Le sens dans le travail : origines, histoire des recherches et définitions des termes employés

Le sens dans le travail : origines, histoire des recherches et définitions des termes employés

Malgré le foisonnement des recherches sur le sens, dans la vie ou dans le travail, « il existe encore d’importantes lacunes dans notre connaissance de la façon dont un sens de la signification naît, persiste ou est remis en question. » (Bailey et al., 2019b: 481). Nous nous attacherons ainsi à développer, dans cette sous-partie, les travaux ayant permis le développement de nos connaissances sur ce concept.

Les origines du sens : la quête d’une vie 

Tout d’abord, le mot « sens » vient du latin « sensus » qui signifie « la faculté d’éprouver des impressions, de connaître, voire de juger », et du germanique «sumo», désignant la direction, l’orientation que prend quelque chose (Morin & Forest, 2007). Le dictionnaire Larousse en ligne donne, quant à lui, cinq définitions distinctes. Le sens évoque, pour commencer, les six sens que sont la vue, l’audition, le toucher, le goût, l’odorat et enfin la sensibilité à la pesanteur. Ensuite, plusieurs significations sont rattachées au « sens », telles que l’intuition, la signification, la représentation et enfin la raison d’être.

La recherche de sens est un besoin humain (Schwartz dans Frémeaux, 2014). À ce titre, Maslow (1964) a établi une recherche des besoins avec, à son sommet, les besoins de sens et de réalisation de soi. En effet, les individus tentent constamment de donner un sens au monde qui les entoure, en essayant d’organiser leur expérience, en fonction de leurs personnalités, mais également de leurs croyances, de leurs souvenirs etc. (Guevara & Ord, 1996). Ces images que les individus ont d’eux-mêmes, et du monde, dirigent leurs perceptions et leurs actions. Afin d’organiser cette expérience, les individus cherchent à répondre à trois préoccupations centrales (loc. cit.). Il s’agit du besoin de présence et d’appartenance (« où suis-je et où en suis-je ? »), de relation (« comment puis-je être en relation avec les autres ? ») et enfin de contribution (« quelle est ma valeur ? ») au sens de ce qu’elle apporte aux autres, à la société. Dans les situations où ces questions restent sans réponse, les individus ne pourront pas s’accomplir de façon optimale. Au lieu de cela, ils connaîtront une certaine perte de sens, phénomène qui semble aujourd’hui se généraliser et que nous conceptualiserons ultérieurement.

Les individus ne peuvent travailler et vivre sans donner un sens à leur action (De Gaulejac, 2005). « La littérature sur le sens (Frankl, 1969 ; Brief & Nord, 1990) a été mobilisée pour cerner non pas le sens objectif du travail, mais les différents points d’entrée du sens que les individus peuvent donner au travail. » (Frémeaux, 2014 : 53). Le sens remplit ainsi trois fonctions (Frankl, 1967 dans Morin, 2010). Il oriente les attitudes et les conduites de l’individu (1), l’aide à traverser les épreuves de la vie (2) et lui permet de mieux comprendre les événements qui forgent son histoire (3). Selon le psychiatre Baumeister (1991 dans Morin, 2010), les individus ont quatre besoins que sont le fait d’avoir un certain contrôle sur leur destin et sur l’efficacité de leurs projets (1), le besoin d’avoir le sentiment d’être une personne correcte (2) et le besoin d’être traités avec dignité (3) et enfin, ce qui nous intéresse, d’avoir une raison d’être ou de vivre, c’est-à-dire de trouver un sens à sa vie (4). « La principale préoccupation de l’homme n’est pas de gagner du plaisir ou d’éviter la douleur, mais plutôt de voir un sens à sa vie. » (Frankl, 1959 dans Rosso et al., 2010 : 92). En ce sens, donner un sens à son travail s’inscrit dans une quête plus grande de recherche de sens dans la vie.

Les recherches sur le sens dans le travail : des définitions 

Le sens dans le travail connaît une longue tradition dans de nombreuses disciplines (psychologie, sociologie, économie et études organisationnelles), et encore plus dans la philosophie et la théologie (Rosso et al., 2010). Aujourd’hui, nous ne pouvons affirmer qu’il existe un consensus sur une définition du travail significatif (Antal et al., 2018). Il s’agirait de « la valeur d’un objectif ou d’un but de travail, jugé par rapport aux propres idéaux ou normes d’un individu. » (May, Gilson, & Harter, 2004, dans Antal et al., 2018 : 376). Il serait ainsi constitué, mais nous y reviendrons, d’une dimension subjective, se rapportant aux perceptions des salariés, et d’une dimension objective, c’est-à-dire les conditions de travail (Antal et al., 2018).

Pour autant, il apparaît un fort éclatement de cette littérature, en de nombreuses approches et méthodologies, ne facilitant guère l’interprétation du sens dans le travail comme un réel champ de recherche identifié. « Il semble que le sens de la littérature de travail connaisse encore son adolescence, après avoir connu une croissance et un développement considérables dans de nombreuses disciplines universitaires au cours de nombreuses années, sans toutefois établir une identité cohérente. » (Rosso et al., 2010 : 93). Ne pouvant explorer l’ensemble des disciplines ayant traité du sens dans le travail, nous préférons nous concentrer sur les études ayant influencé les recherches en management. Les recherches sur le sens dans le travail s’ancrent ainsi particulièrement dans deux champs de connaissances de « l’organisation du travail », nommé « job design », avec deux modèles des années 1960.

Elles s’inscrivent tout d’abord dans la théorie du job design d’Hackman et Oldham (1976 dans Rodrigues et al., 2017). Pour commencer, le « job crafting » met l’accent sur le travail personnel exercé par les employés dans la définition du sens de leur travail en adaptant activement leurs emplois et l’environnement social à leurs objectifs, compétences et valeurs personnelles (Berg, Wrzesniewski, et al., 2010 dans Rosso et al., 2010). Ces derniers ont déterminé trois caractéristiques qui contribuent à donner un sens au travail. La spécificité de ces caractéristiques sont qu’elles relèvent toutes du travail comme déterminant de la signification de celui-ci (Rosso et al., 2010). Il s’agit de la variété des tâches (et donc des compétences), l’identité du travail et la signification du travail (Hackman & Oldham, 1976 dans Morin & Forest, 2007). Deux autres caractéristiques contribuent également à cette signification. Ce sont l’autonomie et les retours d’expérience (« feedback »). Ces caractéristiques contribuent positivement à la motivation intrinsèque (Michaelson, 2005 dans Antal et al., 2018), notamment dans le secteur public (Perry & Wise, 1990 dans Perry, Hondeghem & Wise, 2010 ; Hondeghem & Parys, 2001). La motivation interne est ainsi reliée de manière très étroite avec le sens dans le travail qui est, en retour, un état psychologique nécessaire au développement de celle-ci (Hackman & Oldham, 1976 dans Rosso et al., 2010). Sans motivation il n’y a pas de sens dans le travail, sans sens dans le travail il n’y a pas non plus de motivation ! « Il importe que les fonctionnaires connaissent le but de leur travail et puissent souscrire à ces objectifs. » (Hondeghem & Parys, 2001 : 6). À ce titre, la motivation intrinsèque est également considérée comme la résultante d’une cohérence, d’une congruence entre l’individu et son environnement et/ou activité (Deci & Ryan, 1985 dans Rosso et al., 2010). Dans le secteur public spécifiquement, « Les fonctionnaires prétendent eux-mêmes qu’ils tirent principalement leur motivation dans la nature de leur travail (la variété, l’autonomie, l’importance du travail pour la société) et des contacts sociaux, tant avec les collègues qu’avec les citoyens. Ils sont relativement satisfaits des conditions de travail secondaires, en particulier de la souplesse de l’horaire et de la sécurité de l’emploi. » (Hondeghem & Parys, 2001 : 4).

Ces recherches s’ancrent également dans l’histoire de l’école sociotechnique (Trist, 1978 dans Rodrigues et al., 2017). En effet, Trist (1978 dans Morin & Forest, 2007) a mis en lumière les six propriétés d’un travail stimulant l’engagement de la personne. L’engagement est la conséquence directe d’un individu qui perçoit son travail comme hautement significatif (Morin & Cherré, 1999), mais c’est également une source puissante de sens (Rosso et al., 2010). « C’est par des actes d’engagement que l’individu peut réaliser la cohérence entre sa vie intérieure et sa vie en société. » (Morin, 1996 : 272). A l’inverse, le manque de signification est la première raison de désengagement des salariés (Carton, 2018). « L’engagement est [donc] un puissant antidote du non-sens. » (Morin, 1996 : 282). Il s’agit d’un travail raisonnablement exigeant, offrant des occasions d’apprentissage, faisant appel à la capacité de décision, reconnaissant le travail accompli, permettant de lier l’exercice des activités à leurs conséquences sociales et permettant d’envisager un avenir désirable. Ces six propriétés ont de nombreuses similitudes avec les caractéristiques du sens dans le travail que nous dévoilerons par la suite, et témoignent de la forte corrélation entre le sens dans le travail et l’engagement.

Plus tard, l’étude menée par le groupe sur le sens dans le travail (MOW, 1987 dans Morin, 1996) a mis en évidence que la relation de l’individu à son travail ne se limite pas qu’à des problématiques instrumentales et rationnelles. Cette réflexion s’ancre également dans les recherches émanant du champ du comportement organisationnel. Le sens dans le travail a ainsi été employé dans une perspective psychologique, présumant que les perceptions étaient enracinées dans les interprétations subjectives de l’individu, de ses expériences et ses interactions (Brief & Nord, 1990 dans Rosso et al., 2010) et qu’elles entraînaient des répercussions sur la santé mentale des individus (Baumeister, 1991 dans Morin, 2010).

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Table des matières

Introduction générale
L’intérêt de notre recherche
La construction de l’objet et de la question de départ
Le cadre théorique mobilisé et la problématique de recherche
La méthodologie de recherche et notre terrain d’étude
Chapitre I : Du sens dans le travail au manque de sens : une préoccupation managériale
Introduction du chapitre
I.1. Le sens dans le travail : origines, histoire des recherches et définitions des termes employés
I.1.1. Les origines du sens : la quête d’une vie
I.1.2. Les recherches sur le sens dans le travail : des définitions
I.1.3. Une construction dynamique éminemment singulière mais qui peut être collective
I.1.4. Les termes employés dans l’étude du sens dans le travail
I.2. Le sens dans le travail : composantes, caractéristiques et facteurs d’élaboration
I.2.1. Un seul concept pour plusieurs composantes
I.2.2. Les caractéristiques d’un travail qui a du sens pour l’individu
I.2.3. Les facteurs d’élaboration du sens dans le travail à différents niveaux
I.3. Le sens dans le travail : une préoccupation managériale pour lutter contre la perte de sens
I.3.1. Le sens dans le travail pour les managers et le management du sens
I.3.2. Les évolutions du monde du travail : focus sur le secteur public et le tiers-secteur
I.3.3. Lorsque le manque de sens se fait ressentir chez les individus et les collectifs
Conclusion de chapitre
Chapitre II : Le sensemaking : une théorie relative à la construction de sens
Introduction de chapitre
II.1. Le sensemaking ou la création de sens
II.1.1. Les origines, définition et niveaux de construction du sens
II.1.2. Les caractéristiques du processus de sensemaking
II.2. Les concepts clés du sensemaking et la théorie du sensegiving : un point de vue managérial
II.2.1. Les concepts clés du sensemaking
II.2.2. Le sensegiving et le management
II.3. Le bricolage comme source de résilience
II.3.2.1. Les sources de résilience chez Karl E. Weick
II.3.2.2. Des sources de résilience approfondies
II.3.2.3. Un focus sur le bricolage
Conclusion de chapitre
Chapitre III : La transgression comme mise en action d’une construction du sens dans le travail
Introduction du chapitre
III.1. Etudier le travail à partir des pratiques transgressives
III.1.1. La transgression : une définition non stabilisée
III.1.2. La transgression se rapporte aux études récentes sur la déviance
III.1.3. La transgression à travers les termes d’infraction, d’indiscipline ou encore de violation délibérée
III.2. Pourquoi les individus transgressent-ils ?
III.2.1. L’individu recherche du sens à son travail
III.2.2. L’individu aménage le fonctionnement de l’organisation pour mener à bien la mission
III.2.3. L’individu transgresse pour combler l’écart entre le travail prescrit et le travail réel
III.2.4. L’individu jongle face à des contraintes externes contradictoires
III.2.5. L’individu souhaite atteindre une norme supérieure, au service d’autrui
III.3. La transgression, un processus innovant mais risqué
III.3.1. La transgression est un processus complexe permettant l’innovation organisationnelle
III.3.2. La transgression de règles perçues comme illégitimes
III.3.3. Transgresser comporte des risques : comment s’en prémunir ?
Conclusion de chapitre
Conclusion générale

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