Le sens commun du genre: de la typologie à l’empirie

Influences de la tradition sur la notion de genre et recherche typologique

De l’Antiquité post-aristotélicienne à la Renaissance, les genres se présentaient en quelque sorte comme des modèles qu’il était recommandé de suivre. Nous pouvons observer les traits de cette approche normative dans L’institution oratoire de Quintilien ou dans L’orateur de Cicéron. Dans ces deux oeuvres, nous retrouvons une conception ornementale de la littérature. De là proviennent d’ailleurs la Roue de Virgile et la tripartition des styles44 . Au Moyen Âge et à la Renaissance, cette approche normative se dote d’une intention classificatoire. Les auteurs – voir Castelvetro – schématisent alors les possibilités des genres et développent leurs virtualités. Boileau, quant à lui, avec son Art poétique, procède davantage par énumération, en déterminant une pléthore de genres mineurs (idylle, élégie, ode, ballade, satire, etc.) et les genres canoniques bien connus (tragédie, épopée et comédie). Toutefois, que l’on examine les auteurs latins ou les représentants du classicisme, que l’on cherche à élaborer une rhétorique, un système de classification ou d’énumération, l’approche normative se définit toujours par la mise en place de modèles stables, agissant comme des exemples pour les oeuvres à venir, cellesci devant théoriquement se conformer à ces modèles présentés comme idéaux. La seconde attitude relevée par Schaeffer est celle qui a été privilégiée par le mouvement romantique et qui se divise en deux perspectives: essentialiste et évolutionniste.

Du côté essentialiste, elle est représentée entre autres par la théorie des genres de Hegel. Le philosophe distingue trois moments historiques qui correspondent à la triade dialectique du subjectif, de l’objectif et de la synthèse subjective-objective. Ainsi, « l’épopée est la poésie objective, le lyrisme est la poésie subjective et le drame représente la synthèse des deux.45 » À ces considérations, il ajoute deux autres déterminations, soit la logique actancielle et le contenu idéel, pour créer des schémas historico-systématiques. Sa théorie des genres est donc à la fois typologique et historique. Du côté évolutionniste, nous retrouvons Ferdinand Brunetière. Tirant son inspiration de la théorie de l’évolution de Charles Darwin, sa théorie défend l’ idée générale que seuls les genres les mieux adaptés survivent et finissent par marquer l’histoire littéraire. Les genres littéraires suivent également la courbe de l’évolution naturelle: naissance, maturité, dégénérescence. La différence entre Hegel et Brunetière tient à ce que l’un considère que la littérature exprime autre chose qu’elle-même, alors que l’autre estime que l’évolution littéraire est déterminée par la seule influence des oeuvres entre elles.

L’arrivée du vingtième siècle change pourtant la donne avec l’adoption de l’ attitude descriptive-analytique. C’est cette attitude qui est préconisée par les formalistes et les structuralistes. Inspirés des méthodes d’analyse en linguistique, les premiers tentent d’aborder le texte littéraire de manière «scientifique ». Ce trait s’observe d’ailleurs dans leurs recherches sur le genre par leur volonté de définir les genres littéraires selon la nature des procédés dominants. Le structuralisme français, avec Genette et Todorov, surtout, pousse encore plus avant la typologie des genres. « Sous diverses appellations, [ est apparue] désormais une distinction claire entre les catégories génériques (épique, lyrique, dramatique) et les genres proprement dits (épopée, roman, tragédie, [ … ], ode, drame bourgeois, etc.)46 ». L’ambition de ce mouvement est donc de dépasser les genres pour atteindre la catégorie générique. Nous pouvons reconnaître, sous ces termes, une perspective essentialiste qui n’est pas fausse, bien qu ‘elle se présente accompagnée d’une prétention formelle. Une telle typologie, par contre, n’arrive pas à rendre compte de la pleine subtilité des oeuvres empiriques. Autrement dit, les structuralistes (d’une manière similaire aux formalistes russes47) identifient seulement les procédés dominants dans les textes, afin d’en établir et d’en distinguer les genres, puis les catégories génériques.

Le sens commun du genre: de la typologie à l’empirie Néanmoins, hors des discussions théoriques, le genre continue d’exister comme système de classification prétendument fiable: les manuels d’histoire littéraire témoignent de ce fait, de même que les habitudes des lecteurs. Les amateurs de littérature continuent en effet d’acheter des romans, en ayant en tête une idée somme toute précise de ce qu’ils recherchent, leur sens commun les guidant dans leur quête. Écarter cette observation sans lui prêter l’attention qu’elle mérite serait une erreur puisqu’il s’agit là de l’expérience empirique du genre, qui, selon nous, ne doit pas être négligée. À première vue, ce « sens commun» auquel nous référons pourrait légitimement être qualifié de concept diffus et mal circonscrit, tant celui-ci a été compris et interprété de multiples façons par les études philosophiques. Pris péjorativement, il a pu être désigné comme simple opinion ou préjugé – chez Platon et Descartes, notamment -, alors que pour d’autres penseurs, il a représenté une attitude admissible, quoiqu’à différencier de la quête d’une vérité absolue. Dans sa Critique de la faculté de juger, Kant affirme qu’ il faut entendre le sensus communis comme En d’autres mots, pour Kant, ce sens commun, détenu par tout individu humain, permettrait de juger plus efficacement d’un objet, d’un sujet, par la recherche du consensus. En confrontant son jugement à celui des autres, l’ individu éviterait ainsi les erreurs de connaissance liées à sa perception seule.

Bien qu’il ait été malmené par la poursuite effrénée de la vérité scientifique et par les découvertes modernes, le sens commun demeure effectif encore aujourd’hui, et sa présence se fait aussi sentir dans le domaine littéraire. C’est du moins ce que suggère la réflexion amorcée par Compagnon dans Le Démon de la théorie : littérature et sens commun50 . Quelque quinze ans plus tard, la situation n’a guère évolué, et le constat cruel de Compagnon demeure juste: la théorie littéraire vit une crise, stagne, s’essouffle, et la critique universitaire doit affronter cette réalité. Le sens commun, ce « démon de la théorie51 », a de son côté la vie dure, et avec lui perdurent les jugements courants sur la littérature. Suivant cette idée, Compagnon retrace, par l’analyse de concepts fondamentaux de la littérature, les points de conflits entre la pensée théorique et ce que nous pourrions définir comme la doxa. L’un d’entre eux, qu’ il aborde au quatrième chapitre, concerne le lecteur52 – terme commun pour désigner la désormais fameuse « réception ». Après avoir retracé et examiné les théories ayant renié le lecteur et celles l’ayant adopté, Compagnon propose une conception de la réception que nous jugeons tout indiquée pour l’objet de ce mémoire.

Le genre comme modèle de réception ou l’approche lectoriale L’auteur propose effectivement que la notion de genre, en plus de faciliter la classification des oeuvres, offre une pertinence théorique singulière, soit celle« de fonctionner comme un schéma de réception, une compétence du lecteur, confirmée et/ou contestée par tout texte nouveau dans un processus dynamique. 53 » Évoquant la théorie de l’évolution des genres littéraires de Brunetière, Compagnon montre comment le genre s’inscrit comme une catégorie légitime de la réception, tel l’horizon d’attente de Hans Robert Jauss ou le répertoire de Wolfgang 1ser. Suivant l’ idée de Brunetière qu’une oeuvre littéraire s’explique par celles qui l’ont précédée et suivie, on peut comprendre que le genre, et l’évolution historique qu’il connait, conditionne la manière dont un texte sera accueilli par le lecteur.

Ainsi, bien établi, le genre demeure, et les textes nouveaux ne font que proposer des variations de ses propriétés, mouvoir ses frontières, sans que celles-ci ne disparaissent. « Le genre, écrit Compagnon, comme code littéraire, ensemble de normes, de règles du jeu, informe le lecteur sur la façon dont il devra aborder le texte, et il en assure ainsi la compréhension. 54 » Tout lecteur devant un texte à découvrir fait appel à sa connaissance des genres et ajuste son attente en conséquence. De cette façon, Compagnon considère que le modèle sur lequel se base toute théorie des genres est celui de la tripartition classique des styles55 . Cette hypothèse est avérée si l’on pense aux trois modes distingués par Roman Ingarden pour constituer son répertoire fondamental de la lecture (sublime, tragique et grotesque) ou aux trois genres fondamentaux de Northrop Frye (la romance, la satire et l’histoire). Par contre, si nous considérons que l’idée du genre comme modèle de lecture est une hypothèse valable, il nous apparait alors important d’en vérifier le bien-fondé.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : POÉTIQUE DE LA NOTE
1. Approches du genre littéraire
1.1 Influences de la tradition sur la notion de genre et recherche typologique
1.2 Le sens commun du genre: de la typologie à l’empirie
1.3 Le genre comme modèle de réception ou l’approche lectoriale
1.3.1 L’ approche lectoriale et les autres perspectives contemporaines
sur le genre: introduction du dynamisme
2. Étude du cas de la note en tant que modèle de réception
2.1 L’approche lectoriale et la note: une réception particulière
2.1.1 L’horizon d’attente du lecteur par rapport à la note
2.1.2 Caractéristiques de la note: une écriture dynamique
CHAPITRE 2 : CIRCONSTANCES ET LITTÉRATURE
1. Fondements lexicologiques et conceptuels: une analyse de « circonstance»
1.1 Définitions générales
1.2 L’unité lexicale « circonstance »
1.3 Le concept général de circonstance
2. Représentation des circonstances dans la littérature
2.1 L’oeuvre littéraire et ses circonstances
2.2 Perspectives générales sur Je concept de circonstance en littérature
2.2.1 Neutralité du concept
2.3 Principales occurrences en littérature
2.3.1 Les circonstances liées à la réalité de J’écrivain
2.3.2 Les circonstances sans référence
2.4 Les circonstances d’écriture dans les Papiers collés
CHAPITRE 3 : LA LECTURE COMME CIRCONSTANCE D’ÉCRITURE CHEZ GEORGES PERROS
1. Georges Perros et la lecture
1.1 Un geste essentiel pour le noteur
2. Les lectures chez Perros: l’acte et les oeuvres
2.1 Perros lisant
2.1.1 Lecteur avant tout
2.2 Les phénomènes intertextuels dans les Papiers collés
2.2.1 Définir l’ intertextualité
2.2.2 Étude des marques intertextuelles dans le corpus
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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