Reformulation de la théorie kantienne de l’inclination sexuelle
Le paysage objectifiant et solipsiste sexuel inévitable et dévastateur auquel nous semblons condamnés à partir de l’interprétation pessimiste de Kant sur la sexualité humaine est un problème qui réside dans la manière dont le philosophe comprend le concept d’inclination sexuelle.
Avec les éléments jusqu’à ici présentés, nous ne pouvons pas résoudre la question de savoir si, dans le mariage, l’inclination sexuelle cesse réellement d’objectifier, comme le suggère l’interprétation du cas de relations sexuelles moralement acceptées par Kant. Si la réponse est affirmative, c’est -à-dire que dans le mariage l’inclination sexuelle cesse d’objectifier l’autre personne, nous devons nous demander comment et pourquoi l’inclinaison sexuelle change et cesse d’objectifier l’autre dans des conditions matrimoniales. Si la réponse est négative, que dans le mariage l’inclination sexuelle ne cesse pas d’objectifier le couple, questionnons pourquoi Kant accepte d’exercer la faculté sexuelle dans ce type de relation de sorte que l’autre soit objectifié et en quel sens il est alors possible d’accepter moralement l’objectification produite par l’inclination sexuelle.
Sur ce point, il est essentiel d’introduire un nouvel élément et de préciser que, pour Kant, on ne peut imposer aucune obligation relative à quelque chose qui repose sur une inclination, car les inclinaisons ne reposent pas sur la volonté et, par conséquent, une obligation ne peut pas leur être imposée. La personne n’a aucun désir sexuel à volonté, mais seulement quand le désir arrive, quand la personne est incitée par le désir. Par exemple, à propos de l’amour, Kant déclare : « L’amour est une forme de bienveillance par inclination. Or nous ne pouvons pas faire un devoir d’une chose qui ne dépend pas de notre volonté mais qui relève de l’inclination. Je ne puis pas aimer volontairement ; je ne puis aimer que par impulsion » . Il n’y a pas de fragment dans les Leçons d’éthique ni dans la Métaphysique des mœurs dans lequel Kant déclare explicitement que les inclinaisons ne peuvent pas être susceptibles de devoirs, mais il n’y a pas non plus de fragments explicites dans lesquels il affirme que les devoirs peuvent être imposés directement aux
inclinations . Lorsque Kant se réfère aux vices liés à l’inclination sexuelle, il exige moralement que l’être humain s’impose lui-même des devoirs. En ce sens, les devoirs sont auto-imposés et sont dirigés vers la volonté de la personne et non vers l’inclination en tant que telle. La citation cidessus nous fournit un élément crucial pour pouvoir mieux comprendre le problème de l’inclination sexuelle et pouvoir formuler une solution au problème de l’objectification sexuelle auquel Kant nous condamne, et ce à partir d’un élément propre à la philosophie kantienne.
Il est valable d’affirmer que les inclinations de quelque nature que ce soit, y compris sexuelles, ne reposent pas sur la volonté de la personne. Puisqu’elles ne reposent pas sur la volonté de la personne, les devoirs ne peuvent pas être exigés. Parce qu’il est seulement possible d’exiger des devoirs relatifs aux actions qui dépendent de la volonté de la personne. Par exemple, les devoirs d’agir et la manière dont les individus traitent les autres peuvent être exigés, mais les devoirs ne peuvent pas être exigés sur ce que les gens désirent . Donc, si nous comprenons bien, l’inclination sexuelle est un désir qui se produit sans que la personne ait la capacité de déterminer quand il se présente et quand il se produit. Une personne ne désire pas quand elle veut, mais le désir arrive spontanément à la personne. De cette façon, il serait faux ou vide de demander à quelqu’un de ne pas vouloir ou désirer que quelqu’un l’attire sexuellement ou de ne pas aimer quelqu’un d’autre.
Ou au contraire, il serait faux ou vide de demander à quelqu’un d’aimer quelqu’un d’autre ou d’être attiré sexuellement par quelqu’un d’autre. Ainsi, le désir en tant que tel ne peut être moralement répréhensible, mais y succomber est moralement répréhensible. Puisqu’il n’appartient pas aux gens de déterminer ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas en tant que désirs ou inclinations, les gens ne sont pas responsables de la possession de leurs désirs et la volonté ne peut rien faire par rapport à la naissance et à la manifestation de ces désirs. Il est donc inapproprié de censurer moralement les désirs et, en particulier dans ce contexte, les inclinations sexuelles. A l’inverse, il est possible de censurer moralement les actions des personnes en fonction de la manière dont elles assument et procèdent pour satisfaire leurs désirs. Il est ainsi possible de censurer moralement le fait de succomber aux désirs sexuels ou la façon d ont on succombe aux désirs sexuels.
Aussi, lorsque Kant déclare que l’inclination sexuelle est moralement condamnable, c’est ambigu ou équivoque. Au moins faut -il clarifier ces propos sur ce que Kant a dit lui-même à propos de la relation entre les désirs, les inclinations et la volonté. Ce qui serait moralement condamnable, serait de céder ou de succomber d’une certaine manière au désir de satisfaire son désir sexuel. Ce qui serait moralement répréhensible, serait la forme et les conditions dans lesquelles les gens cherchent à satisfaire leurs désirs sexuels. L’être humain doit et peut gérer ses inclinations, plus précisément, il doit et peut gérer ses actions en utilisant sa raison et la compréhension de ses inclinations. Vous ne pouvez pas demander à quelqu’un qu’il ne désire pas, mais vous pouvez lui demander d’agir en tant qu’être humain, c’est -à-dire en tant que personne qui a de la raison, de l’autonomie et de la dignité, qui peut s’auto-imposer des devoirs et ne pas agir uniquement en raison de ses inclinations.
Jusqu’à présent, nous n’avons pas répondu à la question de savoir si dans le mariage l’inclination sexuelle cesse d’objectifier l’autre personne, ou bien si dans le mariage l’inclinaison sexuelle ne cesse pas d’objectifier les deux membres du couple. Préciser que les désirs et, ponctuellement, les inclinaisons sexuelles ne sont pas susceptibles de se voir imposer des devoirs ne nous donne pas de réponse aux questions précédentes, mais cela permet d’explorer et de formuler une première issue au problème de l’objectification sexuelle.
À partir des textes de Kant, nous considérons que la réponse appropriée serait que dans le mariage l’inclination sexuelle ne cesse pas d’objectifier le couple. La raison principale pour l’affirmer est que nulle part dans les Leçons d’éthique ou la Métaphysique des mœurs, il n’y a de référence ou de suggestion textuelle qui fasse penser que l’inclination sexuelle en elle-même change et cesse d’objectifier l’autre. Cela signifie que rien ne permet d’affirmer que l’in clination sexuelle en elle même subit des changements en fonction des conditions dans lesquelles les gens se trouvent. Nous considérons aussi que Kant s’est rendu compte du problème de cette manière et qu’il a eu l’intuition que l’acceptation du fait que même dans le mariage l’inclination sexuelle continue d’objectifier le couple engendrerait un problème potentiel, car elle serait incompatible avec la liberté et l’acceptation morale de l’inclination sexuelle dans le mariage. Dans la section Questionnements casuistiques : « Le déshonneur de soi-même par la volupté » de la Métaphysique de mœurs, Kant se demande s’il est permis d’utiliser les facultés sexuelles dans le mariage, même si on ne cherche pas à accomplir le devoir de procréation : « La fin de la nature, dans la cohabitation des sexes, est la reproduction, c’est -à-dire la conservation d e l’espèce ; du moins ne doit -il pas agir contre cette fin. Mais est -il permis (même si cela se produit dans le mariage) de s’adonner à cet usage de la sexualité même sans prendre en considération cette fin ? ».
Nous ne comprenons pas pourquoi Kant pose ici cette question, puisqu’il avait précédemment indiqué dans la même section que l’inclination sexuelle n’était autorisée que dans les conditions du mariage, que la sexualité et la moralité étaient accordées dans ce cadre. Si ces conditions sont remplies dans le cadre du mariage, il ne devrait y avoir aucun problème d’utiliser des facultés sexuelles sans fin de reproduction dans le mariage . Bien entendu, il est plus souhaitable d’utiliser les facultés sexuelles à des fins de reproduction, car le devoir moral d’assurer la conservation de l’espèce est en train d’être accompli. Mais il ne devrait pas y avoir de problème à avoir des relations sexuelles entre les conjoints sans but reproductif, car ils sont dans le contexte approprié pour se traiter comme des personnes, pour se rendre mutuellement et pour satisfaire leurs désirs en général et en particulier les désirs sexuels sans qu’il ait de problèmes moraux. Par conséquent, on ne comprend pas pourquoi Kant continue à s’inquiéter de permettre l’utilisation d e la faculté sexuelle dans le mariage. Une façon de donner du sens à la préoccupation de Kant est d’affirmer et soutenir que l’inclination est toujours objectifiante et, en conséquence, il est toujours nocif de faire usage des facultés sexuelles, et ce même dans le mariage. Ce qui précède est conforme à la lecture pessimiste de Kant sur la vie sexuelle et l’inclination sexuelle de l’homme, car elle -même objectifie. De cette manière et sur la base des éléments récemment exposés, nous estimons que la réponse la plus conforme à la question initiale de cette section est négative. C’est dire que même dans le mariage l’inclination sexuelle ne cesse pas d’objectifier le couple. Si tel est le cas, nous devons nous demander pourquoi Kant accepte d’exercer la faculté sexuelle dans ce type de relation même si l’autre est objectifié et dans quel sens l’objectification produite par l’inclinaison sexuelle peut être moralement acceptée. En d’autres termes, en quel sens l’inévitable objectification de l’inclination sexuelle ne nous conduit pas nécessairement à traiter l’autre simplement comme un moyen et à tomber dans le solipsisme sexuel. Nous devons considérer l’hypothèse suivante : l’inclination sexuelle objectifie toujours la personne qui est l’objet du désir, mais cette forme d’objectification n’est pas nécessairement moralement condamnable.
Si l’inclination sexuelle objectifie toujours les personnes objet du désir sexuel, même dans le mariage, cela veut dire que dans toutes les relations sexuelles les personnes se trait ent simplement comme un moyen et pour Kant cela est moralement à rejeter. Cette hypothèse configurerait un problème interne de la morale kantienne, car dans aucune situation, ni dans le mariage, on ne pourrait pas accepter moralement l’inclination sexuelle, ni faire usage des facultés sexuelles. Cette compréhension de la nature de l’inclination sexuelle pourrait être interprétée comme une thèse trop radicale et fausse. De plus, dans la théorie anthropologique kantienne cette hypothèse pourrait configurer une erreur mineure à la lumière de la vaste bibliographie du philosophe allemand et du développement profond de la théorie morale kantienne. Cependant, dans le cadre de notre recherche sur l’objectification sexuelle, il s’agit d’une grave erreur avec des con séquences théoriques indésirables. Car quand Kant affirme que l’inclination sexuelle est moralement répréhensible en soi, cela nous amène à penser que la non -moralité des relations sexuelles naît de cette inclination. Mais plus grave encore, la façon dont Kant comprend le concept d’inclination sexuelle, en tant que tel moralement condamnable, nous conduit à rejeter tous les types de relations sexuelles, y compris les relations dans le mariage. Bien que Kant tente de trouver un cas ou un contexte dans lequel la sexualité et la moralité s’accordent, la solution présentée n’est pas compatible avec sa compréhension de l’inclination sexuelle. Parce que Kant présente le mariage comme le contexte où la sexualité et la moralité s’accordent, mais l’inclination sexuelle même au sein de cette relation objectifie l’autre personne, alors le problème moral continue sans être résolu.
Les quatre approches des spécialistes de la morale kantienne
Barbara Herman : l’objectification en tant que phénomène réductionniste
Barbara Herman dans son article « Could it be worth thinking about Kant on sex and marriage? » aborde la problématique de la sexualité chez Kant. Pour la philosophe la difficulté d’accorder la morale avec l’activité sexuelle naît parce que l’intérêt sexuel pour autrui n’est pas l’intérêt pour l’autre en tant que personne, mais en tant que corps. C’est le sexe de l’autre qui fait l’objet de l’intérêt, c’est -à-dire, c’est le corps érotisé, les organes génitaux. Comme dans la théorie kantienne le corps est une partie inséparable de la personne, en prenant le corps comme objet de son intérêt, l’intérêt sexuel oblige à considérer la personne comme un objet. Pour cette raison pour Kant l’objectification de l’autre est à la fois naturelle et inévitable dans l’activité sexuelle . Une façon de constater que l’intérêt sexuel est pour le corps ou une partie du corps et pas pour la personne est que le langage érotique parle souvent d’amour pour le corps : les lèvres, les yeux, les oreilles, les pieds, etc . Or, l’objectification sexuelle est inévitablement mutuelle, parce que la compréhension kantienne de la sexualité implique la perte morale de soi, non en termes de frontières, mais en tant que personnes les unes pour les autres . L’interprétation de Herman remarque trois éléments de l’objectification selon la théorie kantienne. Premièrement, l’objectification conduit à un droit de disposition d’autrui ; deuxièmement, les droits sur une partie du corps sont en fait des droits sur l’ensemble et un droit de disposition de la partie sexuelle est un droit de disposition sur toute la personne ; troisièmement, nous ne sommes pas le genre de choses sur lesquelles quiconque, y compris nous-mêmes, peut avoir le droit de disposer.
Selon Rae Langton, l’interprétation de Herman de la sexualité chez Kant conçoit l’inclination sexuelle comme moralement répréhensible en soi, car cette inclination fait de l’autre personne un objet de désir non en tant que personne, mais en tant que corps. En ce sens, l’inclinaison sexuelle est réductionniste.
Christine Korsgaard : l’objectification en tant que phénomène invasif
L’interprétation de Christine Korsgaard concernant l’objectification et la nature de l’inclination sexuelle est bien différente de celle de Herman. Selon Korsgaard, quand Kant affirme qu’il y a quelque chose de moralement gênant et potentiellement dégradant dans les relations sexuelles, ce qui dérange Kant est que le désir sexuel prend une personne pour son objet, p lus particulièrement, pour son objet esthétique. De même, ce qui dérange Kant ne serait pas l’idée que l’on utilise l’autre personne comme moyen pour obtenir son propre plaisir. En effet, selon la philosophe cette dernière interprétation serait une vision erronée des relations sexuelles. De plus, toute difficulté morale à ce sujet serait atténuée ou solutionnée par le simple acte du libre consentement de l’autre.La philosophe remarque que dans La fondation de la métaphysique de mœurs, Kant suggère que d ans le royaume des fins tout a un prix : un prix de marché, un prix affectif ou une dignité. Les marchandises ordinaires ou les choses ont des prix de marché, les objets d’art ou esthétiques ont des prix affectifs et les êtres humains ont de la dignité . Ainsi, selon Korsgaard, Kant ne craindrait pas que le désir sexuel réduise son objet à quelque chose avec un prix de marché, mais plutôt qu’il le réduise à quelque chose ayant un prix affectif.
Conséquemment, considérer quelqu’un comme un objet sexuel, ce ne serait pas le considérer comme un instrument ou un outil, mais plutôt comme un objet esthétique. Ainsi, voir à travers les yeux du désir sexuel une autre personne signifierait la voir comme quelque chose de désirable et de possédable . Pour Korsgaard , le problème d’inclination et l’objectification sexuelle n’est pas une question de réduire la personne à son corps, mais de vouloir posséder et contrôler la totalité de l’être du partenaire. Selon Korsgaard, pour Kant, l’inclination sexuelle est moralement répréhensible en elle-même, car elle fait de l’autre personne un objet de désir certes en tant que personne, mais en tant que personne possédée. Dès lors, nous comprenons pourquoi Rae Langton qualifie l’interprétation de Korsgaard de l’objectification comme invasive.
Onora O’Neill : l’objectification et le langage sexuel
L’interprétation de Onora O’Neill partage certains points avec celle de Korsgaard.
Notamment l’idée que le simple fait de ne pas être utilisé, ne suffit pas pour être traité comme une personne . O’Neill affirme également qu’il y a deux aspects lorsque nous traitons les autres comme des personnes : l’aspect négatif, nous ne devons pas utiliser les autres comme de simples moyens ; et l’aspect positif, nous devons les traiter comme des fins en soi . Selon la philosophe, Kant décrit le premier type d’échec moral comme une action fondée sur des maximes auxquelles nul autre ne peut consentir, et le second échec moral comme la poursuite de fins qu’un autre ne peut pas partager. Pour expliquer cela, O’Neill fait référence au célèbre exemple utilisé par Kant de la fausse promesse . Dans ce cas-là, il existe un double échec car la victime de la tromperie ne peut pas admettre la maxime de l’initiateur, elle est donc utilisée ; de plus, la victime ne peut pas partager la fin de l’initiateur, elle n’est donc pas traitée comme une personne . Confronté aux deux aspects à analyser vis-à-vis du fait de traiter les autres comme des personnes, nous souhaitons d’abord aborder l’aspect négatif de ne pas traiter les autres seulement comme des moyens. O’Neill défend qu’il est moralement inadmissible d’agir vis-à-vis des autres sans qu’ils ne consentent, car agir de cette manière implique de traiter l’autre comme une simple chose ou un outil.
Néanmoins, O’Neill sait que la notion de consentement est fort complexe et il nous est donc important de fournir les éclaircissements pou r bien comprendre cette problématique. Dans ses travaux, la philosophe relève cinq difficultés par rapport à la notion de consentement. La première difficulté est que nous ne savons pas ce que constitue un consentement . Une deuxième difficulté consiste à déterminer ce à quoi il a été consenti. La troisième difficulté réside dans le fait qu’il n’est pas clair où le consentement s’arrête . Une quatrième difficulté surgit lorsque le consentement donné ne correspond pas aux activités qu’il est censé légitimer. Enfin, une cinquième difficulté apparaît lorsque les capacités de consentement et de refus sont altérées . Puisque notre recherche est sur l’objectification sexuelle, nous n’allons pas approfondir l’étude des difficultés quant à la notion de consente ment identifiées par O’Neill. Mais il vaut la peine de préciser que le consentement apparent des autres ne suffit pas pour montrer que nous les traitons comme des personnes. Car les travaux d’O’Neill soulignent des problèmes concernant la défaisabilité et l’indétermination du consentement, les distorsions idéologiques des personnes, l’autotromperie et l’existence de capacités affaiblies pour pouvoir consentir.
Or, si la notion de consentement nous permet d’expliquer ce que signifie traiter les autres comme des personnes, alors nous avons besoin d’une définition du consentement authentique et significatif moralement. Pour O’Neill trois points sont nécessaires afin de comprendre la notion de consentement . Premièrement, un consentement significatif moralement ne peut pas être un consentement à tous les aspects des propositions d’autrui qui peuvent nous affecter. En effet, un consentement significatif moralement est un consentement aux aspects les plus profonds ou les plus fondamentaux des propositions d’autrui . Deuxièmement, pour que le consentement d’autrui soit significatif moralement, il doit s’agir de son consentement propre. Pour traiter les autres comme des personnes, nous devons leur donner la possibilité soit de con sentir soit de s’opposer à ce qui leur est proposé. C’est à l’initiateur de l’action de garantir cette possibilité. Pour traiter les autres comme des personnes, un aspect significatif moralement réside dans le fait de rendre possible leur consentement ou leur refus. En effet, si les personnes impliquées ont la possibilité de refuser, elles peuvent alors exiger soit de modifier l’action, soit de s’abstenir, soit d’annuler le refus. Par contre, une personne qui persiste face à un refus activement exprimé annu le toute possibilité réelle de s’opposer à la proposition.Tout consentement qui ne considère pas réellement la possibilité de refuser est un faux consentement. Ce type de consentement ne démontre pas deux choses : que les personnes n’ont pas été utilisée s et qu’elles ont été traitées comme des personnes . Troisièmement, nous devons comprendre ce qui rend possible un véritable consentement quant aux aspects les plus fondamentaux de l’action. Mais rien ne garantit qu’un ensemble d’exigences rendra possible un consentement authentique en toutes circonstances. De fait, il peut y avoir plusieurs conditions nécessaires, dont l’absence rend forcément impossible le consentement d’une part, et d’autre part des conditions nécessaires pour rendre le consentement possible uniquement dans certaines circonstances.
Allen Wood : l’impossibilité de réconciliation entre la sexualité et la moralité
L’interprétation d’Allen Wood de la théorie de la sexualité sexuelle chez Kant est certes la plus pessimiste par rapport à celles de Herman, Korsgaard et O’Neill, mais elle est aussi la plus détaillée quant à l’analyse de la nature de l’inclination sexuelle. De plus, l’interprétation de Wood reflète notre inquiétude relative à l’inévitable objectification sexuelle produite dans toutes les formes de rapports sexuels, et en conséquence, l’inévitable utilisation comme un simple moyen des partenaires, même dans le mariage. Dans son analyse des inclinations et affections humaines, Wood rappelle que Kant cherche à identifier les désirs naturels qui résistent à l’auto gouvernement de la raison, en ce qu’ils menacent à la fois la prudence et la moralité. Kant identifie deux formes de notre faculté de désir qui méritent une attention particulière. Les premiers sont des « affects » (Affekte) , des sentiments puissants et soudains de plaisir ou de mécontentement qui nous enlèvent la capacité de réfléchir . Les deuxièmes sont les « passions » (Leidenschaft) . Elles sont une menace plus profonde pour le contrôle de la raison, non seulement parce que les passions sont contraires à la morale, mais s’opposent aussi à la prudence :
La possibilité subjective que vienne à naître un certain désir qui précède la représentation de son objet est le penchant (propensio) ; la contrainte intérieure de la faculté de désirer à prendre possession de cet objet avant même qu’on le connaisse correspond à l’instinct (comme l ’instinct sexuel ou l’instinct parental de l’animal à projeter ses petits, etc.). Le désir sensible qui sert de règle au sujet (habitude) s’appelle l’inclination (inclinatio ). L’inclination qui interdit à la raison de la comparer, dans l’optique d’un certa in choix, avec la somme de toutes les inclinations est la passion (passim animi).
Toutes les inclinations humaines pour Kant ne sont pas des passions, seulement les inclinations impliquant d’autres personnes sont capables de devenir des passions . Kant distingue par ailleurs les passions issues de la nature, de celles produites par la culture . Kant considère cependant toutes les passions comme sociales au sens où elles ont d’autres êtres humains pour objets. En ce qui concerne les passions naturelles, nous avons deux : la passion pour la liberté et la passion pour le sexe . La passion de la liberté est un désir de se débarrasser des limitations que nous impose l’existence des autres, par leur pouvoir sur nous ou par nos obligations envers eux. Cela se transforme facilement en un désir de les priver de liberté.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1. L’INCLINATION SEXUELLE CHEZ KANT ET LES FONDEMENTS CONCEPTUELS DE L’OBJECTIFICATION
1. THEORIE KANTIENNE DE LA SEXUALITE HUMAI NE
2. LES QUATRE APPROCHES DES SPECIALISTES DE LA MORALE KANTIENNE
3. L’IMPORTANCE DE LA THEORIE KANTIENNE DE LA SEXUALITE
CHAPITRE 2. LE SEXE, LA SEXUALITE ET LES FONDEMENTS CONCEPTUELS DU DESIR,
L’INCLINATION ET LE PLAISIR SEXUEL
1. LA TRIADE CONCEPTUELLE DE LA PHILOSOPHIE DU SEXE : LE DES IR SEXUEL, LE
PLAISIR SEXUEL ET L’ACTIVITE SEXUELLE
2. LES APPROCHES I NTERNALISTES ET EXTERNALISTES
3. LE SEXE, L’IDENTITE DE GENRE ET L’ORIENTATION SEXUELLE
4. DELIMITATION TRANSITOIRE DU SEXUEL
CHAPITRE 3. L’OBJECTIFICATION SEXUELLE
1. LA DIFFERENCE ENTRE L’OBJECTIVATION ET L’OBJECTIFICATION
3. LES SEPT TRAITS DEFINITIONNELS DE L’OBJECTIFICATION
4. LA CONNEXION CONCEPTUELLE ENTRE LES SEPT TRAITS ET LA CONNEXION
CAUSALE-CONCEPTUELLE DE L’OBJECTIFICATION DE PERSONNIFICATION ET
D’INSTRUMENTALISATION
5. L’OBJECTIFICATION EN TANT QUE PHENOMENE EPISTEMIQUE, LA NORME
D’OBJECTIVITE SUPPOSEE ET LA CONNEXION CAUSALE, MAIS PAS CONCEPTUELLE
8. DEUX SENS DE L’OBJECTIFICATION D’INSTRUMENTALISATION : LA DISTINCTION
ENTRE IGNORER L’HUMANITE D’UNE PERSONNE ET PORTER ATTEINTE A L’HUMANITE
D’UNE PERSONNE
9. LE SENS FORT ET LE SENS FAIBLE DE L’OBJECTIFICATION
10. LE RAPPORT ENTRE L’OBJECTIFICATION ET LE SOLIPSISME SEXUEL
CHAPITRE 4. LA NOTION DU SOLIPSISME SEXUEL
1. SOLIPSISME METAPHYSIQUE (DESCARTES) ET SOLIPSISME SEXUEL
2. SOLIPSISME MORAL (KANT) ET SOLIPSISME SEXUEL
4. SOLIPSISME CONCEPTUEL (WITTGENSTEIN) ET SOLIPSISME SEXUEL
5. D’AUTRES FORMES DE SOLIPSISME ET SOLIPSISME SEXUEL
6. REFORMULATION DU SOLIPSISME SEXUEL ET LA REDUCTION AU SILENCE
CONCLUSION
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