Le sourire, un moyen d’expression corporelle
Qu’est-ce que le sourire ?
Signification littéraire et description anatomique
Le terme sourire est à la fois un nom et un verbe. Dans le Dictionnaire National, le nom sourire est apparenté au terme « souris » (BESCHERELLE, 1856, p. 1357). Le souris serait un acte éphémère, une capture visuelle momentanée tandis que sourire serait une action, quelque chose de prolongé dans le temps. Sourire comprend alors le souris, et les différents mouvements qui le constituent. Il serait le miroir d’un mouvement de « l’âme plus doux et plus tranquille où les coins de la bouche s’éloignent sans qu’elle ne s’ouvre, les joues se gonflent, et dans quelques personnes il se forme sur chaque joue, à une petite distance des coins de la bouche, un léger enfoncement que l’on appelle fossette. » (BESCHERELLE, 1856, p. 1357).
En littérature, le terme « sourire » est employé pour désigner une ambiance ou un phénomène radieux et agréable : « Les arbres dont les bourgeons sourient déjà, et, demain éclateront de rire » (RENARD, 1906). Ces aspects, radieux et agréables, peuvent également être présents au sein des relations humaines. Le sourire est un facteur d’intégration sociale, et ce, dès les premiers mois. Par les interactions, l’enfant va accéder au sourire social. Par ce sourire, l’enfant peut manifester sa satisfaction, et sa joie. Il devient acteur dans les interactions. Son sourire permet de témoigner à autrui de la sympathie, de l’affection et de l’intérêt. Le sourire a donc un rôle social et sera modulé en fonction des échanges et de l’environnement. Il peut ainsi être l’expression d’une politesse ou d’une sympathie mais également celle d’un malaise et d’une agressivité (sourire ironique, moqueur). Ce sourire, comme nous le verrons ensuite, succède à un sourire mécanique induit par les neurones miroirs et une partie du visage humain.
Afin de clarifier pour la suite, le sourire peut être défini comme l’action de sourire, qui consiste en un étirement des coins des lèvres par l’arrière (via les muscles zygomatiques), des pommettes plus ou moins relevées et des plissements aux coins des yeux (DUPEYRAT, 2001). Il peut être orienté, suivre une intention ou bien simplement refléter un état émotionnel. Le sourire peut être séducteur, moqueur, dédaigneux ou ironique. Il peut également exprimer de l’empathie, de la joie, de l’affection, de la bienveillance ou de l’intérêt.
Par ailleurs il peut témoigner de notre état émotionnel. De manière innée, sa manifestation peut être réflexe comme volontaire. Elle est souvent en lien avec l’environnement et va alors véhiculer nos émotions. Afin d’en découvrir les intentions, une lecture corporelle plus globale pourrait être une source de renseignements. Le langage corporel et le langage verbal sont alors des indicateurs importants quant à l’interprétation du sourire.
Vision historique du sourire
En sociologie, Spencer décrira le sourire comme le vecteur d’un sentiment. Un sentiment entraînerait selon lui une décharge motrice dans le corps entier et cette décharge stimulerait les muscles du corps humain. Cette stimulation serait indépendante des affects agréables ou désagréables. Des muscles avec une grande force seraient stimulés en cas de forte décharge tandis que des muscles sensibles seraient stimulés avec des décharges moindres. Par exemple, les muscles des jambes, qui doivent faire face à la gravité et au poids du corps seraient stimulés en cas d’émotion forte et donc de grande décharge motrice. En revanche, les muscles du visage étant plus fins, une décharge motrice plus légère les stimulera. C’est pourquoi, le sourire serait facilement identifiable sur le visage. L’émotion l’ayant fait ressortir va également stimuler les autres muscles du corps humain. Cela sera visible sur chaque muscle en fonction de son seuil de stimulation. Pour Darwin, le sourire est associé au rire. Le rire se décompose en trois degrés : le sourire, le rire modéré puis le fou rire. Ce rire est également à diviser en deux catégories, le rire de plaisir et le rire dû aux situations comiques (DUMAS, 1948). Le sourire étant un rire atténué, il en va de soi, pour Darwin, de la séparer également en deux parties : le sourire de plaisir, dû a une excitation, une décharge du système nerveux et à de la joie ; ainsi que le sourire de comique engendré par une situation risible, un écart avec la situation attendue. Dans le sourire de plaisir, « ce n’est pas seulement la bouche qui sourit mais les yeux, le nez, les paupières, les yeux, le front, les oreilles » (DUMAS, 1948, p. 11). Les dix-sept muscles de la face vont se coordonner pour former cette expression, ce qui la rend d’autant plus personnelle.
De ces visions, Dumas se posera deux questions :
– le sourire est-il une question de muscles et d’afférences nerveuses uniquement ?
– le sourire est-il facilité par une certaine tonicité des muscles du visage ?
Afin de répondre à ces interrogations il mènera deux expériences sur des patientes de l’hôpital de Sainte Anne. Dans un premier temps, il posera des électrodes sur le visage de ces femmes afin d’électrifier différents muscles. Il parviendra alors à obtenir le schéma du sourire. Cependant il s’agira d’un sourire incomplet, dépourvu de son aspect harmonieux et naturel. Dans un second temps, afin d’affirmer sa seconde hypothèse, il va provoquer chez ces patientes, une élévation tonique au niveau du visage par l’application de substances froides. Il remarquera alors que le froid et les excitations sensorielles, en l’absence de pathologie, vont entrainer un recrutement tonique. Ce recrutement tonique va alors entrainer l’apparition d’un sourire ou d’un demi-sourire. Dumas fait alors un lien avec le plaisir, qui entrainerait physiologiquement une élévation tonique et donc un sourire. Pour lui, naturellement le visage humain et sa tonicité tendent vers le sourire. Une simple hausse ne ferait que confirmer ce sourire.
Dumas écrira alors une théorie physiologique du sourire : « Le sourire spontané est la réaction la plus facile des muscles du visage pour une excitation modérée ; il se manifeste particulièrement dans ces muscles à cause de leur extrême mobilité, mais en réalité la réaction qu’il exprime est générale et paraît se marquer plus ou moins dans le système musculaire tout entier » (DUMAS, 1948, p. 44). Ici, la psychologie n’a de lien ni avec le sourire ni avec sa forme. Le sourire est un réflexe au même titre que ceux du nourrisson. Par la conception d’un sourire qui s’inscrit dans tout le corps, Dumas va ici reprendre les propos de Spencer et Lange. Ce dernier considérait que le sourire s’étend dans tout le corps, et que la décharge motrice stimulerait ensuite différents muscles. Cela créerait chez l’homme « joyeux » (DUMAS, 1948, p. 46) un sentiment de légèreté et une attitude relevée dus à l’élévation tonique. La non-participation des yeux a également été relatée par Wolff (1963). Pour lui, le sourire est présent dès la naissance. Cependant, il n’est pas définitif et sa morphologie va évoluer. Au départ, il s’agit d’un simple relèvement des lèvres, dépourvu de participation oculaire, observé notamment lors de l’endormissement (CELESTE, 2000, p. 60). Puis petit à petit, il va s’étoffer de manifestations corporelles diverses et prendre un sens. Ici, la distinction des différents sourires n’est pas en fonction de ce qui les a déclenchés mais de leur période d’apparition. Cette chronologie sera reprise par la suite.
Le développement neurologique
L’évolution de l’enfant pourrait se répartir en cinq temps (OTTAVI, 2001). Au départ, s’observent chez le nourrisson des contractions lors des sentiments de plaisir et de peine. Ensuite, par l’accroissement des connexions nerveuses correspondant aux sensations et reliées à certaines contractions musculaires, le bébé va mettre en place des réactions adaptées. Par l’observation de face-à-face mère-bébé, Trevarthen (1980) montrera qu’avant la naissance, le bébé a le matériel cérébral nécessaire pour communiquer. Cette capacité est innée. A la naissance, et particulièrement au cours des deux premiers mois, les stimulations sensorielles apportées par la figure maternelle vont directement influencer certaines structures nerveuses. En particulier, cela jouera sur les structures assurant la coordination entre les expressions faciales, les systèmes vocaux et les mouvements des mains du bébé. Ce dialogue va permettre l’émergence d’un partage des codes émotionnels dans lequel le bébé sera acteur (MONTAGNER, 2006, p. 105). Par la suite, les perceptions simples seront plus précises et favorisées par un accroissement nerveux en lien avec ce qui est perçu. Se développeront alors l’organisation motrice, l’attention spontanée et l’instinct. Le bébé sera acteur, soit par l’émission d’un comportement soit par la réception de celui de sa mère. Selon Spitz (MONTAGNER, 2006, p. 146), les yeux et le front de la mère, en vue de face attirent le regard et l’attention du bébé. Cela activerait chez lui des mécanismes nerveux génétiquement programmés et déclencherait des comportements particuliers. Ces mécanismes semblent être ancrés dans son patrimoine génétique et seront modulés par l’environnement. Ces mécanismes peuvent également être déclenchés par le biais de neurones miroirs. Ces derniers résident dans les régions pariétales et préfrontales (FRITH, 2014).Ils répondent à la fois aux actions observées et à celles exécutées. Ils ont un rôle dans le processus d’empathie. Selon le chercheur S. Surguladze, l’empathie est un processus émotionnel et social facilitant les contacts sociaux et la cohésion au sein d’un groupe . Dans ses études, il a pu montrer que les zones du cerveau s’activant à la vision de la douleur ou de la joie de notre interlocuteur sont les mêmes que celles concernant notre propre douleur ou notre propre joie. Ainsi, par le biais de neurones miroirs, différents circuits vont s’activer et permettre la mise en place de schèmes moteurs particuliers tels que le sourire. Ils vont aussi aider à la reconnaissance émotionnelle. C’est dans un quatrième temps qu’apparaîtront les émotions premières, l’imitation et la mémorisation. Cela sera permis par la mise en lien des données issues de la conscience. Dans un cinquième temps, la notion de pensée consciente va émerger. Celleci comprend la mise en place de l‘action volontaire ainsi que les émotions supérieures (OTTAVI, 2001, p. 199). Ainsi, l’imitation tient une place importante dans le développement de l’enfant et l’apparition du sourire.
Du sourire miroir au sourire social
L’imitation et la synchronie
Chez le bébé, le premier sourire est un sourire mécanique, probablement le reflet du visage de l’adulte. Le sourire se met en place au départ via le processus d’imitation. A ce propos, deux formes sont à différencier. Au départ, l’imitation néonatale n’était pas prise en compte, Baldwin comme Piaget et Wallon niaient toute imitation avant l’âge de six mois. Cependant ils insistaient sur l’importance des relations affectives qui préparerait à l’imitation vraie. Ils qualifièrent cette pré-imitation d’imitation intentionnelle, autrement appelée « mimétisme émotionnel » (NADEL, 2016, p. 19) par Wallon et « imitation sensori-motrice » (NADEL, 2016, p. 19) par Piaget. Le mimétisme émotionnel, n’apprendrait pas de nouveaux schèmes moteurs, il s’agirait d’un « phénomène archaïque » (NADEL, 2016, p. 34) ayant pour but de lier l’enfant à son entourage, lui permettre d’accéder à l’empathie. Par la suite, à l’âge de six mois, l’enfant a accès à « l’imitation vraie » (NADEL, 2016, p. 18) selon Wallon, aussi nommée par Piaget «d’imitations représentatives » (NADEL, 2016, p. 19). L’imitation vraie est une reproduction de l’enchainement des différents schèmes moteurs dont est faite une action. Selon Wallon elle suppose la capacité à se représenter les différents mouvements de l’action. Par la répétition, cette imitation aboutira à une certaine habituation. A partir de l’âge d’un an, vont alors s’ajouter à ces reproductions organiques, des réactions volontaires. Elles mettent en avant l’apprentissage, et la réutilisation par l’enfant de schèmes moteurs appris.
Il est plus complexe d’imiter des actions plutôt que des mouvements. Ces derniers impliquent uniquement le corps tandis que les actions ont aussi une composante plus étendue dans l’espace. L’action nécessite une prise en compte de l’environnement et un positionnement à l’intérieur de celui-ci (NADEL, 2016, p. 20). En fonction de l’âge différents mouvements sont alors privilégiés. Les premières imitations concernent donc les mouvements faciaux, avec l’ouverture de la bouche et les mouvements de langue. Puis l’imitation s’étend aux yeux avant de s’attacher au visage entier et ses expressions. En ce qui concerne les autres membres, l’imitation évolue depuis les parties distales vers les parties proximales, des mains aux bras par exemple. Cela fut découvert en 2010 par la présentation en 2D de modèle humain ou robotiques sur des écrans à des enfants dont les chercheurs ont étudié la réaction (NADEL, 2016, p. 50). En outre, l’imitation a un rôle social. Celui-ci sera théorisé par Stern 51977), Brazelton et Trevarthen (1977) par le concept de proto conversation. Il s’agit d’un échange entre la figure parentale et le nourrisson. Dans cet échange verbale et expressif, le nourrisson tout comme le parent, ont chacun leur espace d’interaction. Ces interactions se basent sur l’imitation de la prosodie (intonation de la voie et musicalité) ainsi que du rythme des paroles et les mimiques. Cette proto-conversation lui permettra d’intégrer petit à petit différentes émotions. L’imitation est alors un outil de communication, un moyen d’interagir avec autrui et lui montrer de l’intérêt. Il est mis en ouvre aussi bien par le bébé que par la figure maternelle (NADEL, 2016). C’est ce que mettra en avant Bower (1979) à travers la synchronie interactionnelle. Dans les heures suivant la naissance, le comportement du nourrisson va varier à l’écoute d’un adulte. A ce moment là apparaîtront les premiers mouvements de bouche, prémisses du sourire. Puis au fil du temps, en découvrant que son imitation joue sur le comportement de la figure parentale, le bébé va augmenter la fréquence d’imitation. Ce sont les premières interactions.
De surcroit, le rôle des pairs sera également important et, tout comme la proto-conversation, favorise l’intersubjectivité. Il s’agit d’une prise de conscience de soi, une différenciation de l’autre. A partir de six mois, des échanges de sourires s’observent chez le nourrisson. A cette période, les relations entre pairs sont majoritairement des expériences de plaisir et il n’y a pas de conflits. Ceux-ci apparaissent au moment de l’acquisition de la marche. Erckmann (1975) montrera, qu’entre dix et douze mois, les enfants se sourient entre eux et vocalisent l’un envers l’autre. Par l’imitation ils présentent et échangent leurs objets (NADEL, 2016, p. 184). Et enfin, autour de trois ans, Nadel mettra en avant le caractère immédiat et quasi synchrone de l’imitation entre pairs. Cela permettra d’élaborer une limite entre soi et autrui, ses actions et celles des autres ainsi que les ressentis de chacun. Au fil de son développement l’enfant ajoutera à ses imitations une teinture émotionnelle, ce qui sera favorisé par les interactions et attaches affectives.
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Table des matières
Introduction
I. Le sourire, un moyen d’expression corporelle
A. Qu’est-ce que le sourire ?
a. Signification littéraire et description anatomique
b. Vision historique du sourire
c. Le développement neurologique
B. Du sourire miroir au sourire social
a. L’imitation et la synchronie
b. L’attachement
c. Le sourire comme organisateur psychique
C. Le sourire dans la vie de tous les jours
a. Les mécanismes mettant en jeu le sourire à l’âge adulte
b. Communication non-verbale
c. Le sourire comme témoin de l’état émotionnel : authentique ou non ?
D. Les émotions, si présentes dans la vie d’un individu
a. Les émotions, le berger de l’Homme
b. La mise en place des émotions chez le petit d’homme
c. Les bases neurologiques des émotions
II. Il était une rencontre
A. Les protagonistes
a. Bernard, l’homme aux « différents sourires »
b. Le cheval, un être émotionnel dépourvu de jugement
B. Le cadre de cette rencontre
a. Où cette rencontre tient-elle lieu ?
1. Tout commence au sein d’un club hippique
2. Espaces fermés
3. Espaces ouverts
b. Quand cela se déroule t-il?
1. Durée de la prise en soin
2. Différents temps de la séance
c. Les thérapeutes, également garants du cadre
C. Les moteurs de cette rencontre
a. L’origine de la demande
b. Observations psychomotrices de Bernard
1. Intégration spatio- temporelle
Espace
Temps
2. Motricité générale
Mobilité segmentaire
Motricité globale
Dissociations – coordinations
3. Compétences cognitives
Planification et exécution du geste
Anticipation
Mémorisation et attention
4. Représentations corporelles
Investissement sensoriel
Schéma corporel
Image du corps
5. Tonus
Répartition tonique
Axe corporel
Respiration
6. Communication et capacités relationnelles
Rapport aux émotions
Expressivité émotionnelle et corporelle
Comportement
Verbalisation
b. Pourquoi raconter cette rencontre ?
III. Réflexion autour du sourire en psychomotricité
A. Une approche émotionnelle du sourire
b. Le sourire témoin de joie, un apport psychomoteur
c. Le sourire témoin d’euphorie, son influence neurologique
B. Paradoxe du sourire et des émotions, mise en doute de leur sincérité
a. Sourire pour masquer une souffrance physique
1.Un sourire signe d’anxiété
2.« Elle est comme elle est », une identification des émotions complexe
3.Le sourire, un masque qui pose question
b. Sourire pour masquer une souffrance psychique
C. Le sourire, image de soi, pour interagir
a. Deux façons d’habiter le sourire social, Paul et Bernard
b. En tant que future psychomotricienne
Conclusion
Bibliographie
Annexe 1
Annexe 2