Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Historique des soins palliatifs
Cicely Saunders, médecin anglais, a joué un rôle précurseur sur la conception et le développement des soins palliatifs en Europe. Elle a fondé en 1967 le Saint-Christopher Hospice qui de nos jours, reste un lieu de référence dans ce domaine.
En 1974, Balfour Mount, chirurgien canadien, introduit pour la première fois la notion de « soins palliatifs » venant substituer le terme « hospice » jugé trop péjoratif. L’année 1974 est également marquée par la création de la première unité de soins palliatifs à Montréal au Royal Victoria Hospital.
Les années quatre-vingts, en France, sont un véritable tournant dans le développement des soins palliatifs. La société française manifeste son intérêt pour l’accompagnement des malades en fin de vie, surtout quand sont révélées les pratiques régulières d’euthanasie dans un article de la revue « Etudes » rédigé en 1984 par Patrick Verspieren, rédacteur dans cette revue. Le ministère de la santé entame alors une réflexion sur la prise en charge des malades en fin de vie et en particulier sur le soulagement de la douleur. C’est ainsi que le CCNE est créé. Des associations voient également le jour comme « Jusqu’à la mort, accompagner la vie » (JALMALV) en 1983 ou encore l’Union nationale des associations pour l’accompagnement et le développement des soins palliatifs (UNASP) en 1984.
La circulaire « Laroque » du 26 août 1986 « relative à l’organisation des soins et à l’accompagnement des malades en phase terminale » est publiée après un an de travail, menée par Geneviève Laroque, inspectrice générale des affaires sociales.
Elle détaille sept points principaux à développer : la nécessité d’une formation et d’une sensibilisation de tous les acteurs de santé, l’adaptation de l’environnement psychologique, le besoin d’une collaboration entre les équipes, la volonté que tous les patients en fin de vie soient concernés, la possibilité de redéfinir le soin en incluant le prendre soin, l’accompagnement et la nécessité de s’investir en fournissant tous les outils possibles pour ce projet. La première unité de soins palliatifs française est alors ouverte à Paris par le docteur Maurice Abiven, à l’hôpital international de la Cité Universitaire.
Le cadre législatif
Au fur et à mesure des avancées scientifiques, la législation française a cherché, afin de limiter les risques de dérives potentielles, à structurer ces nouvelles découvertes ainsi que leurs champs d’application en médecine. Dans le domaine du début et de la fin de vie, elle a essayé d’apporter progressivement des réponses aux attentes des équipes soignantes, des patients et de leur famille.
La loi du 31 juillet 1991 et la loi du 9 juin 1999
Le 31 juillet 1991, pour la première fois en France, les soins palliatifs sont mentionnés dans un texte législatif qui les introduit dans les missions du service public hospitalier. [9]
En 1999, le Parlement vote à l’unanimité la première loi « visant à garantir le droit d’accès aux soins palliatifs : « toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement ». Elle y définit la nature et les objectifs des soins palliatifs ainsi que les personnes habilitées à intervenir, personnels soignants et bénévoles. [10]
La loi du 4 mars 2002
La loi du 4 mars 2002 appelée également « loi Kouchner » relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins marque une évolution dans la relation médecin-patient.
Désormais, le patient est au centre de cette relation, il prend les décisions concernant sa santé : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé » [11]. (Annexe I) Elle précise également que tout patient a des droits.
Le médecin est tenu de délivrer à son patient les informations claires, loyales, appropriées concernant sa maladie, d’une transparence dans les décisions et d’obtenir son consentement avant la réalisation de tous gestes sur sa personne : « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé […] Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment » [11]. [12]
Cette loi sera consolidée par une circulaire d’application en 2002 rappelant qu’« il est nécessaire d’asseoir et de développer les soins palliatifs, dans tous les services de soins » [13].
La loi du 22 avril 2005
Faisant suite à l’affaire Vincent Humbert, cette loi dite « loi Léonetti » « relative aux droits des malades et à la fin de vie » marque un tournant essentiel. Elle maintient l’interdiction fondamentale de l’euthanasie en incitant fortement sur l’application de soins palliatifs, qui ne sont pas une alternative à l’euthanasie puisque leurs buts ne sont pas d’abréger la vie mais d’accompagner et de soulager la douleur et les symptômes d’inconfort. [14, 15]
Pour la première fois, cette loi condamne l’obstination déraisonnable : « ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris » [16]. C’est le principe du double refus : refus de l’euthanasie et refus de l’acharnement thérapeutique. Cette loi donne le droit au patient de refuser tout traitement, met en avant la notion de transparence dans les décisions le concernant et l’importance d’une collégialité. Tout ce qui concerne le patient doit être retranscrit dans le dossier médical. (Annexe II)
De plus, elle reconnait la notion de « double effet » d’un traitement antalgique, c’est-à dire qu’un même médicament peut provoquer une sédation et une accélération de la survenue du décès : « si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable[…]qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, la personne de confiance, la famille ou, à défaut, un des proches » [17].
Principes éthiques
La dimension éthique est un élément fondamental dans la démarche palliative. Les questions d’ordre éthique sont inévitables en médecine et se posent dans de multiples situations comme celle de la fin de vie.
La temporalité est essentielle dans la mise en place des soins palliatifs. Comme l’a souligné Bernard Matray, enseignant d’éthique biomédicale au Centre Sèvres à Paris : « Accepter le temps du mourir comme un temps qui, marqué d’une particularité propre, n’en ai pas moins, lui aussi, une partie intégrante de l’histoire de la personne ; il est nécessaire, d’autre part, de tenter, durant ce temps, de faire société avec les grands malades et leurs familles » [18]. Respecter ce temps comme un temps à vivre n’est pas une chose facile pour les équipes confrontées à la fin de vie d’un patient. En effet, ce malade nous renvoie à notre propre mort.
Accompagner une personne en fin de vie consiste à accepter d’entrer en relation avec le patient c’est-à-dire de le replacer au centre de la relation par l’équipe soignante. L’échange et la discussion sont des éléments indispensables. Les soins palliatifs nécessitent aussi un travail multidisciplinaire permettant une prise en charge optimale du patient car « Nul ne peut se prétendre à l’omnipotence en matière médicale, sociale, psychologique, spirituelle » [19]. Concernant la prise en charge de la douleur, la démarche palliative s’appuie sur les principes de bienfaisance et de non-malfaisance. Ils précisent qu’« il s’agit de tout faire pour soulager, sans entraîner de désagrément et ne pas nuire » [20].
L’OMS et l’Association Européenne pour les Soins Palliatifs (AESP) se sont penchées sur les questions éthiques que soulèvent les décisions engageant la responsabilité du médecin. Elles ont dégagé de ces réflexions pluridisciplinaires trois principes : le principe d’autonomie où le patient est considéré comme « libre et responsable des décisions qui le concerne, et en particulier celle d’accepter ou de refuser le traitement qui lui est proposé » [21] qui rejoint les éléments de la loi du 4 mars 2002 ; le principe de proportion : « une thérapeutique n’est justifiée que si sa mise en route et ses effets sont « proportionnés » aux bénéfices et inconvénients qu’en tirera le patient » [21] et le principe de futilité : « une thérapeutique est sans objet quand elle n’apporte aucun bénéfice au patient ; il est alors tout aussi justifié de l’arrêter qu’il l’aurait été de ne pas l’entreprendre, si l’état du patient avait d’emblée été ce qu’il est devenu » [21]. Ces deux derniers principes rejoignent les thèmes abordés par la loi du 22 avril 2005.
Les soins palliatifs chez le nouveau né
Les associations soins palliatifs et personnes âgées ou malade incurable adulte ou enfant, ont rapidement été admises par la communauté soignante. Par contre, le rapprochement des termes « soins palliatifs » et « nouveau-né » a été moins évident [22].
Emergence des soins palliatifs néonataux
Evolution de la réanimation néonatale
Avec les progrès de la réanimation néonatale de nouveaux dilemmes éthiques sont apparus : Faut-il prendre en charge tous ces nouveau-nés extrêmement prématurés à haut risque de séquelles? La réponse du CCNE a été celle du principe de réanimation d’attente. Cette réanimation consiste, en l’absence de certitude sur le pronostic ultérieur de l’enfant, à réanimer de façon active ces nouveau-nés, se donner le temps d’évaluation nécessaire pour poser un pronostic et ensuite proposer une prise en charge proportionnée au devenir de l’enfant. De ce fait, les pratiques de limitation de soins et parfois d’arrêt de vie se sont multipliées secondairement. Bien qu’illégaux, le CCNE considère que ces arrêts de vie thérapeutiques peuvent avoir une légitimité éthique.
Les premières recommandations professionnelles françaises dans les décisions de fin de vie en néonatologie ont été publiées en 2001 par la Commission nationale d’Ethique créée par la Fédération Nationale des Pédiatres Néonatologistes (FNPN) : respecter son statut de patient à part entière pour l’enfant ou le nouveau-né, son meilleur intérêt… [24]. Ces recommandations portaient davantage sur les procédures de prise de décision, sur leur mise en œuvre, sur l’importance de l’information donnée aux parents et la responsabilité médicale. [24]
Evolution de l’échographie
Parallèlement, les avancées échographiques ont conduit à une « humanisation » du fœtus. En effet, la mère porte un enfant et non pas un fœtus dont elle perçoit les mouvements et imaginent le visage à travers les images échographiques. Ces images constitueront les premières photos de l’album de famille. Même si pour la mère, elle porte un enfant, juridiquement il s’agit toujours d’un fœtus. [25]
Par ailleurs l’évolution de l’échographie et l’apparition de nouvelles techniques (l’amniocentèse, l’échographie en 3D puis 4D, l’IRM fœtale) sont des outils qui ont permis de détecter in utero des malformations de plus en plus tôt au cours de la grossesse. [26]
Ces découvertes peuvent, dans certains cas, conduire les parents à demander une interruption médicale de grossesse (IMG). En France, l’IMG est autorisée par la loi du 17 janvier 1975 dite « loi Veil », lors de pathologies létales diagnostiquées in utero et peut se faire à tout moment pendant la grossesse. Comme le précise le Code de la Santé publique : « L’interruption volontaire d’une grossesse peut, à toute époque, être pratiquée si deux médecins membres d’une équipe pluridisciplinaire attestent […], soit que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, soit qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic » [27].
Certains parents, dans ce contexte de diagnostic prénatal (DPN) de malformation incurable d’une particulière gravité, ne souhaitent pas réaliser d’IMG, pour diverses raisons (religieuse, philosophique…). Certains souhaitent connaître leur enfant à la naissance et l’accompagner dans sa vie, si courte soit elle. Les soins palliatifs en période néonatale concernent alors ces enfants aussi. [28]
Développement des soins palliatifs en période néonatale
Il a fallu attendre les lois du 4 mars 2002 et du 22 avril 2005, pour créer une véritable ouverture sur les soins palliatifs en période néonatale. En effet, elles évoquent la situation du sujet incapable d’exprimer sa volonté ce qui est le cas du nouveau-né. Chez l’enfant incapable d’exprimer sa volonté, ce sont les titulaires de l’autorité parentale qui exercent ses droits.
Sur le plan légal, seul l’avis des parents est demandé pour l’abstention, l’arrêt ou la limitation de certains actes thérapeutiques comme le stipule le Code de la Santé publique : « le médecin recueille en outre l’avis des titulaires de l’autorité parentale » [29]. Par contre leur consentement est requis pour tout autre acte médical sauf urgence ou impossibilité. [30, 31]
Le CCNE a la volonté de plus en plus marquée d’impliquer les parents dans les discussions relatives à la prise en charge de leur enfant : « Respecter la dignité du nouveau-né implique de respecter son entourage…
L’implication des parents est donc essentielle. C’est en effet non seulement les respecter eux-mêmes, mais encore respecter l’enfant, l’enfant dans sa famille, et sa famille, et préparer ou préserver au mieux l’avenir » [32].
Ainsi, a été créé en 2005, le Groupe de Réflexion sur les aspects Ethiques de la Périnatalogie qui comprend la société française de néonatologie, la société française de médecine périnatale, le collège national des gynécologues-obstétriciens français ainsi que des psychologues, des philosophes et des juristes. Ce groupe, a livré ses réflexions sous l’influence de la loi du 22 avril 2005, essentiellement sur l’information aux parents en médecine périnatale, les fins de vie en néonatologie, les conduites aux limites de la viabilité, les conditions et statuts respectifs du fœtus et du nouveau-né ainsi que les soins palliatifs en néonatologie. [33]
Spécificités des soins palliatifs chez le nouveau-né
En droit français, avant la naissance, le fœtus n’est titulaire d’aucun droit. Il fait partie du corps de sa mère et n’est donc pas considéré comme une personne. La mère peut décider d’une IMG en cas de pathologie fœtale létale à tout moment au cours de la grossesse. Après la naissance, le nouveau né est, dès les premières secondes de vie, un sujet titulaire de droits. A partir du moment où l’enfant est né vivant et viable, c’est-à-dire selon l’OMS avec un terme supérieur ou égal à 22 semaine d’aménorrhée (SA) et/ou un poids d’au moins 500g, son acte de naissance lui confère une personnalité juridique.
Le fait que le patient soit mineur, nécessite la mise en route d’une procédure collégiale. Il est alors nécessaire qu’il y ait une concertation de l’équipe médicale et l’intervention d’un autre médecin appelé en tant que consultant qui doit émettre un avis sur la décision d’arrêter ou non certains traitements. Cette limitation étant susceptible d’abréger la vie du patient : « Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitements susceptibles de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale » [37]. Tout geste euthanasique reste strictement interdit sur sa personne, de même que sur n’importe quel être humain.
Imaginer la mort d’un enfant au tout début de sa vie n’est pas facile aussi bien pour la famille que pour les soignants. Comme chez l’adulte, la mise en place de soins palliatifs chez le nouveau-né n’engendre pas nécessairement un décès rapide. Ceci est particulièrement vrai, pour les enfants atteints de pathologies létales d’une particulière gravité, qui peuvent conduire au décès avec une durée de vie tout à fait incertaine. Dans le cas particulier des ces enfants, cela peut s’avérer très déstabilisant pour les parents, la famille et les soignants car le délai de survenue du décès est incertain et peut être très variable en fonction des enfants pour une même pathologie. Le rôle des parents est donc primordial dans cet accompagnement qui peut durer quelques minutes, quelques heures mais parfois des jours et même des mois. Le rôle des soignants est également crucial dans la préparation des parents à cette incertitude de délai. Il est important de préciser le fait que les soins palliatifs se refusent à provoquer délibérément la mort et qu’ils ne font que respecter le processus naturel du décès.
En fonction de la situation clinique, la durée des soins palliatifs peut être plus ou moins estimée. Ce temps de vie étant imprévisible, lorsqu’il se prolonge, les impacts psychologiques peuvent être très importants aussi bien chez les parents que chez les soignants. Ceci peut conduire à un changement de position de la part des parents qui peuvent être amenés à demander secondairement une prise en charge curative pour leur enfant. C’est pourquoi l’existence d’équipes mobiles de soins palliatifs, d’équipes ressources régionales de soins palliatifs pédiatriques (ERRSSP) ou encore d’associations, sont indispensables pour soutenir les équipes et les familles à affronter ces situations.
Soins palliatifs en salle de naissance
Pendant de nombreuses années, il a existé un véritable déni collectif autour des morts néonatales dans les maternités. Par la suite, les équipes soignantes ont tenté d’apprivoiser la mort avec la mise en place de l’accompagnement du deuil périnatal.
Les soins palliatifs se sont développés dans les unités de réanimation tout d’abord, puis l’idée de leur mise en place dès la salle de naissance a émergé. Leurs pratiques en maternité est récente et très hétérogène en France
Parallèlement, les progrès de la néonatalogie ont permis une réanimation de plus en plus précocement chez les prématurés. [38]
Elle nécessite une formation des équipes et une volonté de mettre en place de tels soins. Ouvrir la possibilité aux parents de pouvoir dire adieu à leur enfant est primordiale car « la valeur d’une vie ne dépend pas de sa durée » [39].
Les nouveau-nés concernés
La loi Leonetti a permis de mettre en évidence quatre situations en période néonatale où une obstination déraisonnable pouvait être identifiée : les situations issues du DPN, les situations des prématurés à la limite de la viabilité, les limitations des thérapeutiques actives en réanimation, et les situations inopinées en salle de naissance. Trois étapes leurs sont communes : identifier une obstination déraisonnable, décider d’un renoncement thérapeutique et enfin mettre en place les soins palliatifs eux-mêmes. Les situations issues de la réanimation néonatales ne sont pas traitées dans cette partie car hors du contexte du sujet de ce travail.
Les situations issues du diagnostic anténatal
Depuis quelques années, une nouvelle demande de la part des couples est apparue : certains parents souhaitent poursuivre la grossesse malgré le DPN de malformations incurables, mettre au monde leur enfant et l’accompagner jusqu’à son décès.
Ces demandes parentales sont venues bouleverser les pratiques habituelles des soignants, pour lesquels l’IMG semblait être la seule alternative à la découverte d’une malformation incurable en période anténatale. Les motivations des parents sont diverses : convictions religieuses refusant l’IMG, doute sur le diagnostic, souhait de connaître cet enfant et de l’inscrire dans l’histoire familiale, etc… Ce souhait nécessite une prise en charge multidisciplinaire afin d’offrir aux parents une cohérence entre la prise en charge pré et postnatale [43]. Une rencontre avec un médecin spécialiste de la pathologie de l’enfant est alors nécessaire afin de s’assurer de la bonne compréhension de la maladie par les parents.
Mais toutes les malformations sévères découvertes en anténatale ne peuvent faire l’objet de soins palliatifs. Un bon nombre d’entre elles, sont associées à un pronostic défavorable mais ne sont pas pour autant létales. La trisomie 21 en est un exemple. Leuthner, pédiatre américain, a tenté d’établir une liste de malformations létales mais celle-ci est sujette à de nombreuses discussions [44]. (Annexe III)
Les examens prénataux présentent des limites qui peuvent rendre difficile l’élaboration d’un diagnostic et d’un pronostic absolument fiable. Par ailleurs, dans ces situations de DPN de malformations incurables, une mort in utero peut également survenir spontanément et les parents qui ont un projet d’accompagnement de leur enfant à la naissance, doivent en être avertis.
Cette démarche palliative est débutée dès l’annonce du diagnostic et l’évaluation du pronostic. Elle se construit et se poursuit tout au long de la grossesse jusqu’à l’accouchement, et se prolonge la plupart du temps au-delà, en accompagnant les parents jusqu’au décès de l’enfant puis dans leur deuil. Comme le souligne Isabelle de Mezerac, présidente de l’association Soins Palliatifs et Accompagnement en Maternité plus connu sous le nom de SPAMA : « La particularité de cette démarche est d’agir en deux temps : le temps de l’accompagnement de la future mère pendant la grossesse, puis celui de son enfant à la naissance » [45]. Même si ces demandes sont encore rares, elles doivent être entendues.
Proposition de prise en charge palliative
Après l’annonce du diagnostic de malformations sévères et incurables, toutes les alternatives possibles doivent être expliquées aux parents : l’IMG, la poursuite de la grossesse avec une prise en charge active selon la pathologie ou les soins palliatifs, sans tenter d’influencer les futurs parents. Il faut se garder de penser à leur place et leur laisser un temps de réflexion pour qu’ils puissent prendre leurs propres décisions : « Ce temps, nous en avons eu besoin pour nous préparer à laisser partir, laisser mourir notre bébé » [46].
Après réflexion, certains couples choisissent l’IMG et d’autres se questionnent sur la poursuite de la grossesse. Les termes « refus d’IMG » marquent bien la difficulté, pour certains professionnels de santé, de comprendre la démarche des parents [45]. Certains soignants pensent « qu’il est inutile de prolonger l’attente d’une mort inéluctable » [47], d’autres ont tendance à croire que les parents n’ont pas compris la gravité de la pathologie ou doutent du diagnostic posé.
Deuil de l’enfant imaginaire et réinvestissement de la grossesse
Face à la découverte des anomalies chez le nouveau-né, les parents doivent faire le deuil de l’enfant idéal qu’ils avaient imaginé. Lorsque les parents décident de poursuivre la grossesse, le couple présente un véritable déni avec parfois un rejet du handicap sans refus de l’enfant. L’image de l’enfant se trouve alors détruite par l’idée d’un être déformé par la pathologie.
Il est donc très important de soutenir la mère afin qu’elle puisse réinvestir sa grossesse comme en témoignent certains parents : « Je me suis aperçue que finalement cette grossesse n’était pas un chemin de souffrance, mais un chemin de vie, de bonheur au jour le jour, je me disais « jusque-là tout va bien ». J’ai réalisé que je n’avais aucun pouvoir sur la mort, mais que sur la vie j’en avais un : pouvoir en profiter jusqu’au bout, tant qu’elle était là. C’était tellement bon de sentir mon bébé bouger dans mon ventre, je ne voyais plus de raison de hâter la mort, de toute façon j’aurai toute une vie à vivre après sans mon bébé […] J’ai réinvesti ma grossesse avec une intensité merveilleuse, en profitant de chaque moment ». [48]
L’échographie y participe fortement en restaurant une image positive de l’enfant. Permettre aux parents de voir les mouvements, la croissance, ainsi que de réaliser des photos symboliques comme une main, un pied ou encore une photo de profil, permettent à ce nouveau-né de ne pas être réduit à sa pathologie et de le replacer dans le cadre familial. Tous ces éléments contribuent à rétablir l’image de leur enfant avec une vision plus humaine. [49]
Ces parents ont besoin, autant voire plus que les autres, d’un suivi « normal » de la grossesse : les temps d’échographie, les entretiens prénataux avec les sages-femmes, les cours de préparation à la naissance, pour certains, adaptés et individuels sont utiles. Ils ont besoin de tout ce qui fait une grossesse dans l’imaginaire collectif. [49]
Le suivi de la grossesse
Le suivi mensuel habituel de toue femme enceinte doit être poursuivi. En effet, la mère ne doit courir aucun risque pour sa santé. Certaines pathologies, comme l’hypoplasie majeure du ventricule gauche, n’entrainent aucune complication sur la grossesse. L’atrésie de l’œsophage retrouvée dans le cadre d’une trisomie 18, par exemple, peut engendrer un hydramnios sévère nécessitant des ponctions de liquide amniotique répétées.
Il apparaît alors nécessaire, en fonction de la pathologie, d’avoir une discussion préalable avec le couple avant la survenue des éventuelles complications maternelles. Certains actes, comme la surveillance mensuelle de la sérologie de la toxoplasmose, peuvent être discutés.
Une surveillance échographique rapprochée est mise en place principalement pour éviter le risque de complications maternelles, affiner le diagnostic et envisager la prise en charge à la naissance. Des entretiens pluridisciplinaires sont mis en place permettant le meilleur accompagnement possible pour les parents. Une visite guidée du lieu de naissance peut également être organisée. [47]
L’accompagnement psychologique
Lors de l’annonce du diagnostic de malformations létales, les parents se trouvent dans un stade de sidérations incapables d’exprimer leurs émotions. L’accompagnement psychologique est indispensable dans une prise en charge palliative car il permet d’autoriser « le bonheur d’être enceinte tout en engendrant le tragique de la mort qui viendra clore cette expérience unique » [49]. Le psychologue peut être un véritable repère pour les couples lorsqu’il est présent à chaque stade de réflexion. Sa disponibilité, son écoute sont autant d’éléments qui permettent aux couples de laisser libre cours à leurs émotions, leurs craintes, leurs douleurs [51].
Durant cette démarche, les parents sont souvent submergés par des sentiments différents entre dévalorisation, perte de repères, honte ou encore culpabilité. Au cours de leur cheminement, ils font souvent des « allers-retours » [51]. Au fur et à mesure des consultations, ils arrivent à se projeter dans l’avenir et à exprimer leurs souhaits. Petit à petit, un projet peut s’élaborer avec eux. [51]
Le projet de naissance
Le projet de naissance se construit tout au long de la grossesse par un dialogue entre l’équipe médicale et les parents. Il permet aux parents de retrouver une certaine autonomie dans le processus de parentalité. Cependant, les médecins ne peuvent accepter toutes les requêtes des parents lorsque ceux-ci identifient une obstination déraisonnable.
Ce projet est centré sur les intérêts de l’enfant et non sur ceux des parents [52]. Dès l’élaboration de ce projet de naissance, il est important d’expliquer aux parents qu’il ne s’agit pas d’un pacte conclu avec l’équipe soignante. Ce projet est modifiable à tout moment et adaptable en fonction de l’état clinique de l’enfant à la naissance.
Par exemple, la survenue d’un accouchement prématuré, d’une rupture prématurée des membranes ou encore la découverte de malformations non diagnostiquées in utero modifient potentiellement la prise en charge à la naissance. [53]
La surveillance du travail, l’enregistrement du rythme cardiaque fœtal (ERCF) et la voie d’accouchement sont discutés en amont de la naissance. Il en est de même pour la prise en charge à la naissance de l’enfant, le peau à peau, les gasps, l’alimentation, l’administration d’antalgique, le carnet de santé, les rites religieux, la possibilité d’une survie prolongée, le devenir du corps, les obsèques. [51]
Mais accueillir cet enfant n’est pas une démarche simple pour les équipes de maternité et chaque maternité doit décider selon la situation clinique et les conditions locales du meilleur lieu d’accueil pour cet enfant lorsqu’il survit au-delà des deux heures de surveillance en salle de naissance (suites de naissances, unité kangourou, chambre mère-enfant ou encore en réanimation néonatale). Là encore c’est l’anticipation et le travail en équipe multidisciplinaire qui permettront de construire et réaliser le projet de naissance de ces futurs parents. [53]
Les situations inopinées en salle de naissance
Ces situations inopinées se rencontrent essentiellement avec la naissance d’un enfant porteur de malformations non diagnostiquées, les avortements tardifs spontanés aboutissant à des naissances vivantes et surtout avec les enfants nés vivants entre 22 et 26 SA. Seules les naissances vivantes à la limite de la viabilité seront traitées car les autres sont hors du contexte de ce travail. [36, 47]
En 1970, l’OMS a fixé la limite de viabilité à 22 SA et/ou un poids de naissance de 500g [54]. Les progrès techniques de la réanimation néonatale, permettent de rediscuter régulièrement du seuil de viabilité et de la pertinence de la prise en charge aux limites de la viabilité.
Actuellement en France, pour parler de cette période aux limites de la viabilité, on parle de « zone grise ». Elle s’étend de 24 SA + 0 jour à 25 SA + 6 jours. Pour les naissances survenant dans cette zone et malgré la réanimation des nouveau-nés, le pronostic ultérieur est encore très difficile à établir, de façon précoce. Par contre, au-delà de 26 SA, il est recommandé actuellement en France de tout mettre en œuvre pour le sauver. Et inversement, avant 24 SA, une prise en charge active avec un objectif de survie de l’enfant, paraît déraisonnable et la mise en place de soins de confort est l’alternative recommandée par le groupe de réflexion sur les aspects éthiques de la périnatalogie. [55]
Aussi en France, pour ce qui est des naissances survenant en zone grise « le degré d’incertitude justifie d’accorder une particulière importance aux souhaits plus ou moins explicites des parents […]. La détermination du meilleur intérêt de l’enfant, et de la meilleure prise en charge, est à son degré d’incertitude maximum, et nul n’est en mesure de prévoir quelle décision s’avérera la moins mauvaise pour l’enfant » [56], selon le groupe de réflexion éthique en périnatalogie.
Ainsi le choix est laissé, dans cette zone grise, d’entreprendre une réanimation pour faire survivre cet enfant ou de mettre en place des soins palliatifs pour l’accompagner vers son décès. Ce choix est influencé par le positionnement parental et par les circonstances de la naissance. En plus du terme et du poids de l’enfant, il existe les critères nommés critères de Tyson qui permettent d’affiner le pronostic futur de l’enfant à naître. En effet, l’administration d’une corticothérapie préalable à la naissance, le sexe féminin, la grossesse singleton et l’état clinique de l’enfant à la naissance sont des facteurs de meilleur pronostic. Il s’agit d’une réflexion au cas par cas dont le but est de déterminer le meilleur intérêt de l’enfant. [57]
Selon les pays, les recommandations différent ce qui explique bien la complexité de ces situations. Aux Etats-Unis, par exemple, il est recommandé de ne pas réanimer en dessous de 23 SA et /ou 400 grammes [58]. Même si la prise en charge de ces nouveau-nés diffère fortement selon les pays, leur préoccupation principale est commune : soulager la douleur [59].
|
Table des matières
LISTE DES ABREVIATIONS
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GENERALITES
1. Les soins palliatifs
1.1 Définitions
1.2 Historique des soins palliatifs
1.3 Le cadre législatif
1.3.1 La loi du 31 juillet 1991 et la loi du 9 juin 1999
1.3.2 La loi du 4 mars 2002
1.3.3 La loi du 22 avril 2005
1.4 Principes éthiques
2. Les soins palliatifs chez le nouveau né
2.1 Emergence des soins palliatifs néonataux
2.1.1 Evolution de la réanimation néonatale
2.1.2 Evolution de l’échographie
2.1.3 Développement des soins palliatifs en période néonatale
2.2 Spécificités des soins palliatifs chez le nouveau-né
3. Soins palliatifs en salle de naissance
3.1 Les nouveau-nés concernés
3.1.1 Les situations issues du diagnostic anténatal
3.1.2 Les situations inopinées en salle de naissance
3.2 Le travail et l’accouchement
3.3 Prise en charge du nouveau-né à la naissance
3.3.1 Assurer le confort de l’enfant
3.3.2 Evaluation de la douleur
3.3.3 Prise en charge médicamenteuse
3.4 Déclaration à l’état civil, obsèques et devenir du corps
3.5 Le deuil périnatal
3.6 Place des équipes ressources régionales de soins palliatifs pédiatriques et des associations
DEUXIEME PARTIE : ETUDE PROSPECTIVE
1. Présentation de l’étude : objectifs et hypothèses
1.1 Objectifs de l’étude
1.2 Hypothèses
2. Méthodologie et mise en place du questionnaire
2.1 Critères d’inclusion
2.2 Critères d’exclusion
2.3 Statistiques
3. Résultats
3.1 Taux de réponse
3.2 Caractéristiques des populations
3.3 Confrontation à un enfant en fin de vie au CHU de Caen
3.3.1 Selon la population de l’étude
3.3.2 Selon les différentes professions
3.4 Situations les plus fréquemment rencontrées au CHU de Caen
3.5 Gestes effectués sur les enfants en fin de vie au CHU de Caen
3.6 Le soignant était-il seul ou accompagné lors de la prise en charge d’un nouveau-né en fin de vie au CHU de Caen
3.7 Discussion avec les parents et informations au CHU de Caen
3.8 Difficultés rencontrées lors de l’accompagnement d’un enfant en fin de vie et ressources utilisées par les professionnels concernés
3.9 Définitions des soins palliatifs par les professionnels de l’étude
3.10 Connaissance des soins palliatifs par la population de l’étude
3.11 Volonté de développer les soins palliatifs au CHU de Caen
3.11.1 Dans la population de l’étude
3.11.2 Selon les différentes professions
3.12 Raisons du développement des soins palliatifs par la population de l’étude
3.13 Besoin de formations ou d’informations sur les soins palliatifs
3.13.1 Selon la population de l’étude
3.13.2 Selon les différentes professions
3.14 Création de documents applicables au CHU de Caen et participation à leurs élaborations
TROISIEME PARTIE : DISCUSSION ET PROPOSITION
1. Résultats principaux
1.1 Objectif principal
1.2 Objectifs secondaires
2. Atouts de l’étude
3. Limites de l’étude
4. Discussion
4.1 Confrontation à un enfant en fin de vie
4.2 Situations les plus fréquemment rencontrées par les professionnels
4.3 Gestes effectués sur les enfants en fin de vie et prise en charge
4.4 Le soignant était-il seul ou accompagné lors de la prise en charge d’un enfant en fin de vie ?
4.5 Discussion avec les parents
4.6 Difficultés rencontrées lors de l’accompagnement d’un enfant en fin de vie et ressources utilisées par les professionnels de l’étude
4.7 Définitions des soins palliatifs par les professionnels de l’étude
4.8 Connaissance des soins palliatifs par la population de l’étude
4.9 Volonté de développer les soins palliatifs au CHU de Caen
4.10 Raisons du développement de ces soins palliatifs
4.11 Besoins de formations ou d’informations sur les soins palliatifs
4.12 Création de documents applicables au CHU de Caen et participation à leurs élaborations
5. Propositions
5.1 Prise en charge des enfants en soins palliatifs
5.1.1 Avant la naissance
5.1.2 Après la naissance
5.1.3 Après le décès
5.2 Mise en place d’un groupe de travail
5.3 Création de documents applicables au CHU de Caen
5.4 Les débriefings
5.5 Les formations
5.6 Les équipes ressources régionales de soins palliatifs pédiatriques
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Télécharger le rapport complet