Le « trauma system » français
Grâce à l’expérience acquise aux États-Unis, la création de réseaux de soins, appelé « trauma system », a permis d’homogénéiser les pratiques et de mettre en commun les plateaux techniques afin d’améliorer la qualité des soins. En France, généralisés sur l’ensemble du territoire, les Services d’Aide Médicale Urgente (SAMU) avec les Services Mobiles d’Urgence et de Réanimation (SMUR) permettent d’organiser la prise en charge pré hospitalière du patient traumatisé sévère et l’orientation du patient, dont les délais doivent être les plus courts possible.
Le triage pré hospitalier Le triage pré hospitalier, qui se base sur plusieurs scores pronostiques, permet le bon fonctionnement de cette organisation, et est essentiel à la survie des patients. Pour cela, le médecin urgentiste va mettre en œuvre sur les lieux de l’accident un triage spécialisé en utilisant les critères de Vittel (Annexe 1) afin de caractériser la sévérité du traumatisme. (4)
Les Trauma Centers Le triage conduit à la décision d’admission directe au TC de niveau I ou dans un TC de niveau II ou III pour les patients jugés moins sévères. Avec l’aide du médecin régulateur, le médecin urgentiste sur les lieux de l’accident va orienter le patient dans un centre de niveau adapté et prêt à le recevoir. Ce schéma d’organisation départementale impliquant les centres de régulation médicale (centre 15) constitue un trauma system structurellement diffèrent du modèle américain. (5) (6) Une filière de soin spécifique en traumatologie a été créée depuis 13 ans et est dénommée le Trauma System du Réseau Nord Alpin des Urgences (TRENAU). Les centres hospitaliers sont catégorisés par niveau de I à III, selon cette classification. Le niveau I correspond aux centres hospitaliers experts et reçoit grâce à un triage optimisé les patients les plus sévèrement blessés. (7) Il a été établi que l’accès à un TC de niveau I participe à la diminution de la morbi-mortalité.
Le sous triage Au sein d’un trauma system, le triage conduit à la décision d’admission directe au TC de niveau I ou dans un TC de niveau II ou III pour les patients jugés moins sévères. Ces derniers pourront être secondairement transférés en cas de nécessité (dégradation clinique, moyens techniques inadaptés). (10) (11) Deux situations peuvent survenir : le sur triage qui se définit comme l’admission d’un traumatisé non grave au TC de niveau I et le sous triage qui correspond à la non-admission au TC de niveau I d’un patient traumatisé sévère. Certains facteurs prédictifs de sous triage ont été reconnus comme l’âge avancé (12), ou les lésions cérébrales (13) ; cependant, à l’heure actuelle, les caractéristiques des patients sous triées sont mal identifiées et probablement dépendantes des zones géographiques et pratiques locales. L’objectif de notre étude était de comparer une population de patients qualifiés de « sous-triés » aux patients non sous triés par la régulation centre 15 du SAMU 83, afin de déterminer la présence d’une éventuelle surmortalité, les caractéristiques de ces patients par rapport aux patients non sous-triés, et de facteurs pouvant conduire à un sous triage en régulation.
Analyse statistique
La liste des patients transportés en niveau I ou en niveau II / III, a été appareillé à la « base de donnée accidents corporels de la circulation », registre national recueilli via le fichier de l’Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière (ONISR) et mis à disposition en libre accès via le site data.gouv. Cette liste exhaustive mise à jour par la police immédiatement à la suite de l’accident permet d’obtenir un rapport complet de l’ensemble des accidents de la route, et qui après appariement avec nos données permet d’obtenir l’ensemble des patients décédés ou perdus de vus par la filière hospitalière des Trauma Centers. Les patients ont été analysés de manière descriptive en deux groupes distincts : patients décédés et non décédés d’une part, patients sous-triés (« secondairement niveau I ») et non sous-triés (« direct niveau I ») d’autre part. Les valeurs sont exprimées en médianes avec leur interquartile pour les valeurs quantitatives, et par pourcentage de l’effectif pour les valeurs qualitatives. Un test des rangs signés de Wilcoxon était utilisé pour les valeurs quantitatives, et un test de Chi 2 pour les variables qualitatives. L’effet du sous-triage sur la mortalité, était calculé par régression logistique, via un test de Fisher. Le même procédé était utilisé pour rechercher un éventuel critère prédictif de sous-triage parmi les paramètres analysés. Un risque alpha de 5% était considéré, soit une valeur de p<0.05 considérée comme significative. Le logiciel Rstat 4.0.3 a été utilisé pour l’ensemble des calculs.
Éléments apportés par les résultats descriptifs
Au niveau de la typologie des accidents, on remarque dans le Tableau 1 qu’en combinant les AVP impliquant motos et vélos, on obtient 55,3% d’accident de la route impliquant un deux roues dans le Var. Une proportion si importante est inhabituelle et caractérise l’accidentologie très particulière de ce département, avec possiblement en cause des grands axes côtiers très prisés des cyclistes et des motards, de même qu’un arrière-pays rural fait de longues routes départementales peu surveillées, témoins de nombreuses infractions au code de la route. Au niveau des constantes vitales (Tableau 2), on remarque sans surprise que les patients qui décèderont à l’issue de la prise en charge ont des paramètres plus critiques (fréquence cardiaque plus élevée, pression artérielle et score de Glasgow plus bas), de même ils sont plus nombreux en proportion à recevoir des soins avancés tels que la mise sous amines et l’intubation. A l’admission en déchocage on note également des arguments biologiques précoces de coagulopathie traumatique, avec une baisse de l’hémoglobine, des plaquettes et du temps de prothrombine. Ces éléments présents dès les premiers instants de la prise en charge hospitalière sont connus comme marquant le mauvais pronostic (14)(15). Il apparaît également que les patients décédés présentent un taux d’hémocue plus bas que les patients survivants, cela nous confirme l’existence d’un retentissement biologique dès la phase pré hospitalière dans le groupe des patients décédés. On peut noter l’existence d’une mortalité plus importante quand l’IOT est réalisée en phase hospitalière et lorsque les amines sont débutées au déchocage, en comparaison aux gestes et thérapeutiques mis en place dès la phase hospitalière. Cette observation qui a déjà été documentée dans la littérature (16) signale un possible bénéfice à engager des soins de support lourds précocement s’ils sont nécessaires. L’étude n’était néanmoins pas construite pour évaluer une telle comparaison. Si on observe la population de patients « sous trié » (Tableau 1), on remarque qu’aucun patient au Glasgow <8, ou ayant bénéficié de soins critiques (mise en place d’amine, ou réalisation d’une intubation) n’a été sous-trié, ce qui peut correspondre à une politique locale de ne jamais considérer l’envoi en « sauvetage » d’un patient instable à l’hôpital de proximité et d’utiliser l’hélicoptère pour ramener directement au TC de niveau I. Dans le Tableau 1, on remarque également que les patients pris en charge secondairement dans un TC de niveau I avaient étonnement plus souvent une FAST écho positive que les patients pris en charge directement. On pourrait l’expliquer pour une nouvelle réalisation de la FAST écho par les urgentistes lors du transfert entre le TC de niveau II ou III jusqu’au TC de niveau I. On remarque cependant l’existence de réalisations d’IOT en phase pré hospitalière malgré l’absence d’un score de Glasgow inférieur à 8. Il serait intéressant de connaître les indications d’intubation retenues dans ces cas-là. L’absence de patients critiques d’emblée dans le groupe « sous triés » (aucun patient intubé, ni mis sous amines ni avec un score de Glasgow inférieur à 8) pourrait être la conséquence de la juste appréciation de la gravité du patient effectuée par le médecin urgentiste lors du triage, ainsi que d’une régulation appropriée. Au vu de la Figure 5 et de l’Annexe 3, on peut imaginer une corrélation entre l’éloignement du lieu de l’accident et le TC de niveau I. Ce lien potentiel est un argument supplémentaire en faveur d’une couverture héliportée primaire dans un département aussi vaste et aux moyens spécialisés si concentrés.
Perspectives d’avenir
Dans les années à venir, l’essor de technologies émergentes de visio-conférences permettant au régulateur une vision déportée de la scène d’intervention, soit par l’équipements des vecteurs médicaux (21) (Google Glass ©), soit par logiciel permettant d’utiliser la caméra du smartphone des témoins comme flux vidéo en direct au niveau de la régulation (d’ores et déjà permis par le logiciel SI-SAMU ainsi que par plusieurs prestataires et start-up privées) permettra une évaluation encore plus fine, notamment pour les interventions n’ayant pas (ou pas encore) de vecteur médical sur place, et pourra peut-être diminuer encore les chiffres de sous-triage. L’intérêt de la médicalisation précoce bénéficie à ce jour d’un niveau de preuve très disparate selon les indications retenues (22)(23). Elle nous semble néanmoins importante sur les patients traumatisés sévères, tant pour l’évaluation et la précision du triage initial, que pour la réalisation de gestes salvateurs lourds si nécessaire. (24) Par ailleurs, la création de registres pré hospitaliers encouragée déjà de longue date notamment par les Emergency Medical Service américain (25), ne semble pas, et ce malgré l’informatisation, permettre la tenue de bases de données pleinement exploitables concernant les traumatisés sévères en France en 2020. La constitution d’un registre de traumatologie hospitalier individuel à chaque service receveur à l’image de celle de l’HIA Sainte Anne, ou commune à plusieurs TC régionaux à l’image de celle de l’APHP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris), semble le moyen le plus sûr de recueillir des données fiables et exhaustives (26) afin d’étudier l’impact des politiques sanitaires concernant la prise en charge des traumatisés sévères. Le recueil prospectif étant la meilleure garantie de ne pas oublier certains paramètres essentiels (comme la fréquence respiratoire, très souvent absente des dossiers).
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Table des matières
I. ABSTRACT
II. ABREVIATIONS
III. INTRODUCTION
1. Le « trauma system » français
1.1. Le triage pré hospitalier
1.2. Les Trauma Centers
1.3. Le sous triage
2. Le « trauma system » régional
IV. PATIENTS ET METHODES
1. Plan de l’étude et sélection des patients
2. Objectif et critère de jugement principal
3. Objectif et critères de jugements secondaires
4. Mode de recueil des données et autorisation
5. Analyse statistique
V. RESULTATS
VI. DISCUSSION
VII. CONCLUSION
VIII. BIBLIOGRAPHIE
IX. ANNEXES
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