables » et il décrit le Syndrome Général d’Adaptation (Selye, 1936). Pour Hans Selye, le stress est le résultat non spécifique d’une exigence sur le corps, ou l’esprit (Szabo et Glavin, 1990). Les années 70 vont faire émerger les aspects multifactoriels (de la génétique à l’environnement) qui conduisent à la maladie. Va apparaître aussi la notion de vulnérabilité qui va permettre de replacer l’effet des stimuli physiques ou psychosociaux dans des processus non linéaires à travers des mécanismes de feed back et autres filtres qu’ils soient positifs ou négatifs. Les progrès en neuroendocrinologie (les découvertes de la CRF et de l’axe HPA datent des années 80) ou dans la connaissance des cognitions, y compris dans leurs composantes sociales, vont donner au stress la place qu’il occupe aujourd’hui (Le Moal, 2007). Une place centrale comme processus multi-déterminé, à la fois outil d’étude et mécanisme étiopathogénique. Le stress psychosocial,, physique et nociceptif va donc être le fil rouge de notre travail. La réactivité au stress, qu’elle soit psychologique ou physiologique, est pour nous un moyen d’étude et de compréhension des troubles psychopathologique comme dans l’autisme et les schizophrénies à début précoce mais c’est aussi un mode d’accès aux mécanismes étiopathogéniques. Si l’on se situe au plan clinique, la plainte pour stress, celle du trouble anxieux est l’une des dimensions les plus courantes, y compris durant l’enfance et l’adolescence. Les études épidémiologiques sur les troubles anxieux dans leur ensemble montrent une prévalence élevée, d’un peu moins de 9 % pour les préadolescents (7-12 ans : 8,7 %) comme pour les adolescents (13-18 ans : 8,9 %), faisant de l’anxiété l’un des troubles psychiatriques les plus fréquents dans cette population. Au plan étiopathogénique ou processuel, le stress est impliqué à la fois dans l’autisme et les schizophrénies comme facteur de décompensation et de rechute.
L’hypothèse de vulnérabilité au stress dans les schizophrénies
Le stress a pris depuis quelques années une dimension étiopathogénique pour les troubles schizophréniques dans le cadre de l’hypothèse de vulnérabilité au stress. L’implication du stress dans le début, voire la rechute et l’évolution, de la pathologie est assez bien établie. Par contre, les mécanismes sous-jacents, entre modèles cognitifs, psychologique et hypothèse neurodéveloppementale, sont encore en discussion. L’importance de cette hypothèse, en particulier en ce qui concerne les différents aspects du stress, nous conduit à nous y intéresser.
La notion de vulnérabilité aux pathologies psychiatriques n’est pas nouvelle. En 1978, le congrès de l’Association Internationale de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent et Professions Associées (IACAPAP) avait déjà choisi pour thème « l’enfant vulnérable » (Anthony et al., 1978) pour mettre en évidence la pertinence et l’intérêt de cette question dans tous les champs de notre discipline et mettre l’accent sur la prévention. Cependant, depuis une dizaine d’années, la notion de vulnérabilité a pris insidieusement l’allure d’un véritable modèle de compréhension des troubles dans le cadre d’une théorie neurodéveloppementale liée aux récents progrès dans le champ des neurosciences. Parmi les diverses pathologies psychiatriques étudiées sous l’angle de la vulnérabilité, nous avons choisi de nous centrer sur les schizophrénies à début précoce. Une abondante littérature scientifique est consacrée à la vulnérabilité et à l’hypothèse neurodéveloppementale et nous allons en proposer un résumé succinct.
Vulnérabilité : Historique et données actuelles
Le terme vulnérabilité, du latin vulnus vulneris, signifie blessure et désigne communément la possibilité d’être atteint par un mal ou une affection. Cette notion d’apparence vague a pris depuis quelques années la dimension d’un Modèle. L’introduction de la notion de vulnérabilité en médecine est un apport de la génétique. En effet, dans le vocabulaire médical classique, on retrouve le concept de vulnérabilité à travers les notions de terrain et de diathèse. Le terrain est constitué par l’environnement endogène et exogène du sujet. La diathèse, quant à elle, est définie comme la tendance constitutionnelle à répondre à diverses stimulations par des réactions anormalement violentes, voire franchement pathologiques. La diathèse est l’extériorisation phénotypique d’un génotype anormal caractérisé par une prédisposition à contracter certaines maladies. La notion de vulnérabilité implique qu’il existe des sujets porteurs de dérèglements de leur fonctionnement métabolique, psychique, génétique ou autres qui sont susceptibles d’exprimer une maladie. Ces sujets à risques sont dits « vulnérables ».
La notion de vulnérabilité tient depuis longtemps une place importante dans les schizophrénies. Dès le début du XIXème siècle, B. Morel évoque l’hypothèse d’une démence et de rupture d’équilibre liée à la dégénérescence. Morel sera d’ailleurs le premier à utiliser le terme de démence précoce. Cette rupture permettrait le développement d’un délire pour lequel il existerait une sorte d’aptitude. E. Bleuler en 1911 (Bleuler, 1964; Bleuler et Dover, 1911) met en avant la dislocation (spaltung) de la pensée qui n’implique pas une altération intellectuelle. Il introduit le terme schizophrénie (néologisme formé à partir de skhizein : fendre, en grec ancien). Il postule l’existence d’un trouble central (l’affaiblissement des processus associatifs et de la logique) dont découle toute la symptomatologie de la schizophrénie. Kretschmer, quant à lui, va décrire la personnalité schizoïde, qu’il définira comme un type de personnalité pathologique associant sur un mode mineur des symptômes que l’on retrouve dans les schizophrénies, à l’exception notable des délires. Il introduit alors la notion de schizothyme (où l’on retrouve le phénotype dit leptosome au thorax plat et au corps maigre) qui peut en s’aggravant devenir personnalité schizoïde. La séquence schizothyme, schizoïde puis schizophrénie est considérée comme possible mais non obligatoire. En 1907, E. Kraepelin regroupe différents cas cliniques d’une pathologie du sujet jeune évoluant obligatoirement vers une détérioration intellectuelle, qu’il appelle Daementia Praecox (Kraepelin, 1907). Cette conception est aujourd’hui reprise dans la théorie neurodéveloppementale de la schizophrénie qui considère la pathologie comme existante depuis toujours même si son expression clinique est tardive. Bleuler, Morel et Kretschmer sont à l’origine de cette notion de vulnérabilité à la schizophrénie. Les travaux de Kraepelin impliquant une pathologie plus précoce mais d’expression tardive sont à l’origine de l’hypothèse neurodéveloppementale actuelle. Beaucoup de travaux de recherche ne font pas explicitement la distinction entre les deux modèles. Nous sommes plus proches d’un modèle stress-vulnérabilité qui présente une dimension plus dynamique. Dans les années 1950, Rado et son équipe travaillent sur le schizotype (personnalité de type anhédonique) dont la décompensation conduirait à la schizophrénie. L’évolution du schizotype se fait, soit par compensation vers une personnalité de type schizothymique, soit par décompensation vers une schizophrénie. C’est l’interaction d’un génotype particulier avec un environnement qui donne naissance au schizotype. L’expression d’une pathologie avérée va nécessiter que la rencontre avec un environnement défavorable conduise à une décompensation pathologique de la personnalité. Rencontre et décompensation n’étant pas nécessairement liées. Ce modèle sera complété, par Meehl en 1962, puis 1989 (Meehl, 2001), qui décrit un défaut d’intégration neuronale, qu’il suppose d’origine génétique, qu’il nomme schizotaxie. L’environnement provoque le passage au schizotype qui devient schizophrénie sous l’action du stress. La schizotaxie représente une étape supplémentaire par rapport aux travaux de Rado. Les premiers modèles « modernes » apparaissent en 1977 avec les travaux de Zubin (Zubin et Spring, 1977). Son modèle fait appel aux notions de compétence et d’initiative. Lorsqu’un évènement stressant se produit, l’organisme est dans un état de tension qui incite à l’initiative (force motrice de l’organisme), selon un modèle essai/erreur. La compétence combine les habiletés sociales ainsi que dans les stratégies intellectuelles de l’individu. La compétence, véritable équipement de l’organisme, oriente l’initiative et se développe grâce à la perception de la discordance entre l’état de stress et l’état antérieur. Ensuite c’est la capacité structurante biologique et/ou cognitive qui corrige cette discordance.
J. Zubin postule qu’il existe un seuil de vulnérabilité propre à chaque individu. Si l’événement stressant se situe en dessous, le sujet répond de manière adaptative. En revanche, lorsque l’événement se situe au-dessus de ce seuil de vulnérabilité, le sujet peut développer un épisode psychotique (figure 1). Cet épisode est par définition limité dans le temps et cesse dans deux situations : soit lorsque l’événement retombe en dessous du seuil de vulnérabilité, soit grâce à l’effort d’initiative. La vulnérabilité est donc un trait permanent mais évolutif, l’effort d’initiative est essentiellement réflexe, la compétence pour sa part ne l’est pas. De plus la compétence est indépendante de la vulnérabilité. Dans ce modèle, la schizophrénie n’est une maladie que par ses épisodes. Notons qu’il introduit aussi la notion de marqueurs de vulnérabilité qui se développera dans les travaux ultérieurs et va prendre une place centrale. Ainsi, pour Zubin, il existe donc des individus hautement vulnérables aux schizophrénies, avec des capacités élevées à développer des épisodes psychotiques en réactions à des événements mineurs. A l’opposé, un individu faiblement vulnérable ne présentera un épisode psychotique que lors de circonstances exceptionnelles. Il s’agit donc d’un modèle seuil dépendant.
Zubin a posé les bases de la théorie de la vulnérabilité, celles-ci sont complétées par d’autres auteurs. Parmi eux Ciompi est l’un des plus importants (Ciompi, 1980, 1980, 1988; Ciompi et Muller, 1976). Il propose un modèle de vulnérabilité en trois phases (Ciompi, 1989) :
1. La phase prémorbide va jusqu’au premier épisode. Elle implique la notion d’élaboration d’un terrain de vulnérabilité (influences génétiques, biologiques, somatiques, d’une part et psychosociales d’autre part), cette vulnérabilité réduisant les capacités d’initiative.
2. La deuxième phase se produit lorsqu’apparaît une déstabilisation de ce terrain vulnérable sous l’effet d’un stress biologique ou psychosocial (auquel le sujet réagit avec une capacité d’initiative plus faible). Le sujet entre alors dans un état psychotique sans retour à la normale (ce point différencie Ciompi et Zubin) et passe dans la troisième phase.
3. La troisième phase est celle de l’évolution à long terme.
Ciompi est également le coordonnateur d’une étude importante sur l’évolution des patients schizophrènes montrant une grande diversité des évolutions cliniques (Ciompi, 1980). L’impossibilité de dégager un nombre restreint d’évolutions types l’a convaincu qu’une telle diversité ne peut s’expliquer que par un modèle prenant en compte un nombre important de variables. Il va donc postuler l’existence de différents types et intensités de vulnérabilité, en mettant l’accent sur l’influence des modalités du processus psychotique ainsi que sur les facteurs biologiques, psychologiques ou thérapeutiques. Le modèle de Ciompi propose plus particulièrement une compréhension de la crise avec la notion de décompensation progressive. Les conséquences de la situation « stressante » vont évoluer en fonction de l’évènement et du sujet. La symptomatologie sera dans un premier temps peu spécifique, de l’ordre de la nervosité, de l’angoisse, de l’insécurité pour ensuite évoluer vers une déréalisation puis une dépersonnalisation et enfin, un délire et des hallucinations. Cela conduit à un véritable modèle de vulnérabilité au stress qui dépasse le cadre de la schizophrénie.
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Table des matières
Introduction
Le stress, outil d’étude et processus étiopathogénique ?
1. L’hypothèse de vulnérabilité au stress dans les schizophrénies
1.1. Vulnérabilité : Historique et données actuelles
1.2. Définition des schizophrénies à début précoce (SDP) – Les études de sujets à risques
1.2.1. Quels sont les marqueurs connus du risque de schizophrénie ?
2. Rappels sur l’autisme
3. Liens entre autisme et schizophrénies. Définitions
3.1. Les développements historiques du concept de schizophrénie, schizophrénie infantile et schizophrénie à début précoce
Les premières descriptions
Les premières distinctions
3.2. Place de l’autisme infantile, et des autres TED, dans les schizophrénies
3.2.1. Un lien ou des liens entre autisme, TED et Schizophrénies ?
3.2.1.1. Etudes sur des populations de patients schizophrènes recherchant des antécédents autistiques
3.2.1.2. Etudes sur des populations d’autistes
3.2.1.3. Etude sur des populations présentant un TED
4. L’alexithymie dans les schizophrénies et l’autisme
Stress Physique et Psychosocial
1. Les mécanismes physiologiques du stress
1.2. Les tests de base de l’axe HPA
1.3. HPA et Stress
2. Les perturbations de l’axe HPA dans les schizophrénies
2.1. Fonctions basales
2.2. Études du stress
2.2.1. Stress métaboliques
2.2.2. Stress physique seul ou associé à un stress psychosocial
3. Les perturbations de l’axe HPA dans l’autisme
3.1. Fonctions basales
3.2. Test de stress
Stress Nociceptif
1. Les mécanismes du stress nociceptifs – R III
1.1. Les voies nociceptives
1.1.1. Détection et transmission des stimuli douloureux
1.1.2.. Médiateurs périphériques de la nociception
1.1.3. Mécanismes spinaux et systèmes de transmission
1.1.4. Mécanismes supraspinaux
1.2. La réponse motrice et le RIII
1.2.1. Quel sont les facteurs connus modulant la réponse au RIII?
1.2.1.1. Stress et anxiété
1.2.1.2. Troubles attentionnels
1.2.1.3. Hypnose
1.2.1.4. Neurotransmetteurs et modulation pharmacologiques
2. Schizophrénies et stress nociceptif
2.1. Travaux cliniques
2.2. Travaux expérimentaux
3. Autisme et stress nociceptif
Hypothèses et Objectifs
Hypothèses
Objectifs
Méthodologie
Étude sur le stress psychosocial et physique
1- Population
2. Évaluation cliniques
2.1. Évaluation phénotypique de la schizophrénie
2.1.1. Brief Psychiatric Rating Scale (BPRS)
2.1.2. Scale for the Assessment of Positive Symptoms (SAPS)
2.1.3. Scale for the Assessment of Negative Symptoms (SANS)
2.2 Evaluation du fonctionnement intellectuel des patients schizophrènes
2.2.1. Wechsler Intelligence Scale for Children-Revised (WISC-R)
2.3. Évaluation clinique globale et des symptômes dépressifs
2.3.1. Child-Global Assessment Scale (C-GAS)
2.3.2. Clinical Global Impression (CGI)
2.3.3. Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI)
2.4. Évaluation des troubles de l’humeur et des émotions
2.4.1. Montgomery and Asberg Depression Rating Scale (MADRS)
2.4.2. Toronto Alexithymia Scale (TAS 20)
2.4.3. Questionnaire d’ Anxiété Trait de Spielberger (STAI)
3- Les dosages biologiques
3.1. Dosage du cortisol
3.1.1. Cycle du cortisol salivaire
3.1.2. Ligne de base du cortisol salivaire et étude de la réponse au stress
3.1.3. Cortisol urinaire
4. Description des situations de stress
4.1. Épreuve de stress psychosocial
4.2 Épreuve de stress physique
5. Protocole expérimental
6. Analyses statistiques
Conclusion
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