Modélisation des croyances des enseignants et le sentiment d’efficacité
Pour comprendre ce qu’est le sentiment d’auto-efficacité de l’enseignant, ou sentiment d’efficacité personnelle, une revue de la littérature scientifique sur le sujet au cours du dernier quart de siècle s’impose. Le sentiment d’efficacité se retrouve dans plusieurs modèles de structuration des croyances et des pédagogies de l’enseignant. Parmi ces modèles des croyances enseignantes, celui de Woolfolk-Hoy, Davis et Pape (2006) classe les croyances des enseignants en quatre niveaux concentriques dont les influences se superposent en se dirigeant vers le centre dans lequel on retrouve le sentiment d’auto-efficacité. Le modèle des croyances des enseignants de Woolfolk Hoy, Davis et Pape (2006) peut être représenté de la façon suivante :
Le cercle le plus extérieur contient les croyances des enseignants relatives au développement de l’enfant, la nature de l’apprentissage, de l’école, ainsi que les normes et les valeurs culturelles.
Le cercle suivant, au deuxième niveau, contient les croyances et conceptions des enseignants au sujet des politiques éducatives, des réformes, de l’évaluation.
Au troisième niveau, dans le cercle suivant, on retrouve les conceptions relatives au contexte immédiat de la classe. Parmi celles-ci se trouvent les conceptions relatives aux capacités et aux besoins des élèves, celles relatives aux interactions avec les élèves, et enfin les conceptions relatives aux contenus disciplinaires et pédagogiques.
Au centre du modèle, dans le cercle intérieur, se trouvent les croyances des enseignants relatives à leur identité professionnelle et à leur sentiment d’efficacité personnelle, en relation avec leur stratégie d’enseignement, de motivation des élèves et de gestion de classe.
Les croyances relatives au sentiment d’efficacité et à l’identité professionnelle des enseignants se retrouvent dans d’autres modèles théoriques (Borko et Putnam, 1996 ; Calderlhead, 1996), cependant ces modèles ne placent pas ces croyances au centre comme le font Woolfolk-Hoy, Davis et Pape (2006). Ces auteurs estiment que le cœur du système de croyances des enseignants est formé par les croyances sur l’identité professionnelle puisque celles-ci influencent de manière considérable la motivation, le développement professionnel, la capacité à s’adapter aux nouveaux contextes et à choisir des pratiques. Le sentiment d’efficacité de l’enseignant joue un rôle sur l’implication dans les tâches d’enseignement, la fréquence d’utilisation de sanctions, la vision qu’ils ont des élèves en difficulté ou encore la mise en place des nouvelles pratiques pédagogiques. Ainsi, il a été démontré que les enseignants qui possèdent un sentiment d’efficacité personnelle à enseigner élevé, et qui donc présentent une croyance ferme en leur capacité à influencer les apprentissages des élèves, se montrent plus investis dans les tâches d’enseignement, plus bienveillants à l’égard des élèves, plus rétifs à utiliser la sanction fréquemment, plus investis dans la réussite des élèves en difficulté et plus enclins à tester et utiliser de nouvelles pratiques (Coladarci, 1992 ; Gibson & Dembo, 1984 ; Guskey, 1988 ; Tschannen-Moran, Woolfolk Hoy & Hoy, 1998 ; Woolfolk & Hoy, 1990). Par contre, les enseignants qui possèdent un sentiment d’efficacité personnelle qu’ils jugent plus faible se montrent moins investis dans les tâches d’enseignement, plus enclins à utiliser la sanction, plus enclins à se focaliser sur la gestion de la classe que sur les apprentissages et exercent moins de bienveillance à l’égard de leurs élèves car ils en ont une vision plus négative (Bandura, 2003 ; Coladarci, 1992 ; Gibson & Dembo, 1984 ; Guskey, 1988 ; Pajares, 1992 ; Tschannen-Moran, Woolfolk Hoy & Hoy, 1998 ; Woolfolk & Hoy, 1990).
Le sentiment d’efficacité personnelle de l’enseignant : définitions
Le sentiment d’efficacité de l’enseignant, défini comme « leur croyance en leur capacité à avoir un effet positif sur l’apprentissage des élèves » (Ashton, 1985), a été conceptualisé de nombreuses façons, mais la conceptualisation qui a le plus influencé la recherche découle de deux évaluations des programmes éducatifs nord-américains menées par la Rand Corporation (Armor et al., 1976; Berman et al., 1977). Les deux items de Rand ont formé le socle sur lequel les chercheurs suivants ont modelé leurs études. Ces deux items sont les suivants : (a) : « Quoi qu’on en dise, l’enseignant ne peut pas faire grand-chose car la motivation des élèves vient en grande partie de leur environnement familial. » (When it comes right down to it, a teacher really can’t do much because most of a student’s motivation and performance depends on his or her home environment), et (b) « Si je m’efforce, je peux atteindre les élèves les plus difficiles et non-motivés ». (If I try really hard, I can get through to even the most difficult or unmotivated students.). A partir de ces items, le niveau d’efficacité des enseignants a été déterminé en analysant leur score total en réponse à deux échelles de Lickert en 5 points exprimant le degré d’accord avec les affirmations précédemment mentionnées.
L’efficacité collective
Au-delà des perceptions personnelles d’efficacité mentionnées précédemment, les enseignants ont des croyances sur la capacité conjointe de l’administration d’une école. Ces perceptions relatives au groupe sont connues comme l’efficacité collective (Bandura, 1997 ; Goddard, Hoy et Woolfolk-Hoy, 2004). L’efficacité collective fait référence aux perceptions des enseignants d’une école sur le pouvoir de l’administration en sa totalité à organiser et exécuter les actions nécessaires pour obtenir un effet positif sur les élèves. L’efficacité personnelle de l’enseignant et l’efficacité générale sont liées, mais ne sont pas le même phénomène à l’échelle individuelle ou de groupe (Caprara et al, 2003 ; Goddard et Goddard, 2001). En fait, l’efficacité collective perçue peut varier de manière plus considérable au sein d’un groupe que les perceptions d’efficacité individuelle (Goddard, 2001).
Discussion
La question au cœur de ce mémoire était la suivante : En quoi le sentiment d’efficacité personnelle de l’enseignant débutant influe-t-il sur les pratiques de classe ? A la lumière des résultats obtenus, le sentiment d’efficacité personnelle de l’enseignant débutant semble exercer une certaine influence sur les pratiques de classe. A travers le questionnaire soumis à notre échantillon de professeurs des écoles stagiaires, nous avons vu que la grande majorité d’entre eux avait un sentiment d’efficacité plutôt faible. En effet, nous avons vu que, à part lorsqu’il s’agit de motiver les élèves, les enseignants débutants ne se sentent, au mieux, que moyennement efficaces dans leur pratiques de classe. L’observation menée en classe réelle, comme nous l’avons dit dans la partie précédente, ne nous a permis de vérifier notre hypothèse. Pour la vérifier, il aurait fallu que l’enseignante ayant un faible sentiment d’efficacité personnelle montre dans ses pratiques de classe une gestion plus active et maîtrisée des comportements des élèves et une moindre focalisation sur les apprentissages. Nous pouvons cependant imaginer que si nous avions observé un autre sujet, l’hypothèse aurait pu être validée. En effet, à travers des discussions informelles avec nos collègues professeurs stagiaires, nous avons relevé quelques pratiques qui montrent une focalisation importante sur la discipline. Par exemple, un des sujets qui a déclaré être d’accord avec l’affirmation « Je me sens capable de remédier efficacement aux problèmes de discipline en classe » exige le silence complet pendant la majeure partie des demi-journées de classe. Pour finir, nous pouvons inscrire cette recherche dans le cadre de celles menées par Woolfolk et Hoy (1990), car elle s’interroge sur ce qui arrive aux enseignants qui débutent leur carrière dans l’enseignement. Woolfolk et Hoy (1990) ont observé que les enseignants débutants devenaient au cours de leur stage en responsabilité plus enclins à être rigides sur le contrôle des comportements des élèves et à les surveiller. Dans la même étude, ils avaient conclu que le stage en responsabilité tendait à rendre les professeurs des écoles débutants moins certains du pouvoir de l’école de dépasser l’impact du milieu familial et social, mais que par contraste il tendait à les rendre plus sûrs de leur efficacité personnelle. Les résultats de notre observation contrastent donc avec ceux obtenus par Woolfolk et Hoy (1990). Contrairement à ce que Woolfolk et Hoy (1990) avaient observé, les enseignants débutants de notre échantillon ne sont pas sûrs de leur efficacité personnelle. En particulier, l’enseignante stagiaire que nous avons observée représente bien ce contraste entre les deux études puisqu’elle a montré un manque de rigidité dans le contrôle des comportements des élèves et que son sentiment d’efficacité personnelle était faible.
Conclusion
Avec cette enquête réalisée dans le cadre du Master « Métier de L’Enseignement, De L’éducation et de la Formation » mention Premier degré, nous avons tenté de répondre à la question suivante : En quoi le sentiment d’efficacité personnelle de l’enseignant débutant influe-t-il sur les pratiques de classe ? Nous avions formulé l’hypothèse suivante : Les enseignants débutants ayant un faible sentiment d’efficacité personnelle se focalisent plus sur la discipline que sur les apprentissages. Afin de vérifier notre hypothèse, nous avons d’abord soumis un questionnaire sur le sentiment d’efficacité personnelle de l’enseignant à un échantillon de onze professeurs des écoles stagiaires, lauréats du CRPE 2017 en Guadeloupe. Les réponses au questionnaire ont permis d’analyser le sentiment d’efficacité personnelle de l’enseignant débutant, dont les points principaux sont rappelés ci-dessous :
– L’enseignant débutant a en moyenne un faible sentiment d’efficacité personnelle.
– L’enseignant débutant ne se considère que très moyennement efficace pour ce qui relève de la réussite des apprentissages et de la maîtrise des savoirs par les élèves, de la discipline en classe et de sa capacité à contrecarrer l’influence du milieu social des élèves.
– L’enseignant débutant se considère compétent pour motiver les élèves et pour prendre du recul sur sa pratique.
Nous avons ensuite choisi une enseignante débutante ayant un faible sentiment d’efficacité pour une observation en situation de classe réelle. Cette observation devait nous permettre de valider l’hypothèse selon laquelle un enseignant ayant un faible sentiment d’efficacité personnelle se focaliserait davantage sur la discipline que sur les apprentissages. Cette observation ne nous a pas permis de valider notre hypothèse. En effet, lors de la séance d’apprentissage observée, l’enseignante débutante était plus focalisée sur l’apprentissage des élèves de son atelier dirigé et laissait la discipline de côté pour les autres élèves. La recherche effectuée pour ce mémoire nous a permis d’en apprendre plus sur le processus de socialisation professionnelle et personnelle de l’enseignant débutant. Nous avons pu constater que le fait d’avoir un faible sentiment d’efficacité personnelle était commun à la quasi-totalité de notre échantillon de participants. En cela nous avons pu exercer une forme de soutien psychologique envers et entre les participants en leur montrant qu’ils partageaient les mêmes difficultés. Les recherches de Cantrell et al. (2003) et Woolfolk-Hoy et Burke-Spero (2005 expliquaient que l’efficacité de l’enseignant décline en début de carrière lorsque le support social disponible pendant la formation disparait avec la titularisation des enseignants stagiaires. Cela laisse prévoir que le sentiment d’efficacité des enseignants présentement stagiaires, déjà faible, le sera encore plus à la rentrée suivante lorsqu’ils seront seuls devant leur classe. Il reste à espérer que les enseignants débutants sauront trouver les moyens qui leur permettront de rehausser leur sentiment d’efficacité personnelle au cours de leur carrière.
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Table des matières
Introduction
Partie I : Cadre théorique
I) Modélisation des croyances des enseignants et le sentiment d’efficacité
II) Le sentiment d’efficacité personnelle
II.1) Définitions du sentiment d’efficacité personnelle, ou sentiment d’auto-efficacité
II.2) Le sentiment d’efficacité personnelle des enseignants
II.3) Le sentiment d’efficacité de l’enseignant : les recherches
Partie II : Méthodologie
I) Problématique et hypothèses
II) Protocole de recherche
II.1) Matériel
II.2) Participants
II.3) Déroulement
III) Les limites de l’expérimentation
Partie III : Résultats
I) Analyse et exploitation des résultats du questionnaire
I.1) L’analyse quantitative des questionnaires récoltés
I.2) L’analyse qualitative des questionnaires récoltés
I.3) L’analyse croisée des résultats du questionnaire
II) L’observation
II.1) Résultats des observations
Partie IV – Discussion
Partie V – Conclusion
Partie VI – Références bibliographiques
Partie VII – Annexes
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