Le sentiment national de Côme de Prague dans la Chronica Boemorum

L’entreprise d’écriture de la Chronica Boemorum s’inscrit dans un contexte de crise de succession à la tête du duché de Bohême. Entre la mort du duc Břetislav II (1092-1100) et l’accession au trône de Soběslav Ier en 1125, quelques mois avant la mort de Côme de Prague (v.1045-1125), qui correspond à peu près à la fin de la chronique, la Bohême connaît une période d’instabilité politique violente. Cette crise de vingt-cinq ans n’est pas seulement conjoncturelle, elle est l’émanation de problèmes structurels, qui prennent racine dans la construction politique du duché de Bohême aux Xe et au XIe siècles. Aussi loin que l’on puisse remonter la généalogie des Přemyslide, la dynastie qui instaure peu à peu sa domination sur ce qui devient le duché de Bohême, des règnes stables et incontestés alternent avec des périodes de troubles, de disputes pour le trône. Pour comprendre la crise traversée par la Bohême dans le premier quart du XIIe siècle, il faut donc revenir à la construction progressive du duché, à partir du IXe siècle.

L’histoire de la constitution du duché de Bohême est indissociable de l’essor des Přemyslide. Au IXe siècle, elle est l’une des nombreuses familles de chefs de tribus qui se partagent la région. La présence de quatorze ducs Bohèmes à une réunion d’Empire en 845 à Ratisbonne atteste assez de la division politique du pays. À partir de la fin du IXe siècle, la famille Přemyslide étend son influence à un territoire toujours plus grand et elle finit par imposer sa domination sur un espace s’étendant sur toute la Bohême, la Moravie et périodiquement d’autres territoires, la Silésie notamment. Pour parvenir à cela, elle soumet les familles rivales ou n’hésite pas à les éliminer en cas de besoin. La famille Slavníkide, sa principale concurrente, est presque entièrement éliminée en 997 et les Vršovici le au début du XIIe siècle. Si l’assassinat du duc Venceslas, vraisemblablement en 929, par Boleslav Ier (929-967) marque la première succession violente connue dans l’histoire de la famille, les problèmes de partage du pouvoir apparaissent plus nettement au siècle suivant.

Il n’y a apparemment pas de règle de succession clairement établie mais le fils aîné du défunt duc prend généralement sa suite. Le premier grand conflit de succession apparaît à la mort de Boleslav II, en 999. Ses trois fils, Boleslav III (999-1004), Jaromír (1004-1012) et Oldřich (1012-1037) se disputent le trône, ce qui fait le jeu de la Pologne . Selon Côme, la crise ne se résout que parce qu’à la mort d’Oldřich, Jaromír accepte que son neveu prenne la succession. Le nouveau duc, Břetislav Ier (1037-1055), tente d’imposer la règle du séniorat pour présider à la succession mais les cadets de famille ont des revendications et les ducs sont contraints de leur céder des apanages en Moravie pour faire accepter la succession. Cette politique d’apanage permet un temps de faire taire la contestation. Mais elle a pour contrepartie de permettre le développement de pouvoirs rivaux capables d’en imposer au duc. Vratislav II (1061-1092) en fait les frais : lorsque ses frères Otton et Conrad (1092) appuient les prétentions de leur dernier frère Jaromír à l’épiscopat de Prague, il est contraint de s’incliner. Les déçus du règlement de la succession s’exilent souvent afin de chercher du soutien auprès des puissances voisines. Les ducs doivent aussi composer avec les grands du duché qui donnent leur accord dans le processus de désignation du successeur et qui ne manquent certainement pas de tirer des avantages de ce privilège. On voit bien le caractère instable des solutions adoptés au XIe siècle. La succession se fait au prix de compromis qui débouchent sur un équilibre précaire.

Si Côme encense Břetislav II (1092-1100), on peut cependant faire remonter le début de la crise de succession à son accession au trône. A la mort de son oncle, le duc Conrad (1092), il revient de son exil hongrois et prend le pouvoir, au détriment de son aîné Oldřich, le fils de Conrad. Le fait d’avoir violé la règle du séniorat est vecteur d’instabilité. Břetislav II est assassiné par un membre de la famille Vršovici, vieille ennemie de la dynastie ducale, en 1100 et son frère Bořivoj (1100-1107 et 1117-1120) lui succède. Mais ce dernier n’est pas reconnu par ses cousins qui opposent au principe de primogéniture celui du séniorat, que Břetislav Ier avait voulu imposer. Bořivoj parvient à défaire son cousin Oldřich en 1101 sans pour autant s’assurer le contrôle intégral de la Moravie. Svatopluk, un autre cousin le renverse et devient duc en 1107. Mais ce dernier est à son tour assassiné par un partisan des Vršovici (que Svatopluk avait lui-même fait assassiner pour la plupart) en 1109 et l’empereur exige alors que son frère Otton lui succède. Pourtant, c’est Vladislav Ier (1109-1117 et 1120-1125), un autre frère de Břetislav II, qui s’impose sur le trône. Mais ses deux frères, Bořivoj II et Soběslav II (1125-1140) continuent de disputer son pouvoir et le premier parvient même à remonter sur le trône entre 1117 et 1120 avant que Vladislav Ier ne l’en expulse. Peu avant son trépas, Vladislav Ier désigne Soběslav pour lui succéder, Bořivoj étant lui-même mort l’année précédente. Le pouvoir de Soběslav Ier est toujours contesté par plusieurs de ses cousins mais sa main ferme et son talent militaire lui permettent de rester au pouvoir jusqu’à sa mort, quinze ans plus tard, et de rétablir une certaine stabilité.

Ces conflits violents ont ravagé la Bohême pendant vingt-cinq ans au détriment des populations civiles. Côme est révolté par ces conflits internes pour les maux qu’ils font endurer aux Bohèmes mais aussi parce que l’affaiblissement du duché fait le jeu des puissances voisines, ce sur quoi nous allons nous attarder dans les lignes suivantes. Avoir le contexte de guerre civile en tête est essentiel pour comprendre la Chronica Boemorum, notamment parce que cette dernière s’écrit en réaction à cette situation.

Au début du XIIe siècle, le duché de Bohême est entouré par la Pologne, la Hongrie et l’Empire. La Bohême entretient un rapport complexe avec ce dernier puisque le duc de Bohême doit hommage à l’empereur sans que son duché soit intégré à l’Empire. De ce fait, la Bohême ne craint pas que son territoire soit amputé par les empereurs mais ces derniers exercent une grande influence sur la géopolitique de la région et profitent du chaos régnant dans le duché pour en tirer des bénéfices. La Pologne et la Hongrie sont également des acteurs importants du conflit qui jouent des dissensions pour affaiblir leur voisin et obtenir des gains territoriaux ainsi que des richesses.

Dès les origines, le destin du duché de Bohême est intimement lié à celui de son voisin impérial. Les empereurs francs ne parviennent pas à conquérir la Bohême mais les ducs sont régulièrement obligés de prêter allégeance à l’empereur et de lui verser un tribut. Les ducs de Bohême tentent de s’émanciper de la tutelle impériale dès qu’ils le peuvent mais la menace hongroise puis polonaise les fait irrémédiablement rentrer dans la domination impériale. Au cours de la crise successorale consécutive à la mort de Boleslav II (967-999), la Pologne intervient dans les affaires de la Bohême et tente en vain d’imposer sur le trône un certain Vladivoj. Le duc de Pologne s’empare de territoires bohèmes, comme la Silésie et la PetitePologne et il envahit même la Bohême et la Moravie. Mais comme le duc de Pologne refuse de payer le tribut et de renouveler l’allégeance pour le compte de la Bohême, le roi Henri II (1002-1024) intervient et place sur le trône Jaromír puis il confirme la montée sur le trône d’Oldřich qui le renverse en 1012. A contrario, lorsque Břetislav Ier (1037-1055) envahit la Pologne, l’empereur le contraint à rendre les territoires conquis. L’empereur n’a pas de possession ni de ministériaux en Bohême. Son contrôle sur l’évêque et le duc n’est qu’indirect mais il mène des campagnes en Bohême lorsque cela lui est nécessaire. En particulier, il veille à ce que le tribut soit versé, exige la fidélité du duc et sa participation aux campagnes militaires impériales. De plus, l’empereur mène une politique d’équilibre des puissances en Europe centrale : il intervient militairement lorsque l’une des trois couronnes devient assez puissante pour menacer son autorité sur la région. Mais l’empereur récompense les ducs qui le servent avec zèle. Vratislav II (1061-1092) est couronné roi à titre personnel pour avoir participé à presque toutes ses campagnes. Les empereurs et surtout les candidats à l’Empire, ont besoin du soutien des grands, et notamment des ducs de Bohême. Ces derniers savent utiliser leur soutien pour en tirer des bénéfices. Le couronnement royal de Vratislav II s’inscrit tout à fait dans cette perspective.

On l’a dit, les puissances voisines sont des acteurs incontournables de la crise successorale de 1100-1125. Le duc en place a besoin de se faire des alliés dans la région s’il espère se maintenir. C’est tout le sens de l’habile politique matrimoniale de Břetislav II. Il épouse Liutgarde de Bogen, dont la famille mène une ambitieuse politique de colonisation aux frontières de la Bohême et de la Bavière. Ses sœurs Judith et Ludmilla épousent respectivement Władisław Hermann, duc de Pologne et Wiprecht de Groitzsch, qui possède alors un vaste territoire à la frontière nord de la Bohême ; et ses frères Bořivoj, Vladislav et Soběslav respectivement Helbrig de Babenberg, Richsa de Berg et Adélaïde de Hongrie. Ces familles princières mettent en place des stratégies matrimoniales qui s’insèrent dans le jeu géopolitique complexe de l’Europe centrale. Mais pour le duc, ces mariages représentent une reconnaissance de sa légitimité et des appuis en cas de contestation interne ou externe de son pouvoir.

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Table des matières

Introduction
1. Le contexte historique
2. Vie de Côme de Prague
3. Manuscrits et éditions de la Chronica Boemorum
4. La postérité de la Chronica Boemorum
I/ Présentation formelle de la Chronica Boemorum
1. Les soubassements de la Chronica Boemorum
2. Le récit et sa structure
II/ La Chronica Boemorum : une œuvre politique
1. Le monde religieux
2. Le monde laïque
III/ La nation de Côme de Prague : étude lexicale
1. L’introuvable natio boemorum
2. Les Bohèmes comme gens et comme populus
3. La question de la lingua
4. Terra et patria : l’attachement à la terre de Bohême
5. Le sentiment de nous
Conclusion 

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