Le stress chez les plantes supérieures

Présentation du modèle biologique

Ecologie 

Laminaria digitata est une macroalgue marine brune, appartenant à la classe des Phéophycées, qui se positionne au sein de la lignée des hétérochontes (fig. 1). Cette lignée constitue un phylum eucaryotique indépendant, au même titre que les algues rouges ou les plantes vertes. Elle comprend de nombreuses autres classes d’algues telles que les Diatomophycées, les Chrysophycées ou les Pelagophycées, ainsi que des protistes hétérotrophes tels que les Oomycètes (Guillou et al., 1999). Comme les autres espèces de laminariales, L. digitata est une algue d’eau froide dont la température ne dépasse pas 18°C en été (Van Den Hoek et al., 1982). Sa répartition géographique se situe des côtes du Spitzberg aux côtes de Gascogne. Cette algue se développe dans les étages littoraux inférieurs et infralittoraux, où elle reste immergée en permanence, à l’exception des basses mers de fort coefficient (au moins 90) (fig. 2 et 3). De part sa position sur l’estran, L. digitata est exposée à une intensité lumineuse réduite, comprise entre 10 et 20 % de la lumière incidente (Lüning et al., 1992). De plus, cette algue n’est que très rarement exposée à la dessiccation ou aux variations de salinité du milieu liées au marnage.

Cycle de vie, développement

L. digitata possède un cycle de vie très hétéromorphe comportant une phase haploïde filamenteuse microscopique (gamétophyte) et une phase diploïde macroscopique (sporophyte). Le sporophyte produit des spores méiotiques (zoospores) qui vont germer en gamétophytes mâles et femelles, la fécondation de ces gamètes permettant la formation de jeunes plantules (fig. 4). La taille du génome haploïde a été estimée à 640 Mpb par la technique de cytométrie de flux (Le Gall et al., 1993) et le nombre de chromosomes est de 31 (Lewis et al., 1996). Les sporophytes de laminaires se décomposent en 3 parties principales : le crampon, servant à la fixation au substrat rocheux, le stipe et la lame.  s’effectue à partir du méristème, zone reliant le stipe à la lame (fig. 5). La structure interne est différenciée en plusieurs types cellulaires. Les cellules composant la médula sont allongées, entrecroisées et forment un tissu lâche. Les cellules du cortex interne sont volumineuses, allongées et vacuolisées, tandis que les cellules du cortex externe sont plus petites, d’aspect cuboïde, riches en plastes, et recouvertes d’une couche d’alginates et de fucanes. D’une façon générale, on observe chez les sporophytes de laminaires un pic de croissance au printemps et une période de reproduction atteignant son maximum à l’automne. Les périodes exactes dépendent des espèces et éventuellement de la localisation géographique de l’algue (Lüning, 1982).

Composition de la paroi cellulaire 

Comme pour les plantes terrestres, la paroi des algues brunes peut se diviser en 2 phases : une phase cristalline (le squelette) entourée d’une phase plus amorphe (la matrice). Cependant, la portion de matrice est beaucoup plus importante chez les algues que chez les plantes. De plus, la paroi des algues contient des polysaccharides sulfatés, qui sont absents des parois des plantes terrestres ou d’eau douce. Le squelette est constitué de cellulose et de différents types de xylanes tandis que la matrice est composée principalement de fucanes sulfatés et d’alginates. La figure 6 (Kloareg et al., 1988) présente un modèle hypothétique de l’organisation de la paroi cellulaire des algues brunes. Chez L. digitata, le constituant principal de la paroi est l’alginate, qui peut représenter jusqu’à 45 % de la masse sèche de l’algue (Kloareg et al., 1989).

L’alginate, composant principal de la paroi cellulaire 

L’alginate est une chaîne linéaire constituée par l’enchaînement d’acides α Lguluroniques (G) et d’acides β-D-manuroniques (M) liés en α-1,4 (fig. 7). Trois types de blocs peuvent former une chaîne d’alginate : les blocs MM, MG et GG. La proportion relative de ces blocs et la fréquence des sous unités M et G sont exprimées en calculant le rapport M/G (Grasdalen et al., 1979). En effet, différents types d’alginates peuvent être rencontrés, avec des propriétés rhéologiques différentes. Plus une chaîne d’alginate sera riche en G, plus elle sera rigide. L’alginate n’est donc pas de composition uniforme chez L. digitata. En plus de modifications en fonction des saisons, le rapport M/G varie entre les différentes parties de la plante (lame, le stipe, le crampon, médula, cortex). Ainsi, la proportion en blocs G est plus importante dans le crampon ou le stipe de l’algue, les rendant plus rigides par rapport à la lame (Haug et al., 1974). Si l’alginate a été historiquement découvert chez les algues, sa voie de biosynthèse a été surtout étudiée chez les bactéries. En effet, Pseudomonas aeruginosa, bactérie associée aux infections pulmonaires de patients atteints de fibrose cystique (mucovisidose), produit de l’alginate (Linker et al., 1966, May et al., 1991). De plus, Azotobacter vinelandii synthétise ce polysaccharide au cours de son processus d’enkystement. Les deux principaux précuseurs de l’alginate sont le fructose et le glucose qui sont utilisés pour former du mannose 6 phosphate. Celui-ci est activé sous la forme de GDP-mannose, qui est ensuite oxydé. Ces étapes de préparation à l’assemblage de la chaîne polysaccharadique sont effectuées dans le cytosol. La polymérisation ainsi que l’exportation de la chaîne d’alginate sont effectuées par un complexe multienzymatique situé dans le périplasme de la bactérie. Une représentation schématique de la synthèse et de l’assemblage de l’alginate chez P. aeruginosa est présentée en figure 8. Les gènes responsables de la biosynthèse de l’alginate chez P. aeruginosa sont organisés en 2 opérons. Un premier opéron regroupe les gènes codant les enzymes assurant la biosynthèse de l’alginate proprement dite. Un second opéron contient les gènes codant les facteurs de régulation du premier opéron. AlgU est le premier gène de l’opéron de régulation et régule positivement le promoteur du gène AlgD du second opéron, permettant ainsi la transcription des enzymes de biosynthèse de l’alginate. Les mécanismes de régulation de l’expression des gènes impliqués dans cette voie métabolique sont détaillés à la figure 9. Chez les algues brunes, les données relatives à la voie de synthèse de l’alginate sont beaucoup plus limitées et sont résumées dans la figure 10. Cette voie est déduite d’analyses biochimiques effectuées sur Fucus gardneri (Lin et al, 1966) pour les 5 premières étapes, ainsi que sur L. digitata (Hellebust et al., 1969) et Pelvetia caniculata (Madgwick et al., 1973) pour la dernière étape. Celle-ci est réalisée par des mannuronane-C5-épimérases qui catalysent l’épimérisation des résidus M en G.

Intérêt économique de l’alginate

L’alginate est un hydrocolloïde, c’est-à-dire une substance composée de microparticules solubles dans l’eau. Les premières expériences scientifiques menées sur l’extraction des alginates ont été menées par le chimiste anglais E. C. Stanford, à la fin du 19ième siècle, le premier brevet relatif à l’alginate datant du 12 janvier 1881. La production industrielle d’alginates a débuté en Amérique du Nord dans les années 1930 et est estimée aujourd’hui à environ 30 000 tonnes au niveau mondial. Différents types de produits sont obtenus en fonction des traitements effectués. L’alginate se présente principalement sous forme d’acide alginique et de sels d’alginates. Les laminaires constituent la seule source d’alginate économiquement rentable, en comparaison de la production de ce polysaccharide par des bactéries. En France, et principalement en Bretagne occidentale, les champs naturels de L. digitata sont exploités pour fournir la matière première nécessaire à l’extraction des alginates. La capacité de l’alginate à former différents types de gels résulte de la présence de blocs G au sein de la chaîne polysaccharidique. En présence d’ions divalents, dont le Ca2+, les chaînes d’alginates, au niveau uniquement des blocs G, vont se dimériser, puis former des agrégats si la concentration en sel calcique est élevée (Smidsrod et al., 1996) (fig. 11). On obtient alors des gels d’alginate calciques qui sont durs, rigides et thermostables. Cette capacité de gélification à froid est une des différences entre les alginates et l’agar (extrait des algues rouges). Les alginates sont employés dans les industries agro-alimentaire et textile, pour la fabrication de papier, dans le traitement des eaux, et enfin en cosmétique, pharmacie et médecine. L’industrie agroalimentaire est la principale utilisatrice d’alginate. En tant qu’additif alimentaire (codés selon les numéros E400 à E405 dans les compositions d’aliments), l’alginate permet d’améliorer, de modifier, de stabiliser la texture d’aliments pour lesquels la viscosité, la gélification ainsi que le besoin de stabilisation de composés aqueux sont d’importants paramètres. Si certaines de ces propriétés sont intrinsèques à la molécule d’alginate, d’autres sont inhérentes à l’interaction de celle-ci avec les composés constituants l’aliment (tels que les protéines, les acides gras…). Par exemple, l’alginate interagit avec les résidus protéiques chargés positivement des protéines dénaturées. Ces propriétés sont notamment utilisées pour la préparation des aliments pour animaux et des viandes recyclées. Les alginates sont utilisés dans l’industrie textile car ils sont inertes par rapports aux colorants, aux fibres et favorisent la fixation des colorants tout en contrôlant leur migration au cours de l’impression. Les alginates sont aussi utilisés pour traiter la surface des papiers (coloration, glaçage, couchage des papiers de luxe). Les alginates sont utilisés dans le traitement des eaux de surface pour éliminer les matières en suspension. L’alginate est une molécule d’intérêt pour l’industrie pharmaceutique où il est principalement considéré pour ses  propriétés gélifiantes (notamment dans la formulation de composés anti-reflux gastriques). Plus récemment, l’alginate a été utilisé pour enrober des cellules. Celles-ci sont mises en suspension dans une solution d’alginate de sodium qui se gélifie après ajout d’une solution contenant des cations multivalents. Les cellules se retrouvent prisonnières dans une matrice  tridimensionnelle. Ce procédé permet d’envisager une transplantation cellulaire, la paroi d’alginate agissant comme barrière contre le système immunitaire. Les alginates sont également incorporés dans le latex, les peintures, les plâtres de moulure, les céramiques, les colles, les résines, les mines de crayon, certains produits horticoles et certaines bombes aérosols.

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Table des matières

Introduction
1-Présentation du modèle biologique : Laminaria digitata
1-1 Ecologie
1- 2 Cycle de vie, développement
1- 3 Composition de la paroi cellulaire
1-3-1 L’alginate, composant principal de la parois cellulaire
1-3-2 Intérêt économique de l’alginate
1-4 Polysaccharides de stockage et oligosaccharides stimulants les mécanismes de défense des plantes
1-5 Intérêt économique en quelques chiffres
1-6 Concentration de l’iode
2- Le stress : perception, transduction du signal et mécanismes de réponse
2-1 Le stress chez les plantes supérieures
2-1-1 La perception du stress et les différents types de senseurs
2-1-2 Transduction du signal
2-1-2-1 Le Calcium
2-1-2-2 La voie SOS
2-1-2-3 Les Protéines kinases dépendantes du calcium (CDPKs)
2-1-2-4 Les voies des MAPKinases
2-1-2-5 Les phospholipases
2-1-3 Les modifications transcriptionnelles suite aux signaux de stress : acteurs et régulation
2-1-4 Expression de protéines responsables de la résistance au stress
2-1-4-1 La production d’osmoprotectants
2-1-4-2 Les protéines chaperonnes
2-1-4-2-1 Les HSPs
2-1-4-2-2 Les LEA
2-1-5 Les EAO (Espèces Activées de l’Oxygène)
2-1-5-1 La production d’EAO
2-1-5-2 Mécanisme de contrôle de la quantité d’EAO dans la cellule
2-1-5-2-1 Réactions de détoxification indirecte
2-1-5-2-2 Réactions de détoxification directe
2-1-5-3 Rôle des EAO dans le stress abiotique
3- La réponse au stress chez les macro-algues
3-2 La perception du stress
3-2 La transduction du signal
3-3 Réponse des macro-algues en condition de stress
3-4 Le stress chez L. digitata
3-5 Conclusion
4- Introduction du travail de thèse
4-1 Contexte scientifique
4-2 Objectifs de la thèse
4-3 L’outil biologique : le protoplaste
4-4 Identification de marqueurs moléculaires de la réponse au stress
4-5 Peut-on distinguer les gènes de réponse au stress des gènes de défense ?
4-6 Etude de la famille multigénique des mannuronane-C5-épimérases
Conclusion

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