Le statut du mouvement dans la classe

Pourquoi le mouvement ? Je choisis ce thème à un moment de ma carrière où je passe d’une vie de bureau, en équipe mais entre adultes, à la vie dans la classe. A l’arrivée dans le monde de l’entreprise, après des années d’études, j’ai vécu la possibilité de gérer mes déplacements comme une grande liberté. Je pouvais décider d’évoluer dans l’espace qui m’était offert, dans un but personnel (toilettes à toute heure) ou professionnel (besoin d’interaction avec mes collègues sur des sujets de travail), et je fus surprise du sentiment de confort et d’autonomie que m’apporta cette liberté. Je pouvais décider de mes propres mouvements, ce paramètre finalement si naturel de ma vie. Dans un monde d’adulte, très canalisé, cette liberté semble n’avoir rien d’exceptionnel, et pourtant… ayant également travaillé dans l’industrie en début de carrière et observé des ouvriers sur leurs chaînes de production elle ne va pas de soi.

A mon arrivée dans un autre espace, celui de la classe, au cœur d’une vie beaucoup plus dynamique et foisonnante, je m’interroge à nouveau sur le mouvement et le processus décisionnel qui l’accompagne. En premier lieu pour une raison très simple: dans un monde d’adultes, je n’ai jamais eu à canaliser le mouvement de mes collaborateurs. Gérer une classe ne va pas de soi, c’est comme tous les métiers, ça s’apprend. Encore faut-il trouver les leviers efficaces. Mon objectif est donc de recueillir des faisceaux d’observations, d’expérience et de littérature qui pourront alimenter ma réflexion sur la gestion du mouvement dans la classe et répondre à quelques-unes des nombreuses questions que je me pose dans une pratique débutante.

Après quelques définitions d’usage, nous étudierons dans une première partie théorique le mouvement dans la sphère de l’individu (acquisition, expression), puis dans son rôle interactionnel en situation de classe. Une seconde partie méthodologique nous permettra de synthétiser, et d’analyser les réponses obtenues à un sondage destiné aux enseignants, concernant leur vision du statut du mouvement dans la classe. En effet, mener une approche de type « recherche » en recueillant des solutions multiples trouvées par des experts de terrain et affinées au cours de leurs années d’expérience m’a semblé plus riche que de me limiter à mon expérience d’une première demi-année incomplète dans la classe. L’analyse thématique des réponses, illustrée par quelques citations extraites du sondage, clôturera la présente réflexion sur les observables du mouvement dans le milieu scolaire.

Définitions

Avant d’aller plus loin dans l’analyse, voici quelques définitions de ce qui se trouvera derrière les quelques notions clés de ce document.

Dans son article « Les gestes dans l’activité en situation de travail – Aperçu de quelques problèmes d’analyse », Jacques Leplat (2013) fournit de multiples définitions des gestes et mouvements issues de la littérature scientifique spécialisée. Il indique que le geste est parfois considéré comme lié à la main et aux membres supérieurs et a une vocation actionnelle, ceci nécessitant des compétences de coordination. Il convoque également les aspects macroscopiques et microscopiques du geste, inconscients ou conscients avec possibilité de passer de l’un à l’autre par le biais de l’attention. L’aspect synthétique et symbolique du geste est précisé, en tant que «signe et organisation, […] il permet à notre cerveau de saisir une réalité, une intention, une pensée, une relation sociale complexe ». Il exploite encore son aspect social « Le geste n’est pas seulement mouvement (motus), il est fondateur de la relation avec autrui. » et mène une réflexion sur le triptyque « geste, mouvement, action », geste et action se rejoignant dans l’intention et la mobilité dans l’espace, mais se différenciant par l’attente d’un résultat (spécifique à l’action), et la référence au vivant (spécifique au geste), le mouvement renvoyant quant à lui plus particulièrement à un rapport particulier à l’espace et au temps. Leplat propose enfin sa propre définition : « un geste est un mouvement humain auquel est attribuée une signification, définition traduisible aussi par « le mouvement d’un sujet prend le statut de geste quand il lui est attribué une signification ». En ce sens, on pourrait dire que le geste n’est pas observable ; ce qui l’est, c’est le mouvement auquel est attribuée la signification, c’est l’action ou l’action dans laquelle il s’insère qui donne (ou non) au mouvement la qualité de geste. ». Un mouvement est donc considéré comme geste selon sa charge symbolique et son interprétation en tant que partie d’une action.

Mouvement dans la sphère de l’individu

Pour Pasquier (2008) le corps « s’impose comme contrainte première de toute vie en société et est immédiatement requis comme ressource pour répondre à cette contrainte ».

Maria Montessori, au travers de son ouvrage « L’enfant dans la famille » , décrit le premier travail de l’enfant consistant entre autres à apprivoiser ce corps et développer les premières modalités d’interaction au travers d’une appropriation physiologique et d’une série d’essais en tout genre, qui s’affinent au fil des années. A l’arrivée en maternelle, notre rôle d’enseignant consiste (entre autres) à accompagner la poursuite du développement sensorimoteur afin de fournir à l’enfant un environnement propice à la continuité de cet apprentissage. Il passe par la précision du geste et l’entrainement, tournés vers de nouvelles acquisitions corporelles et de nouvelles modalités d’interactions physiques et humaines.

Il s’agit donc ici d’envisager le corps dans ses fonctions d’acquisition et d’expression au service de l’individu.

Corps et acquisition

Dans le numéro 19 de la revue pédagogique PRISMES, Denis Hauw  , professeur de psychologie du sport, mène une réflexion sur la place du corps dans les apprentissages et notamment en tant qu’interface entre le milieu interne de l’individu, et son environnement externe. Il insiste sur la manière dont le corps permet l’expérimentation par l’action en lien avec l’intériorité qui permet un engagement émotionnel dans l’action. Il se fait écho des critiques de l’approche behaviouriste en ces termes « Elle propose une lecture de l’apprentissage fondée sur un morcellement de l’humain, en considérant le cognitif comme isolé des émotions, du corps ou encore de la culture. De nombreuses ressources ne seraient alors ni considérées ni envisagées de façon interactive. Elle repose sur une conception de la régulation de l’activité sous un mode cybernétique où les buts sont clairs et bien délimités, et cela sans prise en compte ni des solutions moyennes adoptées, alors même qu’elles ne sont pas totalement satisfaisantes, ni des situations mal délimitées ou encore des raisonnements abductifs typiquement humains et non algorithmiques. Enfin, elle convoque une perspective de type « commande » ou « prescription » qui s’oppose à une approche « autonome » de l’activité humaine, c’est-à-dire à une possibilité donnée à tout individu d’organiser son activité de façon originale, singulière en relation avec les situations qu’il rencontre. »

Notre processus d’acquisition fait du corps l’indispensable (et unique) lien entre le monde et l’intériorité de l’individu. Hauw postule que l’apprentissage passe par un ancrage corporel, résultant d’une séquence orientation, désorientation, réorientation d’une connaissance initialement acquise par le corps en tant que siège de la perception. Il développe le concept « d’activité située » c’est-à-dire que l’apprentissage est « couplé aux conditions dans lesquelles le phénomène est appréhendé : un espace, une temporalité, des formes que le corps perçoit, expérimente et qui lui dictent ses conditions d’existence ».

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Table des matières

1. Introduction
2. Partie théorique et réflexions inspirées par la littérature
2.1. Définitions
2.2. Mouvement dans la sphère de l’individu
2.2.1. Corps et acquisition
2.2.2. Mouvement, expression et compréhension : un lien fort entre le corps et l’émotion
2.2.3. L’observation, et le vécu des gestes comme un préalable à la compréhension
2.3. Le mouvement dans l’interaction : un système à dimensions multiples
2.3.1. Ecologie développementale
2.3.2. Interactions et gestion de classe
3. Partie pratique
3.1. Présentation, mode de diffusion et de traitement du sondage
3.2. Analyse des réponses
3.2.1. Contribution du mouvement aux apprentissages
3.2.2. Mouvement et agitation
3.2.3. Facteurs d’interprétation de l’émotion de l’enfant au travers de son mouvement
3.2.1. Pratiques enseignantes
4. Discussion
5. Conclusion
Références
Annexes

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