Le statut de l’art dans la philosophie de hegel

Après des recherches précédentes sur l’esthétique de HEGEL, nous nous sommes rendu compte que les interrogations relatives à l’esthétique sont plus que jamais actuelles et suscitent dans ce sens des débats controversés. Le problème du dépassement de l’art dans l’esthétique de HEGEL est objet de beaucoup de controverses. IL peut en effet être identifié à ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui une crise généralisée de l’art dans le discours qui le prend en charge. L’interprétation la plus générale est celle-là même qui signe le décret de sa mort considérée comme inéluctable eu égard à la désuétude qui caractérise actuellement la sphère de l’art.

Nous assistons donc à une sorte d’aporie qui nous plonge véritablement dans l’actualité de l’art. Et l’air du temps, si l’on en juge par le nombre des publications au cours de ces dernières années, témoigne d’un regain d’intérêt pour la réflexion théorique sur l’art. D’où la nécessité de clarification qui s’impose à nous pour repenser le statut actuel de l’art à la lumière de l’esthétique de HEGEL. L’art représente en effet chez le philosophe de Stuttgart une émanation de l’Idée absolue qui se donne à saisir par le moyen d’une représentation sensible. En d’autres termes, il est un moment comme les autres qui sert de médiation dans la réalisation de l’idée absolue qui n’advient qu’au terme d’un processus d’autorévélation de la vérité. Dans ce rôle de médiation, l’art en tant qu’il sert d’enveloppe corporelle à l’idée représente le premier moment de ce processus. Il doit en effet céder le pas à d’autres formes de consciences plus élevées et plus adéquates à l’expression de l’absolu. Et selon une opinion largement répandue, ce dépassement de l’art (de la conscience sensible) au profit des autres moments du devenir de l’esprit représenterait sa disparition effective. Ainsi l’art appartiendrait au passé, il connaîtrait sa fin sans avenir quoiqu’il ait eu jadis son temps heureux de floraison particulièrement dans la civilisation de la Grèce antique. Tout se passe donc comme si l’art aurait perdu sa vitalité première pour ne subsister que sous forme de mémoire des oeuvres du passé.

Par ailleurs, une analyse plus approfondie de la situation actuelle du monde révèle une emprise de la technique sur le marché de l’art en proie à une culture mécanique à outrance qui remet en question sa dignité ontologique. Le post-modernisme cristallise d’une certaine manière sur le plan esthétique cette nouvelle vision née d’une mondialisation néolibérale qui a fortement aliéné la culture mondiale dans ce qu’elle a de plus essentielle. Et selon Jacques D’HONDT, nous vivons aujourd’hui au milieu d’une exubérance inouïe d’œuvres artistiques alors que se multiplient les expositions et les concerts, et que s’enrichissent somptueusement les musées et les bibliothèques avec l’accompagnement d’un battage médiatique assourdissant. On assiste donc aujourd’hui à une «esthétisation généralisée » qui affecte gravement l’œuvre dans sa nature profonde. Dans la même perspective, Jiménez estime que l’art subit profondément les effets du marché de l’économie qui, en répondant à l’objectif de la rentabilité, nivelle toutes les valeurs esthétiques et impose au public un consensus  autour de certains artistes et certaines œuvres.

Le statut de l’art dans la philosophie de HEGEL

Nombreux sont ceux qui considèrent l’art comme un jeu de voltige intellectuel loin des préoccupations du quotidien. Cette conception erronée de l’art est beaucoup plus visible dans l’orientation des jeunes chercheurs par rapport aux choix de leurs sujets de réflexion. Considérée comme une discipline accessoire, l’esthétique qui en est la réflexion théorique revêt pourtant un caractère primordial dans la philosophie de HEGEL. En effet l’art représente chez le philosophe de Stuttgart le premier moment de révélation de l’Absolu sous une forme sensible. L’art est donc absolu, mais un absolu accessible par les apparences sensibles. Comment comprendre cette ambiguïté caractéristique de l’esthétique de HEGEL ? N’y a-t-il pas une logique de la sensibilité qui donnerait une certaine dignité au sensible artistique ? Contrairement à KANT selon qui l’esthétique est une discipline désintéressée, HEGEL développe une philosophie de l’art dont la finalité objective est la révélation de la vérité. Cependant le fait que l’esprit s’incarne dans le sensible révèle une incomplétude de la vérité de l’art. C’est ainsi qu’il sera dépassé en religion et la religion en philosophie. Il serait donc opportun de voir la manière dont HEGEL appréhende cette question du dépassement pour ne pas tomber aveuglément dans l’aporétique sujet de la « mort de l’art ». Pour bien appréhender tout cela, cette première partie sera articulée autour de deux chapitres majeurs : A un premier niveau, nous parlerons des fondements de l’esthétique hégélienne aux fins de bien situer le moment art dans l’Esprit absolu et la manière pertinente avec laquelle HEGEL se distingue presque radicalement des anciennes conceptions de l’esthétique notamment celle de KANT.

LES FONDEMENTS DE L’ESTHETIQUE DE HEGEL 

« L’art ou les arts désignent toutes productions de la beauté par les œuvres d’un être conscient» d’après le Vocabulaire de Lalande .

CONTRE LE BEAU NATUREL

Pour HEGEL, l’art représente le premier degré de l’incarnation de l’Absolu dans l’histoire. Il relève à ce titre de son projet philosophique d’identification et de description du rationnel dans le réel et requiert donc un traitement historique que le philosophe nous livre empiriquement dans son introduction à l’esthétique consacrée à l’étude du beau artistique. Quand dés l’entame du premier chapitre du volume1 de son esthétique, HEGEL définit l’art comme « la science du beau, plus précisément du beau artistique à l’exclusion du beau naturel »  , il établit une différence radicale entre le beau artistique et le beau naturel. L’esthétique de HEGEL porte sur l’étude du beau artistique et non sur le beau naturel. A première vue, cette délimitation de l’esthétique au beau artistique semble dégager un paradoxe dans la mesure où selon HEGEL « c’est l’habitude que nous avons, dans la vie courante de parler d’un beau ciel, d’un bel arbre, d’un homme beau, d’une belle démonstration, d’une belle couleur etc. »  qui donne l’impression que non seulement la nature crée du beau, mais également que le beau artistique découlerait et chercherait à égaler le beau naturel. Cette manière de voir ne correspond donc pas à la nature du beau artistique telle que HEGEL l’appréhende. En effet, selon le philosophe de Stuttgart, le beau artistique est supérieur au beau naturel parce qu’il est un produit de l’esprit. Cette conception qui bat en brèche tout une théorie sur le beau naturel depuis ARISTOTE a comme soubassement un postulat hégélien selon lequel l’esprit est supérieur à la nature et donc tous les produits qui émanent de l’esprit sont supérieurs à ceux de la nature. HEGEL va même pousser jusqu’à son paroxysme cette idée en affirmant : «la plus mauvaise idée qui traverse l’esprit d’un homme est meilleure et plus élevée que la plus grande production de la nature, et cela  justement parce qu’elle participe de l’esprit et que le spirituel est supérieur au naturel.» .

Mieux encore, si le beau est un moment de l’absolu, et l’absolu le dépassement des deux réalisations finies de l’Idée (nature et esprit humain, qui ne peuvent participer de l’infini que par l’aveu de leur propre finitude), l’art ne saurait sans déchoir redoubler ni égaler le naturel. Il apparaît donc sans ambages à travers cet argumentaire que non seulement le beau naturel est inférieur au beau artistique, mais qu’il ne peut prétendre au statut du beau artistique qui émane exclusivement de l’esprit. Mais si HEGEL remet en question les fondements du beau naturel dans sa conception de l’esthétique, qu’en serait-il pour la théorie de l’imitation philosophiquement reconnue sous l’appellation de mimésis ? La supériorité du beau artistique sur celui dit naturel affirmée par HEGEL a comme implication son rejet de la mimésis. L’activité de l’imitation dénature et réduit la valeur de l’œuvre d’art qui perd son originalité. L’imitation chez HEGEL n’a aucune valeur dans la mesure où elle se résume en un « jeux présomptueux »  d’égaler la nature dans ses productions. De par son caractère limité l’artiste imitateur échoue dans ses prétentions de rivaliser avec la nature ainsi que l’indique HEGEL : « l’art, limité dans ses moyens d’expression, ne peut produire que des illusions unilatérales, offrir l’apparence de la réalité à un seul de nos sens ; et en fait, lorsqu’il ne va pas au-delà d’une simple imitation, il est incapable de nous donner l’impression d’une réalité vivante ou d’une vie réelle ; tout ce qu’il peut nous offrir c’est une caricature de la vie» .

L’habilité et la capacité qu’implique une activité d’imitation ne doivent pas estomper tout l’écart existant entre une œuvre bien imitée et son original. C’est la raison pour laquelle la satisfaction que produit une imitation ne peut être que précaire dans la mesure où l’artiste est déçu de constater ce décalage que nous avons mentionné plus haut. HEGEL a donc raison de montrer que: « d’une façon générale, la joie que procure une imitation réussie ne peut être qu’une joie très relative car dans l’imitation de la nature, le contenu et la matière sont des données qu’on a que de la peine à actualiser » .

L’imitation de la nature ne peut donc être qu’une hérésie esthétique. L’art sous tous ses aspects est une transposition et non pas un reflet du réel. Il est la promotion, l’instauration d’un autre monde. La beauté de l’œuvre d’art ne saurait donc être la reproduction d’une valeur impliquée dans la nature, mais la création d’une valeur spécifique et originale. Au lieu donc de se réjouir d’avoir réussi une bonne imitation, l’artiste devrait plutôt être fier de créer quelque chose qui émane de son esprit, une conception qui lui est propre. C’est en ce sens seulement que l’œuvre manifeste sa singularité que SAVADOGO considère comme « une manière de s’approprier un bien universel » . Elle représente surtout « une façon d’imprimer une identité à une réalité anonyme, indifférente à l’observateur »  selon toujours SAVADOGO qui nous permet ici de distinguer radicalement l’œuvre d’art en tant que création originale et celle qui relève de l’imitation. L’on voit que quand l’art s’en tient au but formel de la stricte imitation, il ne nous donne qu’une vision tronquée de la réalité comme nous l’avons bien montré précédemment.

De la valeur objective de l’œuvre d’art 

Si l’art comme le semble suggérer une certaine opinion n’est pas digne d’un traitement philosophique, il est cependant un génie amical que nous côtoyons tous les jours. Il orne nos ambitions extérieures et intérieures par un adoucissement du sérieux des circonstances en atténuant la complexité de la réalité, en charmant agréablement nos loisirs. L’art peut bien ainsi être un luxe, cependant, il n’est pas coupé ou étranger aux nécessités de la vie pratique même si ces dernières ne constituent pas sa finalité exclusive L’art est la révélation de la vérité qui lui donne une valeur objective.

Dans cette finalité objective appréhendée par l’art, HEGEL se démarque complètement de KANT. En effet pour ce dernier, le beau n’est pas une propriété intrinsèque de l’objet, mais il est l’expression d’une réalité subjective. C’est le sentiment de plaisir que la contemplation de l’objet inspire au sujet placé dans une posture de contemplation. KANT développe donc une esthétique subjective et désintéressée qui ne vise autre chose que la satisfaction qui se produit chez le sujet. Le beau chez le philosophe de konigsberg est différent de l’agréable et du bon, il ne vise non plus ni é éduquer ni à discipliner comme chez HEGEL. A plusieurs niveaux, la conception hégélienne diffère de celle de KANT. D’une part, ce n’est pas le sentiment esthétique qui intéresse la réflexion esthétique de HEGEL, mais l’idée du beau. De l’autre, l’art selon HEGEL a bien une finalité, dans la mesure où il représente l’expression de la vérité sous une forme sensible. Ainsi, à la différence de KANT, HEGEL a une conception objective de l’esthétique en tant qu’elle représente l’absolu pénétré par le sensible. La plus haute destination de l’art, est celle qui lui est commune avec la religion et la philosophie. Ils sont en effet tous des modes d’expression du divin, des besoins et exigences les plus élevés de la vie de l’esprit. Cela permet à HEGEL d’indiquer : « les peuples ont déposé dans l’art leurs idées les plus hautes, et il constitue pour nous le seul moyen de comprendre la religion d’un peuple » .

Mais l’art diffère de la religion et de la philosophie par le fait qu’il possède le pouvoir de donner de ces idées une représentation sensible qui nous les rend beaucoup plus accessibles. Dans ce pouvoir de représentation, l’art diffère surtout de la pensée qui selon HEGEL « pénètre dans les profondeurs d’un monde suprasensible qu’elle oppose comme un au-delà de la conscience immédiate et à la sensation directe ; elle cherche en toute liberté à satisfaire son besoin de connaître, en s’élevant au dessus de l’en-deçà représenté par la réalité infinie » . L’art peut donc servir à rendre l’esprit conscient de ses intérêts, il est cependant loin d’être le mode d’expression le plus élevé de la vérité. Son pouvoir d’action s’opère en effet sur une matière sensible de sorte qu’il ne peut avoir pour contenu qu’un certain degré de la vérité. Pour HEGEL, au-delà de la nature figée de son extériorité, l’esprit s’affirme dans sa libre spiritualité. Ainsi, toutes les productions de l’esprit (de la morale à la politique en passant par le droit) sont réductibles à la pensée et la caractéristique de l’art selon FARAGO « est que la pensée y est contrainte de s’exprimer à travers ce qui n’est pas elle, grâce à un matériau prélevé dans l’extériorité et plus ou moins réfractaire à la spiritualité » . En ce sens, l’art porte en lui-même sa propre limitation.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : LE STATUT DE L’ART DANS LA PHILOSOPHIE DE HEGEL
Introduction
CHAPITRE I : LES FONDEMENTS DE L’ESTHETIQUE DE HEGEL
SECTION I : CONTRE LE BEAU NATUREL
SECTION 2 : A LA DECOUVERTE DE L’ABSOLU : L’ART COMME INCARNATION SENSIBLE DE L’ESPRIT
CHAPITRE II : AUTOUR DU DEPASSEMENT DE L’ART : SITUATION ET SIGNIFICATION
SECTION 1 : LA MORT DE L’ART DEVANT LA PENSEE
SECTION 2 : NOTRE RAPPORT ACTUEL A L’ART SELON HEGEL
Conclusion
DEUXIEME PARTIE : LA CRISE DE L’ART : DU MODERNISME AU POST-MODERNISME
Introduction
CHAPITRE I : LE DESENCHANTEMENT DE L’ART COMME CONSEQUENCE D’UNE CRISE DE CIVILISATION
SECTION 1 : REVOLUTION DEMOCRATIQUE ET ART
SECTION 2 : DE LA LOGIQUE DU PROFIT OU L’ESTHETIQUE INDUSTRIELLE
CHAPITRE II : L’ART AUJOURD’HUI ET SES MULTIPLES DEFIS
SECTION 1 : LES DEFIS D’AUTONOMIE ET DE LEGITIMITE DE L’ART
SECTION 2 : DE LA RESTAURATION DE LA VALEUR ESTHETIQUE
Conclusion
CONCLUSION GENERALE

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