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Noah en Unité de Jour
Un bilan sensori-moteur a été effectué dans le cadre de son admission dans cet hôpital parisien. Il met en évidence des compétences qui sont encore à développer, probablement dues à une certaine instabilité dans son équilibre sensori-tonique (je détaille ce bilan sensori-moteur dans la prochaine sous-partie).
A son entrée dans l’Unité de Jour, Noah était scolarisé en Unité d’Enseignement Autisme en externe à raison de cinq matinées par semaine. Depuis cette année, il est dans l’Unité d’Enseignement de l’Unité de Jour (trois séances de 45 minutes par semaine), en parallèle de sa prise en charge dans l’Unité de Jour (quatre après-midis par semaine) dans le groupe des « grands ». Il est noté que Noah se situe sur un niveau global de CE1, mais son profil étant très hétérogène, nous ne pouvons pas réellement l’inclure dans un niveau précis. En effet, son niveau de CE1 se retrouve dans l’identification des mots avec un répertoire conséquent en adressage, en lecture et en écriture. En numération, il possède des compétences de CP, et en graphisme des compétences de grande section.
En plus des activités éducatives quotidiennes, Noah bénéficie de trois séances d’orthophonie (deux individuelles et une en groupe), ainsi qu’une séance hebdomadaire individuelle de psychomotricité en bain thérapeutique. C’est dans cette prise en soin en psychomotricité qu’Alice et moi l’accompagnons cette année ; je la détaillerai dans ce mémoire.
Il participe également à un groupe appelé « Pat’patouille ». À l’origine, c’était un groupe d’oralité nommé « Croqu’en bouche » conçu dans une perspective sensorimotrice de Bullinger. Du fait du contexte sanitaire actuel, l’équipe qui menait le groupe a dû repenser les modalités de cette proposition car elle reposait sur l’imitation avec la bouche, donc sans masque chirurgical. Ce nouveau groupe transitoire passe donc moins par la zone orale et davantage par les mains. Il a débuté au mois de novembre dernier avec une psychomotricienne et une orthophoniste ; il est constitué de trois enfants entre quatre et douze ans, dont Noah fait partie. Ils ont tous les trois des difficultés alimentaires : cela peut s’apparenter à de l’hypersensibilité, de l’incorporation insatiable ou encore de la sélectivité alimentaire. La séance se déroule toujours en trois temps distincts : un premier temps de détente, puis un temps à table avec des explorations et manipulations de différentes textures ou aliments, et enfin un retour au tapis où le groupe reprend la narrativité de ce qui s’est déroulé. Le cadre est plus facile à accepter pour les deux autres enfants car ils ont participé au groupe « Croqu’en bouche », contrairement à Noah. C’est en effet un garçon qui a besoin d’un fort étayage corporel et d’avoir des repères spatiaux bien définis. L’objectif de sa première partie d’année a été de poser le cadre, de trouver des solutions d’aménagement spatial afin de l’intégrer progressivement au groupe. Il était constamment à la recherche du cadre : il criait, montait à l’espalier, se désorganisait et courait partout dans la salle. L’utilisation de pictogrammes pour qu’il intègre les interdits et les consignes a été bénéfique pour lui. Le premier temps de la séance a aussi été adapté afin de le contenir physiquement et psychiquement. La psychomotricienne l’enveloppe avec des couvertures et exerce des pressions profondes ; Noah en redemande à chaque séance. Concernant le temps d’exploration à table, cela a été compliqué pour lui car il vit difficilement le groupe et n’aime pas rester assis. Maintenant il est capable d’être assis autour d’une petite table adjacente à celle du groupe ; cela représente son espace transitionnel. Lors des repas à l’Unité de Jour, Noah a fait beaucoup de progrès depuis qu’il est accompagné par une éducatrice. Comme souligné précédemment, la station assise à table avec le groupe était très compliquée pour lui et il ne mangeait que très peu de choses (alimentation sélective). Il a fallu repenser la manière de spatialiser le temps des repas pour que Noah ne se désorganise pas. Ainsi, dans la pièce où tous les enfants de l’Unité prennent leur repas, l’éducatrice a installé Noah dans un coin plus contenant de la pièce avec un paravent pour qu’il n’ait pas le groupe dans son champ visuel. Malgré ses difficultés alimentaires (il ne mange que ce qui est de couleur blanc-crème), Noah est parvenu à rester assis sans se désorganiser. Et depuis plus de six mois, afin d’accepter progressivement la dynamique groupale, l’éducatrice spécialisée l’a dorénavant installé sur une petite table attenante à celle du groupe, mais elle reste toujours présente à ses côtés pour le contenir.
Au niveau de la communication, Noah utilise peu le langage oral, surtout en tant qu’outil de communication envers un tiers, mais il est possible d’échanger. Il répète souvent des mots ou phrases en écholalie. Il aime bien chanter, cela semble lui procurer beaucoup de plaisir. Il accepte davantage la frustration et intègre lorsqu’on lui dit « non ». Il ne dit pas « je », ou bien il l’utilise mais ce sont des phrases plaquées comme « je veux trottinette Justine moi » en demandant à son éducatrice l’objet désiré. Depuis le premier confinement, il y a eu une dégradation de l’expression. Il comprend des phrases simples, mais quand il est fatigué il n’a plus la capacité de dire non. Il y a peu d’échange-plaisir, c’est surtout quand il a besoin de quelque chose qu’il communique avec ses pairs. Il est très facilement distrait, son attention est fluctuante. En lecture, il est capable de décoder mais il ne comprend pas, et ne détecte pas les émotions dans les histoires. En revanche, il peut parfois identifier les émotions des personnes en se basant sur leurs mimiques faciales.
Concernant ses capacités de socialisation, Noah peut jouer dans la cour avec un ou deux enfants du groupe. Il peut établir un bref contact visuel et physique avec l’adulte, surtout lorsqu’il convoite un objet. Il semble reconnaître ses pairs mais ne marque pas de préférence particulière pour quelqu’un. Lorsqu’il s’oppose, il le signifie en gémissant, en se faufilant s’il le peut pour échapper à la personne, ou en se repliant dans des autostimulations motrices et/ou sonores.
Du fait de son âge et de ses difficultés relationnelles et cognitives, Noah est actuellement en liste d’attente dans au moins trois établissements sur les huit Instituts Médico-Éducatif (IME) demandés.
Sous un angle psychomoteur
Noah présente un TSA, nous allons donc définir l’autisme de façon succincte puis nous développerons son profil sous un abord psychomoteur à travers des observations psychomotrices.
Autisme : définition
Selon le DSM-5 (Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux, 5e édition), publié en mars 2013 par l’APA (American Psychiatric Association), le TSA, anciennement appelé TED (Trouble Envahissant du Développement), se caractérise par une dyade autistique :
– Des troubles de la communication et des interactions sociales observés dans des contextes variés (les problèmes sociaux et de communication sont désormais combinés).
– Des comportements, intérêts ou activités restreints et répétitifs. (Guelfi et al., 2013).
Cette définition est dimensionnelle et doit être complétée par le degré de sévérité et, selon la HAS (Haute Autorité de Santé, février 2018), elle « nécessite de spécifier si les conditions suivantes sont associées au TSA : déficit intellectuel, altération du langage, pathologie médicale ou génétique connue ou facteur environnemental, autre trouble développemental, mental ou comportemental, ou catatonie. » (Haute Autorité de Santé, 2018, p.1).
Le TSA est un trouble neuro-développemental (TND). D’après le DSM-5, « Les TND résultent d’une série d’anomalies des fonctions cérébrales supérieures et des fonctions perceptives et motrices. Les patients ont une symptomatologie hétérogène et polymorphe, avec des déficits de plusieurs fonctions cérébrales supérieures, des troubles comportementaux et moteurs, des anomalies corporelles, un risque accru de crises épileptiques, etc. ». Parmi eux, on retrouve le handicap intellectuel, les troubles de la communication, les TSA, le déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, les troubles spécifiques de l’apprentissage et les troubles moteurs. Dans le DSM-5, le critère du jeune âge des patients est supprimé.
Les « troubles/retard du langage » qu’on retrouvait dans le DSM-IV font désormais partie de la première catégorie, et le symptôme clinique « sensibilité inhabituelle aux stimuli sensoriels » apparaissent dans la deuxième catégorie « comportements répétitifs ».
Ces symptômes sont présents depuis la petite enfance (avant l’âge de trois ans) et, mis ensemble, ils altèrent le fonctionnement quotidien.
Bilan sensorimoteur
À son arrivée à l’Unité de Jour enfant, Noah avait huit ans et demi. La psychomotricienne de ce service a réalisé un bilan sensorimoteur à la demande du médecin dans le cadre de l’hospitalisation de Noah.
C’est André Bullinger, ingénieur de formation puis psychologue spécialisé dans le développement sensorimoteur du jeune enfant, qui a élaboré ce bilan sensorimoteur. La sensori-motricité constitue le soubassement du développement psychomoteur, affectif et cognitif de l’enfant (B. Meurin, 2018).
Lors de la passation du bilan, Noah montre des compétences très hétérogènes dans tous les domaines, tout comme en dehors de l’évaluation, dans l’unité. Il est agité, éparpillé et en même temps peut faire preuve de précision quand par exemple il se déplace à vélo. Dans ses interactions et la communication, ce n’est que de courte durée, mais il y a un accrochage du regard et des rapprochements possibles.
Domaine posturo-moteur
Noah peut se désorganiser lorsqu’il est en groupe, il devient agité et a besoin alors de chercher des objets contenants, d’aller vers un adulte, ou encore de se jeter au sol. La pratique du vélo ou de la trottinette dans la cour semble le rassembler, ses déplacements prennent sens. Noah aime grimper, aller en hauteur en montant sur les talus des pelouses. Lorsqu’on met un coussinet sur son buste en décubitus dorsal, Noah semble plus calme et posé. Sa régulation tonique est en « tout ou rien », ce qui signifie qu’il est capable de passer de l’hypertonie à l’hypotonie et vice versa.
Domaine praxique
Noah a des difficultés pour se tenir et rester assis, il se met de côté pour effectuer les activités proposées, ce qui l’empêche de réussir correctement. Au niveau du graphisme, il est capable de tracer des courbes. La psychomotricienne a observé un décalage entre les activités sensorielles (comme pousser des cris, taper un bâton pour faire du bruit, mordre des objets) et les activités instrumentales plus élaborées (comme attraper des bâtons et les ranger, faire des constructions avec des baguettes). Noah présente de bonnes capacités d’imitation en s’appuyant sur le rythme (taper des pieds par exemple).
Domaine sensoriel
Au niveau auditif, Noah réagit à son prénom au bout de la cour, il cherche à pousser des cris aigus de différentes intensités comme pour chercher la résonance des lieux. Au niveau de sa sensibilité tactile, Noah ne semble pas présenter d’irritabilité des bras et du visage contrairement aux jambes (réaction de retrait). Au niveau visuel, Noah accroche le regard facilement mais la poursuite est difficile. La tâche laser est aperçue et localisée mais il détourne vite le regard. Les détails des objets semblent bien perçus.
Domaine de la sphère orale
Noah est en recherche de sensations fortes comme mordre des objets durs (clés, bâtonnets). Il est atteint du syndrome de Pica : il ingère des aliments non comestibles. Cela nécessite une surveillance accrue par les équipes soignantes car il peut se mettre en danger (objets tels que des vis, des bâtons).
Noah présente également une sélectivité alimentaire importante : lors des repas, il mange seulement du pain et seulement ce qui est blanc. Au niveau de la parole, il sait chanter certaines comptines et ne fait pas de phrase complète ; il dit par exemple « ballon Noah ».
En conclusion de ce bilan, Noah est un enfant qui passe d’une polarité à une autre tant au niveau tonique que dans ses conduites opératoires. Son équilibre sensori-tonique est encore instable, ce qui l’empêche de développer ses compétences sous-jacentes.
En effet, la dimension tonique joue un rôle primordial dans le développement des fonctions instrumentales, et on retrouve fréquemment chez l’enfant autiste ce type de fonctionnement « on/off » avec un recrutement tonique important afin de ressentir ses limites corporelles et avoir un sentiment d’unicité.
Compte tenu de toutes ces observations, la psychomotricienne conclut qu’il serait intéressant pour Noah de proposer des activités qui le rassemblent, comme des enveloppements secs, l’utilisation d’objets contenants, la balnéothérapie, l’escalade, le poney, une bonne installation qui favorise les appuis pieds et dos, soutient et développe sa créativité par la construction, le dessin, les activités rythmiques.
Les grandes fonctions psychomotrices chez Noah
Chez les enfants atteints d’autisme, certaines fonctions psychomotrices sont touchées. Elles sont intimement liées les unes aux autres. Chez Noah, nous allons retrouver différents troubles que nous avons observé cette année :
Fonction tonique
Nous observons souvent chez les enfants TSA une dysharmonie tonique. Selon M. Jover (cité dans Pavot-Lemoine, 2018), le tonus est « l’état de légère tension des muscles au repos, résultant d’une stimulation continue réflexe de leur nerf moteur. Cette contraction isométrique est permanente et involontaire. Elle fixe les articulations dans une position déterminée et n’est génératrice, ni de mouvement, ni de déplacement. Le tonus maintient ainsi les stations, les postures et les attitudes. Il est la toile de fond des activités motrices et posturales ». Le tonus de fond, aussi appelé tonus basal ou permanent, est souvent impacté chez les TSA, tout comme le tonus postural (qui permet de maintenir une posture) et le tonus d’action (qui prépare et soutient le mouvement). Réveillé et al. (2018) constatent une grande hétérogénéité avec une hypertonie du tronc et des muscles proximaux des membres inférieurs accompagnée d’une hypotonie des muscles distaux des membres inférieurs et supérieurs. Cette répartition non homogène peut expliquer des troubles de l’ajustement et du contrôle postural.
Chez Noah, nous observons une dérégulation de la fonction tonique avec des difficultés d’ajustement postural. Il est sur un versant hypertonique, accompagné d’une rigidité du buste en s’érigeant avec une tension excessive en extension. Assis ou debout, Noah se positionne en hyperextension axiale comme pour rechercher un arrière-fond. La position assise est difficile à maintenir sans un appui-dos. Nous observons également chez Noah des stéréotypies motrices témoignant d’un trouble de la fonction posturale. D’après le DSM-5, « Les stéréotypies motrices sont définies comme des mouvements rythmiques, répétitifs, prédictibles, involontaires qui semblent réfléchis mais qui n’ont aucun but ni aucune fonction adaptative évidente et s’arrêtent lors d’une distraction » (DSM-5, 2013, p.183). En effet, quand Noah se déplace dans les couloirs, il avance en tournoyant sur son axe et chantonne avec différentes intonations. Il a aussi des petits rictus du côté droit de son visage, sans raison apparente. Il y a une influence réciproque entre régulation tonique, fonction posturale et stéréotypies motrices.
Lors des transitions entre les activités, Noah se désorganise et passe d’un extrême à l’autre en courant, quitte à se mettre en danger. En effet, lorsque Alice et moi venons le chercher dans la cour pour la séance de psychomotricité, Noah se précipite vers la porte de sortie. Il n’attend pas que nous sortions de la cour et exerce un fort recrutement tonique en montant rapidement les escaliers extérieurs qui mènent à l’unité de jour, le manteau tombant sous ses épaules. Il est capable de se hisser sur les rambardes étroites en peu de temps et ne se rend pas compte du danger imminent. Noah se trouve dans un fonctionnement de tout ou rien concernant son tonus et ses conduites motrices ; il peut passer d’une polarité à une autre très rapidement lorsqu’il se trouve dans l’agitation. Pour se réunifier, il cherche par exemple à se déplacer en vélo ou en trottinette dans la cour.
Fonctions sensorielles
Les personnes autistes peuvent présenter des particularités sensorielles, c’est-à-dire qu’elles ont un déficit dans le traitement des informations sensorielles par le système nerveux central, et de ce fait leur comportement en est altéré.
B. Meurin (2019) explique ces particularités chez les personnes atteintes d’autisme en précisant qu’elles peuvent être soit en hypo-réactivité sensorielle et la personne a alors besoin de beaucoup de stimuli du fait de son seuil de réactivité trop haut, soit être en hyper-réactivité sensorielle : la personne a un seuil de réactivité trop bas et réagit à la plus petite stimulation. Deux comportements opposés en découlent : dans le cas d’une hypo-réactivité la réaction sera d’être dans des conduites de recherche de sensations, et dans le cas contraire (hyper-réactivité) la réaction sera d’éviter et de s’isoler des situations où la stimulation est présente. De ces particularités découlent des difficultés à gérer plusieurs canaux sensoriels en même temps, ce qui impactera le guidage des actions futures. Ainsi, la personne autiste cherchera à entrer dans une seule modalité sensorielle.
Noah semble présenter plusieurs particularités sensorielles. Il est à la fois en recherche de sensations vestibulaires comme les tournoiements sur lui-même, ou encore quand il parcourt rapidement la cour avec sa trottinette. Il aime également sauter dans le bain et tomber sur ses jambes et genoux de toute sa hauteur au fond de la baignoire. Au niveau gustatif, Noah présente une sélectivité alimentaire importante, ce qui indique une hypersensibilité. Concernant le sens tactile, l’utilisation de l’eau pour Noah ne semble pas le déranger, même nous avons remarqué qu’il n’aimait ni qu’on l’éclabousse, même légèrement, ni qu’on lui passe le jet d’eau de la douche sur lui. Cependant, il est capable de faire couler l’eau de lui-même sur son corps. Après la séance de psychomotricité, au lieu de rejoindre ses camarades au goûter, cela lui arrive d’aller s’isoler dans la salle d’hypostimulation située au bout du couloir, dans un recoin. Serait-ce une saturation de stimulations ou bien une façon de prolonger et de s’approprier un peu plus ce silence vécu pendant la séance pour consolider ses éprouvés internes ?
Fonction de perception et de représentations du corps
André Bullinger (cité dans Pavot-Lemoine, 2018) a abordé la question des représentations par le biais de la fonction proprioceptive : « Les premières formes représentatives sont constituées par les habituations qui permettent de relier les variations d’un flux sensoriel aux variations de la sensibilité profonde. La constitution de cette fonction proprioceptive constitue un premier moyen qui permet au bébé de retrouver des postures faisant partie de son répertoire de base, il peut ainsi s’orienter face à ces flux. »
Chez les personnes avec TSA, d’après C. Pavot-Lemoine (2020), on retrouve des troubles de la perception et des représentations du corps, notamment des difficultés d’intégration perceptivo-motrice (défaut d’intégration des sensations entraînant des difficultés de régulation motrice, négligence ou focalisation sur des stimuli sensoriels), et des angoisses pouvant s’apaiser par le rétablissement de la sensation de continuité corporelle. La dissociation entre le haut et le bas du corps (avec un faible investissement du bas) et entre les deux hémicorps droit et gauche est également présente. La personne autiste investit particulièrement la zone orale, souvent non instrumentalisée.
Chez Noah, l’intégration des différentes informations sensorielles est altérée, il les traite une à une, ce qui l’empêche en partie d’avoir une perception unifiée de son corps. Il y a également des troubles des interactions, notamment dans les échanges de regard et la communication verbale, ce qui ne favorise pas la constitution d’une image de soi. Noah est encore dans le corps vécu et perçu à travers la découverte du soi et du non soi, de l’exploration des objets par des expériences sensori-motrices, et l’imitation. Il semble distinguer quelques parties de son corps comme les mains, les pieds, il est capable d’anticiper certaines actions notamment lors du déshabillage et de l’habillage au début et à la fin de la séance en bain thérapeutique.
Fonction de l’espace et du temps
Le temps et l’espace sont un ensemble indissociable et sont des données intriquées dans le développement psychomoteur avec l’axe corporel, le tonus, le schéma corporel, la latéralité, etc. L’espace se construit en parallèle du développement du schéma corporel et de la latéralité. Il dépend de son équipement neuro-moteur et neuro-sensoriel ainsi que de ses expériences psycho-affectives. D’après Piaget (cité dans Galliano et al., 2015), l’enfant développe sa perception de l’espace par stades successifs et en fonction de son âge se situe dans l’espace vécu, l’espace conçu et l’espace représenté.
L’espace c’est aussi la distance, c’est ce qui sépare le soi du non-soi, de l’autre, de l’objet. C’est le support de la relation, de la communication.
D’après J.C Coste (cité dans Pavot-Lemoine, 2018), « La structuration spatio-temporelle est une donnée majeure d’une adaptation favorable de l’individu. Elle lui permet non seulement de se mouvoir et de se reconnaître dans l’espace, mais aussi d’enchaîner ses gestes, de coordonner son activité et d’organiser sa vie quotidienne. »
Chez les personnes TSA, on peut retrouver des troubles des fonctions de l’espace et du temps, notamment des difficultés de traitement des informations temporelles, un manque de continuité dans la perception des événements, une désynchronisation des interactions sociales précoces, un déficit dans les tâches de reproduction de durées, une sensibilité de discrimination temporelle plus faible.
Noah semble avoir besoin que l’on délimite l’espace. En effet, Noah se désorganise et s’agite rapidement lorsqu’il se trouve dans un espace peu contenant comme les couloirs, la cour de récréation, ou dans des endroits de transition. Il a besoin d’un cadre spatio-temporel sécure afin de se rassembler. De plus, il perçoit et connaît les différents moments qui composent la journée. Il semble avoir une horloge interne et connaît son emploi du temps sans se référer à l’affichage écrit ou imagé.
Fonction de motricité globale et fine
On distingue le contrôle des impulsions, la motricité non intentionnelle et les mouvements anormaux, le mouvement intentionnel et les coordinations.
Chez les personnes autistes, on retrouve fréquemment des troubles des coordinations dynamiques générales, des troubles de l’équilibre. Il y a une grande hétérogénéité des troubles de la motricité globale et fine.
Noah semble avoir un équilibre particulier, il est capable de se déplacer sur deux trottinettes en même temps dans la cour de récréation. Dans le dispositif du bain thérapeutique, il peut se placer debout sur le rebord étroit de la baignoire sans tomber. Il sait sauter à pieds joints. Mais comme l’évoque E. Grenier (2009), les troubles de l’équilibre peuvent être le témoin d’une atteinte tonique ou perceptive, il est donc important d’observer d’où peut venir le trouble.
Au niveau de sa motricité fine, Noah aime les activités manuelles comme jouer avec les Kaplas, manipuler de la pâte à modeler.
Des racines aux fruits du silence, un regard pluriel
Origine et définitions
Étymologiquement, d’après Véronique DEFIOLLES-PELTIER, le mot « silence » vient du latin classique silentium qui signifiait au XIIème siècle : « absence de mouvement et de bruit utilisé autant à propos des choses que des personnes ». Puis le sens évolue et signifie « ne pas exprimer sa pensée » pour ensuite dire « sans faire de bruit, sans dire un mot et sans se plaindre. » (V. Defiolles-Peltier, 2013)
Vers le XIVème et XVème siècle, il fait référence à la religion comme le montre les expressions suivantes : « être mis sous silence, ne pas en parler, imposer silence à quelqu’un, réduire quelqu’un au silence. ». Il y a aussi une notion de secret et d’interdit, d’absence d’agitation, de calme. Il peut également représenter une interruption dans un discours ou un soupir en musique, permettant de varier le rythme (V. Defiolles-Peltier, 2013).
C’est au XXème siècle qu’apparaît dans le domaine de la physique un nouveau sens : l’absence de son.
D. Le Breton (1997) apporte une autre définition du silence. Il distingue deux formes dans la langue latine. Celle de tacere, verbe actif se référant à une personne, signifiant un arrêt ou une absence de parole. La deuxième forme est silere, verbe intransitif se rapportant non pas seulement à l’homme mais aussi à la nature, aux animaux, aux objets, et a une signification plus large : le silence est synonyme de tranquillité, d’une tonalité paisible de la présence. Il renvoie à la solitude de l’individu, ou à son immersion dans un groupe où sa présence n’a guère d’incidence. Tandis que tacere est utilisé dans le cadre d’un échange, sous-entendant que l’un des protagonistes garde le silence et projette une signification directe susceptible d’interroger les autres.
En grec, deux dimensions se distinguent concernant le silence : il y a l’action (de se taire) traduit par siôpân et l’état (être en silence) traduit par sigân.
D. Le Breton rassemble les deux termes latins en disant que « silere et tacere alternent et participent au jeu du sens, ils se conjuguent à un troisième aspect qui renvoie à la nécessité des pauses afin que la langue ne s’étouffe pas dans le tropplein des mots. » Il ajoute que « Parole et silence se mêlent pour concourir à l’échange » (D. Le Breton, 1997, p.26).
Silence et parole sont étroitement intriqués, voire inséparables tels deux faces d’une seule et même pièce de monnaie. Des expressions l’illustrent d’ailleurs très bien :
« un silence qui en dit long », ou encore « un silence assourdissant ». Le silence est une forme de communication non verbale. Il se situe dans le registre de l’infra-verbal ou du préverbal. Nous le définissons d’ailleurs souvent par le fait qu’il n’est pas le verbal.
Nous ne pouvons donc pas parler de silence sans évoquer la communication. Dans un discours, nous nous sommes aperçus que celui qui l’écoute retient seulement 7% du contenu verbal, 35% au ton de la voix et le reste, soit 58%, est intégré par la gestuelle et les expressions faciales. En effet, les simples paroles d’un discours ne suffisent pas à le rendre audible. La voix, le regard, les gestes, la distance, le rythme du discours et la distance à laquelle se tient l’autre, ont autant d’impact, voire plus, que les paroles pour l’interlocuteur qui est en face. La communication non verbale est donc essentielle lors d’un échange (R. Narfin, 2012).
Silence et communication vont de pair et D. Le Breton le met en relief en parlant du silence comme modulateur de la communication. Dans une conversation, les silences permettent la réflexion avant de poursuivre un raisonnement, ils sont comme une ponctuation qui rendrait lisible le discours pour une meilleure compréhension. Il relie les propos, favorise leur intelligibilité et fluidifie le discours. Il laisse un espace de liberté dans le dialogue, laissant le choix à l’interlocuteur de s’engager dans le discours, de relancer l’échange ou d’y mettre un terme. D. Le Breton ajoute que « Chaque parole remue le silence à sa manière et donne une impulsion propre à l’échange. De même, le silence remue la parole en lui donnant un angle particulier, ils ne sauraient se passer l’un de l’autre sans se perdre, sans rompre la légèreté du langage » (D. Le Breton, 1997, p.26).
Le silence a donc une place majeure dans l’expression et la communication, comme le montre si bien l’adage « si la parole est d’argent, le silence est d’or ».
Le silence et ses représentations dans le vacarme du monde actuel
Les perceptions du silence sont variées et différentes en fonction des cultures. De plus, la présence exponentielle des technologies actuelles a transformé la façade du monde contemporain, ce qui a des répercussions majeures dans nos modes de communication. On peut alors se demander comment le silence est perçu dans notre monde actuel, quel est le rapport au silence selon les différentes cultures ?
Dans le monde oriental, le silence est mis en avant : il fait partie des codes culturels. L’infra-verbal, les gestes, sont valorisés et significatifs. Par exemple, le silence a un certain poids dans la société japonaise où ont été mis en place des codes d’évitement pour réduire les inconvénients de parler frontalement. Au Japon, la sobriété de parole est une vertu, même en politique la retenue ne nuit pas à la popularité et à la carrière d’un homme. Un premier ministre était justement réputé pour son silence et sa patience.
En sport, dans la culture orientale, le silence est essentiel dans les arts martiaux qui nécessitent une grande concentration. L’élève doit écouter et observer le maître sans lui poser de questions. De plus, dans des traditions religieuses orientales comme le bouddhisme et l’hindouisme, il y a une recherche de silence pour se reconnecter à l’essentiel. Le silence est mis en avant par Bouddha comme un « précieux trésor spirituel » à transmettre. On parle même de méditation silencieuse afin de se déconnecter de son corps et de ses propres pensées pour atteindre le Nirvana, état d’extase suprême. Dans l’hindouisme, le maître n’enseigne pas qu’au travers de la parole, il transmet aussi par le silence : « la Vérité est exposée dans le silence » disait Ramana Maharshi, grand maître guru de l’Inde contemporaine. D’importantes manifestations, comme la marche silencieuse de Gandhi, appelée « Marche du sel », ont également montré que le silence pouvait avoir un impact conséquent.
Ainsi, le silence en Orient semble être vu comme quelque chose de précieux, de nécessaire, pour pouvoir s’élever.
Selon Scollon (cité dans Le Breton, 1997), les amérindiens du Nord-Ouest de l’Amérique sont jugés par leurs voisins américains comme des « passifs, maussades, renfermés, sans discussion, paresseux, arriérés, destructeurs, hostiles, non coopératifs, antisociaux et stupides », renvoyant à des attitudes différentes dans les conversations (D. Le Breton, 1997, p.29). Il se trouve que ces indiens usent de la parole différemment, ils font des pauses plus longues, et n’enchaînent pas lorsque l’interlocuteur laisse un temps de silence. Réputés pour leur retenue, les indiens, eux, qualifient les Blancs de sang chaud, de bavards et d’autres termes négatifs. Selon R. Caroll (cité dans Le Breton, 1997), les américains de classe moyenne expriment aussi que les français ont un comportement qui les déroutent. Ils interrompent leur discours sans respecter les pauses. En effet, le principe est de « ne pas couper l’interlocuteur au milieu d’un mot ou d’une phrase, mais de saisir une légère flexion de la voix, pour prendre la parole à son tour. » (D. Le Breton, 1997, p.30). L’américain, frustré, trouve alors son interlocuteur superficiel quand ce dernier lui pose des questions sans même sembler se soucier des réponses.
À contrario, dans la culture occidentale la prise de parole est valorisée, il y a même une fuite du silence. L’Histoire a traversé des époques où le silence représentait une façon de dominer les autres, de marquer son autorité, et était donc un signe de soumission. C’est ainsi qu’actuellement le silence est perçu comme une marque de régression sociale, d’autoritarisme qui n’est plus valorisé. Dans la présente culture occidentale, la prise de parole est fortement mise en avant et ceux qui ne sont pas à l’aise pour s’exprimer sont brimés et ont des difficultés à trouver leur place dans la société. P. Breton (2003) parle même de « sociétés audio centrées », nos relations étant principalement dirigées autour de l’expression verbale, à défaut de la gestuelle et du non verbal. Mais finalement, dans une société moderne où l’on est constamment entouré de bruit, où les personnes extraverties sont valorisées et où ce qui est exprimé par le langage oral ou écrit a davantage de valeur, l’Homme a trouvé des dispositifs pour se protéger du bruit environnant (casque anti-bruit, mur isolant, écouteurs dans les transports). D’autres ont recours à la méditation, des retraites ou randonnées silencieuses, ou encore des manifestations pacifiques silencieuses. Toutes ces quêtes de silence montrent qu’il a toute sa place, et a même un impact positif dans plusieurs domaines.
En musique, on parle de temps de silence ; sous forme de soupirs, de respirations, ils sont indispensables au rythme de la composition et mettent en valeur certaines notes. C. Potel (2013) décrit le silence en musique comme quelque chose qui n’est jamais vide et qui relie l’ensemble avec harmonie et rythme : « il est suspension, il est pont entre deux soupirs, il est ouverture sur le texte mélodique, il est point d’appui rythmique, il est préparation vers d’autres contrées. Le silence est un intervalle, un intermédiaire, un tremplin vers un espace ouvert. Le silence s’interprète, en musique comme en danse. » (Catherine Potel, 2013, p.164) Sans respiration, ce serait une cacophonie, un brouhaha permanent non mélodieux. Le silence est donc le support du rythme. Il donne une structure à la forme musicale. Les temps de silence vont aussi déterminer la vitesse, ce qui donne un tempo à la musique. Le tempo, appelé aussi cadence ou allure, est « la répétition du temps fort et régulier d’un rythme dont la durée détermine la vitesse, raison pour laquelle on assimile vitesse et tempo. » (A. Pijulet, 2021, p.1) C’est à travers le rythme qu’est soulevée la question de la structuration, de la construction et de l’expression du sujet. Je détaillerai dans la dernière partie l’importance du rythme.
En sport, le silence est crucial quand, avant un match, une compétition importante, le sportif doit se préparer mentalement à l’action et se concentrer afin de réunir toutes ses capacités. C’est un temps intermédiaire, un temps informel mais précieux et indispensable avant d’entamer un exploit sportif. Cette réflexion est applicable à tous les domaines dans lesquels il y a un enjeu important qui nécessite de rassembler toutes ses compétences.
En termes de spiritualité, le silence est même un mode de vie. Certains ordres religieux, chez les chrétiens par exemple, s’appuient sur le silence dans leur quotidien et le mettent au cœur de leurs activités quotidiennes comme la prière, la contemplation, les repas. En général, le lieu est propice au recueillement, au calme. Certaines communautés religieuses proposent même des retraites spirituelles aux visiteurs afin de faire une pause dans leurs vies effrénées. Le film Le Grand Silence de Philip Gröning témoigne de cette vie spirituelle de silence à la Grande Chartreuse. Aussi, quand nous entrons dans un édifice religieux, un lieu de culte, par respect pour les lieux, nous savons que le silence est requis. C’est comme un refuge paisible contre le vacarme du monde extérieur, pour celles et ceux qui sont en recherche de calme intérieur.
Les représentations individuelles du silence
Nous avons précédemment abordé la place du silence dans les sociétés orientales et occidentales ainsi que dans différents domaines. À présent, nous allons nous pencher sur nos propres représentations du silence, ambivalentes, à la fois positives et négatives.
Le silence peut être perçu comme un redoutable adversaire. Dans nos sociétés actuelles où les nouvelles technologies et les réseaux sociaux sont omniprésents, nous sommes constamment sollicités et hyperstimulés, happés par les écrans, créant un besoin permanent d’interagir. Tous ces supports créent une immédiateté, ne laissant que peu de place au silence. Cela montre à quel point on le redoute, on veut remplir l’espace de mots, par peur du vide, renvoyant à un retour vers soi-même.
Le silence, c’est la peur de l’inconnu, du vide, du néant qui peut même renvoyer à sa propre finitude, à la mort. Ce peut donc être associé à quelque chose d’insupportable, de destructeur ou violent. C’est aussi la stupéfaction ou la sidération quand, face à un événement inattendu, nous restons immobiles et muets. Il peut être également teinté de mécontentement quand la personne est dans un silence de repli sur soi (M. Leroux, 2016). Pour un enfant comme pour un adulte, le silence peut être perçu comme de la solitude, synonyme d’absence et parfois d’angoisse. Mais tout est question de subjectivité, car il y a autant de significations que d’individus. La perception du silence est complexe, personnelle et dépend d’une temporalité.
À contrario, le silence est riche et peut se montrer vertueux pour tout un chacun. Il peut incarner la vie, l’apaisement, la sérénité, la présence, le respect, la discrétion. Chez une même personne, le silence peut à la fois produire un apaisement productif et à la fois représenter un frein dans sa vie. Tout dépend du moment, de la situation présente. Il sert d’indice comportemental en lien avec le fonctionnement interne de l’appareil psychique. Il est porteur de différentes significations chez un même individu (C. Richard, U. Kramer, 2013)
Ainsi, la perception du silence est ambivalente, tantôt positive tantôt négative. Ces deux potentialités opposées sont en réalité complémentaires et sont imprégnées de la subjectivité de chacun, en fonction du contexte, de la charge émotionnelle, et des représentations personnelles.
Mes propres représentations du silence
J’ai également remarqué que mon propre rapport au silence était plus complexe que je ne le pensais. En faisant une introspection, j’ai perçu une certaine ambivalence comme expliqué plus haut.
En effet, les moments d’arrêt de mouvement sont souvent reliés à des temps d’attente, par exemple quand je patiente dans la salle d’attente pour un rendez-vous médical, ou encore dans une file de personnes, je me surprends à être irritée par cet immobilisme. Nous avons l’habitude d’obtenir instantanément des informations quand nous le souhaitons ou encore d’acheter en un clic le dernier vêtement à la mode. En revanche, dans une salle d’attente, immobile, je sens que le silence me pèse et me renvoie à ma conscience intérieure. J’ai peur d’être envahie de pensées, tourmentée et remettre tout en question. Je le ressens alors comme un vide à combler. Aussi, lorsque je m’isole du bruit environnant à l’aide d’un casque ou de boules Quiès, je me retrouve dans un silence qui en devient presque dérangeant car les bruits internes de mon corps s’imposent à moi. J’ai ainsi un sentiment négatif d’enfermement, d’oppression qui m’envahit. Dans une autre situation, quand j’interagis avec mon interlocuteur, il m’arrive de ressentir un malaise lorsqu’un « blanc » s’installe entre nous. Il dépend surtout de la personne qui est en face ainsi que du contexte dans lequel ce silence s’installe. Il peut être perçu comme un « vent » désagréable à un instant T mais apaisant comme une « brise légère » et nécessaire à un autre moment.
Mon rapport au silence dans mes études de sage-femme
Mes études de sage-femme m’ont bousculée dans mon rapport au silence et à tout ce qui gravite autour : l’absence de mouvement, la mise à distance, la détente, l’apaisement, la pleine présence, l’écoute.
Il faut d’abord imaginer un service de maternité organisé en plusieurs salles de naissances et un îlot central avec le bureau des sages-femmes où de multiples écrans affichent les constantes biologiques de la mère, le rythme cardiaque fœtal et maternel et d’autres informations sur la santé du couple mère-enfant. Cette « centrale » où sont regroupés ces écrans, est complétée par des alarmes et des indicateurs de couleurs qui alertent si ce qui est affiché est dans la norme ou bien préoccupant. Autour de cette centrale, gravite le personnel soignant : aides-soignants, infirmiers, sage-femme, médecin obstétricien, internes en médecine, étudiants de toutes professions, agents de service hospitalier, futurs pères, etc. Il y a donc un mouvement permanent, de jour comme de nuit, que ce soit un dimanche, un jour férié, ou le jour de Noël. Ajoutons à cela dans chaque salle de naissance le son des alarmes du monitoring fœtal, parfois même celles de l’écran accroché au mur qui indique les rythmes cardiaques des autres salles de naissance pour rester en alerte et ne rien laisser passer. Ces bruits, censés être à l’intérieur du corps et de façon inaudible, sont projetés vers l’extérieur. Il y a aussi les pleurs du nourrisson venant de naître mélangés aux cris de la mère de la chambre attenante avec les encouragements de la sage-femme qui accompagne d’un ton ferme et puissant la femme qui est en train d’accoucher.
Face à cet environnement sonore continu et permanent, mon corps et mon cerveau se trouvaient constamment en alerte. Mes oreilles et mes yeux étaient toujours ouverts, prêts à détecter la moindre anomalie qui pourrait engager le pronostic vital de la mère et/ou du fœtus. Même dans les moments d’accalmie, je me trouvais dans un certain état de vigilance qui m’empêchait de me relâcher et d’être à l’écoute de mes propres sensations corporelles.
Tout ce retentissement sonore résonnait en moi lors de chaque garde (et même après), me laissant alors dans l’impossibilité de faire place au silence.
Les seuls moments de silence régnant dans ce service de maternité étaient des silences d’angoisse, synonymes de mort. En effet, il arrivait que l’accouchement ne se passe pas comme prévu, la sage-femme, sans dire un mot, regardait alors l’auxiliaire de puériculture d’une certaine intensité, ce qui donnait le signal d’appeler en urgence le médecin obstétricien de garde afin qu’il procède au plus vite à l’extraction du fœtus. Ce silence était alors lourd de sens et générateur d’anxiété. De plus, lorsque nous ne captions plus au monitoring fœtal le rythme cardiaque, cette absence de signal sonore était redoutée, ce silence devenait pesant, il fallait tout faire pour combler ce vide au plus vite.
Ce silence de mort se manifestait aussi dans le cas où le nouveau-né, en sortant de la vie intra-utérine, ne poussait pas de cri. Ce premier cri de la vie tant attendu, signe de bonne adaptation à la vie extra-utérine, est la manifestation même d’un bébé en vie. La situation devenait alors très périlleuse lorsque, dès la première minute de vie, le nouveau-né ne criait pas. Après une brève explication de la sage-femme à la mère, elle emmenait son enfant dans une salle prévue pour la réanimation. Le silence envahissait alors la pièce afin que la concentration soit maximale. Seules les alarmes des machines autour de l’enfant comblaient ce vide.
J’évoquais en début de paragraphe une autre forme de silence, l’absence de mouvement. Dans ce métier, nous devons être dans un état d’hypervigilance presque permanent, en réagissant instantanément à la situation qui peut s’aggraver brutalement et engager le pronostic materno-fœtal. Lors de mes études, j’ai appris des « algorithmes » me permettant de savoir quoi faire dans telle ou telle situation. Ainsi, il n’y avait que peu de place pour les questionnements, les temps de mise à distance ou de repos.
Ces mouvements incessants, ces va-et-vient dans les couloirs, m’empêchaient donc de pouvoir faire silence dans toute cette agitation. Même pendant les temps de repas (quand nous avions la possibilité d’en prendre le temps, ce qui n’était pas toujours le cas en douze heures de garde), je ne m’autorisais pas à faire silence en moi par crainte de trop baisser ma vigilance ou de modifier mon seuil d’alerte au risque de perdre en réactivité et efficacité. Les temps morts n’ont donc pas leur place dans cet environnement.
Dans ces métiers d’urgence où des vies sont en jeu et dont la responsabilité est attribuée aux professionnels de santé formés à cela, il n’y a pas de place à l’hésitation, à l’inaction, à la mise à distance. C’est une profession où le savoir-faire prime sur le savoir-être, même si celui-ci est admis comme indispensable à la création d’une bonne alliance thérapeutique entre les futurs parents et le personnel soignant.
Dans toute cette agitation, comment faire alors silence lorsqu’il est synonyme de peur, d’angoisse et de mort ? Comment accepter ces temps d’inaction afin d’être attentif à soi et aux autres ? Comment être dans l’action tout en étant pleinement présent à soi ? Comment accueillir l’autre et être à son écoute quand l’écoute de soi n’a pas sa place ?
C’est donc dans ce rapport particulier, presque hostile au silence que je me suis construite pendant mes études de sage-femme.
Mon arrivée en psychomotricité a ensuite modifié mon rapport au silence.
Depuis ma formation en psychomotricité, je suis bien plus à l’aise face à ces « blancs » lorsque je me retrouve dans un échange avec autrui. En effet, je me tiens davantage dans une posture d’écoute, qui me permet justement d’être attentive à ces respirations, ces temps de silence riches de sens. Je laisse place à l’autre pour qu’il puisse se sentir exister. La psychomotricité m’a permis de renouer le contact avec le silence, de trouver le calme même dans la frénésie de la vie. Il appelle au recueillement, diminue le stress et augmente l’estime de soi. Ce besoin de silence se fait encore plus pressant depuis mon arrivée à Paris pour ma formation.
Je détaillerai dans la dernière partie comment ce rapport au silence dans ma formation en psychomotricité s’est transformé.
Noah et le bain thérapeutique
Nous allons maintenant nous attarder sur le dispositif du bain thérapeutique et la médiation « eau », à travers l’expérience de Noah en séance de psychomotricité en y abordant la manière dont nous y avons introduit le silence.
La médiation eau et le bain thérapeutique
Il existe de nombreuses pratiques concernant la médiation eau, avec des différences tant sur le plan du cadre-dispositif que dans la technique thérapeutique. Le bain thérapeutique en est un exemple que nous détaillons ici.
La médiation, corporelle ou non, « propose un espace « entre » et un objet commun à partager et à créer, cet objet se faisant en quelque sorte témoin de la relation existante entre deux personnes ou entre les membres d’un groupe. » (C. Potel, 2015, p.365).
L’eau, dans une visée thérapeutique, a été depuis bien longtemps utilisée dans des soins pour ses nombreux bienfaits. Elle a fait l’objet de nombreuses légendes ou mythologies riches de symbolisme, à travers toutes les cultures. Ainsi, l’utilisation de l’eau en psychomotricité est empreinte d’une vaste histoire, et le thérapeute travaille avec cette valeur symbolique.
D’après R. Roussillon (cité dans Potel, 2009), l’eau, tout comme la terre ou l’argile, représente un médium malléable. Défini comme un « objet transitionnel du processus de représentation » (C. Potel, 2009, p.56), ces médiums sont des objets servant à la symbolisation. Ils permettent de mettre en forme ce qui ne peut se jouer explicitement avec le thérapeute. Il présente plusieurs propriétés caractéristiques telles que l’indestructibilité, l’infinie transformation, l’extrême sensibilité, la disponibilité inconditionnelle et la qualité vivante. L’eau a aussi la qualité d’être visible, palpable et peut changer de température. Mais C. Potel la qualifie plutôt de « médium malléable partiel » car l’eau à elle seule ne peut maintenir sa forme sans contenant extérieur (C. Potel, 2009, p.58).
Le terme de bain, issu du latin balneum, désigne l’action de plonger le corps ou une partie du corps dans l’eau. Le bain est une pratique ancienne qui s’est développée dès l’Antiquité pour traiter les troubles mentaux.
Le bain thérapeutique s’envisage dans le cadre d’une séance individuelle hebdomadaire. Il peut se faire dans une baignoire ou un jacuzzi. La baignoire est à taille humaine donc assez contenante de par sa taille et son volume.
Dans le dispositif du bain, l’eau permet d’offrir un vaste univers sensoriel à travers un travail de sensorimotricité. Elle a de nombreux bienfaits : elle facilite les échanges, elle porte, enveloppe, caresse, apaise et donne des appuis. Elle enveloppe le corps, le stimule et le masse (C. Potel, 2015).
Chaque sens est engagé. Au niveau visuel, l’eau est transparente, elle scintille et crée des mouvements aquatiques. Au niveau auditif, le bruit de l’eau qui coule, ou quand on agit sur elle en la percutant, est source de sensations. Le sens tactile est développé grâce au corps immergé au contact de l’eau (A. Gatecel, 1989).
Elle permet un accordage entre le thérapeute et le patient. De plus, elle fait émerger des représentations de soi et du monde, et elle a des vertus contenantes et relaxantes. L’eau apparaît comme un espace relationnel et de jeu. Le milieu aquatique est aussi source de divers fantasmes, c’est un milieu qui rappelle le sein maternel, il est protecteur. Cela peut aussi être le lieu de fusion avec l’adulte, ce qui soulève une problématique de séparation (A. Gatecel, 1989).
Les propriétés de l’eau en font d’elle une fonction contenante, c’est un médiateur à l’origine de sensations corporelles qui permet de différencier le dedans du dehors, le soi du non-soi, l’imperméable du perméable, et qui renforce les limites des enveloppes (R. Roussillon, 2001). En effet, « l’eau est vécue comme une deuxième enveloppe délimitant la frontière entre le dedans et le dehors, ou ressentie comme pénétrante comme si la propre peau de l’enfant était une passoire et qu’ainsi son espace-corps serait liquéfié. » (A. Gatecel, 1989, p.24).
Ce type de médiation permet d’apporter à la personne un vécu de corps-plaisir à travers la détente, l’exploration, la découverte de sensations, l’enveloppement et le plaisir sensorimoteur. L’accompagnement en bain thérapeutique demande de la part du psychomotricien des qualités de disponibilité, d’engagement, d’écoute et d’ajustement. Il doit se montrer à l’aise avec le milieu aquatique, car sinon il risque de faire communiquer au patient ses angoisses de façon inconsciente. Il se situe hors de l’eau et reste habillé mais il n’en demeure pas moins engagé corporellement, en jouant avec l’enfant tout en le respectant dans ses capacités créatives, sans le toucher ou le déranger constamment dans son jeu. Il accompagne le sujet dans ses sensations corporelles, à travers le relâchement tonico-émotionnel. Le thérapeute constitue un élément de l’activité exploratrice de l’enfant, il est le support sur lequel le patient peut s’identifier pour intérioriser ses sensations (A. Gatecel, 1989).
Le développement psychomoteur de l’enfant sera alors favorisé grâce à une exploration variée de situations ludiques. Ces découvertes ne sont pas un but en soi mais participent à son épanouissement en créant une atmosphère de plaisir à travers le jeu (A. Gatecel, 1989).
A. Vachez-Gatecel (1989) aborde l’approche psychomotrice en milieu aquatique comme moyen d’établir un climat de confiance, de mettre en mots les potentielles angoisses du sujet mais surtout ses comportements. Il désigne les différents repères spatiaux, les parties du corps engagées, les gestes et attitudes pour que l’enfant puisse intérioriser et se représenter les notions. Le psychomotricien fait du lien avec l’expérience motrice vécue par des paroles bienveillantes qui font sens pour l’enfant.
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Table des matières
1 CADRE INSTITUTIONNEL
1.1 Présentation générale de l’Institution
1.2 La psychomotricité dans le service de pédopsychiatrie
1.2.1 Description générale
1.2.2 Place de la psychomotricité
1.2.3 Le vendredi
2 NOAH
2.1 Anamnèse
2.2 Noah en Unité de Jour
2.3 Sous un angle psychomoteur
2.3.1 Autisme : définition
2.3.2 Bilan sensorimoteur
2.3.2.1 Domaine posturo-moteur
2.3.2.2 Domaine praxique
2.3.2.3 Domaine sensoriel
2.3.2.4 Domaine de la sphère orale
2.3.3 Les grandes fonctions psychomotrices chez Noah
2.3.3.1 Fonction tonique
2.3.3.2 Fonctions sensorielles
2.3.3.3 Fonction de perception et de représentations du corps
2.3.3.4 Fonction de l’espace et du temps
2.3.3.5 Fonction de motricité globale et fine
3 DES RACINES AUX FRUITS DU SILENCE, UN REGARD PLURIEL
3.1 Origine et définitions
3.2 Le silence et ses représentations dans le vacarme du monde actuel
3.3 Les représentations individuelles du silence
3.4 Mes propres représentations du silence
3.5 Mon rapport au silence dans mes études de sage-femme
4 NOAH ET LE BAIN THERAPEUTIQUE
4.1 La médiation eau et le bain thérapeutique
4.2 Les étapes du bain thérapeutique
4.2.1 À la rencontre de Noah
4.2.2 La préparation de la salle de bain et le déshabillage
4.2.3 Le temps du bain
4.2.4 Le temps de séchage et de rhabillage et le rangement de la pièce
4.2.5 Le retour sur le lieu de vie
4.3 Objectifs et évolution au fil des séances
4.3.1 Objectifs thérapeutiques
4.3.2 Contenu et évolution
4.4 Rythme et temps
4.4.1 Le temps et le rythme
4.4.2 Les percussions corporelles
5 DISCUSSION : LE SILENCE EN THERAPIE PSYCHOMOTRICE
5.1 Face au silence dans mes études de psychomotricité
5.2 Silence en bain thérapeutique
5.2.1 Tous en rythme
5.2.2 Début de jeu partagé
5.2.3 Intégration du silence
5.3 Les silences du patient
5.4 Silence du thérapeute
5.5 Silence dans le dispositif thérapeutique en psychomotricité
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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