Du marxisme au socialisme africain
ย ย Au lendemain de la rรฉvolution industrielle, une nouvelle classe a vu le jour dans les pays europรฉens. Cโest la classe bourgeoise, composรฉe des capitalistes. Ces derniers sont les dรฉtenteurs des fabriques et lโensemble des moyens de productions dans tous les pays touchรฉ par la rรฉvolution industrielle. Ce qui a conduit ร une inรฉgalitรฉ car la majeure partie de la population est obligรฉe de travailler en tant que simple ouvrier. Dโoรน le dรฉbut de lโinรฉgalitรฉ sociale qui a entrainรฉ la formation de deux classes opposรฉs : les bourgeois et les prolรฉtaires. Cโest donc pour remรฉdier ร cette situation que des mouvements sont crรฉรฉs. Ils sont dirigรฉs par des gens qui ont choisi dโรชtre la voie du peuple. Parmi ceux-ci Karl Marx. Parmi les grands personnages historiques, une place dโhonneur revient ร Karl Marx. Philosophe allemand nรฉe en 1818, Marx est le thรฉoricien du matรฉrialisme dialectique et du matรฉrialisme historique. Sa grandeur est due particuliรจrement ร son engagement au sein du mouvement ouvrier et sa lutte acharnรฉe contre le systรจme capitaliste. Ils sont, avec son ami et fidรจle compagnon dโidรฉes, Friedrich Engels, des guides pour la classe ouvriรจre. Sa pensรฉe et ses รฉcrits tournent autour de la philosophie allemande, du socialisme franรงais et de lโรฉconomie anglaise. Il va fonder le socialisme scientifique, en sโinspirant de la dialectique de Hegel et du matรฉrialisme de Feuerbach. Mais Marx sโattaque ร lโidรฉalisme de ses prรฉdรฉcesseurs notamment Hegel et Feuerbach. Dans la mesure oรน il a le souci de rรฉsoudre le problรจme de la philosophie ร partir de lโaction qui prรฉtend changer les choses par la spรฉculation pratique. En ce qui concerne Hegel il sโattaque ร lui ร partir de sa philosophie du droit. Pour Marx il sโagit de mettre sur les pieds un systรจme qui marche sur la tรชte. Car avec Hegel, on assiste ร une primautรฉ de la raison sur le monde. Il รฉcrit ร ce propos dans son livre La raison dans lโhistoire : ยซ la raison gouverne le monde ยป. Cโest-ร -dire, la transformation du monde passe par les idรฉes. Mais pour Marx, le monde, et cela ร travers lโรฉvolution de lโhistoire, sโexplique et se dรฉfinit par les conditions matรฉrielles. Ainsi pour critiquer Hegel, Marx rejette son fondement idรฉaliste. Cette critique demeure aussi pour Feuerbach. En effet, de mรชme que Hegel, Marx considรจre la pensรฉe feuerbachienne comme รฉtant une pensรฉe purement idรฉaliste. Cette pensรฉe, selon Marx est fondรฉe non pas sur la matiรจre, mais sur des idรฉes abstraite. Cโest dans ce sens que Marx montre les bases de son matรฉrialisme. Ce dernier se sรฉpare chez Marx en matรฉrialisme dialectique et matรฉrialisme historique. Avec lui donc, on assiste ร un changement de paradigme. Ce dernier consiste dรฉsormais ร ne plus se fonder sur lโidรฉe pour justifier les conditions matรฉrielles, mais ร se fonder sur les conditions matรฉrielles pour expliquer les idรฉes. De ce fait, le nouveau paradigme qui sโimpose selon Marx, est de ne plus interprรฉter le monde, mais de le transformer. Autrement dit, il sโagit de ne plus se fonder sur des idรฉes abstraites pour expliquer les choses matรฉrielles, mais le philosophe doit penser ร lโamรฉlioration du monde. Et cette amรฉlioration doit se faire selon Marx sur les conditions matรฉrielles du monde et par la classe ouvriรจre. Dรจs lors, le matรฉrialisme historique de Marx envisage lโavรจnement de la sociรฉtรฉ communiste comme une nรฉcessitรฉ. Cette sociรฉtรฉ est nรฉcessaire parce quโelle engage la mise en avant de la classe prolรฉtarienne qui a la mission, selon Marx, de rรฉaliser la rรฉvolution en vue de construire une sociรฉtรฉ รฉgalitaire, libre et juste. Dรจs lors, lโexploit scientifique accompli par Marx est sans รฉgal dans lโhistoire de la pensรฉe sociale. Victor Kouziakov faisant les รฉloges de Marx dit ร ce sujet : ยซ Ayant dรฉcouvert les lois de lโรฉvolution de la sociรฉtรฉ, Marx fut le premier ร indiquer aux travailleurs les voies rรฉelles et les moyens de sโaffranchir du joug social, de crรฉer des conditions de vie vรฉritablement humaines en vue du bien-รชtre et du libre dรฉveloppement de toutes les facultรฉs physiques et intellectuelles des hommes. ยป Lรฉnine poursuit en valorisant sa thรฉorie qui est dโaprรจs lui, ยซ toute puissante, parce quโelle est juste. Elle est harmonieuse et complรจte ; elle donne aux hommes une conception cohรฉrente du monde, inconciliable avec toute superstition, avec toute rรฉaction, avec toute dรฉfense de lโoppression bourgeoiseยป. Ainsi, ces propos nous montrent toute lโimportance du socialisme de Marx. Son but a รฉtรฉ de critiquer la sociรฉtรฉ de son รฉpoque. Une sociรฉtรฉ qui est rรฉgie par une inรฉgalitรฉ qui soumet la majoritรฉ ร lโesclavage. Dans ce sens, il est devenu une nรฉcessitรฉ voire mรชme une obligation de refonder la sociรฉtรฉ sur des basses beaucoup plus juste sur le plan moral mais aussi sur le plan รฉconomique. Une sociรฉtรฉ oรน rรจgnent lโharmonie, la solidaritรฉ, le partage, lโรฉgalitรฉ et surtout, le respect mutuel des droits de chacun. Cโest ainsi que dans lโIdรฉologie Allemande Marx et Engels donnent une dรฉfinition du communisme : ยซ Le communisme nโest pas pour nous un Etat qui doit รชtre รฉtabli, ni un idรฉal dโaprรจs lequel la rรฉalitรฉ doit se comporter. Nous appelons communisme le mouvement rรฉel qui supprime lโรฉtat des choses actuelles. Les conditions de ce mouvement dรฉcoulent de la prรฉsupposition actuellement existante ยป. Dรจs lors, il faut comprend que pour les thรฉoriciens du socialisme scientifique le communisme loin dโรชtre un ยซ idรฉal ยป cโest-ร -dire une doctrine qui se souci tant soit peu de la rรฉalitรฉ des choses, est plutรดt un systรจme dont lโobjectif est de rรฉgler les inรฉgalitรฉs causรฉes par un autre systรจme dรฉficient. Il est donc, un impรฉratif concret qui est lร pour assurer la libรฉration des peuples de la domination bourgeoise. Et pour rรฉgler cette injustice sociale, il faut que la classe des ouvriers sโaccapare des moyens de productions. Cโest ร cet instant quโon assistera ร lโavรจnement du socialisme. Il faut donc quโen lieu et ยซ place de lโancienne bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association ou le libre dรฉveloppement est la condition du libre dรฉveloppement de tous ยป. Entendant par ยซ tous ยป tous les membres de la sociรฉtรฉ sans exception et sans distinction de rang. Partant de ce fait, il est clair quโau-delร de Marx, aucun penseur nโa suscitรฉ autant dโenthousiasme, et aucun rรฉvolutionnaire nโa รฉveillรฉ autant dโespoir. Son projet a รฉtรฉ la libรฉration des prolรฉtaires. Ainsi dans sa fameuse phrase ยซ Prolรฉtaires de tous les pays unissezvous ! ยป Marx fait appel aux prolรฉtaires. Il leur incite ร la mobilisation, dans le but de lutter contre lโexpansion de la classe bourgeoise. Ce qui a abouti ร la lutte des classes qui oppose bourgeois cโest-ร -dire les dรฉtenteurs du pouvoir et prolรฉtaires cโest-ร -dire les ouvriers. Dans ce sens, pour Alexis Tocqueville, Marx a soulevรฉ la plus terrible de toutes les guerres civiles, la guerre de classe ร classe, de ceux qui nโont rien, contre ceux qui ont. Dรจs lors, Marx pose la lutte des classes comme le principe directeur de lโhistoire de lโhumanitรฉ. Il dit ร ce propos, ยซ Lโhistoire de toute sociรฉtรฉ jusquโร nos jours nโa รฉtรฉ que lโhistoire de la lutte des classes ยป. Autrement dit, il la considรจre comme le moteur de lโhistoire. En effet, Marx considรจre la sociรฉtรฉ toute entiรจre comme รฉtant un regroupement de deux vastes camps qui sโopposent ร beaucoup de niveau: le camp des bourgeois, thรฉoriciens du capitalisme et celui des prolรฉtaires ou les assujettis ร ce systรจme. Dรจs lors, ce que propose Marx dans son nouveau paradigme, cโest de procรฉder ร cette lutte qui oppose bourgeois et prolรฉtaires. Une lutte pour la rรฉvolution qui doit รชtre dirigรฉ par les prolรฉtaires, dans le but de modifier les conditions sociales. Ce qui fait que toute lโanalyse de Marx porte sur une conscientisation et une prรฉparation de la classe ouvriรจre ร la lutte pour renverser le systรจme. Dans ce sens, son intรฉrรชt porte principalement sur le mode de production, lโexploitation salariale, les conditions du prolรฉtaire, lโidรฉologie bourgeoise, la valeur du travail et lโaliรฉnation faite aux ouvriers. En ce qui concerne le travail et lโaliรฉnation, Marx les considรจre comme participant ร la dรฉshumanisation de lโouvrier. En effet, Marx est parti des situations de vie anormales des ouvriers, pour dรฉfinir lโaliรฉnation. Il la considรจre en rรฉalitรฉ comme une situation qui transforme le sujet travailleur qui sโappauvrit en rendant sa production puissante. Car l’ouvrier fait une objectivation de son รชtre en rรฉalisant le produit. De ce fait, il transpose ce quโil possรจde, cโest-ร -dire sa vie, dans lโobjet quโil a lui-mรชme produit. De cette maniรจre lโobjet lui devient รฉtranger, ce qui conduit ร des consรฉquences telles que : la perte de la production, la dรฉpossession et lโaliรฉnation de lโouvrier. Dans ce sens nous dit Marx : ยซ Toutes ces consรฉquences dรฉcoulent du fait que, par dรฉfinition, lโouvrier se trouve devant le produit de son propre travail dans le mรชme rapport quโร lโรฉgard dโun objet รฉtranger. Sโil en est ainsi, il est รฉvident que, plus lโouvrier se dรฉpense au travail, plus le monde รฉtranger, objectif, quโil crรฉe en face de lui devient puissant, plus il sโappauvrit lui-mรชme et plus son monde intรฉrieur devient pauvre, moins il possรจde en propre ยป. Dรจs lors, lโaliรฉnation de lโouvrier, rajoute Marx, ยซ signifie non seulement que son travail devient un objet, une rรฉalitรฉ extรฉrieur, mais que son travail existe en dehors de lui, indรฉpendamment de lui, รฉtranger ร lui et devient une puissance autonome face ร lui, que la vie quโil a prรชtรฉe ร lโobjet sโoppose ร lui, hostile et รฉtrangรจre ยป. Et ces consรฉquences sont, dโaprรจs Marx lโลuvre du systรจme capitaliste. Ainsi, ces lignes expriment le dรฉsarroi de Marx face ร ce systรจme du capitalisme. Les tenants de ce systรจme utilisent l’homme au profit de leurs propres intรฉrรชts et dans le but de leurs propres enrichissements. Lโhomme perd sa valeur et sa vie pour les attribuer ร des produits qui profitent aux autres. ร partir de lร , apparaรฎt dans le vocabulaire de Marx des termes comme capital, accumulation de gains, profit, plus valuโฆ Tous ces termes et bien d’autres encore fondent la thรฉorie de Marx et permettent d’expliquer les mรฉthodes du systรจme capitaliste. Ainsi, dans son projet de renverser ce systรจme, il a รฉtabli sa propre doctrine. Ainsi, qu’elle soit nommรฉ matรฉrialisme, socialisme scientifique, communisme ou encore, aprรจs mรชme la mort de Marx, marxisme, cette doctrine a eu le mรฉrite de poser les moyens d’une rรฉvolution. Une rรฉvolution qui s’est fixรฉ comme objectif la libรฉration de l’homme et donc sa dรฉsaliรฉnation. C’est dans ce sens que dans l’Encyclopoche Larousse, au sujet de Marx, il est notรฉ les propos suivants : ยซ Le projet rรฉvolutionnaire se fait toujours chez Marx ร la lumiรจre de la critique de l’existence prolรฉtarienne. En cela, Marx dรฉpasse les ยซ Utopistes ยป. La dรฉsaliรฉnation et l’aliรฉnation suivant un seul et mรชme chemin, l’objet du ยซ projet communiste ยป n’est autre que la rรฉalisation de ยซ l’homme total ยป ยป. Rรฉaliser l’homme a รฉtรฉ donc le projet de Marx. Mais cette rรฉalisation ne peut pas รชtre partielle. Elle doit รชtre totale, c’est-ร -dire qu’il faut construire un homme entier, qui n’est pas utilisรฉ pour l’enrichissement d’autres. Il est question dโaprรจs Marx dโรฉliminer les injustices et de crรฉer un homme qui non seulement participer ร lโรฉpanouissement et la bonne marche de sa sociรฉtรฉ, mais aussi il doit recevoir en retour des rรฉcompenses en fonction de l’effort qu’il a fourni. Et dans le systรจme communiste, Marx y รฉtablit la possibilitรฉ de cette rรฉalisation. Ainsi, toujours dans l’Encyclopoche Larousse, il est notรฉ que Marx considรจre le communisme comme ยซ la fin de la prรฉhistoire humaine et le dรฉbut de l’histoire consciente dominรฉe par les hommes qui la font ยป. Le communisme, ses rรจgles et ses valeurs, permettent donc de rendre l’homme conscient de sa situation pour ensuite aprรจs lui proposer des solutions pour en sortir. Tout se passe dรจs lors comme si le communisme est une nouvelle alternative d’humanisation. Il permet au peuple d’avoir une maรฎtrise sur les conflits opposants l’homme ร la nature et aussi l’homme avec son semblable. Elle permet aussi, par la mรชme occasion, la suppression de toutes formes d’aliรฉnation. Dรจs lors, il est devenu ยซ la solution vรฉritable de tous les antagonismes ยป. Cela dit, mรชme sโil a รฉtรฉ critiquรฉ par certains penseurs, surtout les partisans du socialisme utopique tels que Proudhon et Bakounine, le marxisme est devenu une modรจle pour beaucoup de pays. Pour ces derniers en effet, Marx et son socialisme constitue une lanterne qui les รฉclaire sur leurs chemins. Autrement dit, il est considรฉrรฉ comme un moyen de se libรฉrer de lโemprise du systรจme capitaliste qui paralyse lโรฉconomie mondiale. Cโest ainsi que des pays tels que la Russie, la Chine, LโURSS, et plus loin encore la plupart des pays du continent africain, ont adoptรฉs le marxisme comme vecteur รฉconomique. Dans ce sens, on comprend les propos de David Riazanov : ยซ Il n’est guรจre possible de trouver dans l’histoire du XIXรจme siรจcle un homme qui, par son activitรฉ, son ลuvre scientifique, ait dรฉterminรฉ ร un tel point la pensรฉe et l’action d’une sรฉrie de gรฉnรฉration dans une sรฉrie de pays. (โฆ) sa pensรฉe continue d’exercer son influence, de dรฉterminer le dรฉveloppement intellectuel des pays les plus lointains ยป. Il sโagit donc par-lร , de la possibilitรฉ d’actualiser la thรฉorie de Marx en tout temps et lieu. Ce qui fait qu’elle est, en plus d’une thรฉorie europรฉenne du XIXรจme siรจcle et fait pour rรฉsoudre les difficultรฉs de l’Europe, une thรฉorie du monde entier dans la mesure oรน l’espace de son dรฉploiement soit rรฉgit par des inรฉgalitรฉs sociales. De ce fait, nous assistons avec Marx et le marxisme ร un changement de paradigmes qui est nรฉcessaire. Les notions de capitalisme, de domination sont vite remplacรฉs par des termes tels que le communisme, le socialisme, la libรฉration, l’รฉgalitรฉ… Le marxisme est ainsi un modรจle pour les peuples africains. Son mรฉrite cโest dโavoir tracer un cheminement qui, sโil est suivi, peut servir ร rรฉsoudre les problรจmes de domination dโune minoritรฉ sur la masse majoritaire de toute sociรฉtรฉ. Dโoรน les propos de Lรฉnine : ยซ lโessentiel dans la doctrine de Marx, cโest quโelle a mis en lumiรจre le rรดle historique mondial du prolรฉtaire comme bรขtisseur de la sociรฉtรฉ socialiste ยป. Ainsi dit donc, la sociรฉtรฉ socialiste est ร construire et cette construction doit รชtre lโลuvre des prolรฉtaires. Ou encore pour parler dans le cadre de lโuniversel, elle doit รชtre le rรดle de tout individu vivant dans une sociรฉtรฉ oรน il est opprimรฉ par absence dโรฉgalitรฉ. Ce qui fait que le socialisme, mรชme sโil a รฉtรฉ thรฉorisรฉ en Europe, par un europรฉen et pour les europรฉens, peut aussi bien par sa mรฉthode et sa technique servir de soubassement pour la lutte des peuples africains. En effet le contenu de la lutte est le mรชme, ce qui a changรฉ en plus du lieu (de lโEurope on passe ร lโAfrique), cโest les termes utilisรฉs pour nommer les faits. Lร oรน on parle de systรจme bourgeois capitaliste et de prolรฉtaires, il est question ici de colonisateurs, de colonisรฉs et de ยซ capitalisme colonial ยป pour reprendre les mots dโYves Person. Ce qui fait dire ร ce dernier les propos suivants : ยซ Etant une rรฉplique au capitalisme, le socialisme est nรฉ dans le mรชme domaine en Europe Occidentale et lโa accompagnรฉ dans son expansion ร travers le monde. Cโest donc dans le sillage du capitalisme colonial que le socialisme est apparu en Afrique ยป.
La dรฉclaration dโArusha comme thรฉorie du dรฉveloppement
ย ย ยซ Quelle que soit la position quโil occupe dans la citรฉ, tout homme qui aime tant soit peu son pays sโinterroge sur le destin de celui-ci. Chacun essaye de se lโimaginer et le souhaite le meilleur possible. Dโautres sโattaquent ร contribuer au progrรจs ยป. Autrement dit, tout homme qui se prรฉoccupe tant soit peu du bon dรฉroulement et de lโรฉmergence de son pays, se prรฉoccupe de son sort. De ce fait, il tente dโimaginer des mรฉthodes qui lui permettent dโรฉtablir des conditions adรฉquates ร la bonne marche de la sociรฉtรฉ. Cette derniรจre a longtemps รฉtรฉ lโobjet dโรฉtude et de rรฉflexion de beaucoup de penseurs. Leur souci ร tous a รฉtรฉ la construction de la citรฉ idรฉale. Par citรฉ idรฉale, il faut entendre un espace qui est rรฉgit par des lois et des rรจgles qui permettent lโรฉpanouissement de lโhomme. Cet espace communรฉment appelรฉ sociรฉtรฉ doit pour le bien de tout un chacun promouvoir la justice sociale en รฉradiquant toutes injustices et toutes formes dโexploitation de lโhomme par lโhomme. Cโest dans cette perspective de construire la sociรฉtรฉ idรฉale, que des penseurs ont tentรฉ, chacun dโune maniรจre particuliรจre de donner la dรฉfinition de la sociรฉtรฉ dโabords, avant dโรฉtablir la maniรจre de la diriger. Chez Hobbes par exemple, la sociรฉtรฉ ressemble ร une cage dans laquelle ils yโa des loups qui peuvent sโentretuer ร tous moments. Pour รฉviter cette bataille perpรฉtuelle entre les hommes, il propose de mettre dans la cage en plus des loups un dompteur qui a pour rรดle de faire rรฉgner lโordre et dโassurer la sรฉcuritรฉ ร tous. Pour Rousseau elle est un mal nรฉcessaire qui doit exister dans le but de faire rรฉgnรฉ lโordre et aussi dโassurer la sรฉcuritรฉ de tous. Ainsi prรฉsentรฉ, la sociรฉtรฉ serait donc un milieu hostile oรน les hommes, se sentant constamment en danger, prรฉfรจrent sโaccorder autour dโun contrat qui garantit leurs protections. Pour Julius Nyerere la sociรฉtรฉ se prรฉsente dโune toute autre maniรจre. Pour lui en effet, ยซ Ce que lโAfrique tribale nous apprend cโest que la sociรฉtรฉ est une grande famille dont tous les membres se sentent liรฉs dโaffection et de solidaritรฉ ; oรน le groupe se prรฉoccupe du sort de chacun et chacun du sort de tout le groupe ; oรน lโenfant peut grandir tranquille, entourรฉ de lโattention et de lโaffection gรฉnรฉrales, et le vieillard dรฉcliner sans angoisse, au milieu des soins et de la vรฉnรฉration de tous ยป. Dรฉfinie ainsi, la sociรฉtรฉ est donc pour le Mwalimu Nyerere un espace dโรฉpanouissement oรน rรจgne la confiance, la solidaritรฉ, le soutient morale et affectif et une interaction permanente entre ses membres. De ce fait, loin dโรชtre un espace oรน ยซ lโhomme est un loup pour lโhomme ยป, elle est plutรดt un environnement oรน ยซ lโhomme est le remรจde de lโhomme ยป. En dโautres termes, un milieu oรน lโhomme ne peut รชtre pleinement rรฉalisรฉ quโen รฉtant en rapport avec les autres. Dรจs lors, il sโoppose ร ceux qui prรฉsentent la sociรฉtรฉ comme un environnement hostile, habitรฉ par lโindividualisme et la mรฉfiance entre les hommes. Ce qui fait dire ร Jean Mfoulou, dans lโintroduction ร lโลuvre de Nyerere, Socialisme, Dรฉmocratie et Unitรฉ africaine, les propos suivants : ยซ Face ร ces rรฉgimes de terreur, de duplicitรฉ mรฉfiante ou de haine oรน la sociรฉtรฉ est un mal ou un pis-aller, Mwalimu Nyerere nous prรฉsente une communautรฉ oรน les hommes sont frรจres, sโaiment et collaborent au bien de tous et de chacun ยป. Ainsi รฉlaborรฉe, la sociรฉtรฉ du leader tanzanien prรฉsente des caractรฉristiques qui sont semblables ร ceux de la sociรฉtรฉ primitive ou lโรฉtat de nature dont Rousseau fait les รฉloges dans son ลuvre Le Contrat Social. Pour Rousseau en effet, avant lโรฉtablissement du contrat, les hommes vivait en harmonie dans la justice et lโรฉgalitรฉ de tous. La nature ร elle seule suffisait ร tous car elle donnait ร chacun se dont il avait besoins. Dรจs lors, il nโy avait pas de conflits puisque personne nโessayait dโavoir plus que ce que la nature lui procurait. Cet homme de nature nous dit Rousseau รฉtait caractรฉrisรฉ par deux sentiment fondamentaux : lโamour de soi cโest-ร -dire le dรฉsir de se conserver et dโexister pour soi et la pitiรฉ ou le sentiment ressenti quand il voit la souffrance de son semblable. Mais avec le dรฉbut des querelles ses sentiments disparaissent et laissent la place ร lโamour propre qui nโest plus le dรฉsir dโexister pour soi mais pour les autres et des sentiments hostiles telles que lโindiffรฉrence, la mรฉchancetรฉ, la mรฉfiance etc. Mais, cette sociรฉtรฉ primitive dont parle Rousseau, cet รฉtat de nature fut considรฉrรฉe par certains comme รฉtant une sociรฉtรฉ imaginaire alors que la sociรฉtรฉ du Mwalimu a belle et bien exister et correspond ร la sociรฉtรฉ tribale. En dโautres termes, la sociรฉtรฉ africaine traditionnelle รฉtait ainsi รฉlaborรฉe de sortes quโil nโy avait pas dโinjustices sociales, de diffรฉrences entre les membres, ni dโexploitation des uns sur les autres. Cette sociรฉtรฉ nous dit Nyerere รฉtait une sociรฉtรฉ socialiste. Dรจs lors, lโinfluence de Marx et des tenants du socialisme europรฉens nโavait pas sa raison dโรชtre car lโAfrique รฉtait dรฉjร socialiste. Pour lui donc, ยซ Nous autres en Afrique, nโavons pas besoin dโรชtre ยซ convertis ยป au socialisme que de ยซ suivre des cours ยป de dรฉmocratie ยป. Ce qui signifie que le socialisme est ancrรฉ dans le passรฉ de lโAfrique. De ce fait il ne sโagit pas, comme pour certains, de se rรฉfรฉrer ร un modรจle รฉtranger qui dicte le chemin ร suivre, mais plutรดt dโun retour en arriรจre, cโest-ร -dire dans la tradition africaine, pour refonder les bases du socialisme. Cependant, il ne sโagit pas non plus de considรฉrer que la sociรฉtรฉ africaine traditionnelle รฉtait socialiste pour que sโefface le sรฉjour du colon en Afrique. Le colonialisme ร bien existรฉ et les modifications quโil a apportรฉes sont รฉnormes. Il a transformรฉ lโAfrique socialiste ร une Afrique avec des caractรฉristiques capitalistes. Nyerere รฉtait bien conscient de cela quand il disait : ยซ Des problรจmes particuliers se posent dans un ancien pays colonial comme la Tanzanie. Car pour construire le socialisme, il faut des socialistes ล surtout aux postes de responsabilitรฉ. Il ne suffit pas que la vie traditionnelle de notre peuple ait basรฉe sur des principes socialistes ; cela est bien, ร condition que les responsables de la modernisation acceptent eux aussi ces principes et puissent les appliquer ร la lumiรจre des conditions technologiques internationales trรจs diffรฉrentes du vingtiรจme siรจcle ยป. Donc rรฉtablir les principes de lโAfrique traditionnelle en les associant avec la technologie de la modernitรฉ fut le projet de Nyerere. A travers la Dรฉclaration dโArusha il a รฉtabli le processus ร suivre pour y parvenir. Ce qui fait que cette dรฉclaration reprรฉsente, si on peut le dire ainsi, le parchemin de la doctrine du leader tanzanien. Elle est le document le plus important de la vie politique en Tanzanie, mais aussi dans lโAfrique toute entiรจre, car comme le dit Renรฉ Dumont, elle reprรฉsente ยซ un grand espoir pour lโAfrique ยป. Elle comporte les rรจgles et les valeurs que doit avoir un pays qui aspire ร รชtre socialiste, les attitudes ร adopter, des solutions pour atteindre lโรฉmergence, mais aussi les moyens nรฉcessaires pour atteindre lโautonomie. Elle constitue donc la thรฉorie du socialisme de Nyerere. Dans ce cadre nous dit Mwalimu Nyerere, ยซ Cette dรฉclaration รฉtait, on le sait, un engagement aux principes de lโautonomie et du socialisme. Elle nโapportait ni lโun ni lโautre par elle-mรชme, seule une rรฉflexion et un travail solides, bien orientรฉs le permettront. (โฆ). La Dรฉclaration dโArusha nโa pas causรฉ de miracles ยป. En termes plus clairs, le socialisme est ร reconstruire. Et pour ce faire il faut se tourner vers lโAfrique traditionnelle. La Dรฉclaration dโArusha nโest donc ni ยซ lโautonomie ยป en tant que telle, ni ยซ le socialisme ยป concrรจtement, elle est plutรดt ยซ une dรฉclaration dโintention ยป. ยซ Elle nโa pas rendu tout le monde riche, ni changรฉ le niveau de notre รฉducation. Elle nโa pas transformรฉ nos habitudes de penser, ni provoquรฉ quelques autre changement miraculeux de notre situation. Lโagrรฉment que nous avons donnรฉ ร la Dรฉclaration DโArusha ressemblait ร la confirmation dโun jeune chrรฉtien ; cโest un dรฉclaration dโintention, de vivre un certain style de vie et dโagir dโune certaine maniรจre en vue dโaccomplir des desseins voulus ยป. Tout cela pour dire que cette dรฉclaration nโest pas lโaction du socialisme mais plutรดt la thรฉorie du socialisme. Elle nโexpose pas la rรฉalitรฉ mais le vouloir et la volontรฉ. De ce fait, elle marque toute la volontรฉ de Nyerere de construire une sociรฉtรฉ socialiste fondรฉe sur des valeurs qui sont elles aussi socialistes. Elle dรฉbute par montrer que le socialisme est une option, cโest-ร -dire devant le choix entre le socialisme et le capitalisme le peuple doit manifester son attachement au socialisme. De lร , le socialisme devient avant tout un comportement ร adopter, qui exige un changement dโattitude envers les hommes et donc envers la sociรฉtรฉ. Il ne sโagit plus dโรฉtablir une diffรฉrence entre les hommes, mais de les considรฉrer comme des รฉgaux qui jouissent tous des mรชmes droits et devoirs. Cโest donc ยซ une attitude de lโesprit ยป. Cโest lโesprit qui sโadapte dโabords au changement avant de passer ร son application. Ce quโil faut comprendre par-lร , cโest que Nyerere est parti dโun postulat : puisque lโAfrique a รฉtรฉ dรฉtournรฉe de sa voie socialiste par les systรจmes colonialiste et capitaliste, il est nรฉcessaire, pour reconstruire ce socialisme adopter dโabords un comportement socialiste et donc une mentalitรฉ socialiste. Cette mentalitรฉ suppose que lโhomme enlรจve tout esprit de domination et dโexploitation de son semblable, quโil ne se considรจre plus comme รฉtant supรฉrieur aux autres, quโil songe ร aider son prochain qui se trouve dans le besoin, donc ร vivre en communautรฉ et quโil chasse toute oisivetรฉ, qui est lโapanage des tenants du systรจme capitaliste, et se rรฉsigne ร travailler. Cโest ร partir de lร que les premiers pas vers le socialisme vont se manifester. Il en parle en ces termes : ยซ Le socialisme comme la dรฉmocratie est une attitude dโesprit. Dans une sociรฉtรฉ socialiste, cโest la mentalitรฉ socialiste, et non lโadhรฉsion inconditionnelle ร un modรจle politique standard, quโil faut pour sโassurer que les gens ont ร cลur le bien-รชtre les uns les autres ยป. Autrement dit ce nโest pas en copiant de modรจle dรฉjร รฉtabli (celui de Marx) que lโAfrique va devenir socialiste, mais en adoptant une attitude socialiste. Dรจs lors ce qui est primordiale dans la volontรฉ de construire une sociรฉtรฉ socialiste, cโest de changer les dispositions de lโesprit face ร lโhomme et donc ร la sociรฉtรฉ.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LES ASPECTS THEORIQUES DU SOCIALISME UJAMAA
CHAPITRE PREMIER : Du marxisme au socialisme africain
Chapitre II : Une nouvelle voie africaine du socialisme
Chapitre III : La dรฉclaration dโArusha comme thรฉorie du dรฉveloppement
DEUXIEME PARTIE : LES ASPECTS PRATIQUES DU SOCIALISME UJAMAAย
CHAPITRE V : Lโรฉducation comme thรฉorie du dรฉveloppement
Chapitre VI : Lโรฉducation des adultes
Chapitre VIII : La villagisation pour une revalorisation de lโรฉgalitรฉ sociale
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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