Le Social Deduction Game définit le jeu, ses pratiques et ses communautés

Le Social Deduction Game définit le jeu, ses pratiques et ses communautés

Dans un premier temps, il s’agira de montrer que le Social Deduction Game définit une forme de jeu, des pratiques et des communautés particulières. Notre objet d’étude nous permet d’observer un jeu au travers de différentes pratiques transmédiatiques et de différents espaces, numériques et réels. Nous voulons montrer que les communautés de joueurs de Loup Garou se définissent en fonction de l’espace ludique convoqué. Pour cela, nous nous concentrerons dans un premier temps sur l’histoire sociale de la conception du jeu pour mieux comprendre dans quel ancrage se situe notre objet. Nous verrons quelles sont les similitudes et les différences que notre étude présente avec les théories des premiers chercheurs des sciences du jeu. Sa nature transmédiatique nous permettra enfin de déterminer les enjeux qui intéressent les chercheurs contemporains des game studies.

Nous verrons que le jeu du Loup Garou interroge également l’espace d’un point de vue purement formel : il impose un nombre de joueurs important qu’il faut pouvoir réunir. En prenant appui sur les recherches des game studies contemporaines et sur les théories de communication au sein de groupes réduits, nous montrerons qu’une caractéristique principale des Social Deduction Games repose sur sa nature de jeu de « communication ». En prenant en compte les interactions au sein d’un groupe de joueurs ou entre les groupes de joueurs, nous analyserons le lien essentiel entre le Social Deduction Game et les interactions sociales entre les joueurs .

Histoire sociale du jeu

Nous nous concentrerons d’abord sur les théories des sciences du jeu classiques pour mieux définir la catégorie des Social Deduction Games et donc pour mieux analyser le jeu du Loup Garou. Nous analyserons principalement trois définitions du jeu, proposées par Johan Huizinga, historien néerlandais, spécialiste de l’histoire culturelle ; Roger Caillois, sociologue et écrivain français membre de l’Académie française ; Jacques Henriot, chercheur au Laboratoire de recherche sur le jeu et le jouet à l’Université Paris-Nord. Nous verrons également dans quelle mesure notre objet s’inscrit dans les grandes thématiques analysées par les chercheurs des game studies contemporaines. La question des frontières du jeu est en effet centrale à notre analyse, tout comme le concept de récept ion du jeu, notion centrale à notre étude .

Définition épistémologique du jeu
« Comment un philosophe sérieux peut-il s’intéresser au jeu ? » interroge Eugen Fink, philosophe et phénoménologue, en 1966. Les premières théories du jeu appar aissent timidement à partir des années 1930, notamment avec Johan Huizinga. Celles-ci sont m arquées par les méthodologies de recherche en psychologie, sociologie et phénoménologie. Si l es réflexions sur le jeu existent depuis les premiers écrits de Platon et d’Aristote, c’est autour des anné es 1960 que se construisent les premières théories organisées, s’inspirant des méthodes stru cturalistes. La ludologie se nourrit aussi des thèses du structuralisme, des théories des sciences de l’inform ation ou encore de la cybernétique : le jeu se définit comme un objet formel structuré pa r des règles. Parallèlement, les chercheurs du jeu pensent aussi leur objet comme une expérience, u ne attitude ou encore un vécu. Dans son analyse épistémologique, Brice Roy souligne d’ailleurs qu e ces théories partagent l’idée d’une « nécessaire distinction entre la dimension objective et la dim ension subjective du jeu, c’est-à-dire d’un côté cela avec quoi l’on joue et de l’autre cela qui est vécu lorsqu’on joue » . Pour  cette notion, Brice Roy insiste sur la question lingui stique puisque le lexique anglais permet de mieux exprimer cette différence entre d’une part ce à quoi l’on j oue, le game, et ce qui est vécu lorsque l’on joue, le play.

Johan Huizinga, Roger Caillois et Jacques Henriot sont les pre miers à avoir construit méthodiquement une analyse approfondie du jeu. Nous pouvons a nalyser leur définition du jeu au regard de notre objet d’étude qu’est le Loup Garou, en considéra nt les pratiques transmédiatiques que les joueurs ont de ce jeu.

Johan Huizinga définit le jeu comme une « illusion, inlusio, littéralement “entrée dans le jeu”, mot chargé de signification » ; il est « une action ou une activité volontaire, accomplie dans certaines limites fixées de temps et de lieu, suivant une règle librement co nsentie mais complètement impérieuse, mais pourvue d’une fin en soi, accompagnée d’un sen timent de tension et de joie, et d’une conscience d’ “être autrement” que la “vie courante” » . Le Loup Garou est effectivement issu d’une action « volontaire » en ce que les joueurs choisissent de se réunir, et ce dans n’importe quel espace ludique (que Huizinga appelle « wedkamp » ). Le Loup Garou est aussi fixé dans des limites temporelles : celui du temps du jeu. Cependant, ces limites temporell es et spatiales sont remises en question car le jeu a tendance à s’inscrire dans la vie réelle, ce q ue nous analyserons plus loin. Dans le Loup Garou, comme dans les autres jeux, la règle est indispensa ble. Cette nécessité de la règle se perçoit d’autant plus dans les groupes de joueurs les plus inves tis. Par ailleurs, pour Huizinga, le jeu s’oppose au sérieux, mais le sérieux du joueur dans son acte de jouer n’est pas négligeable. La joie et la tension qu’apporte le Loup Garou se comprennent pour certai nes communautés par ce sérieux de jouer : nous verrons plus loin que la stratégie devient pour certain es communautés de joueurs un élément indispensable pour s’amuser. Enfin, Huizinga implique la notion du «transport » dans sa définition du jeu. Les entretiens que nous avons menés ont d’a illeurs permis d’observer la grande importance de cette idée d’immersion dans le jeu: « parfois, beaucoup d’émotions entrent dans la partie, parce que justement on rentre dans le jeu » ; « les gens viennent pour passer des moments, pour que sur la jauge, sur le graphique de leur humeur, il y ait des vagues (…) Faut que ça crie ! » . On comprend que le Loup Garou comporte bel et bien une notion d e « transport » : le jeu devient jeu théâtral et l’émotion ressentie est renforcée par cette immer sion. Nous verrons que cette notion est particulièrement présente au sein des Social Deduction Games , dans lesquels la communication est omniprésente, ce qui vient renforcer ce « transport » dont nous parle Huizinga.

Roger Caillois reprend la définition de Johan Huizinga et intègre à la pensée du chercheur néerlandais une approche économique du jeu. Il décrit le jeu en six points: il s’agit d’une activité « libre (…) séparée (…) incertaine (…) improductive (…) réglée (…) fictive » . Il ajoute donc à la pensée de Huizinga l’idée selon laquelle l’issue du jeu est toujours imprévisib le. Dans le cas du Loup Garou, chaque partie permet à l’ensemble des (nombreux) joueurs de jo uer un personnage différent et de faire partie d’un camp différent, aux côtés de personnes diffé rentes. En cela, chaque partie est a priori nouvelle, et donc imprévisible, même au sein d’une même communa uté. Caillois précise que le jeu est « improductif » en référence aux jeux à somme nulle. Sa pens ée est économique ; il ne met pas en doute la capacité du jeu à enrichir l’expérience du joueur. Par ailleurs, Caillois est le premier à proposer une classification des jeux en quatre catégories : « l’agôn » regroupe les jeux dits de «compétition » ; « l’ alea » les jeux de « hasard » ; « mimicry » les jeux « simulacre», c’est-à-dire les jeux reproduisant un aspect de la vie réelle, et « ilinx » les jeux de «vertige ».

Il analyse ensuite les différentes conjonctions qu’on peut, ou no n, faire entre ces quatre catégories. Dans notre cas, le Loup Garou ferait selon notre analyse le pont ent re d’une part l’agôn et mimicry. En effet, il s’agit d’un jeu de confrontations demandant un esprit c ompétitif. L’importance du discours dans les débats imposés par le jeu nous montre égalemen t que le Loup Garou peut s’inscrire dans la catégorie mimicry en ce qu’il met en scène un rapport avec la communication dans les situations d’altercations qu’on peut retrouver dans la vie rée lle. Nous détaillerons ces situations d’énonciation plus en profondeur plus tard. Caillois détermine au ssi ce qu’il appelle le degré de « ludicité » qui lui permet de dégager une échelle d’évaluation de s pratiques ludiques et sociales des joueurs. D’un côté de cette échelle, la « paidia » symbolise le jeu sous sa forme enfantine, qu’on pourrait aussi associer au “fun” proposé par les party games dans les jeux de société modernes. Inversement, Le « ludus » définit le sérieux et la gravité qu’on peut observer dans le jeu, lorsque des enjeux sont présents ou vécus comme tels par des joueurs. Les expér iences ludiques de Loup Garou se positionnent dans un spectrum compris entre ces deux pôles en f onction des communautés impliquées. On observe en effet que certaines parties jouées, en ligne ou en présentiel, penchent vers la paidia en ce que certains joueurs ne s’impliquent pas dans la stratégie que propose le jeu.

Inversement, on observe que d’autres communautés s’investissent davantage dans le jeu (d’un point de vue stratégique, en partie, mais aussi de par des pratiques d’appropriation et d’amélioration du jeu de base) : le jeu suit alors la logique du ludus dans l’échelle définie par Caillois.

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Table des matières

Introduction
1/ Le Social Deduction Game définit le jeu, ses pratiques et ses communautés
A) Histoire sociale du jeu
a – Définition épistémologique du jeu
b – Le Loup Garou au regard d’un nouveau champ disciplinaire : les game studies
B) Le Social Deduction Game : un jeu de communication qui prend de la place
a – S’intégrer dans le groupe
b – Nombre de joueurs impliqués : un jeu de communication
c – Le rôle du Maître du jeu
C) Le Loup Garou : de quel(s) jeu(x) parle-t-on ?
a – Un jeu complet et complexe
b – Le Loup Garou : un jeu qui a de nombreuses communautés
c – Un jeu manipulable
2/ Appropriations du Loup Garou : la variété des pratiques et des formats
A) Les modalités d’usages du jeu
a – L’adaptation à différents degrés en présentiel
b – Différentes pratiques de jeux en ligne
c – En ligne, des supports de jeu créés par et pour les communautés
B) Apports des pratiques transmédiatiques
a – Les espaces : différences et complémentarité
b – Constitution de nouvelles communautés
c – Détournement des espaces médiatiques
C) Des pratiques transmédiatiques transgressives ? Le cas français de Loups-Garous de Thiercelieux
a – Loups-Garous de Thiercelieux face aux autres jeux Loup Garou
b – Les communautés investies et le jeu Loups-Garous de Thiercelieux
c – L’organisation de communautés alternatives
3/ Le Loup Garou s’inscrit dans une culture ludique singulière, fondée par les joueurs et pour les joueurs
A) Les interactions au sein des communautés
a – l’importance de la parole
b – la diffusion de l’humour autour du jeu : le Neurchi Loup Garou
c – L’appropriation collective du jeu
B) Les interactions entre les communautés
a – Une logique d’opposition
b – La difficile intégration
c – pratiques transmédiatiques : quelles communautés ?
C) Création d’un bien commun : dépassement du jeu et de ses auteurs
a – Le jeu au-delà de sa pratique : naissance d’une culture
b – L’engagement ludique
c – La culture ludique du Loup Garou : une « culture de la convergence »
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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