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Cas particulier : le sevrage
Les patients admis dans le service avec une problématique addictive ont un cadre de soin légèrement différent. Ils bénéficient également d’une période de cadre fermé, c’est-à-dire sans visite ni communication directe avec l’extérieur, qui dure dans leur cas, cinq jours. Ces patients savent qu’ils rentrent pour un sevrage. Le service n’autorise aucune consommation pendant l’hospitalisation. Le service ne suit pas une procédure de sevrage particulière. Les médecins prescrivent au patient du valium à intervalle choisie par les médecins au cas par cas. Ces patients sont très surveillés et accompagnés par l’équipe, notamment pour les risques inhérents au sevrage, qui seront exposés dans une prochaine partie. Ils ont des consultations ambulatoires avec l’ELSA7. La psychologue du service qui les accompagne n’est pas rattachée à l’un des pôles, elle est spécialisée en addictologie. Les hospitalisations sont souvent courtes (moins d’un mois) et la sortie est généralement orientée vers un centre de soins de suite et de réadaptation spécialisé en addictologie. Les patients qui ont un trouble psychiatrique associé restent plus longtemps pour que leur traitement soit adapté. Ceux-ci bénéficient, en plus du sevrage, d’une prise en charge des conséquences de l’addiction plus étayée. C’est le cas de la patiente que je présenterai plus tard.
Accueil en stage expérimental
Les stages expérimentaux sont proposés pour faire des stages dans des institutions sans psychomotricien. Ce sont donc souvent des milieux où l’apport de la psychomotricité n’est pas encore connu ou reconnu. Il n’est pas rare de voir des psychomotriciens travaillant en psychiatrie adulte, notamment en addictologie. Mais la représentation des psychomotriciens auprès de ce type de patients tend encore à s’étendre.
Je réalise ce stage en troisième année, pour être suffisamment prête à prendre en charge des patients sans étayage direct d’un maître de stage. Je l’effectue en binôme, ce qui nous permet d’échanger sur notre pratique, de prendre du recul et de penser et préparer notre pratique à deux. Nous avons un tuteur interne à la structure qui n’est pas psychomotricien et un tuteur externe psychomotricien. Nous devons donc communiquer activement avec l’équipe pour nous intégrer, expliquer notre travail et l’intérêt de celui-ci auprès des patients en question pour ensuite recevoir des indications et effectuer des prises en charge.
Cette posture de stagiaire en stage expérimental nous permet d’anticiper notre diplôme en prenant la posture d’un psychomotricien. Nous devons prendre des initiatives et réfléchir chaque prise en charge, de l’indication à la fin du suivi. C’est un travail intéressant d’autant plus avec la présence de nos tuteurs internes et externes qui nous aident à adapter notre regard sur le patient, à questionner et comprendre nos prises en charge pour optimiser leur effet thérapeutique. Ils nous aident également à construire notre identité professionnelle.
Cependant, n’étant pas diplômée, ce statut nous demande de modérer nos hypothèses et nos analyses psychomotrices des patients, avec les médecins et l’équipe, en leur rappelant que nous ne sommes que stagiaires. Nous devons également garder une certaine discrétion quant aux écrits que nous pouvons faire car ceux-ci ne sont pas validés par un psychomotricien diplômé d’état. Ils sont relus et travaillés avec notre tutrice externe psychomotricienne mais celle-ci ne connaissant pas les patients, ils ne peuvent avoir la valeur d’un écrit rédigé par un psychomotricien sur place. Nous devons donc être prudents avec les soignants du service quant à nos analyses et notre travail, tout en prenant une place conséquente dans l’équipe du fait de l’absence de maître de stage psychomotricien.
Notre place dans le service
Nous sommes donc un binôme accueilli dans ce service. Celui-ci accueillait déjà un binôme d’étudiantes en psychomotricité l’année universitaire dernière et il était important pour l’équipe soignante de prolonger l’expérience clinique.
Lors de notre rencontre avec la cadre du service, sa demande concerne la mise en place de bilans psychomoteurs pour les patients pour lesquels cela est nécessaire afin d’effectuer des prises en charge individuelles et groupales. Elle nous demande également de participer à toutes les réunions de synthèse qui ont lieu le jeudi matin.
Nous sommes donc présentes dans le service le jeudi matin pour la réunion et le jeudi et vendredi après-midi pour les prises en charge. Nous avons à notre disposition la salle des thérapies complémentaires le jeudi après-midi et la salle de réunion le vendredi après-midi.
Nous avons commencé par proposer seulement des prises en charge individuelles au premier semestre, le jeudi et le vendredi. Pendant la réunion de synthèse, nous pouvons recevoir des indications par les médecins. Nous pouvons également en recevoir en dehors des réunions quand un médecin vient s’adresser expressément à nous. Parfois, c’est de notre démarche vers un médecin qu’une indication nous est donnée, lorsque nous nous interrogeons sur la pertinence d’un bilan psychomoteur pour un patient.
En premier lieu, nous allons à la rencontre du patient dans sa chambre pour se présenter et présenter la psychomotricité. C’est une première prise d’informations sur l’état du patient, sa posture, ses capacités relationnelles, etc. A la mention du corps et de son investissement, les patients ont souvent des choses à nous déposer : des difficultés, des sensations, mais aussi des envies, des besoins. A la suite de cette discussion ouverte, nous leur proposons un rendez-vous. Chaque prise en charge individuelle est précédée d’un bilan psychomoteur que nous avons construit avec l’aide de notre tutrice externe. Celui-ci est adaptable pour chaque patient selon ce que l’on souhaite évaluer. C’est l’objet de notre première rencontre en salle avec le patient. Le bilan dure généralement une heure. A la suite de cela, nous rédigeons un compte-rendu que nous transmettons oralement au médecin référent. Nous lui proposons ensuite un projet thérapeutique. D’autres rendez-vous sont alors donnés au patient en question chaque semaine pour des séances en psychomotricité.
Il est fréquent que nous nous entretenions sur l’état des patients, nos observations, nos hypothèses avec d’autres soignants, thérapeutes ou non pour pouvoir confronter nos points de vue et adapter nos prises en charge. Ceci nous permet aussi de faire connaître la psychomotricité et son intérêt auprès de ces patients. Les soignants, notamment infirmiers, peuvent également nous parler de l’évolution des patients et de leur état après les séances et au long cours.
Nous bénéficions donc d’une pluridisciplinarité riche pour notre construction professionnelle et notre pratique de la psychomotricité.
La place du corps dans le service
Le service bénéficie de nombreuses professions utilisant des médiations corporelles : art-thérapeute, danse-thérapeute, kinésithérapeute. L’art-thérapeute propose plusieurs groupes ouverts tout au long de la semaine. Ce sont des groupes mixtes pouvant accueillir chacun entre huit et quinze patients. Elle propose une séance de relaxation et prise de conscience corporelle, une séance d’approche théâtrale et d’improvisation, et une séance d’art-plastique et d’expression visuelle. Ces ateliers, comme elle les nomme, durent entre une heure et deux heures. La danse-thérapeute, quant à elle organise trois ateliers de danse : l’un pour hommes, le deuxième pour femmes et le dernier mixte. L‘infirmière victimologue propose de la relaxation, de la sophrologie et de l’hypnose en individuel. Et pour finir, l’une des infirmières du service mène régulièrement des séances de méditations pour les patients anxieux qui sont intéressés. La thérapie corporelle est donc bien présente dans ce service et beaucoup de thérapeutes proposent des médiations similaires.
Cependant, cette place est à modérer. Bien que les prises en charge corporelles soient nombreuses, la communication entre les thérapeutes à médiations corporelles et les médecins et psychologues n’est pas toujours aisée. Par exemple, en réunion de synthèse, les patients sont d’abord abordés par les psychiatres au sujet de l’évolution des symptômes et du traitement. Puis vient le tour des psychologues qui donnent leur avis sur l’état psychique du patient et parlent des axes à travailler en priorité. La dimension corporelle du patient n’est abordée qu’en dernier lieu, quand celle-ci est vraiment problématique au sein du service, c’est-à-dire quand un patient est clinophile, refuse d’être touché, montre des manifestations anxieuses importantes, des réactions corporelles ostensibles, etc. Dans ce cas-là, les médecins interpellent, après avoir parlé de l’aspect médicamenteux et psychologique du patient, le thérapeute adapté pour le prendre en charge. Parfois, ce sont les thérapeutes à médiations corporelles qui prennent la parole pour exposer l’intérêt d’une éventuelle prise en charge dans leur discipline. On peut par ailleurs observer dans la réunion de synthèse que les places des différentes professions sont ritualisées. Les médecins occupent un côté de la table, les psychologues les entourent avec les infirmiers. Les thérapeutes à médiations corporelles leur font face en occupant le dernier côté, et quand la place manque, se placent en arrière des soignants attablés. La succession des prises de parole s’est peu à peu mise à conditionner l’emplacement physique de chacun dans la pièce.
Cette mince attention portée au corps peut s’expliquer par le fait qu’actuellement les diagnostics sont posés à partir du DSM-V8. Celui-ci s’appuie peu sur le corps et répertorie les symptômes selon les troubles mentaux, c’est-à-dire les troubles qui ont trait à la structure psychique. Des discussions sont donc régulièrement engagées entre les différentes professions pour relier les différentes dimensions prises en charge.
C’est dans ce contexte institutionnel que j’effectue ce stage expérimental.
La consommation d’alcool
L’alcool est le produit dont la consommation est la plus socialement admise dans la culture occidentale. Son acculturation entraîne une difficulté de distinction entre des consommations raisonnées et des consommations qui deviennent pathologiques.
L’addiction au sens pathologique est évoquée quand le sujet est en souffrance et qu’il montre des difficultés pour modifier le comportement de consommation qui en est la source. Nous retrouvons là le sens latin du terme addiction puisqu’elle est vécue par le sujet comme un asservissement.
Le nombre de personnes qui consomment de l’alcool tous les jours est estimé à six millions en France. Il s’élève à dix millions pour le nombre de consommateurs qui le font au minimum trois fois par semaine. La prévalence de l’alcoolo-dépendance est de 3% dans la population générale et le collège national des universitaires de psychiatrie estime à 10% la proportion des 18/75 ans ayant ou ayant eu un usage problématique de l’alcool12 . Au niveau mondial, l’alcool est le troisième risque de morbidité.
Pour comprendre comment se met en place le processus d’addiction chez le sujet qui consomme et donc la source de ce comportement, il est important de comprendre les effets de la prise sur le sujet.
Sur le plan neurobiologique, l’alcool induit une libération de dopamine et d’endorphine, une augmentation des récepteurs GABA et glycinergiques et une inhibition de la transmission glutamatergique. Cette biochimie entraîne à faible dose, une anxiolyse et une désinhibition comportementale13. A haute dose, des effets de sédation, d’amnésie et d’hypnose peuvent être ressentis. Le circuit cérébral de récompense est ainsi activé et produit une sensation de plaisir. C’est par ce biais que l’alcool est un psychotrope : il agit sur le système nerveux central et notamment sur le psychisme. La mise en place de l’addiction est due à trois phénomènes. Le premier est ce que l’on peut appeler le renforcement positif et/ou négatif. Les effets bénéfiques sont recherchés et les effets désagréables liés à l’absence de consommation sont évités, fuis. Le deuxième phénomène est la mémorisation du contexte et des facteurs relationnels, sociaux qui influencent et renforcent la consommation. Le dernier est l’accoutumance due à l’augmentation de la tolérance des cellules qui pousse le sujet à modifier sa consommation pour continuer d’en ressentir les effets bénéfiques. Cette sensibilisation peut donc entraîner un craving14.
Effets sensoriels
La consommation d’alcool produit des effets sensoriels. Leur recherche peut être à l’origine de la consommation. Ils peuvent aussi renforcer la prise d’alcool existante. L’individu va ressentir une détente musculaire associée à une impression de chaleur. Ces effets physiques induisent une détente psychique et donc une anxiolyse. L’individu est apaisé et se sent bien dans son corps. La vision est généralement troublée et il peut y avoir des étourdissements qui viennent anesthésier le corps. « La conduite d’alcoolisation représente un passage à l’acte, un agir du sujet au regard d’une pression psychique interne, un court-circuitage de la pensée »15 . Celui-ci s’opère par un court-circuitage du corps et des influx neurosensoriels. Les sensations sont lissées. La tension interne est comme pris dans une dénégation. Elle ne peut pas être élaborée donc le consommateur fait appel à un apport extérieur pour tenter de l’apaiser, la faire disparaître de sa conscience. Paradoxalement, c’est en remplissant le corps d’alcool que cette tension interne disparaît. Mais cela entraîne une diminution de la conscience du corps. La sensation de vide ressentie en dehors des prises d’alcool est déstructurante et c’est cette absence de sensation qui est porteuse d’angoisses pour le psychisme, car non sécurisante. L’alcool, en venant emplir le corps et lisser ses sensations, diminue l’angoisse du sujet. Sur le court terme, la prise est donc bénéfique au sujet pour l’apaiser. Mais en provoquant une détente illusoire qui n’est ni structurante, ni durable, l’alcool déstructure peu à peu psychocorporellement le consommateur. La prise d’alcool va donc être de plus en plus nécessaire pour faire face à l’augmentation de l’angoisse due à cette déstructuration.
Les risques encourus
La consommation pathologique d’alcool a des effets néfastes sur l’organisme. Les principales atteintes concernent, en plus des altérations somatiques, des troubles du sommeil, des douleurs chroniques, des troubles cognitifs et des troubles thymiques.
Les affections somatiques les plus courantes sont la cirrhose, les hépatites et le cancer. Les consommateurs s’exposent à un risque plus élevé de contracter ces maladies car les cellules du foie, de l’estomac et de l’oesophage sont progressivement dégradées et détruites par l’alcool.
Les molécules présentent dans l’alcool favorisent l’endormissement en créant une détente musculaire et une anxiolyse. Cependant, la métabolisation de l’alcool entraîne, plus tard dans le cycle du sommeil, des cauchemars entrecoupés de réveils et un réveil précoce. Mais avec l’accoutumance, les systèmes hypnogènes et sédatifs sont affaiblis et le sommeil devient plus difficile à trouver sans prise d’alcool. Cela renforce le comportement addictif et détériore de plus en plus la qualité du sommeil. C’est un cercle vicieux qui se met en place. L’alcool favorise ou aggrave les troubles respiratoires nocturnes en diminuant le tonus des muscles dilatateurs des voies aériennes supérieures. Les apnées fragmentent le sommeil, provoquent une somnolence diurne et majorent les troubles cognitifs et psychiques.
L’alcool peut être consommé à visée antalgique. Mais l’accoutumance incite à augmenter les doses. Cependant, s’il a une visée antalgique à court terme, il peut être facteur de douleurs chroniques. Il cause des atteintes périphériques des nerfs et des muscles, qui en se détériorant, provoquent des influx nociceptifs. Il modifie aussi les systèmes centraux de régulation de la douleur en agissant sur les circuits de la régulation des émotions, du stress et des seuils de perception de la douleur. Il créé aussi une situation à risque, puisque la consommation concomitante d’alcool et d’antidouleurs comme la morphine, le paracétamol et l’aspirine augmentent le risque d’accoutumance, d’hémorragies et d’hépatotoxicité, c’est-à-dire d’atteinte grave du foie. Tout porte à augmenter la consommation donc, parallèlement, les risques sur la santé.
Les atteintes cognitives sont les plus connues et les plus nombreuses. Elles sont associées à des atteintes émotionnelles. Les mécanismes sont multiples. Les facteurs regroupent la conduite addictive, les modalités d’usage, la précocité, l’ancienneté de l’usage et les comorbidités associées. La dégradation du système nerveux central est due à la toxicité de l’alcool et aux carences nutritionnelles causées par la modification du métabolisme. Elle entraîne une hypoactivité frontale à l’origine de la perte progressive du contrôle du comportement. On observe généralement une atrophie corticale, sous-corticale et cérébelleuse dont nous allons décliner les conséquences par la suite. Certaines de ces atteintes sont réversibles s’il y a maintien de l’abstinence grâce à la neurogénèse et à la restauration de la substance blanche. Les premiers effets de l’atteinte cérébrale se traduisent par un syndrome dysexécutif, un traitement lent de l’information, une atteinte de la mémoire épisodique, de l’apprentissage verbal et non-verbal et des troubles visuo-spatiaux. Sur le plan émotionnel, les syndromes anxieux et/ou dépressifs peuvent se surajouter à l’atteinte cognitive. Ces dysfonctionnement altèrent les capacités adaptatives et relationnelles et représentent un facteur de vieillissement cérébral pathologique. Des dégénérescences cérébelleuses sont observées et se traduisent par une augmentation du polygone de sustentation et une démarche instable. Des encéphalopathies carentielles se traduisent par des atteintes multiples, cognitives et motrices. Le syndrome de Korsakoff, par exemple, est une atteinte fronto-cérébelleuse et du circuit de Papez. Il se traduit cliniquement par des altérations de la mémoire sémantique et procédurale, des fonctions exécutives ainsi qu’une anosognosie16. Les atteintes hépatiques peuvent contribuer aux atteintes neurologiques, que l’on nomme troubles neurohépatiques. Ils provoquent des symptômes extrapyramidaux comme une bradykinésie, des rigidités et une dystonie, une altération précoce de la marche et de l’équilibre, ainsi que des troubles cognitifs. D’autres atteintes pulmonaires, cardiovasculaires, intestinales, optiques peuvent survenir. Des atteintes du système nerveux périphérique peuvent également être observées. Elles se déclinent sous la forme d’une polyneuropathie axonale distale, symétrique et sensitivo-motrice. Les symptômes sont des engourdissements, des paresthésies, des hyperesthésies douloureuses, une fatigue à la marche, une aréflexie, etc.
Ces différentes manifestations organiques tendent à déstructurer la conscience corporelle du consommateur qui, pour faire face à l’angoisse qu’elle produit, peut augmenter sa consommation et donc ses effets néfastes.
Le sevrage
Les risques encourus par le sujet sont également très importants lors du sevrage. Le sevrage en alcool est le seul qui met en danger la vie de la personne. Le syndrome de sevrage se déclare à l’arrêt de la consommation, mais aussi à la réduction de celle-ci. La consommation d’alcool, en modifiant le métabolisme, produit un nouvel équilibre pour l’organisme. Son arrêt vient donc déséquilibrer celui-ci et génère de nombreux dysfonctionnements, dont le principal est une hyperexcitabilité neuronale, associée à une activation des systèmes de stress. Les premières manifestations sont psychiatriques, neurovégétatives et digestives. Elles s’expriment sous la forme d’anxiété, d’agitation, d’irritabilité, de céphalées, d’insomnies et de cauchemars. Sur le plan neurovégétatif, elles se traduisent par des sueurs, tremblements, tachycardies et élévation artérielle. Les atteintes digestives se manifestent sous la forme de nausées, vomissements et perte d’appétit. Dans les formes plus sévères, le sevrage génère des hallucinations, des crises d’épilepsies et/ou un délirium tremens.
Le délirium tremens est un état confusionnel s’exprimant par des zoopsies, c’est-à-dire des hallucinations mettant en scène des animaux terrifiants, une agitation, des tremblements, de la fièvre et une déshydratation. Un traitement en benzodiazépine tel que le Valium, qui est un traitement anxiolytique, est alors prescrit pour diminuer les symptômes du sevrage et l’incidence des hallucinations. Sans traitement, le délirium tremens peut être létal en causant des chutes, une pneumopathie, un arrêt respiratoire, cardiovasculaire ou un état de mal épileptique.
Les crises d’épilepsies, qui correspondent à une activité paroxystique d’une zone de neurones, sont trois fois plus fréquentes chez les sujets alcoolo-dépendants. Elles se présentent sous la forme de crises convulsives et peuvent aller jusqu’à l’état de mal épileptique, c’est-à-dire une crise d’une durée supérieure à trente minutes, pour laquelle le taux d’endommagement neuronal met en danger le pronostic vital.
Il est donc important d’accompagner les individus sujets à des troubles de l’usage de l’alcool, non forcément pour viser l’abstinence, mais pour minimiser les effets néfastes et diminuer la souffrance physique et psychique.
Prise en charge de l’addiction à l’alcool
La prise en charge du patient alcoolo-dépendant est multiple. Le premier recours est généralement celui de l’hospitalisation qui pourra proposer un sevrage physique rapide, généralement d’environ une semaine. On nomme couramment cette phase la cure de sevrage. Mais le sevrage physique n’est qu’une étape du traitement. En parallèle, le patient a un soutien psychologique pour aborder la dépendance au sens large, c’est à dire également psychique. Par la suite, des centres de soins de suite spécialisés en addictologie peuvent être proposés au patient à visée d’éducation thérapeutique et de soutien psychologique sur du plus long terme.
Si le sevrage n’est pas envisageable par le patient, il existe des centres de jour comme les CSAPA17. Ceux-ci proposent des consultations ambulatoires anonymes et gratuites à visée d’accueil, d’information, d’évaluation médicale, psychologique et sociale, et d’orientation. Pour les patients qui souhaitent s’inscrire dans un processus thérapeutique, les CSAPA proposent des prises en charge médicales, thérapeutiques, sociales et éducatives. Le psychomotricien est amené à prendre en charge des patients en hospitalisation comme en ambulatoire.
Prise en charge en psychomotricité
En psychomotricité, nous abordons le patient sous un angle différent des autres disciplines. Nous allons chercher à comprendre la souffrance psychocorporelle du patient. Rappelons que les problématiques d’attachement favorisent l’addiction. Dans les interactions précoces, la qualité du portage psychique et physique dont l’enfant bénéficie lui assure une dimension contenante. Cette dimension, qui s’opère également au niveau de l’enveloppe corporelle et des appuis, est à l’origine de la construction du sentiment de sécurité. L’enfant est d’abord dépendant de la fonction maternelle pour conserver cette sécurité. D’après Wilfred Bion, la Mère assure la fonction Alpha. Elle assimile les états de son enfant et les traite à sa place. Elle les transforme d’éléments Bêta, c’est-à-dire bruts, en éléments Alpha, c’est-à-dire intégrables par le psychisme18. Cette fonction est assurée par la Mère en attendant que l’enfant soit capable de traiter et intégrer psychiquement ses impressions et sensations seul. Cette étape est celle de l’individualisation. Peu à peu, il intériorise la fonction contenante, se différencie et commence à exister en tant que sujet, ce qui lui permet de construire sa propre base de sécurité interne. Celle-ci s’appuie sur sa structuration psychocorporelle qui lui permet d’investir son corps comme un repère, un ancrage dans la réalité, lui conférant des qualités sécurisantes de contenance, de maintenance et de lieu d’impression des états psychiques.
Dans l’addiction, l’une des hypothèses explicatives est celle d’un défaut d’intégration et d’intériorisation de la fonction contenante et de la fonction Alpha. L’appropriation du corps et la structuration psychocorporelle sont défaillantes et ne possèdent pas les qualités requises pour permettre au sujet de comprendre, d’intégrer et d’élaborer ses états, ses impressions, sensations, etc. Ceci lui cause une souffrance, une angoisse permanente qu’il maintient à distance par l’agir. Le recours à l’alcool apparaît alors comme un « court-circuitage de la pensée »19 et de la tension interne qui en résulte dans le corps.
L’alcool et ses effets sensoriels sont spécifiques dans ce cas-là. Ils permettent non seulement de calmer le psychisme, mais aussi d’apaiser l’angoisse et ses manifestations corporelles causées par le défaut de structuration et donc de sécurité interne. La psychomotricité apparaît alors comme le meilleur moyen de réveiller la mémoire corporelle. Cet accompagnement permettra de mettre au travail le schéma corporel en lui redonnant sa fonction de lieux d’impressions des états corporo-psychiques. L’appropriation de l’axe corporel aura pour but d’intégrer sa fonction de maintenance, d’appuis et d’affirmation de soi. Enfin, celle de l’enveloppe corporelle aura pour objectif de retrouver sa fonction de contenance. Ce travail de restructuration psychocorporelle est donc une mise en oeuvre de la recherche de sécurité interne, sur laquelle pourra s’appuyer le patient pour l’élaboration psychique de ses états. Nous pouvons l’effectuer par des stimulations sensorielles qui appellent le patient à se mettre à l’écoute de son corps, dans le but d’intérioriser cette structuration et de retrouver ses qualités sécurisantes.
Arrivée et objectifs de prise en charge
Madame B entre donc courant novembre dans le service.
Elle se montre vigilante, orientée, sans troubles mnésiques ou cognitifs, avec une présentation soignée. Le contact est cependant décrit par les médecins comme hypothymique, sans expression d’affects avec une prosodie monotone. Les médecins décident d’évaluer son état thymique pour mettre en place un nouveau traitement. Elle adhère à l’idée de sevrage en alcool qui lui est proposée et accepte le cadre fermé de cinq jours pendant lequel elle ne pourra voir ou contacter ses proches. Dès cet instant, elle bénéficie d’un suivi psychiatrique par les médecins du service et d’un suivi addictologique par l’ELSA.
Traitement et sevrage
Le sevrage en alcool se déroule sans encombre avec l’administration fréquente de Valium. Elle exprime une réassurance du fait de sa coupure avec le monde extérieur le temps de ce sevrage et de la présence permanente des soignants. Elle aborde, en parallèle, avec la psychologue de l’équipe de l’ELSA, le lien entre son état thymique et la consommation d’alcool. Elle exprime d’autant plus sa motivation à arrêter sa consommation pour stabiliser son humeur. Elle est néanmoins sujette à de multiples réveils nocturnes et se sent pessimiste et angoissée, notamment le matin. Son état s’apaise généralement en fin d’après-midi et début de soirée. A l’examen neurologique, elle ne présente pas de syndrome extrapyramidal ni cérébelleux mais des signes vestibulaires avec des légers vertiges quand elle fait des mouvements trop rapides avec sa tête. Un nouveau traitement antidépresseur et anxiolytique est mis en place. La patiente est calme, cohérente mais présente une lenteur idéatoire et une difficulté d’élaboration. Elle reprend également une activité qu’elle aime : la lecture. Elle est allongée toute la journée dans son lit, sauf en présence de son frère. Elle prend alors l’ascenseur pour aller marcher avec lui dans la cour ou les couloirs. Elle sollicite beaucoup les soignants pour s’habiller, se laver, se coiffer. Elle sort très peu de son lit et ses déplacements sont difficiles. Le ralentissement et le repli psychomoteurs observés par les soignants amènent les médecins à lui prescrire de la kinésithérapie et de la psychomotricité.
Kinésithérapie
La kinésithérapeute commence donc très rapidement un suivi rééducatif avec Madame B. Elle la voit tous les matins et axe le travail sur la mobilité des doigts puisque la patiente a perdu ses capacités de préhension fine et cela est très handicapant pour elle dans sa vie quotidienne. Les capacités de Madame B s’améliorent très rapidement, ce qui montre la place de l’absence de sollicitations dans la perte de ses capacités. Elle axe ensuite la rééducation sur les transferts et la marche en reprenant avec Madame B toutes les étapes de la position allongée dans son lit à la position debout. Celle-ci progresse également rapidement pendant les séances mais reste très clinophile le reste du temps.
La combinaison de la prise en charge en kinésithérapie et en psychomotricité sera complémentaire et soutenante pour la patiente.
Prise en charge en psychomotricité
Prescription et rencontre
Lors d’une réunion de synthèse, l’équipe nous indique Madame B pendant une conversation sur son repli psychomoteur, ses vertiges et son risque de chute. Nous aurons une prescription pour effectuer un bilan psychomoteur et au décours, proposer une prise en charge psychomotrice. Je rencontre Madame B dans sa chambre, à la suite de la prescription, pour se présenter et présenter la psychomotricité. Elle s’assied sur son lit avec difficultés, en levant les jambes pour se donner une impulsion et se redresser. Une fois assise sur son lit, elle bascule ses jambes sur la gauche et pivote en bloc, sans dissociation des ceintures, pour s’asseoir sur le côté du lit face à nous. Elle agite nerveusement ses jambes et présente un tremblement au niveau des lèvres qui peut faire penser à une succion. Elle est légèrement voutée mais j’observe régulièrement des efforts pour se maintenir droite. Je la sens présente et à l’écoute. Son regard passe de mon binôme à moi régulièrement. Ce temps de présentation invite la patiente à nous parler de son rapport au corps. Elle explique le handicap que représentent ses vertiges. Son discours autour de son rapport au corps semble ne tourner qu’autour de cela.
Je lui propose un rendez-vous pour le lendemain après-midi pour effectuer un bilan psychomoteur.
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Table des matières
I – CADRE INSTITUTIONNEL ET PLACE DE LA PSYCHOMOTRICITE
A – PRESENTATION DU SERVICE
1) Les lieux
2) Le personnel
3) Les patients
B – PARCOURS D’HOSPITALISATION
1) Admission dans le service
2) Organisation des soin
3) Cas particulier : le sevrage
C- PLACE DE LA PSYCHOMOTRICITE
1) Accueil en stage expérimental
2) Notre place dans le service
3) La place du corps dans le service
II – PARTIE CLINICO-THEORIQUE
A – L’ADDICTION
1) Généralités
2) La consommation d’alcool
3) Effets sensoriels
4) Les risques encourus
5) Le sevrage
6) Prise en charge de l’addiction à l’alcool
7) Prise en charge en psychomotricité
B – MADAME B : « JE NE SENS RIEN »
1) Histoire de vie et de la maladie
2) Prise en charge dans le service
a. Arrivée et objectifs de prise en charge
b. Traitement et sevrage
3) Prise en charge en psychomotricité
a. Prescription et rencontre
b. Bilan psychomoteur
c. Profil psychomoteur et projet thérapeutique
4) Evolution
a. Première séance
b. Deuxième séance
c. Troisième séance
d. Quatrième séance
e. Cinquième séance
f. Sixième séance
g. Dernière séance
C – ÉTUDE CLINICO-THEORIQUE
1) Structuration psychocorporelle
2) Tonus
3) Schéma corporel
4) Axe corporel
5) Enveloppe corporelle
6) Image du corps
D – MISE EN PLACE DU GROUPE « SENSATIONS, CORPS & MOUVEMENTS »
1) Modalités
2) Objectif global et axes thérapeutiques
3) Déroulement
4) Place du silence
III – LES ENJEUX ET LIMITES DU SILENCE
A – LE SILENCE DANS LA CONSTRUCTION DE L’INDIVIDU
1) Vers un sentiment continu d’exister
2) Vers une fonction α efficiente
3) Lorsque le développement fait défaut
B – LE SILENCE EN PRATIQUE PSYCHOMOTRICE
1) Apports du silence en thérapie psychomotrice
2) Contenance malgré le silence
3) Limites et perspectives du silence
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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