Le statut personnel des indigènes en Algérie et en Libye

« L’Histoire, ce n’est pas juger, c’est comprendre – et faire comprendre. Ne nous lassons pas de le répéter » .

L’écriture et le sens de l’histoire coloniale sont actuellement au cœur d’une controverse qui n’épargne ni les sphères politique et sociale, ni la communauté scientifique. Dans cette perspective, l’histoire du droit colonial est essentielle car elle contribue à appréhender le sujet sous un angle nouveau et permet d’en avoir une vision plus complète. Elle offre un champ d’étude immense et encore peu défriché. L’intérêt du droit colonial réside en grande partie dans sa nature de laboratoire juridique . Le juge y bénéficie souvent d’une marge de manœuvre qu’il n’aurait pu obtenir en métropole. L’expérience coloniale a également une portée pratique. Dans un cadre et des proportions différents, les pays colonisateurs sont confrontés à des questions juridiques qui se posent aujourd’hui en métropole, comme l’application du principe de laïcité, la pertinence de l’instauration de tribunaux spécialisés pour trancher les litiges relatifs aux mariages et aux divorces religieux, ou l’utilisation de l’ordre public dans le domaine des mœurs. La présente recherche vise à mettre en relation deux types d’actions coloniales avec leurs ressemblances et leurs divergences. La Libye italienne et l’Algérie française sont les territoires qui font l’objet de ce travail. Ce choix a été dicté par leurs similarités en matière juridique, géographique et humaine . L’Algérie  est occupée à partir de 1830 et le territoire n’est annexé qu’avec l’ordonnance du 22 juillet 1834. La domination française s’étend au fur et à mesure sur l’intérieur du pays pour atteindre les zones désertiques du Sud et le Mzab en 1853. La prise de possession effective de cette dernière région date toutefois de 1882. Pour sa part, l’Italie surgit dans le cercle des nations colonisatrices tardivement. La première possession italienne est l’Érythrée en 1890 . La Somalie s’y ajoute en 1908, la Tripolitaine et la Cyrénaïque en 1911 , et l’Éthiopie en 1936. Deux évènements majeurs conduisent l’Italie à Tripoli. Le premier est l’échec de sa mainmise sur la Tunisie. L’Italie mène une véritable campagne d’infiltration dans ce territoire, principalement au sein de la population ainsi qu’au niveau commercial et bancaire, mais la France l’emporte finalement alors même que ses intérêts et sa population y sont parmi les moins bien représentés . Aux revendications inabouties sur la Tunisie , s’ajoute le besoin d’exorciser la défaite d’Adoua (1896) . Au tournant du XXe siècle, le thème colonial revient sur le devant de la scène politique en raison du problème de l’émigration italienne et de l’action d’un mouvement nationaliste rénové. Ce mouvement impérialiste à la fois littéraire et politique voit dans la guerre un moyen de régénération. Il revivifie l’action des anciennes forces expansionnistes. Les organismes proprement coloniaux se multiplient et s’affirment. C’est le cas, par exemple, de l’Institut colonial italien créé en 1906. Le 26 septembre 1911, le gouvernement de Giolitti lance un ultimatum à l’Empire ottoman et déclare la guerre trois jours plus tard. Le conflit s’avère plus long et violent que ce que les autorités italiennes ont prévu. L’Empire ottoman renonce à la plupart de ses prérogatives sur la Tripolitaine en 1912 avec les tractations d’Ouchy, puis le traité de Lausanne, sans que la souveraineté de l’Italie ne soit reconnue sur ce territoire. Cette question résolue, les deux régions ne sont pas pour autant complètement pacifiées. En Cyrénaïque, la Sénousiya, qui est un ordre mystique musulman, résiste militairement aux colonisateurs jusqu’aux accords d’Acroma du 17 avril 1917. En 1919, le gouvernement entreprend une série de réformes politiques et administratives proches de celles qui sont appliquées en Algérie la même année. L’occupation italienne se prolonge jusqu’en 1943.

L’Algérie et la Libye constituent des prolongements symboliques puis légaux de la métropole. Dans des proportions et à des époques différentes, les deux territoires sont envisagés comme des colonies de peuplement européen. De plus, l’Algérie est divisée en trois départements français en 1848, tandis que le décret-loi du 9 janvier 1939 ordonne que « les quatre provinces de la Libye font désormais partie intégrante du territoire du royaume d’Italie ». Les hommes et les femmes qui étaient installés dans ces régions avant les occupations françaises et italiennes et qui y sont demeurés sont qualifiés « d’indigènes ». Comme le rappelle Henry Solus dans son Traité de la condition des indigènes en droit privé : « Considéré en soi et dans sa signification générale, le mot indigène, en droit colonial français, sert à qualifier la population aborigène d’un territoire de colonisation qui a été soit annexé à la France, soit placé sous son protectorat, soit confié à son mandat. Il n’exprime qu’une situation de fait (les Anglais disent « natifs ») ; et il n’est en lui-même aucunement révélateur d’une qualité juridique déterminée ». Il sera employé dans la présente étude en ce sens. Les droits et coutumes des populations locales sont remplacés par les lois françaises et italiennes. Le statut personnel des indigènes qui ne possèdent pas la citoyenneté française ou la citoyenneté italienne fait partie des exceptions à cette politique et constitue, pour cette raison, notre champ de recherche. La notion de « statut personnel », empruntée au droit international privé, est entendue comme la loi qui régit l’état, la capacité et les relations de famille de la personne18. En Algérie et en Libye, elle concerne l’état civil, la capacité, le mariage et sa dissolution, et la filiation.

Les règles du statut personnel sont parmi les seules dont le respect est légalement garanti. En Algérie et en Libye, les premières mesures d’organisation de la colonie, essentiellement dans le domaine de la justice, en assurent le maintien. C’est le cas de la capitulation du 5 juillet 1830 signée par le maréchal de Bourmont et le dey d’Alger, même si sa valeur juridique a parfois été contestée par la doctrine. En Libye, il s’agit du décret royal du 17 octobre 1912. Cette protection est réaffirmée par le décret royal du 20 mars 1913 n°289, sur l’organisation judiciaire de la Tripolitaine. Les populations qui jouissent en principe du respect de leurs statuts personnels en Algérie et en Libye sont régies principalement par le droit musulman, par le droit mosaïque ou par les coutumes kabyles. Le premier groupe est numériquement le plus nombreux. Les israélites sont pour leur part essentiellement implantés dans les villes les plus importantes. Enfin, les Kabyles sont implantés le long de la côte, à l’est d’Alger. La partie occidentale de la Kabylie, entièrement berbérophone, est nommée la « Grande Kabylie », et la partie orientale – berbérophone uniquement dans sa moitié – constitue la partie la plus petite. Les magistrats appliquent les coutumes kabyles uniquement dans la première zone. Le respect des statuts personnels locaux s’explique par l’essence de leurs règles. Leur  lien étroit avec la religion a engendré la crainte, chez les autorités coloniales, qu’en y portant atteinte, les populations se révoltent et, plus tard, que le monde musulman condamne leur action. Cette relation est quelque peu différente en Grande Kabylie. Les juristes considèrent que les coutumes kabyles sont plus malléables par nature, même si elles sont étroitement liées au droit musulman. De plus, dès les premiers temps de l’occupation, les autorités françaises tendent à considérer que les Kabyles sont plus facilement assimilables pour des raisons historiques qui ont été mises en évidence par Charles-Robert Ageron .

Pour mener à bien cette étude des sources traditionnelles (législation, jurisprudence, doctrine et débats parlementaires) ont été utilisées ainsi que les archives des gouvernements français et italien. Ces recherches ont permis de mettre à jour des documents encore inexploités, comme les échanges épistolaires relatifs à la seconde tentative de promulgation du Code Morand. La finalité de ce travail de recherches n’est pas de reproduire ce qui a déjà été accompli. Pour cette raison, il est apparu inutile de développer des parties qui ont déjà été étudiées par le professeur Barrière lorsque de nouveaux éléments ne venaient pas les compléter ou lorsqu’elles ne pouvaient être comparées avec la situation libyenne. Précisons in fine que la comparaison opérée a parfois souffert du manque de sources et d’analyses juridiques sur la Libye durant l’occupation italienne. La doctrine a connu un véritable essor seulement à partir des années trente dans le domaine colonial.

Le respect du statut personnel par le colonisateur induit la définition de ses règles et la détermination du contenu de celles-ci. Ce travail est nécessaire car les magistrats français et italiens sont sollicités directement dans leur application. La connaissance des statuts personnels s’avère difficile dans la mesure où les textes juridiques de référence sont anciens et que les juristes ne disposent pas ou peu de traces écrites des décisions rendues par les tribunaux traditionnels avant l’arrivée du colonisateur. Les magistrats français et italiens qui doivent appliquer ou contrôler les règles des statuts personnels musulman, mosaïque et kabyle tentent parfois de les rapprocher des principes du Code civil, c’est-à-dire du droit commun. Il s’agit de tentatives relativement modestes. Très peu développées en Libye, elles tendent à se multiplier en Algérie dans les années trente .

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE – STATUT PERSONNEL ET TRANSFORMATIONS DES RÈGLES : LA MODÉRATION
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE – ORGANISATION DE LA JUSTICE ET CONNAISSANCE DU DROIT INDIGÈNE
TITRE I – DES MODIFICATIONS LIMITÉES
CHAPITRE I – LE CODE MORAND, UNE TENTATIVE AVORTÉE
CHAPITRE II – LE RESPECT DU STATUT PERSONNEL EN LIBYE
TITRE II – L’INTERVENTION DU LÉGISLATEUR
CHAPITRE I – L’ORGANISATION DE L’ÉTAT CIVIL
CHAPITRE II – LE LÉGISLATEUR FRANÇAIS ET LE STATUT PERSONNEL INDIGÈNE
DEUXIÈME PARTIE – STATUT PERSONNEL ET CHANGEMENTS D’ÉTATS : LA PERTURBATION
TITRE I – STATUT PERSONNEL ET CONVERSION
CHAPITRE I – LES JALONS DE LA RÉFLEXION : LES PRINCIPALES THÈSES ANTÉRIEURES À 1919
CHAPITRE II – LE RENOUVELLEMENT DES THÉORIES
TITRE II – STATUT PERSONNEL ET UNIONS MIXTES
CHAPITRE I – L’APPLICATION DU DROIT COMMUN À LA FAMILLE MIXTE EN ALGÉRIE
CHAPITRE II – VERS UNE EXCLUSION DES RELATIONS MIXTES EN LIBYE
TROISIÈME PARTIE – STATUT PERSONNEL ET CITOYENNETÉ : LA CONFRONTATION
TITRE I – LES DROITS POLITIQUES SANS LE STATUT PERSONNEL
CHAPITRE I – LES RÉFORMES FRANÇAISES ET ITALIENNES DE 1919
CHAPITRE II – LA POURSUITE DU DÉBAT EN ALGÉRIE (1920-1938)
TITRE II – LE STATUT PERSONNEL SANS LES DROITS POLITIQUES
CHAPITRE I – L’ABROGATION DU DÉCRET CRÉMIEUX (LOI DU 7 OCTOBRE 1940)
CHAPITRE II – LES ALÉAS DE LA CITOYENNETÉ EN LIBYE
CONCLUSION

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