Du marxisme au socialisme africain
Au lendemain de la révolution industrielle, une nouvelle classe a vu le jour dans les pays européens. C’est la classe bourgeoise, composée des capitalistes. Ces derniers sont les détenteurs des fabriques et l’ensemble des moyens de productions dans tous les pays touché par la révolution industrielle. Ce qui a conduit à une inégalité car la majeure partie de la population est obligée de travailler en tant que simple ouvrier. D’où le début de l’inégalité sociale qui a entrainé la formation de deux classes opposés : les bourgeois et les prolétaires. C’est donc pour remédier à cette situation que des mouvements sont créés. Ils sont dirigés par des gens qui ont choisi d’être la voie du peuple. Parmi ceux-ci Karl Marx. Parmi les grands personnages historiques, une place d’honneur revient à Karl Marx. Philosophe allemand née en 1818, Marx est le théoricien du matérialisme dialectique et du matérialisme historique. Sa grandeur est due particulièrement à son engagement au sein du mouvement ouvrier et sa lutte acharnée contre le système capitaliste. Ils sont, avec son ami et fidèle compagnon d’idées, Friedrich Engels, des guides pour la classe ouvrière. Sa pensée et ses écrits tournent autour de la philosophie allemande, du socialisme français et de l’économie anglaise. Il va fonder le socialisme scientifique, en s’inspirant de la dialectique de Hegel et du matérialisme de Feuerbach. Mais Marx s’attaque à l’idéalisme de ses prédécesseurs notamment Hegel et Feuerbach. Dans la mesure où il a le souci de résoudre le problème de la philosophie à partir de l’action qui prétend changer les choses par la spéculation pratique. En ce qui concerne Hegel il s’attaque à lui à partir de sa philosophie du droit. Pour Marx il s’agit de mettre sur les pieds un système qui marche sur la tête. Car avec Hegel, on assiste à une primauté de la raison sur le monde. Il écrit à ce propos dans son livre La raison dans l‟histoire : « la raison gouverne le monde ». C’est-à-dire, la transformation du monde passe par les idées. Mais pour Marx, le monde, et cela à travers l’évolution de l’histoire, s’explique et se définit par les conditions matérielles. Ainsi pour critiquer Hegel, Marx rejette son fondement idéaliste. Cette critique demeure aussi pour Feuerbach. En effet, de même que Hegel, Marx considère la pensée feuerbachienne comme étant une pensée purement idéaliste. Cette pensée, selon Marx est fondée non pas sur la matière, mais sur des idées abstraite. C’est dans ce sens que Marx montre les bases de son matérialisme. Ce dernier se sépare chez Marx en matérialisme dialectique et matérialisme historique. Avec lui donc, on assiste à un changement de paradigme. Ce dernier consiste désormais à ne plus se fonder sur l’idée pour justifier les conditions matérielles, mais à se fonder sur les conditions matérielles pour expliquer les idées. De ce fait, le nouveau paradigme qui s’impose selon Marx, est de ne plus interpréter le monde, mais de le transformer. Autrement dit, il s’agit de ne plus se fonder sur des idées abstraites pour expliquer les choses matérielles, mais le philosophe doit penser à l’amélioration du monde. Et cette amélioration doit se faire selon Marx sur les conditions matérielles du monde et par la classe ouvrière. Dès lors, le matérialisme historique de Marx envisage l’avènement de la société communiste comme une nécessité. Cette société est nécessaire parce qu’elle engage la mise en avant de la classe prolétarienne qui a la mission, selon Marx, de réaliser la révolution en vue de construire une société égalitaire, libre et juste. Dès lors, l’exploit scientifique accompli par Marx est sans égal dans l’histoire de la pensée sociale. Victor Kouziakov faisant les éloges de Marx dit à ce sujet : « Ayant découvert les lois de l‟évolution de la société, Marx fut le premier à indiquer aux travailleurs les voies réelles et les moyens de s‟affranchir du joug social, de créer des conditions de vie véritablement humaines en vue du bien-être et du libre développement de toutes les facultés physiques et intellectuelles des hommes. » Lénine poursuit en valorisant sa théorie qui est d’après lui, « toute puissante, parce qu‟elle est juste. Elle est harmonieuse et complète ; elle donne aux hommes une conception cohérente du monde, inconciliable avec toute superstition, avec toute réaction, avec toute défense de l‟oppression bourgeoise». Ainsi, ces propos nous montrent toute l’importance du socialisme de Marx. Son but a été de critiquer la société de son époque. Une société qui est régie par une inégalité qui soumet la majorité à l’esclavage. Dans ce sens, il est devenu une nécessité voire même une obligation de refonder la société sur des basses beaucoup plus juste sur le plan moral mais aussi sur le plan économique. Une société où règnent l’harmonie, la solidarité, le partage, l’égalité et surtout, le respect mutuel des droits de chacun. C’est ainsi que dans l‟Idéologie Allemande Marx et Engels donnent une définition du communisme : « Le communisme n‟est pas pour nous un Etat qui doit être établi, ni un idéal d‟après lequel la réalité doit se comporter. Nous appelons communisme le mouvement réel qui supprime l‟état des choses actuelles. Les conditions de ce mouvement découlent de la présupposition actuellement existante ». Dès lors, il faut comprend que pour les théoriciens du socialisme scientifique le communisme loin d’être un « idéal » c’est-à-dire une doctrine qui se souci tant soit peu de la réalité des choses, est plutôt un système dont l’objectif est de régler les inégalités causées par un autre système déficient. Il est donc, un impératif concret qui est là pour assurer la libération des peuples de la domination bourgeoise. Et pour régler cette injustice sociale, il faut que la classe des ouvriers s’accapare des moyens de productions. C’est à cet instant qu’on assistera à l’avènement du socialisme. Il faut donc qu’en lieu et « place de l‟ancienne bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association ou le libre développement est la condition du libre développement de tous ». Entendant par « tous » tous les membres de la société sans exception et sans distinction de rang. Partant de ce fait, il est clair qu’au-delà de Marx, aucun penseur n’a suscité autant d’enthousiasme, et aucun révolutionnaire n’a éveillé autant d’espoir. Son projet a été la libération des prolétaires. Ainsi dans sa fameuse phrase « Prolétaires de tous les pays unissezvous ! » Marx fait appel aux prolétaires. Il leur incite à la mobilisation, dans le but de lutter contre l’expansion de la classe bourgeoise. Ce qui a abouti à la lutte des classes qui oppose bourgeois c’est-à-dire les détenteurs du pouvoir et prolétaires c’est-à-dire les ouvriers. Dans ce sens, pour Alexis Tocqueville, Marx a soulevé la plus terrible de toutes les guerres civiles, la guerre de classe à classe, de ceux qui n’ont rien, contre ceux qui ont. Dès lors, Marx pose la lutte des classes comme le principe directeur de l’histoire de l’humanité. Il dit à ce propos, « L‟histoire de toute société jusqu‟à nos jours n‟a été que l‟histoire de la lutte des classes ». Autrement dit, il la considère comme le moteur de l’histoire. En effet, Marx considère la société toute entière comme étant un regroupement de deux vastes camps qui s’opposent à beaucoup de niveau: le camp des bourgeois, théoriciens du capitalisme et celui des prolétaires ou les assujettis à ce système. Dès lors, ce que propose Marx dans son nouveau paradigme, c’est de procéder à cette lutte qui oppose bourgeois et prolétaires. Une lutte pour la révolution qui doit être dirigé par les prolétaires, dans le but de modifier les conditions sociales. Ce qui fait que toute l’analyse de Marx porte sur une conscientisation et une préparation de la classe ouvrière à la lutte pour renverser le système. Dans ce sens, son intérêt porte principalement sur le mode de production, l’exploitation salariale, les conditions du prolétaire, l’idéologie bourgeoise, la valeur du travail et l’aliénation faite aux ouvriers. En ce qui concerne le travail et l’aliénation, Marx les considère comme participant à la déshumanisation de l’ouvrier. En effet, Marx est parti des situations de vie anormales des ouvriers, pour définir l’aliénation. Il la considère en réalité comme une situation qui transforme le sujet travailleur qui s’appauvrit en rendant sa production puissante. Car l’ouvrier fait une objectivation de son être en réalisant le produit. De ce fait, il transpose ce qu’il possède, c’est-à-dire sa vie, dans l’objet qu’il a lui-même produit. De cette manière l’objet lui devient étranger, ce qui conduit à des conséquences telles que : la perte de la production, la dépossession et l’aliénation de l’ouvrier. Dans ce sens nous dit Marx : « Toutes ces conséquences découlent du fait que, par définition, l‟ouvrier se trouve devant le produit de son propre travail dans le même rapport qu‟à l‟égard d‟un objet étranger. S‟il en est ainsi, il est évident que, plus l‟ouvrier se dépense au travail, plus le monde étranger, objectif, qu‟il crée en face de lui devient puissant, plus il s‟appauvrit lui-même et plus son monde intérieur devient pauvre, moins il possède en propre ». Dès lors, l’aliénation de l’ouvrier, rajoute Marx, « signifie non seulement que son travail devient un objet, une réalité extérieur, mais que son travail existe en dehors de lui, indépendamment de lui, étranger à lui et devient une puissance autonome face à lui, que la vie qu‟il a prêtée à l‟objet s‟oppose à lui, hostile et étrangère ». Et ces conséquences sont, d’après Marx l’œuvre du système capitaliste. Ainsi, ces lignes expriment le désarroi de Marx face à ce système du capitalisme. Les tenants de ce système utilisent l’homme au profit de leurs propres intérêts et dans le but de leurs propres enrichissements. L’homme perd sa valeur et sa vie pour les attribuer à des produits qui profitent aux autres. À partir de là, apparaît dans le vocabulaire de Marx des termes comme capital, accumulation de gains, profit, plus valu… Tous ces termes et bien d’autres encore fondent la théorie de Marx et permettent d’expliquer les méthodes du système capitaliste. Ainsi, dans son projet de renverser ce système, il a établi sa propre doctrine. Ainsi, qu’elle soit nommé matérialisme, socialisme scientifique, communisme ou encore, après même la mort de Marx, marxisme, cette doctrine a eu le mérite de poser les moyens d’une révolution. Une révolution qui s’est fixé comme objectif la libération de l’homme et donc sa désaliénation. C’est dans ce sens que dans l’Encyclopoche Larousse, au sujet de Marx, il est noté les propos suivants : « Le projet révolutionnaire se fait toujours chez Marx à la lumière de la critique de l’existence prolétarienne. En cela, Marx dépasse les « Utopistes ». La désaliénation et l’aliénation suivant un seul et même chemin, l’objet du « projet communiste » n’est autre que la réalisation de « l’homme total » ». Réaliser l’homme a été donc le projet de Marx. Mais cette réalisation ne peut pas être partielle. Elle doit être totale, c’est-à-dire qu’il faut construire un homme entier, qui n’est pas utilisé pour l’enrichissement d’autres. Il est question d’après Marx d’éliminer les injustices et de créer un homme qui non seulement participer à l’épanouissement et la bonne marche de sa société, mais aussi il doit recevoir en retour des récompenses en fonction de l’effort qu’il a fourni. Et dans le système communiste, Marx y établit la possibilité de cette réalisation. Ainsi, toujours dans l’Encyclopoche Larousse, il est noté que Marx considère le communisme comme « la fin de la préhistoire humaine et le début de l’histoire consciente dominée par les hommes qui la font ». Le communisme, ses règles et ses valeurs, permettent donc de rendre l’homme conscient de sa situation pour ensuite après lui proposer des solutions pour en sortir. Tout se passe dès lors comme si le communisme est une nouvelle alternative d’humanisation. Il permet au peuple d’avoir une maîtrise sur les conflits opposants l’homme à la nature et aussi l’homme avec son semblable. Elle permet aussi, par la même occasion, la suppression de toutes formes d’aliénation. Dès lors, il est devenu « la solution véritable de tous les antagonismes ». Cela dit, même s’il a été critiqué par certains penseurs, surtout les partisans du socialisme utopique tels que Proudhon et Bakounine, le marxisme est devenu une modèle pour beaucoup de pays. Pour ces derniers en effet, Marx et son socialisme constitue une lanterne qui les éclaire sur leurs chemins. Autrement dit, il est considéré comme un moyen de se libérer de l’emprise du système capitaliste qui paralyse l’économie mondiale. C’est ainsi que des pays tels que la Russie, la Chine, L’URSS, et plus loin encore la plupart des pays du continent africain, ont adoptés le marxisme comme vecteur économique. Dans ce sens, on comprend les propos de David Riazanov : « Il n’est guère possible de trouver dans l’histoire du XIXème siècle un homme qui, par son activité, son œuvre scientifique, ait déterminé à un tel point la pensée et l’action d’une série de génération dans une série de pays. (…) sa pensée continue d’exercer son influence, de déterminer le développement intellectuel des pays les plus lointains ». Il s’agit donc par-là, de la possibilité d’actualiser la théorie de Marx en tout temps et lieu. Ce qui fait qu’elle est, en plus d’une théorie européenne du XIXème siècle et fait pour résoudre les difficultés de l’Europe, une théorie du monde entier dans la mesure où l’espace de son déploiement soit régit par des inégalités sociales. De ce fait, nous assistons avec Marx et le marxisme à un changement de paradigmes qui est nécessaire. Les notions de capitalisme, de domination sont vite remplacés par des termes tels que le communisme, le socialisme, la libération, l’égalité… Le marxisme est ainsi un modèle pour les peuples africains. Son mérite c’est d’avoir tracer un cheminement qui, s’il est suivi, peut servir à résoudre les problèmes de domination d’une minorité sur la masse majoritaire de toute société. D’où les propos de Lénine : « l‟essentiel dans la doctrine de Marx, c‟est qu‟elle a mis en lumière le rôle historique mondial du prolétaire comme bâtisseur de la société socialiste ». Ainsi dit donc, la société socialiste est à construire et cette construction doit être l’œuvre des prolétaires. Ou encore pour parler dans le cadre de l’universel, elle doit être le rôle de tout individu vivant dans une société où il est opprimé par absence d’égalité. Ce qui fait que le socialisme, même s’il a été théorisé en Europe, par un européen et pour les européens, peut aussi bien par sa méthode et sa technique servir de soubassement pour la lutte des peuples africains. En effet le contenu de la lutte est le même, ce qui a changé en plus du lieu (de l’Europe on passe à l’Afrique), c’est les termes utilisés pour nommer les faits. Là où on parle de système bourgeois capitaliste et de prolétaires, il est question ici de colonisateurs, de colonisés et de « capitalisme colonial » pour reprendre les mots d’Yves Person. Ce qui fait dire à ce dernier les propos suivants : « Etant une réplique au capitalisme, le socialisme est né dans le même domaine en Europe Occidentale et l‟a accompagné dans son expansion à travers le monde. C‟est donc dans le sillage du capitalisme colonial que le socialisme est apparu en Afrique ».
La déclaration d’Arusha comme théorie du développement
« Quelle que soit la position qu‟il occupe dans la cité, tout homme qui aime tant soit peu son pays s‟interroge sur le destin de celui-ci. Chacun essaye de se l‟imaginer et le souhaite le meilleur possible. D‟autres s‟attaquent à contribuer au progrès ». Autrement dit, tout homme qui se préoccupe tant soit peu du bon déroulement et de l’émergence de son pays, se préoccupe de son sort. De ce fait, il tente d’imaginer des méthodes qui lui permettent d’établir des conditions adéquates à la bonne marche de la société. Cette dernière a longtemps été l’objet d’étude et de réflexion de beaucoup de penseurs. Leur souci à tous a été la construction de la cité idéale. Par cité idéale, il faut entendre un espace qui est régit par des lois et des règles qui permettent l’épanouissement de l’homme. Cet espace communément appelé société doit pour le bien de tout un chacun promouvoir la justice sociale en éradiquant toutes injustices et toutes formes d’exploitation de l’homme par l’homme. C’est dans cette perspective de construire la société idéale, que des penseurs ont tenté, chacun d’une manière particulière de donner la définition de la société d’abords, avant d’établir la manière de la diriger. Chez Hobbes par exemple, la société ressemble à une cage dans laquelle ils y’a des loups qui peuvent s’entretuer à tous moments. Pour éviter cette bataille perpétuelle entre les hommes, il propose de mettre dans la cage en plus des loups un dompteur qui a pour rôle de faire régner l’ordre et d’assurer la sécurité à tous. Pour Rousseau elle est un mal nécessaire qui doit exister dans le but de faire régné l’ordre et aussi d’assurer la sécurité de tous. Ainsi présenté, la société serait donc un milieu hostile où les hommes, se sentant constamment en danger, préfèrent s’accorder autour d’un contrat qui garantit leurs protections. Pour Julius Nyerere la société se présente d’une toute autre manière. Pour lui en effet, « Ce que l‟Afrique tribale nous apprend c‟est que la société est une grande famille dont tous les membres se sentent liés d‟affection et de solidarité ; où le groupe se préoccupe du sort de chacun et chacun du sort de tout le groupe ; où l‟enfant peut grandir tranquille, entouré de l‟attention et de l‟affection générales, et le vieillard décliner sans angoisse, au milieu des soins et de la vénération de tous ». Définie ainsi, la société est donc pour le Mwalimu Nyerere un espace d’épanouissement où règne la confiance, la solidarité, le soutient morale et affectif et une interaction permanente entre ses membres. De ce fait, loin d’être un espace où « l‟homme est un loup pour l‟homme », elle est plutôt un environnement où « l‟homme est le remède de l‟homme ». En d’autres termes, un milieu où l’homme ne peut être pleinement réalisé qu’en étant en rapport avec les autres. Dès lors, il s’oppose à ceux qui présentent la société comme un environnement hostile, habité par l’individualisme et la méfiance entre les hommes. Ce qui fait dire à Jean Mfoulou, dans l’introduction à l’œuvre de Nyerere, Socialisme, Démocratie et Unité africaine, les propos suivants : « Face à ces régimes de terreur, de duplicité méfiante ou de haine où la société est un mal ou un pis-aller, Mwalimu Nyerere nous présente une communauté où les hommes sont frères, s‟aiment et collaborent au bien de tous et de chacun ». Ainsi élaborée, la société du leader tanzanien présente des caractéristiques qui sont semblables à ceux de la société primitive ou l’état de nature dont Rousseau fait les éloges dans son œuvre Le Contrat Social. Pour Rousseau en effet, avant l’établissement du contrat, les hommes vivait en harmonie dans la justice et l’égalité de tous. La nature à elle seule suffisait à tous car elle donnait à chacun se dont il avait besoins. Dès lors, il n’y avait pas de conflits puisque personne n’essayait d’avoir plus que ce que la nature lui procurait. Cet homme de nature nous dit Rousseau était caractérisé par deux sentiment fondamentaux : l’amour de soi c’est-à-dire le désir de se conserver et d’exister pour soi et la pitié ou le sentiment ressenti quand il voit la souffrance de son semblable. Mais avec le début des querelles ses sentiments disparaissent et laissent la place à l’amour propre qui n’est plus le désir d’exister pour soi mais pour les autres et des sentiments hostiles telles que l’indifférence, la méchanceté, la méfiance etc. Mais, cette société primitive dont parle Rousseau, cet état de nature fut considérée par certains comme étant une société imaginaire alors que la société du Mwalimu a belle et bien exister et correspond à la société tribale. En d’autres termes, la société africaine traditionnelle était ainsi élaborée de sortes qu’il n’y avait pas d’injustices sociales, de différences entre les membres, ni d’exploitation des uns sur les autres. Cette société nous dit Nyerere était une société socialiste. Dès lors, l’influence de Marx et des tenants du socialisme européens n’avait pas sa raison d’être car l’Afrique était déjà socialiste. Pour lui donc, « Nous autres en Afrique, n‟avons pas besoin d‟être « convertis » au socialisme que de « suivre des cours » de démocratie ». Ce qui signifie que le socialisme est ancré dans le passé de l’Afrique. De ce fait il ne s’agit pas, comme pour certains, de se référer à un modèle étranger qui dicte le chemin à suivre, mais plutôt d’un retour en arrière, c’est-à-dire dans la tradition africaine, pour refonder les bases du socialisme. Cependant, il ne s’agit pas non plus de considérer que la société africaine traditionnelle était socialiste pour que s’efface le séjour du colon en Afrique. Le colonialisme à bien existé et les modifications qu’il a apportées sont énormes. Il a transformé l’Afrique socialiste à une Afrique avec des caractéristiques capitalistes. Nyerere était bien conscient de cela quand il disait : « Des problèmes particuliers se posent dans un ancien pays colonial comme la Tanzanie. Car pour construire le socialisme, il faut des socialistes Ŕ surtout aux postes de responsabilité. Il ne suffit pas que la vie traditionnelle de notre peuple ait basée sur des principes socialistes ; cela est bien, à condition que les responsables de la modernisation acceptent eux aussi ces principes et puissent les appliquer à la lumière des conditions technologiques internationales très différentes du vingtième siècle ». Donc rétablir les principes de l’Afrique traditionnelle en les associant avec la technologie de la modernité fut le projet de Nyerere. A travers la Déclaration d’Arusha il a établi le processus à suivre pour y parvenir. Ce qui fait que cette déclaration représente, si on peut le dire ainsi, le parchemin de la doctrine du leader tanzanien. Elle est le document le plus important de la vie politique en Tanzanie, mais aussi dans l’Afrique toute entière, car comme le dit René Dumont, elle représente « un grand espoir pour l‟Afrique ». Elle comporte les règles et les valeurs que doit avoir un pays qui aspire à être socialiste, les attitudes à adopter, des solutions pour atteindre l’émergence, mais aussi les moyens nécessaires pour atteindre l’autonomie. Elle constitue donc la théorie du socialisme de Nyerere. Dans ce cadre nous dit Mwalimu Nyerere, « Cette déclaration était, on le sait, un engagement aux principes de l‟autonomie et du socialisme. Elle n‟apportait ni l‟un ni l‟autre par elle-même, seule une réflexion et un travail solides, bien orientés le permettront. (…). La Déclaration d‟Arusha n‟a pas causé de miracles ». En termes plus clairs, le socialisme est à reconstruire. Et pour ce faire il faut se tourner vers l’Afrique traditionnelle. La Déclaration d’Arusha n’est donc ni « l‟autonomie » en tant que telle, ni « le socialisme » concrètement, elle est plutôt « une déclaration d‟intention ». « Elle n‟a pas rendu tout le monde riche, ni changé le niveau de notre éducation. Elle n‟a pas transformé nos habitudes de penser, ni provoqué quelques autre changement miraculeux de notre situation. L‟agrément que nous avons donné à la Déclaration D‟Arusha ressemblait à la confirmation d‟un jeune chrétien ; c‟est un déclaration d‟intention, de vivre un certain style de vie et d‟agir d‟une certaine manière en vue d‟accomplir des desseins voulus ». Tout cela pour dire que cette déclaration n’est pas l’action du socialisme mais plutôt la théorie du socialisme. Elle n’expose pas la réalité mais le vouloir et la volonté. De ce fait, elle marque toute la volonté de Nyerere de construire une société socialiste fondée sur des valeurs qui sont elles aussi socialistes. Elle débute par montrer que le socialisme est une option, c’est-à-dire devant le choix entre le socialisme et le capitalisme le peuple doit manifester son attachement au socialisme. De là, le socialisme devient avant tout un comportement à adopter, qui exige un changement d’attitude envers les hommes et donc envers la société. Il ne s’agit plus d’établir une différence entre les hommes, mais de les considérer comme des égaux qui jouissent tous des mêmes droits et devoirs. C’est donc « une attitude de l‟esprit ». C’est l’esprit qui s’adapte d’abords au changement avant de passer à son application. Ce qu’il faut comprendre par-là, c’est que Nyerere est parti d’un postulat : puisque l’Afrique a été détournée de sa voie socialiste par les systèmes colonialiste et capitaliste, il est nécessaire, pour reconstruire ce socialisme adopter d’abords un comportement socialiste et donc une mentalité socialiste. Cette mentalité suppose que l’homme enlève tout esprit de domination et d’exploitation de son semblable, qu’il ne se considère plus comme étant supérieur aux autres, qu’il songe à aider son prochain qui se trouve dans le besoin, donc à vivre en communauté et qu’il chasse toute oisiveté, qui est l’apanage des tenants du système capitaliste, et se résigne à travailler. C’est à partir de là que les premiers pas vers le socialisme vont se manifester. Il en parle en ces termes : « Le socialisme comme la démocratie est une attitude d‟esprit. Dans une société socialiste, c‟est la mentalité socialiste, et non l‟adhésion inconditionnelle à un modèle politique standard, qu‟il faut pour s‟assurer que les gens ont à cœur le bien-être les uns les autres ». Autrement dit ce n’est pas en copiant de modèle déjà établi (celui de Marx) que l’Afrique va devenir socialiste, mais en adoptant une attitude socialiste. Dès lors ce qui est primordiale dans la volonté de construire une société socialiste, c’est de changer les dispositions de l’esprit face à l’homme et donc à la société.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LES ASPECTS THEORIQUES DU SOCIALISME UJAMAA
CHAPITRE PREMIER : Du marxisme au socialisme africain
Chapitre II : Une nouvelle voie africaine du socialisme
Chapitre III : La déclaration d’Arusha comme théorie du développement
DEUXIEME PARTIE : LES ASPECTS PRATIQUES DU SOCIALISME UJAMAA
CHAPITRE V : L’éducation comme théorie du développement
Chapitre VI : L’éducation des adultes
Chapitre VIII : La villagisation pour une revalorisation de l’égalité sociale
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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