Le sentiment d’implication
Dans nos sociétés actuelles, les femmes et les hommes vivent des réalités différentes. C’est à partir du constat de l’inégalité persistante entre les femmes et les hommes, dans le domaine de l’emploi et des revenus, de la représentation politique et du travail domestique que cette recherche est présentée. Il s’avère que la région du Saguenay-Lac Saint-Jean se caractérise, dans de nombreux domaines, par des écarts plus prononcés que dans le reste de la province. Selon différents auteurs (Sen, 2003, Anthias, 2002) il ressort que les inégalités sont liées à la position sociale des individus. La théorie des représentations sociales fait également ressortir l’importance de la position sociale des individus et des groupes et celle-ci nous servira de cadre d’analyse. La proposition de cette recherche sera d’explorer les différentes relations existant entre les représentations sociales de l’égalité entre les sexes et celles du développement régional chez les femmes et les hommes de Ville de Saguenay, et ce, en fonction de la position sociale qu’occupent les répondants afin de vérifier le postulat que pose cette théorie. Ce postulat affirme qu’il existe une correspondance entre les représentations sociales d’un groupe social et la position que celui-ci occupe dans la structure sociale. Selon Doise tiré de Poshl (2004:156) : « la façon dont les gens pensent et parlent à propos de certains enjeuxsociaux, non seulement traduit leur position dans le champ social, mais ainsi la justifie, et par là contribue au maintien du statu quo ». Les objectifs spécifiques découlant de la théorie des représentations sociales sont les suivants : connaître le contenu de ces représentations sociales, poser des hypothèses sur leurs organisations, connaître les problèmes, les causes et les solutions perçues par les individus en ce qui a trait à la situation d’égalité entre les sexes et du développement régional, connaître l’implication perçue et les pratiques propres aux répondants y correspondant et connaître plus spécifiquement le rôle qui y est attribué aux femmes. Ces objectifs permettront l’exploration des relations entre ces deux représentations sociales tout en tenant compte des variations individuelles qui seront interrogées quant à leur concordance avec la position sociale des répondants. Pour répondre à ces objectifs, celle-ci sera identifiée par le sexe et la catégorie socioprofessionnelle des répondants.
La définition des représentations sociales qui sera privilégiée sera celle de Doise (1989 et 2005) qui les conçoit comme des principes organisateurs des rapports symboliques entre les individus et les groupes. Dans cette conception, les représentations sociales sont également vues comme étant des prises de position qui sont liées aux insertions spécifiques de ces rapports symboliques. Mentionnons ici que, selon Roy (2010), le genre et ses représentations sont un de ces principes organisateurs de la société patriarcale. Cette définition sera cependant complétée avec celle d’Abric qui s’intéresse plus au contenu de la représentation qu’à l’influence que possède la structure sociale sur celle-ci.
Cette recherche se penchera donc sur la question du développement au Saguenay-Lac Saint-Jean, et plus particulièrement sur la problématique femmes et développement en mettant l’accent sur la spécificité du territoire en s’inspirant de la pensée de Degavre et du local feminism selon laquelle il importe de tenir compte de l’ancrage territorial afin de comprendre les conditions locales du développement et le rôle joué par les femmes qui y vivent. Celle-ci tient également compte de la suggestion de Jean Duvignaud au sujet de la recherche sociologique citée dans Deslauriers (2003:157): Elle ne saurait se contenter de « problèmes abstraits », mais devrait répondre aux interrogations réelles de l’homme vivant, tel qu’il est, et non réfracté à travers les doctrines et les idéologies. Et peut-être, par là, la sociologie trouvera-t-elle une vocation nouvelle en ne tentant plus de ramener l’individu au collectif, mais de savoir pourquoi, au milieu de la trame collective, surgit et s’impose l’individualisation (1968:XV).
Cette recherche anticipe comme résultats celui de parvenir à une connaissance des contenus des représentations sociales de l’égalité entre les sexes et de celles du développement régional de la population de Ville de Saguenay, de la perception que cette population a, des causes et des solutions quant à ces situations, de l’implication perçue et des pratiques identifiées par ladite population ainsi que sur le rôle accordé plus spécifiquement aux femmes. Il est également anticipé de parvenir à poser des hypothèses sur l’organisation de ces représentations. Les connaissances obtenues et analysées permettront d’approfondir la connaissance sur les relations existant entre l’égalité entre les sexes et le développement régional et permettront de mettre en évidence les variations individuelles afin de vérifier s’il existe une certaine concordance entre celles-ci et la place qu’occupent les répondants dans l’organisation sociale.
La problématique: l’égalité entre les sexes et le développement régional
Ce travail de recherche concerne l’intégration du genre comme enjeu du développement. Cette intégration s’est produite progressivement et, tout comme l’égalité des sexes, demeure partielle et incomplète. La Banque Mondiale (2003) considère l’égalité entre les femmes et les hommes comme un des objectifs principaux du développement. Le rapport Genre et développement économique. Vers l’égalité des sexes dans les droits, les ressources et la participation de la Banque Mondiale (2003:3) donne une définition détaillée de l’égalité: «égalité devant la loi, égalité d’opportunités (impliquant l’égalité dans la rémunération pour le travail ainsi que dans l’accès au capital humain et autres sources de production) et, enfin, égalité d’influence (permettant de participer pleinement au développement et de contribuer à son processus) ». La Banque mondiale (2003:26) y mentionne également qu’: «afin d’affronter les défis actuels et futurs posés par l’objectif de l’égalité des sexes, une étude approfondie des liens existant entre le genre et le développement (…) est nécessaire ». Ici, la Banque mondiale (2003:31) précise explicitement que l’on ne peut pas limiter l’analyse genre et développement à celle de la pauvreté et des femmes dans les pays en voie de développement et qu’il faut également se préoccuper : « des programmes inachevés qui se penchent sur les relations entre les hommes et les femmes dans les pays les plus développés ». La Banque mondiale (2003:81 -87) affirme également que les inégalités fondées sur le genre : « empêchent les femmes de participer pleinement au développement », que « les inégalités nuisent au développement » ainsi que « les inégalités fondées sur le genre nuisent au développement économique de plusieurs façons, et cela affecte les conditions de vie des gens ». Cette reconnaissance du rôle joué par l’égalité entre les sexes s’est faite progressivement et on la retrouve maintenant dans la plupart des grands organismes internationaux.
De plus en plus d’auteurs et d’organismes contribuent à nourrir cette argumentation. A ce sujet, Hedmann (1999:66) spécifie que : « n’importe quel aspect de la vie des femmes et des hommes et des relations hommes/femmes (…) affecte la vie en société et a un effet sur le développement ». Jahen (1999:75) spécifie que pour être non-sexiste, le développement se doit d’inclure les femmes puisque sans cela, il s’en retrouve compromis. Pour cette auteure, la situation actuelle est caractérisée par le fait que : « les hommes monopolisent l’espace économique et politique, ce qui ne constitue pas un développement humain ». En effet, le PNUD (1996:55) tiré de Tremblay (2004:67) définit le développement humain comme devant se recentrer sur tous les individus et « leurs besoins, leurs aspirations, leur choix » ainsi que sur des facteurs intangibles qui tiennent mieux compte de potentialités humaines que le revenu et la croissance. Cracken et Scott mentionnent cependant que de plus en plus d’études tiennent compte de ces facteurs intangibles en considérant les apports des femmes et en en augmentant ainsi la visibilité.
Il importe de souligner que l’équité concerne le développement humain et social, mais également le développement économique. Il s’avère qu’il existe également des avantages liés à la performance et à l’efficacité des entreprises à favoriser la féminisation de leur conseil d’administration et de leurs postes de direction (on peut facilement généraliser cela à la féminisation des instances consultatives et décisionnelles régionales). Les entreprises qui ont le plus avancé en cette matière se retrouvent à être plus rentables que les autres. La corrélation entre le nombre de femmes dans les conseils d’administration et les performances financières a été observée dans tous les secteurs, fait remarquer Roy (2010). Dans l’analyse de ses résultats, il est conclu que dans la mixité de genre les qualités dites féminines viennent compléter celles des hommes.
Il est maintenant de plus en plus convenu, dans les organisations internationales notamment, que l’égalité passe par la pleine participation des femmes au développement. Dans ce sens, Sen lu par Prévost (2011:47) affirme que l’intérêt porté aux femmes peut se voir selon deux registres de justification : « un registre substantialiste – lutter contre les inégalités et les injustices est une fin qui se justifie par elle-même en tant que recherche du bien (et) un registre instrumental -lutter contre les inégalités et les injustices revient à œuvrer pour le développement (Kabeer 2005) ».
Donc, cela est plus qu’une question de justice sociale et de droits humains : il y est entendu que la participation des femmes est fondamentale en ce qui a trait au développement économique et où cette égalité entre les hommes et les femmes est considérée comme un facteur de réussite et de performance pour les nations du monde. Parmi les organisations internationales qui font dorénavant appel à la notion de genre dans le développement, Roy (2010a: 138-139) nous mentionne quelques exemples présentés ci-après. Premièrement, l’UNICEF considère l’égalité entre les femmes et les hommes comme un apport essentiel pour l’amélioration des nations. Le Forum économique mondial (FEM) mentionne : Le rapport {the global gender gap report 2007) indique qu’il existe un lien entre le clivage homme femme et la performance économique des pays. Notre travail montre une forte corrélation entre compétitivité et résultats en matière d’écart entre les sexes. Bien que l’on ne puisse établir clairement le rapport de causalité, le lien observé, repose sur des bases théoriques possibles élémentaires : les pays qui ne tirent pas pleinement parti de la moitié de leurs ressources humaines courent le risque de fragiliser leur potentiel de compétitivité. Nous espérons d’une part mettre en valeur les avantages économiques que procure l’autonomisation des femmes et, d’autre part, promouvoir l’égalité comme un droit humain fondamental (Roy, 2010a: 138) .
Tandis que pour le FMI, toujours présenté dans Roy (2010a : 139), «… une plus grande égalité des sexes en terme d’accès aux ressources, de droits et de représentation peut se traduire par un fonctionnement plus efficient de l’économie, une amélioration des institutions, et des retombées dynamiques sur l’investissement et la croissance ». L’OCDE, quant à elle, fait également ressortir le lien entre égalité et croissance économique : « elle (l’égalité) pourrait même expliquer en partie les écarts récents de croissance dans les pays de l’OCDE » (Roy, 2010a :139).
De plus, il ressort des sommets internationaux que l’égalité des sexes y est également considérée comme un facteur de développement durable. Dans les sociétés occidentales, il s’avère que consacrer plus de place aux femmes dans les lieux de pouvoir permet d’intégrer plus efficacement les objectifs d’un développement durable. Par exemple, Roy (2010a: 131) mentionne qu’au Sommet de Rio de Janeiro de l’ONU, on retrouve parmi ses vingt-sept principes, l’affirmation que « la pleine participation des femmes est essentielle à la réalisation d’un développement durable ». Roy (2012a: 140-141) avance que : En fait, c’est à un réel changement de paradigme que nous sommes conviés (…) Notre perception habituelle de l’égalité entre les hommes et les femmes relève du cadre d’analyse référant à une discrimination systémique envers les femmes. Elle est toujours exacte, mais l’égalité entre les femmes et les hommes doit aussi être située dans une démarche de développement durable. Cette égalité est une question de réussite et de performance pour les sociétés, les nations et les pays (…) Donc l’égalité entre les femmes et les hommes devient aussi un indicateur de la capacité de développement d’une société. À l’inverse, l’inégalité entre les femmes et les hommes menace notre survie même.
Plus près d’ici, Beaulieu (2002:27) du Conseil du statut de la femme affirme que les femmes doivent participer au développement et sont porteuses de plusieurs atouts pouvant bénéficier à celui-ci. Selon cette dernière : Pour être authentique, le développement d’une région nécessite à la fois un investissement économique, mais également social, fondé sur des valeurs liées à la qualité de vie de la population et l’élargissement de la participation citoyenne. Dès lors, l’inclusion des femmes fait toute la différence, une différence qui rapporte à toute la région.
Il faut également tenir compte du fait que les sociétés occidentales sont en proie au vieillissement de la population. Il semble qu’il y existe une corrélation entre le taux de natalité et l’égalité entre les sexes : celle-ci entraîne une élévation du taux de natalité et permet ainsi une structure démographique plus équilibrée. Par conséquent, cela entraîne moins de problèmes liés au développement, un taux d’activité plus élevé et une économie plus robuste. Il est entendu qu’une société égalitaire permet une pleine intégration des femmes au marché du travail et doit posséder une politique familiale diversifiée et favorable à la conciliation travail/famille. De ces nombreux rapports, il ressort qu’il est maintenant établi que le genre est une dimension importante et incontournable du développement, que ce soit dans les pays dits développés ou en voie de le devenir, et qu’il importe maintenant de parvenir à une meilleure compréhension des liens existant entre eux. On observe également que la très grande majorité des travaux et recherches concernant cette problématique se concentrent principalement sur les pays requérant l’aide internationale. Mais qu’en est-il au Québec, et plus particulièrement au Saguenay Lac-Saint-Jean?
L’égalité entre les sexes
Le contexte actuel prévalant au Québec et au Saguenay-Lac-Saint-Jean sera illustré ici. Plus spécifiquement, il s’agit de dresser un portrait de la situation des femmes en ce qui a trait à l’égalité dans les domaines de l’emploi et des revenus, de la représentation politique et du développement régional. Les données proviennent en grande partie du Conseil du statut de la femme (CSF), concernent les années 2010 et 2011 et seront complétées par le rapport de la Consultation sur faible taux d’activité des femmes au Saguenay-Lac-Saint-Jean (2003) du Service de la formation continue du CEGEP de Jonquière et du Groupe ÉCOBES. Il importe également de faire ressortir le fait qu’aujourd’hui, on ne peut pas parler de développement régional sans positionner les régions dans le contexte global qui prévaut et dans lequel elles évoluent.
Au Québec
Les femmes représentent 51,1 % de la population totale du Québec. Elles sont de plus en plus scolarisées et ont une performance scolaire élevée : il y a 9 femmes pour 10 hommes sur le marché du travail et il y a 129 femmes diplômées contre 100 hommes. Il ressort cependant, selon Roy (2010b:23) qu’ : « après leur entrée massive sur le marché du travail et dans les universités, les femmes n’ont pas accédé aussi facilement que les hommes aux emplois les mieux rémunérés et aux postes situés au sommet de la hiérarchie ». Elles n’en récoltent pas les mêmes bénéfices que les hommes puisqu’elles touchent également un salaire moindre à leur entrée sur le marché du travail. De fait, considérant la population dans son ensemble en 2010, la moyenne des revenus annuels des femmes est de 26 297 $ et celle des hommes est de 38 359 $ (au SLSJ : 21 633 $ contre 36 352 $). Contrairement à ce que l’on pense, il s’avère également que le temps consacré par les femmes au travail domestique et aux activités professionnelles est à peu près le même qu’il y a 20 ans. Cependant, pour la même époque, on remarque que les hommes ont augmenté leur travail domestique en moyenne d’une heure par jour. Par exemple, de 1998 à 2005, le temps consacré par les hommes est passé de 2,5 à 2,6 heures par jour tandis que celui de la femme est resté stable à 4 heures par jour. En ce sens, le rapport de la Consultation sur le faible taux d’activité des femmes au Saguenay Lac-Saint-Jean du Service de la formation continue et du Groupe ÉCOBES (2003:12) souligne que : « Les femmes (du Québec) portent encore très souvent les responsabilités de la conciliation travail-famille, en subissent donc également les effets pervers sur leur carrière professionnelle ». De plus, ce rapport indique que les femmes retournent aujourd’hui plus rapidement sur le marché de l’emploi après un accouchement, que les emplois qu’elles possèdent sont plus précaires, non syndiqués, à temps partiel et comme travailleuses autonomes.
Au Saguenay-Lac-Saint-Jean
Dans cette recherche, il importe de circonscrire la réalité spécifique des femmes vivant au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Celles-ci comptent pour 50,6 % de la population totale de la région. Les principales données sont tirées du CSF pour les années 2010 et 2011 ainsi que des résultats du rapport de la Consultation sur le faible taux d’activité des femmes au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Dans cette région, la baisse démographique sera relativement importante notamment de par la baisse de la natalité et la migration des jeunes qui concerne plus particulièrement les filles scolarisées qui seront vraisemblablement les plus actives sur le marché du travail. Minguy et le CSF (2002:3) ont fait une étude qui révèle que les conditions de vie des filles du Saguenay-LacSaint-Jean sont parfois difficiles et différentes de celles des garçons. Malgré leur performance scolaire élevée, « elles ont souvent une faible estime d’elles-mêmes, vivent de la détresse psychologique, ont des idées suicidaires, adoptent des habitudes de vie à risque telle la consommation de tabac et d’alcool, font peu d’activité physique et connaissent une difficile intégration au marché du travail ». Les femmes de la région sont parmi les plus pauvres au Québec et l’écart de revenu entre les femmes et les hommes de la région est l’un des plus importants. Il s’avère que les femmes de la région consommeraient davantage de drogues que les autres Québécoises, ce qui n’est pas le cas des hommes de la région. Celles-ci sont également victimes de violence conjugale plus souvent que les Québécoises et sont plus susceptibles, dès leur tout jeune âge, d’être agressées sexuellement. Les femmes du Saguenay-Lac-Saint-Jean se distinguent de l’ensemble du territoire par leur taux d’activité inférieur à celui des autres régions (seules la Gaspésie-îles-de-la-Madeleine et la Mauricie se retrouvent en dessous). Cela s’explique en partie par le fait que les femmes ont vécu une entrée tardive sur le marché de l’emploi qui n’a pas eu la même ampleur qu’ailleurs au Québec. La région est également deuxième au Québec pour ce qui est de la différence entre les taux d’emplois chez les femmes et chez les hommes. Une analyse par région effectuée par le CSF nous démontre également que la région se situe dans les derniers rangs pour ce qui a trait à la participation des femmes dans les conseils d’administration au même titre que la Gaspésie-îles-de-la-Madeleine et de l’Abitibi Témiscamingue. Leurs conditions de travail sont également plus difficiles : elles ont plus souvent un travail à temps partiel. De plus, les femmes du Saguenay-Lac-St-Jean sont moins présentes que les autres Québécoises dans les secteurs non traditionnels de l’emploi et sont, plus spécifiquement, moins présentes qu’elles dans les secteurs primaires et secondaires. Il faut savoir que la région se distingue par une plus grande proportion d’emplois dans ces secteurs et une moindre dans le secteur tertiaire. Il faut également noter que ces emplois où l’on retrouve moins de femmes offrent souvent des conditions de travail moins précaires et mieux rémunérées. Il existe au Saguenay-Lac-Saint-Jean, une ségrégation professionnelle plus prononcée qu’ailleurs au Québec. Les femmes de la région possèdent également, en moins grand nombre, un diplôme universitaire par rapport aux autres Québécoises. La consultation concernant le faible taux d’activités des femmes du Saguenay-Lac-St-Jean réalisée par ÉCOBES et le service de formation continue du Cégep de Jonquière (2003) fournit plusieurs éléments d’explication quant à ce faible taux d’activité des femmes de la région : le manque d’emploi dans la région, la structure industrielle, l’éloignement des marchés, l’intériorisation plus accentuée des valeurs traditionnelles, l’arrivée plus tardive des femmes sur le marché du travail, la migration des jeunes femmes les plus scolarisées, les conditions de travail précaires et les infrastructures déficientes. Ce rapport spécifie également que la culture régionale du marché du travail y est très masculine, il conclut (2003:43) : « Cette culture régionale encore très masculine ne conduit pas à de meilleures pratiques de conciliation travail-famille, essentielles à l’intégration de bon nombre d’entre elles sur le marché du travail ». De plus, ce retard concernant le taux d’activité des femmes, s’ajoute à celui concernant la baisse de la fécondité et de l’augmentation de l’espérance de vie qui semblent confirmer l’ancrage important des valeurs traditionnelles dans la région.
RécifO2, un organisme communautaire du Saguenay-Lac-Saint-Jean, dresse un portrait de la situation politique des femmes de la région. Cette organisation de femmes fait remarquer qu’à ce jour (en 2010), au palier fédéral, seulement deux femmes du Saguenay-Lac-Saint-Jean ont été élues (Mme Suzanne Beauchamps-Niquet, 1980-1984 et Mme Jocelyne Girard-Bujold, 1997-2004) tandis qu’au palier provincial, trois l’ont été (Mme Aline Saint-Amand, 1983, Mme Jeanne Blackburn, 1985, 1989, 1994 et Mme Françoise Gauthier, 2003-2007). De plus, il est intéressant de mentionner que si le rythme se maintient, nous atteindrons la parité au niveau municipal en 2065. RécifO2 spécifie que c’est précisément à l’échelle municipale que les écarts entre les femmes et les hommes sont les plus importants. La participation des femmes au niveau municipal importe particulièrement, car ces postes représentent, en plus de la mairie, des sièges dans d’autres instances locales telles que les CLD, les MRC ainsi que dans les instances régionales comme les CRÉ. Il advient que, selon le CSF et Beaulieu (2000:17) : « la faible proportion des femmes sur la scène municipale entrave donc leur accès à des lieux de décisions stratégiques ». Sur cette question, Kabeer va plus loin et affirme que : « Pour les femmes pauvres, la participation aux structures gouvernementales locales et l’influence à ce niveau constituent peut-être un objectif plus pertinent que l’augmentation du nombre de sièges occupés par une femme au parlement national », expliquant par la suite que le niveau le plus près est celui qui touche directement la vie quotidienne des gens.
Il convient de mentionner que la région ne se distingue pas positivement par rapport au reste de la province. Selon le CSF, dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, on ne retrouve actuellement pas de femmes à l’Assemblée nationale, ni de préfètes de MRC. Ces données, ainsi que celles qui suivent sont celles de l’année 2011 et sont regroupées dans le tableau 2 qui présente la présence des femmes dans les lieux décisionnels et consultatifs au Saguenay-Lac-Saint-Jean et au Québec. Comparativement au Québec, la région obtient la parité dans le même nombre d’instances (mais pas tout à fait les mêmes) : les commissions scolaires, l’université et le Forum Jeunesse et certaines sont en bonne voie de l’être un peu plus fréquemment soit : l’Agence de la santé et de services sociaux, les centres de santé et de services sociaux, les cégeps ainsi que la Table de concertation des aîné(e)s. L’augmentation observée à l’UQAC est fulgurante. Parmi les augmentations importantes survenues depuis 2005 se retrouvent les cégeps, les cadres de la fonction publique, le Conseil régional de la culture et le Conseil régional de l’environnement. Des diminutions ont été observées, dans les instances non mentionnées jusqu’à présent, soit dans les conseils municipaux, le conseil d’administration de la Conférence des élus, les centres locaux de développement, les Conseils régionaux des partenaires du marché du travail, l’Association touristique régionale et l’Unité régionale de loisirs et de sports. Exception faite des conseils municipaux, de l’Agence de santé et de services sociaux, des commissions scolaires, des cégeps et de l’université, la présence des femmes aux instances régionales se situe bien en dessous de celle de la province. De plus, il n’y a que 15 femmes juges sur 87 dans les cours municipales (17 %) et il n’y a que 12 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises régionales.
Cependant, malgré la constatation de Beaulieu mentionnée précédemment, les femmes au Saguenay-Lac-Saint-Jean sont des agentes de développement et selon Anadon et coll. (1992:88) citée par Andrew (1995:89-90), leur participation à celui-ci se regroupe sous quatre formes de pratique : les pratiques d’organisation, les pratiques de services, les pratiques d’éducation et les pratiques de mise en réseau. Ces auteures affirment que: Les organisations de femmes de la région ont été et sont encore les premières à se préoccuper véritablement du mieux-être de femmes du SLSJ-Chibougamau. Leurs actions expriment la volonté des groupes de faire entendre la voix des femmes et de se faire porteurs de changement dans leurs collectivités. Le défi proposé par les groupes de femmes au modèle dominant de développement régional, c’est celui de la reconnaissance des organisations de femmes comme importantes actrices d’un développement par la base; il est aussi celui de la reconnaissance des femmes comme véritable force régionale » (Andrew, 1995:89- 90). Ces données sur la situation de l’égalité entre les sexes dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean doivent être mises en contexte avec celle du développement régional prévalant au Saguenay-LacSaint-Jean.
Conclusions générales
Dans cette recherche, il nous est apparu évident que les représentations sociales évoluent dans un espace et un contexte idéologique et sociohistorique précis qui en déterminent les contenus et leurs organisations. Plus encore, celles-ci sont en constante liaison avec les systèmes sociaux dans lesquelles elles évoluent; elles proviennent de ces derniers qui les créent en même temps qu’elles les définissent. C’est ce qui caractérise le statut épistémologique particulier de la représentation sociale où le stimulus et la réponse se construisent ensemble .
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Table des matières
Introduction
1. La problématique: l’égalité entre les sexes et le développement régional
1.1. Inégalité entre les sexes
1.1.1. Au Québec
1.1.2. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean
1.2. Le développement régional
1.2.1. Le local et le global : positionnement des régions
2. Le cadre d’analyse
2.1. Le concept de développement
2.1.1. Un historique des théories féministes du développement
2.1.3. Amartya Sen et l’approche par les capacités
2.2. Le concept d’égalité entre les sexes
2.1.1. Causes et construction des inégalités entre les sexes
2.2.2. Genre, sphère productive et sphère domestique
2.2.2.1. Primauté de la sphère productive dans le discours féministe : l’activité des femmes
2.2.2. Floya Anthias et la translocational positionality
2.3. La théorie des représentations sociales
2.3.1. Épistémologie des représentations sociales
2.3.2. Définition
2.2.3. Le degré d’implication et la hiérarchisation des enjeux sociaux
2.2.4. La théorie du noyau central d’Abric
2.2.5. L’approche de Willem Doise
2.2.6. Le système représentationnel de Seca
2.2.7. Effet de genre
2.2.8. Les représentations spatiales ou spatialité représentative
2.2.9. Des droits humains fondamentaux et des représentations sociales normatives
3. La démarche méthodologique
3.1. L’échantillonnage
3.2. Méthode et instruments de collecte de données
3.3. Traitement et analyse des données
3.4. La validation et les limites de la recherche
4. Les éléments constitutifs des représentations sociales de l’égalité
entre les sexes et du développement régional.
5. Le développement régional
5.1. Définition des éléments de la représentation sociale
5.2. La hiérarchisation
5.2.1 Analyse selon les éléments constitutifs de la représentation sociale (tableau 6)
5.2.2. Interprétation de la hiérarchisation dans le développement régional selon les répondants
(tableau 8)
5.3. Description des problèmes, des causes et des solutions
5.3.1. Les problèmes
5.3.1.1. Analyse selon les éléments constitutifs de la représentation sociale (tableau 6)
5.3.2. Les causes
5.3.2.1. Analyse selon les éléments constitutifs de la représentation sociale (tableau 6)
5.3.3. Les solutions
5.3.4. Interprétation des problèmes, des causes et des solutions quant au développement régional
selon les répondants (tableaux 9,10 et 11)
5.4. Le sentiment d’implication
5.4.1. Le sentiment d’identification (Je me sens concerné)
5.4.2. Le sentiment de valorisation (c’est important)
5.4.3. Possibilité d’action perçue (j’ai une influence)
5.4.4. Interprétation des variables de l’implication quant au développement régional chez les
répondants (tableaux 12,13,14 et 15)
5.5. Les rôles et pratiques
5.5.1. Interprétation des rôles et pratiques dans le développement régional selon les répondants
(tableau 16)
5.6. Conclusion spécifique de la représentation sociale du développement régional
6. L’égalité entre les sexes
6.1. Définition des objets de la représentation sociale
6.1.1. Analyse selon les éléments constitutifs de la représentation sociale (tableau 6)
6.1.2. Interprétation de la définition de l’égalité entre les sexes selon les répondants (tableau 17)
6.2. La hiérarchisation
6.2.1. Analyse selon les éléments constitutifs de la représentation sociale (tableau 6)
6.2.2. Interprétation de la hiérarchisation dans l’égalité entre les sexes selon les répondants
(tableau 18)
6.3. Description des problèmes, des causes et des solutions
6.3.1. Les problèmes
6.3.1.1. Analyse selon les éléments constitutifs de la représentation sociale (tableau 6)
6.3.2. Les causes
6.3.2.1. Analyse selon les éléments constitutifs de la représentation sociale (tableau 6)
6.3.3. Les solutions
6.3.3.1. Analyse selon les éléments constitutifs de la représentation sociale (tableau 6)
6.3.4. Interprétation des problèmes, des causes et des solutions quant à l’égalité entre les sexes
selon les répondants (tableaux 19, 20 et 21)
6.4. Le sentiment d’implication
6.4.1. Le sentiment d’identification (je me sens concerné)
6.4.2. Le sentiment de valorisation (c’est important)
6.4.3. Le sentiment d’action perçue (j’ai une influence)
6.4.4. Interprétation des variables de l’implication quant à l’égalité entre les sexes chez les
répondants (tableaux 22, 23, 24 et 25)
6.5. Les rôles et pratiques
6.5.1. Interprétation des rôles et pratiques quant à la situation de l’égalité entre les sexes selon les
répondants (tableau 26)
6.6. Conclusion spécifique de la représentation sociale de l’égalité entre les sexes
7. Conclusions générales
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