Le secteur des transports est confronté au défi de la mobilité durable
Le secteur des transports se situe au centre des questionnements liés au développement durable. Les grandes conférences internationales et nationales portant sur ce thème consacrent toujours une partie importante de leurs discussions et de leurs propositions au cas des transports. Ces questionnements proviennent du constat que le secteur des transports est confronté à un paradoxe. D’un coté, le secteur des transports est indispensable pour la réalisation des activités quotidiennes des individus, et les débats autour de la question du « droit à la mobilité» ou de l’établissement d’un « chèque-transports » traduisent l’importance accordée aux déplacements physiques dans la société actuelle. Mais d’un autre coté se pose la question de sa durabilité. Deux principaux facteurs remettent en cause à l’échelle globale la pérennité de son modèle : sa forte dépendance au pétrole comme principale source énergétique d’approvisionnement, alors que cette ressource connaît actuellement des évolutions de prix chaotiques mais clairement orientées à la hausse, ainsi que les émissions de gaz à effet de serre (GES) qu’il provoque, principal responsable d’après le GIEC du changement climatique actuel (GIEC, 2007).
Les décideurs politiques ont pris conscience de ce constat et proposent de relever le défi de la mobilité durable. Ils définissent ce concept par la recherche d’un équilibre entre les volets sociaux, économiques et environnementaux liés au secteur des transports. Ils proposent de dissocier la mobilité de ses effets néfastes, c’est-à-dire de conserver les bienfaits du secteur des transports tout en limitant ses externalités négatives (CCE, 2006). La définition des politiques publiques de transports s’effectue à l’échelle communautaire via la publication de documents structurels (livres blancs, livres verts, communications de la Commission européenne, etc.) et de directives. Une des solutions proposées pour parvenir à rendre la mobilité plus durable est d’optimiser les flux physiques. Il s’agit de parvenir à utiliser au maximum de son potentiel chaque mode de déplacement, c’est-à-dire de rationaliser son utilisation afin de réduire les gaspillages occasionnés. Le but est de limiter l’empreinte écologique du secteur des transports, notion qui peut se définir comme la mesure de la pression qu’exerce l’homme sur la nature via le calcul de la surface productive nécessaire pour répondre à sa consommation de ressources et à ses besoins d’absorption de déchets.
Une des mesures proposées afin d’optimiser les flux et de rendre la mobilité plus durable repose sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC). Il s’agit de l’ensemble des techniques permettant la transmission et le traitement d’informations à distance. L’idée exprimée par les acteurs institutionnels est d’optimiser les déplacements physiques via une meilleure information aux voyageurs concernant les conditions du déplacement. Cette proposition est stimulante car la société actuelle connaît justement un essor des usages des TIC.
Vers un renouvellement de la problématique des interactions entre transports et TIC
La question de savoir s’il est possible d’utiliser les technologies de l’information et de la communication afin d’influer sur les déplacements physiques n’est pas récente. Elle s’est posée dès l’apparition du télégraphe au 19ème siècle. A partir des années 1970 de nombreux programmes de recherches ont été financés, notamment par les acteurs publics, afin de voir si les flux virtuels, c’est à dire réalisés par l’intermédiaire d’une TIC, pouvaient se substituer aux flux physiques. Récemment, l’émergence d’Internet a redonné un second souffle à cette problématique et stimulé l’apparition de travaux autour de cette problématique.
La littérature académique produite sur la question est abondante et couvre l’essentiel des domaines d’application des TIC. Cependant, il ne faut pas pour autant donner pour close la question des interactions entre ces technologies et les déplacements physiques, car cette problématique est actuellement renouvelée par l’essor des usages mobiles des TIC, qui présentent la particularité vis-à-vis des usages filaires de se connecter au réseau via des technologies sans-fils (3G, Wifi, HSDPA, etc.). Cette caractéristique permet de supprimer l’obligation d’immobilité spatiale, ouvrant la possibilité d’avoir accès aux informations pendant la réalisation du trajet.
Un des services apparus sur support mobile sont les applications géolocalisées. Il s’agit de services couplant, dans le cas de la téléphonie cellulaire, la connexion à l’Internet mobile avec le géopositionnement dynamique de leurs utilisateurs. Cela permet d’ajouter aux services habituels liés à la navigation (aller d’un point A à un point B) une information contextualisée, c’est-à-dire adaptée aux territoires traversés en temps réel (position des radars fixes, information sur les horaires du passage des transports en commun, nombre de places de parking disponibles, localisation des stations services avec indication des prix à la pompe, etc.). Ce type de services est apparu au tournant des années 2000 sous le nom de services géolocalisés (ou Located-Based Services, LBS). Cependant, les innovations qui ont touché les réseaux sans-fils (augmentation des débits et de la couverture du réseau), les terminaux (modernisation, apparition de nouvelles techniques de géopositionnement, progressive généralisation des puces GPS dans les téléphones cellulaires, etc.) et le marché (apparition de forfaits adaptés à ce type de consommation comme sur téléphonie mobile les forfaits Internet illimités, démultiplication d’applications basées sur la géolocalisation, etc.) rendent ce type de services potentiellement de plus en plus apte à influer sur l’organisation des schémas de déplacement des individus.
Le défi de la mobilité durable
Evolutions des déplacements physiques et des communications à distance
Depuis la révolution industrielle une double rupture est apparue dans la gestion de la distance par les individus. En premier lieu, le secteur des transports a connu d’importantes innovations qui ont favorisé trois évolutions majeures : une forte augmentation des vitesses pratiquées, un accroissement des distances parcourues et une démultiplication des flux physiques (1.1.1). De plus, cette période est également marquée par d’importantes évolutions dans le domaine des communications à distance, c’est-à-dire réalisées par l’intermédiaire des technologies de l’information et de la communication (TIC). Cette forme d’interaction sociale a été d’abord marquée par l’émergence des usages filaires puis, à partir des années 1990, des usages mobiles (1.1.2).
Plus de vitesse, plus de distance, plus de flux physiques
Le secteur des transports a connu depuis la révolution industrielle d’importantes innovations qui ont favorisé une augmentation des vitesses pratiquées, un accroissement des distances parcourues ainsi que des trafics observés.
Augmentation des vitesses
Jusqu’à la révolution industrielle, les vitesses de déplacements des individus sont restées relativement stables depuis les débuts de l’humanité. Cela s’explique par le fait que les modes de transport reposaient uniquement sur des modes musculaires (marche à pied, utilisation de bêtes de somme) ou éoliens (notamment pour la navigation), dont les vitesses moyennes, au-delà d’un certain point, ne pouvaient pas être physiquement dépassées (Ollivro, 2006). On estime que pour les déplacements à pied la vitesse moyenne est d’environ 3 à 4 kilomètres par heure (km/h) sur longue distance. Un individu à cheval pouvait atteindre les 11km/h de moyenne en changeant de monture régulièrement dans des relais de poste. En comptabilisant les arrêts, les diligences ne dépassaient guère les 4km/h. La navigation à voile permettait d’atteindre des vitesses supérieures, pouvant dépasser selon les conditions météorologiques les 30 km/h.
A partir de la révolution industrielle, de nombreuses innovations ont affecté le secteur des transports et ont favorisé une augmentation des vitesses pratiquées. La principale est le passage progressif de modes de déplacements musculaires et éoliens en direction de modes de transports motorisés (Ollivro, 20006), ou encore par l’abandon des énergies de flux au profit des énergies de stock (Orfeuil, 2008). L’apparition de la machine à vapeur à la fin du 18ème siècle, puis de la traction électrique et du moteur à explosion au milieu du 19ème siècle a favorisé l’essor de modes de déplacements motorisés permettant une forte augmentation des vitesses pratiquées (chemin de fer, transports en commun comme les métros ou les tramways, puis développement du transport individuel avec l’automobile). En 1820 et 1880, les vitesses ont été multipliées par soixante (Ollivro, 2006). De nos jours, les vitesses de déplacements sont sans commune mesure avec celles qui viennent d’être énoncées. Sur autoroute, un automobiliste peut rouler jusqu’à 130 kilomètres par heure. La vitesse commerciale du TGV-Est est de 320 km/h, et les avions de lignes circulent en moyenne à environ 800 km/h.
La conséquence de cet accroissement de la vitesse des déplacements a été de raccourcir considérablement le temps nécessaire pour parcourir une distance donnée. Au 17ème siècle, les trajets coloniaux entre Madrid et Mexico prenaient plusieurs mois. De nos jours, en avion, il est possible de réaliser le trajet en environ 12 heures. De même, l’ouverture de la ligne ferroviaire New-York-San Francisco en 1869 a permis de réduire la durée du trajet de six mois à une semaine (Ollivro, 2006). A l’échelle de la France, un voyageur mettait environ trois semaines à pied et une semaine en cheval au 18ème siècle pour aller de paris à Lyon. De même, au début du 19ème siècle, il faut en diligence environ 10 jours pour se rendre de Paris à Bordeaux. Actuellement, il ne faut plus par train respectivement que 1h50 et 3h pour réaliser ces trajets. Si le trajet Paris-Bayonne nécessitait au début du 18ème siècle plus de 350 heures de voyage, il n’en fallait plus que 60 en 1830 pour faire ce même trajet. En 1910, ce chiffre était de 10 heures et est actuellement inférieur à deux heures en avion. Le temps des parcours ferroviaires a fortement baissé : le trajet entre Paris et Strasbourg durait en 1855 environ 11h30, et celui de Paris-Marseille plus de 19h. En 2011, ces temps de trajets sont respectivement de 2h18 et de 3h03. A une échelle de temps plus restreinte, on continue d’observer un accroissement des vitesses pratiquées : entre 1982 et 2008, la vitesse moyenne de déplacement est passée de 17 à 26.5 km/h.
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Table des matières
Introduction générale
1. Le défi de la mobilité durable
1.1 Evolutions des déplacements physiques et des communications à distance
1.2 La question de la durabilité du secteur des transports
1.3 Positionnement des acteurs institutionnels
2. Quels sont les liens entre TIC et déplacements physiques ?
2.1 Les TIC comme outils allant dans le sens d’une mobilité plus durable
2.2 Le courant académique : les TIC favorisent un accroissement des flux physiques
3. Le cas des applications géolocalisées sur téléphonie mobile
3.1 Justification du choix des applications géolocalisées sur téléphonie mobile
3.2 Etat de l’art des interactions entre géolocalisation et déplacements physiques
3.3 Positionnement de cette thèse et hypothèses de recherche
4. Etude de terrain
4.1 Présentation de l’étude
4.2 Analyse des entretiens
4.3 Analyse des résultats
Conclusion générale
Références
Annexe 1 : Liste des personnes interviewées
Annexe 2 : Guide d’entretien
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