Le service de gestion des déchets, un enjeu de la post catastrophe
Les catastrophes font référence à des événements ayant des conséquences graves. Leur définition se fait en effet en fonction d’un seuil d’endommagement défini par la société. Elle est donc relative à une société et à une époque (Berlioz et Quenet, 2000). L’intensité de cet endommagement dépend de la présence d’enjeux ayant une vulnérabilité intrinsèque, c’est-à-dire une propension à subir des dommages, et des caractéristiques de l’aléa. Alors qu’elles sont devenues une cause « mineure » de mortalité pour les sociétés humaines, elles demeurent, aujourd’hui plus que jamais, une de leur préoccupation centrale (Albouy, 2002). Ainsi, l’ONU, n’a-t-elle pas déclaré dans le « Cadre d’action de Hyogo pour 2005-2015 : Pour des nations et des collectivités résilientes face aux catastrophes », adoptée lors de la conférence mondiale sur la prévention des catastrophes qui s’est tenue en 2005 à Kobé, au Japon, qu’« il importe d’encourager les efforts de réduction des risques de catastrophe aux niveaux international et régional ainsi qu’aux échelons national et local » (O.N.U., 2005). Bien que les sociétés soient pourtant aujourd’hui davantage capables de se prémunir contre les catastrophes, « dans les économies développées, on constate une progression importante des dommages monétaires suite aux catastrophes d’origine naturelle ou d’origine humaine » (Albouy, 2002). En effet, si les capacités d’anticipation, voire de maîtrise de certains aléas se sont développées, la vulnérabilité des sociétés humaines a très fortement augmenté. Urbanisation et concentration des activités dans les zones à risque, augmentation des inégalités sont autant de sources d’une vulnérabilité croissante des sociétés. Ainsi, dans le monde, « au cours des deux dernières décennies écoulées, plus de 200 millions de personnes en moyenne ont été touchées chaque année par des catastrophes » (O.N.U., 2005).
Face à cette situation, des mesures ont été prises par les autorités locales, nationales et internationales. Elles s’organisent autour de différentes notions (protection, prévention, sauvegarde) influençant les stratégies de gestion des risques mises en place (réduction de la vulnérabilité, développement d’une culture du risque, préparation de la reconstruction, etc.). Ces stratégies sont aujourd’hui orientées vers des actions en lien avec la notion de résilience. La résilience est définie comme la capacité d’un système, ici d’un territoire, à se relever à la suite d’une catastrophe et à retrouver un fonctionnement acceptable. Cette notion introduite dans les sciences du risque à partir des années 2000 a connu un succès important, concomitant avec la prise en compte grandissante de la post catastrophe dans les politiques de gestion des risques. Pour certains auteurs, elle est d’ailleurs synonyme de « rétablissement des territoires » (Campanella, 2006 ; Djament-Tran et al., 2012 ; Hernandez, 2010 ; Maret et Cadoul, 2008). La résilience permet en effet de travailler sur toutes les phases de la post catastrophe, de l’immédiate après crise, à la reconstruction physique des bâtiments puis à celle de la société (Chance et Noury, 2011 ; Haas et al., 1977).
Lorsque l’on parle de post catastrophe et de redémarrage du territoire, la reconstruction des bâtiments, la remise en état des réseaux vitaux que sont le réseau électrique, le réseau d’adduction d’eau ou d’assainissement, le déblaiement des routes ou la reprise d’activité des entreprises sont souvent cités. La gestion des déchets est quant à elle rarement abordée. Or, c’est un enjeu important de la post catastrophe.
Le déchet est défini comme « toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire » (Directive européenne 2008/98/CE). C’est donc ce dont on se débarrasse faute d’utilité. Il recouvre des biens, des objets de nature et d’origine extrêmement diverses. La gestion des déchets est l’ensemble des étapes permettant leur élimination. Elles sont effectuées dans le cadre d’un service de gestion des déchets qui recouvre les activités contribuant à leur collecte et à leur traitement. Ce service concerne tous les déchets. Il est un composant essentiel des territoires urbains. Il permet en effet de maintenir les objectifs de salubrité et de sécurité publiques. De ce fait, à la suite d’une catastrophe, à l’instar des autres services urbains, le maintien de son activité est primordial pour le territoire. Au-delà de la continuité d’activité, l’activité du service de gestion des déchets doit également être « suractivée ». En effet, c’est durant la phase de post catastrophe que son rôle va s’avérer déterminant pour le territoire sur lequel il est implanté.
Lorsqu’une catastrophe survient, elle engendre des dommages aux bâtiments, aux infrastructures. Or, tout ce qui a été dégradé ou détruit par la catastrophe se transforme en déchet. Ces déchets sont donc produits en très grande quantité. Ainsi, le tremblement de terre au Japon, en 2011, a produit entre 25 et 80 millions de tonnes de déchets, soit l’équivalent de 15 années de collecte de déchets « normaux» pour les Préfectures de Fukushima, d’Iwate et de Miyagi . L’ouragan Katrina, en 2005, a quant à lui généré entre 20 et 25 millions de tonnes de déchets, soit l’équivalent d’un an et demi de collecte de déchets « normauÀ » (Guillet, 2009 ; Luther, 2008). À titre de comparaison, la production annuelle de déchets ménagers était de 31 millions de tonnes en Fance, en 2008 (Données ADEME). Face à ces quantités, le service doit trouver des moyens de collecte et de traitement supplémentaires. Les difficultés peuvent donc être nombreuses et les délais de gestion longs. A la Nouvelle-Orléans, par exemple, suite au passage de l’ouragan Katrina, S. H. Dunsacan (cité par (Hassett et Handley, 2006) estimait en 2005 que la gestion des déchets post Katrina prendrait au moins cinq ans. Il ne s’était pas trompé. A Haïti, les millions de tonnes de déchets produits par le tremblement de terre en 2010 (entre 23 et 60 millions de tonnes suivant les estimations (Brown et al., 2011) attendent encore pour leur grande majorité des solutions de traitement. Or, la présence de ces amas de déchets qui jonchent les rues, encombrent les habitations et les entreprises n’est pas sans conséquence pour l’environnement (pollution de l’air, de l’eau, du sol du fait d’un stockage temporaire inadéquate, de solutions de traitement non anticipées, etc.), pour la santé des populations (pollutions au plomb, moisissures, prolifération d’espèces invasives, impacts psychologiques, etc.), pour le territoire (retardement de la reconstruction et du redémarrage des activités, atteintes à l’image du territoire, etc.), ou encore, pour l’économie (coûts de gestion extrêmement importants, impacts indirects). Le coût de cette gestion n’est en effet pas négligeable. Dans le Var, la gestion des déchets produits par les inondations de juin 2010 a coûté 4,5 millions d’euros (Liquet, 2011). Aux États-Unis, la FEMA a estimé, en 2007, que ce coût équivalait à un peu plus d’un quart du coût total des opérations de redémarrage du territoire (Brown et al., 2011).
La post catastrophe : une période stratégique de la gestion de crise
Alors que la phase de crise bénéficie généralement de plans de gestion (Plan ORSEC, PCS ), la post catastrophe est quant à elle généralement peu anticipée. Cela peut s’expliquer de deux façons. Tout d’abord, elle apparaît comme moins stratégique, posant moins de problèmes vis-à-vis de la sécurité des personnes que la phase de crise. Néanmoins, une mauvaise gestion de la post catastrophe n’est pas sans conséquence (retour des habitants et reprise d’activité des entreprises retardés, impact sur l’image et l’attractivité du territoire, etc.). En outre, elle est difficile à appréhender du fait de la multiplicité des acteurs impliqués, de sa durée et des difficultés posées.
Qu’est-ce qu’une catastrophe ?
Avant de définir plus précisément ce que nous entendons par catastrophe et de présenter les différentes phases, il est nécessaire de clarifier le vocabulaire utilisé dans ce manuscrit. Risque, aléa, enjeux, vulnérabilité, exposition, crise, catastrophe, sensibilité sont régulièrement mobilisés lorsque l’on parle d’inondation.
Risque, catastrophe et crise
L’inondation correspond à un phénomène de submersion temporaire d’un territoire. Le risque d’inondation est un « événement dommageable doté d’une certaine probabilité, lié à la conjonction de l’aléa inondation et de la vulnérabilité d’une société» (Laganier, 2006). L’inondation est donc un événement générant des dommages, en fonction des caractéristiques de l’aléa et de la vulnérabilité des enjeux. L’aléa peut être défini comme « la probabilité d’occurrence d’un phénomène (par exemple 1/100 pour une crue centennale) pour une intensité fixée (débit de la crue centennale) » (Barroca, 2006). Un aléa peut être défini par sa durée de submersion, sa hauteur d’eau, sa vitesse et turbidité. C’est donc ce « qui caractérise la submersion indépendamment du mode d’occupation des sols » (Hubert et Ledoux, 1999). Les dommages correspondent aux conséquences économiques défavorables de l’inondation sur les biens, les activités et les personnes. Ils peuvent être différenciés en dommages tangibles pouvant faire l’objet d’une évaluation monétaire, et intangibles, difficilement monétarisables (pertes de vies humaines, effets psychologiques, etc.). Au sein de ces deux catégories, il est possible de distinguer également les dommages directs et les dommages indirects (Hubert et Ledoux, 1999). Les enjeux sont les éléments menacés par l’inondation. Enfin, la vulnérabilité peut être définie de manière générique comme la propension d’un enjeu à subir des dommages. Cependant, sa définitionfait l’objet de nombreux courants de pensée et débats sur lesquels nous ne nous attarderons pas . Le schéma ci-dessous les résume quelque peu (Figure 1, p. 37). La notion renvoie à la mesure de l’endommagement potentiel des éléments exposés à l’aléa (vision biophysique) ou aux conditions et aux facteurs propices à l’endommagement et influençant la capacité de réponse du système (vision sociale ou systémique) (Reghezza, 2006 ; Thouret et D’ Ercole, 1996).
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Table des matières
Introduction générale
Partie 1 Comprendre le service de gestion des déchets et identifier ses atouts pour la résilience des territoires urbains inondables
Introduction de la première partie
Chapitre 1 De l’intérêt de travailler sur la post inondation
I. La post catastrophe : une période stratégique de la gestion de crise
A. Qu’est-ce qu’une catastrophe ?
B. Caractéristiques de la post catastrophe
C. État des lieux des dispositifs d’anticipation et de préparation à la gestion de la post catastrophe
II. Évolution de la prise en compte de la post catastrophe dans les politiques de gestion des inondations
A. D’une vision techniciste du risque à la prise en compte de la société dans la gestion des inondations
B. Territorialisation des politiques de gestion des inondations et amorce d’une gestion intégrée
C. De la vulnérabilité à la capacité à faire face : mise en avant de la notion à la résilience
III. Utiliser la notion de résilience pour améliorer la gestion de la post catastrophe
A. La résilience : qu’est-ce c’est ?
B. De l’intérêt de la systémique pour l’étude de la résilience des villes aux inondations
C. La résilience aux inondations des systèmes urbains
Conclusion
Chapitre 2 La gestion des déchets : un service technique urbain nécessaire au fonctionnement des territoires urbains
I. Les déchets, nature et mode de traitement
A. L’objet déchet
B. Typologies des déchets : un domaine d’étude large
C. La gestion des déchets
II. La gestion des déchets : naissance d’un service urbain et complexité de son organisation actuelle
A. Bref historique de la mise en place du service de gestion des déchets
B. Organisation de la gestion des déchets
III. Approche systémique du service de gestion des déchets
A. Service, système et réseau
B. Description du service de gestion des déchets
Conclusion
Chapitre 3 Résilience aux inondations du service de gestion des déchets
I. Les dysfonctionnements du service de gestion des déchets suite à l’inondation
A. Conséquences d’une inondation sur le fonctionnement du service de gestion des déchets
B. Conséquences des déchets post inondation et des difficultés de leur gestion sur le système urbain
II. Gestion des déchets post inondation, une inéluctable désorganisation
A. Pourquoi parler d’une inéluctable désorganisation du service de gestion des déchets ?
B. La gestion des déchets post inondation : équilibre entre gestion de l’urgence et maintien dans la durée
C. État de la prise en compte de la question des déchets post inondation en France
III. Méthodologie pour diagnostiquer la résilience du service de gestion des déchets aux inondations
A. De la résilience corrélative à la résilience cognitive
B. La résilience fonctionnelle ou la capacité du service de gestion des déchets à maintenir un fonctionnement acceptable
C. La résilience territoriale
Conclusion
Conclusion de la première partie
Partie 2 De la théorie à la pratique : diagnostiquer la résilience d’un service de gestion des déchets
Introduction de la deuxième partie
Chapitre 4 Élaboration d’une méthode d’évaluation et de caractérisation des déchets post
inondation
I. Réflexions sur la construction d’une méthode d’évaluation et de caractérisation des déchets post inondation
A. Les méthodes de caractérisation du gisement de déchets
B. Les enjeux liés aux données disponibles et à leur qualité
II. État des connaissances et analyse du besoin
A. État de l’art des méthodes de quantification des déchets post catastrophe
B. Apprécier les attentes en matière de quantification et de qualification des déchets post inondation
C. Objectifs et contenu de la nouvelle méthode d’évaluation et de caractérisation des déchets post inondation
III. Une méthode de quantification et de caractérisation des déchets post inondation
A. Une différenciation entre les déchets issus de l’inondation des activités et les déchets issus de l’inondation des logements
B. Méthode d’évaluation et de caractérisation des déchets issus de l’inondation des logements
C. Éléments de réflexion pour une méthode de quantification des déchets issus des activités
IV. Validation de la méthode
A. Un nécessaire calage de la méthode
B. Validation de la méthode
Conclusion
Chapitre 5 Méthode d’évaluation de la capacité du service de gestion des déchets à maintenir un fonctionnement acceptable
I. Cadre méthodologique pour l’étude de la résilience fonctionnelle du service de gestion des déchets
A. Analyser la vulnérabilité : quelques éléments de cadrage
B. Les méthodes de la sûreté de fonctionnement
C. Démarche d’étude de la résilience fonctionnelle mise en œuvre
II. Étude du fonctionnement du service de gestion des déchets en période normale
A. L’analyse fonctionnelle externe ou la définition de la raison d’existence du service de gestion des déchets
B. Analyse fonctionnelle interne
C. Articulation entre les différents niveaux de l’analyse fonctionnelle
III. De l’analyse du fonctionnement au recensement des dysfonctionnements
A. Principes
B. Méthode d’analyse des dysfonctionnements
Conclusion
Chapitre 6 Application de la méthode de diagnostic de la résilience du service de gestion des déchets
I. Ivry-sur-Seine : un territoire sensible aux inondations
A. Préambule : la crue de la Seine et ses déchets en 1910
B. Le territoire d’Ivry-sur-Seine : un territoire urbain en mutation fortement exposé aux inondations
II. Le service ivryen de gestion des déchets
A. Gouvernance
B. De la pré-collecte au traitement : les étapes de la gestion des déchets ménagers ivryens
C. Application de l’analyse fonctionnelle
III. Diagnostiquer la résilience du service de gestion des déchets
A. Évaluation du besoin du système urbain ivryen envers son service de gestion des déchets ménagers
B. Observation de la résilience fonctionnelle du service ivryen de gestion des déchets ménagers
C. Le service de gestion des déchets est-il capable de mobiliser un territoire plus large ?
Conclusion
Conclusion de la deuxième partie
Conclusion générale
Annexes
Bibliographie