La baisse des effectifs de sapeurs-pompiers volontaires en France couplée à la diminution du nombre de casernes, est plus que jamais au cœur des préoccupations des instances dirigeantes et associatives de sécurité civile. Preuve en est, les éditoriaux de Jacques Perrin , vice-président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France et de Bernard Laygues dans le magazine Sapeurs-pompiers de France du mois de mars 2015 qui leur étaient consacrés (Perrin, 2015 ; Laygues, 2015), et la publication, en 2014, d’un article de Benoît Hopquin (Hopquin, 2014) dans M, le Magazine du Monde, intitulé les pompiers manquent à l’appel.
Ce constat n’est pas récent. À la fin des années 2000, les autorités s’alarmaient déjà de la baisse du nombre de pompiers volontaires dans notre pays. Leur nombre est en effet en diminution depuis 2004. On comptait alors 207 583 volontaires. En 2013, ils ne sont plus que 192 314. Malgré les différentes mesures prises ces dernières années pour inverser la tendance, la situation perdure. En ce qui concerne la fermeture de certaines casernes, le constat est un peu plus récent, mais la baisse tout aussi importante. Ce ne sont pas moins de 750 casernes qui ont fermé ces six dernières années et bien d’autres devraient suivre si l’on en croit ce que dit Jacques Perrin (Perrin, 2015).
En France, porter secours en urgence aux victimes fait partie intégrante des missions des sapeurs-pompiers. C’est une des particularités du système de secours français. Cette mission représente même la majeure partie de leur activité. C’est ce que l’on appelle le secours à personne (SAP). La baisse du nombre de volontaires et le relâchement du maillage territorial des casernes impactent donc directement le SAP, notamment dans les espaces périurbains et ruraux. À cela s’ajoute la baisse de la démographie médicale. Le système de secours français a en effet, comme autre particularité, de prévoir l’intervention de médecins directement sur le terrain dans les cas les plus graves. Dans une certaine mesure, les médecins libéraux, depuis leur domicile ou leur cabinet, participent donc au SAP. Cependant, au fil des départs à la retraite, leur nombre se réduit et c’est également dans les espaces périurbains et ruraux que ce déclin est le plus important.
Parallèlement à cette évolution, la demande en secours est en augmentation constante. Le nombre d’interventions de type SAP réalisées par l’ensemble des sapeurspompiers en France en témoigne. Il est passé de 2 396 084 en 2004 à 3367000 en 2011, soit une augmentation de plus de 28% en 7 ans. En outre, cette augmentation est inégalement répartie dans le temps et dans l’espace, ce qui la rend particulièrement difficile à appréhender par les services de secours.
Dans ce contexte, les tensions entre l’offre et la demande en secours à personne tendent à augmenter, notamment dans les espaces périurbains et ruraux. Cela se traduit, entre autres, par un allongement des délais d’intervention déjà longs dans ces secteurs.
Parmi toutes les solutions possibles pour remédier à cette situation, nous nous sommes intéressé à celle qui consiste à optimiser la localisation des moyens existants à la demande en secours. La localisation des moyens influence directement les distances que les secours ont à parcourir pour se rendre sur les lieux d’une intervention et donc les délais. Partant du postulat que la localisation de l’ensemble des casernes n’est pas déjà optimale, nous pensons qu’une marge d’amélioration est possible, uniquement en jouant sur les localisations. C’est en tout cas l’hypothèse de départ que nous formulons. Ce choix a également été guidé par le fait que cette solution, contrairement à d’autres, s’inscrit pleinement dans le champ de la géographie théorique et quantitative auquel nous nous rattachons. En outre, cette solution ne nécessite pas d’investir dans des moyens supplémentaires, ce qui dans le contexte économique actuel n’est pas négligeable pour les services de secours.
Les professionnels des secours se posent déjà la question de l’optimisation de la localisation des moyens, notamment, lors de l’élaboration des documents de planification qui régissent leur organisation. Les méthodes qu’ils mettent en œuvre pour y répondre consistent majoritairement à analyser et cartographier les données opérationnelles, et à croiser deux couches d’informations géographiques, l’une représentant le niveau de la demande, l’autre celui de l’offre. Le niveau de la demande est généralement représenté à l’échelon communal par le nombre d’interventions de type SAP. Le niveau de l’offre, quant à lui, est généralement représenté par les délais théoriques ou réels en minutes que doivent mettre les différents moyens de SAP pour couvrir toute la demande. La principale limite que l’on peut formuler à l’égard des méthodes reposant sur ce principe est qu’elles ne sont pas intégrées. En effet, elles ne permettent pas de prendre en compte de manière globale un ensemble de paramètres entrant en jeu dans la localisation des moyens ainsi que les conséquences en chaîne que les choix de localisation peuvent avoir entre eux.
Des méthodes intégrées pour réfléchir à l’optimisation de la localisation de moyens de SAP existent pourtant. L’état de l’art scientifique que nous avons réalisé sur la question a permis de le constater. Ces méthodes reposent principalement sur des modèles de localisation-allocation. Il s’agit d’algorithmes mathématiques permettant de réfléchir simultanément à la localisation des moyens ainsi qu’à leur allocation à la demande qu’ils doivent ainsi desservir. Il en existe de nombreuses versions prenant en compte de nombreux paramètres pour se rapprocher toujours plus de la réalité des situations. Malgré les avantages que les modèles de localisation-allocation offrent, force est de constater qu’ils ne sont pas repris par les professionnels des secours. Ce constat met en exergue certaines limites des modèles existants. C’est autour de ces limites que toute cette recherche est construite.
Le secours à personne comme champ d’étude thématique
Le champ d’étude de cette recherche n’est pas simple à définir. D’abord parce que le terme utilisé pour le désigner n’est pas très connu. Qui sait en effet à quoi fait référence le secours à personne ? Nombreux sont ceux qui pensent que c’est un terme antinomique, car il laisse penser que l’objectif est de ne secourir personne alors qu’il s’agit bien du contraire, et préfèrent parler de secours à la personne ou secours aux personnes. Quoi qu’il en soit, les non-initiés ne sont guère en mesure d’en dire plus. Ensuite, parce que même pour les initiés, ce terme est difficile à définir. Enfin, parce qu’il n’existe en réalité pas un seul et unique terme pour désigner le secours à personne mais plusieurs. Il s’agit pourtant bien d’une question concrète, faisant quasiment partie du quotidien de chacun. D’expérience, il est d’ailleurs plus facile de l’aborder sous cet angle et d’utiliser dans un premier temps des termes plus simples et connus pour le définir. On peut ainsi résumer le sujet sur lequel porte cette recherche comme étant l’activité qui consiste à porter secours à des personnes victimes d’accidents de la vie quotidienne (malaises, accidents de la circulation, maladies, noyades, etc.) dont l’état nécessite des soins en urgence.
Il est important de préciser, à ce stade, qu’il n’est donc pas question de traiter des secours portés aux animaux, aux biens ou à l’environnement, ni des secours au sens police secours, qu’apporteraient des services comme ceux de la police ou de la gendarmerie pour protéger quelqu’un d’un ennemi. Ne sont pas non plus prises en compte les situations de crises, rencontrées en cas d’accidents graves ou de catastrophes, ou bien du cas très particulier du secours en montagne. Ces situations font appel à des notions, doctrines, moyens, différents de ceux auxquels nous nous intéressons.
En matière de secours aux victimes, nous l’appellerons comme cela dans un premier temps, il existe dans le monde plusieurs modèles d’organisation auxquels participent différents services. C’est sous cet angle que nous avons décidé de commencer à définir ce qu’est le secours à personne. Nous aborderons ensuite la liste des moyens participant aux secours en France, avant d’aborder plus en détail le champ d’étude et les notions associées.
Le modèle d’organisation des secours français
Il existe différents modèles d’organisation des secours, selon que l’on considère : le type et le nombre de services concernés (service médical, service incendie, service de police, etc.) ; le statut des intervenants (professionnel, volontaire, bénévole) ; les textes réglementaires qui régissent l’organisation ou encore le mode opératoire. Le modèle français se distingue des autres par au moins deux aspects :
➤ D’abord, par le fait que ce sont les pompiers qui portent également secours aux victimes et ce, sur tout le territoire national. La mission historique des sapeurspompiers est pourtant la lutte contre les incendies. Le secours des victimes a pris une place de plus en plus importante dans leurs missions et représente aujourd’hui la plus grande part de leur activité. Il n’en est pas de même dans tous les pays, où il existe, au moins dans les zones urbaines, des services indépendants des pompiers pour porter secours aux victimes. C’est le cas de l’Ambulance Service du National Health Service (NHS) au Royaume-Uni, du Rettungsdienst en Allemagne ou de l’Emergency Medical Service (EMS) aux Etats-Unis, par exemple. En France, les pompiers sont regroupés en Services d’incendie et de secours. Il en existe un par département. On les appelle alors les Services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). « Ils sont chargés de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies. Ils concourent, avec les autres services et professionnels concernés, à la protection et à la lutte contre les autres accidents, sinistres et catastrophes, à l’évaluation et à la prévention des risques technologiques ou naturels ainsi qu’aux secours d’urgence. »
➤ Le modèle français se distingue aussi par son mode opératoire. La majorité des pays s’attachent à évacuer la ou les victimes d’un accident le plus rapidement possible vers une infrastructure hospitalière, ce que les anglo-saxons appellent le scoop and run, littéralement : ramasser et courir. À l’inverse, en France, on a choisi la méthode stay and play, littéralement : rester et jouer, qui consiste, pour les cas les plus graves, à amener directement l’hôpital à la victime.
Pour cela, l’organisation des secours repose sur un service : le Service d’aide médicale urgente (SAMU) . Il en existe au moins un par département et il se caractérise par deux points essentiels :
➤ D’une part, le fait de garantir une adéquation optimale entre la demande et la réponse médicale et d’orienter les victimes vers l’infrastructure hospitalière la plus adaptée à leur état. Il dispose pour cela d’un centre de réception et de régulation des appels (CRRA), dont le numéro d’appel est le 15 . Il en existe un par SAMU.
➤ D’autre part, l’organisation repose sur une réponse graduée qui peut aller jusqu’au recours à la médecine d’urgence et de réanimation pré-hospitalière, afin de stabiliser l’état de la victime sur place avant son transfert vers l’hôpital dans les meilleures conditions possibles. Cette prise en charge prend la forme de Structures mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) . Ces dernières ont pour mission : « D’assurer, en permanence, en tous lieux […] la prise en charge d’un patient dont l’état requiert de façon urgente une prise en charge médicale et de réanimation […]. Pour l’exercice de ces missions, l’équipe d’intervention de la structure mobile d’urgence et de réanimation comprend un médecin. » Il peut y avoir plusieurs SMUR par SAMU. Ils sont généralement constitués par les moyens propres de l’hôpital auquel ils sont rattachés (personnels, véhicules, matériels).
Les SDIS disposent également de moyens médicaux. Ces derniers sont regroupés au sein du Service de santé et de secours médical (SSSM). Il s’agit d’un service regroupant entre autres des médecins et infirmiers, professionnels ou volontaires, dont l’une des missions est de participer aux interventions de secours d’urgence . À ce titre, ils font partie intégrante de la chaîne de secours médicalisée.
Enfin, un dernier type d’intervenant participe en France aux secours des victimes, en complément des SAMU et des SDIS, pour toutes les interventions ne relevant pas de leurs domaines de compétence. Il s’agit des entreprises de transports sanitaires.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PARTIE 1 – DU SECOURS À PERSONNE AU PROBLÈME D’OPÉRATIONNALITÉ DES MÉTHODES ET OUTILS D’AIDE À LA DÉCISION DISPONIBLES POUR L’OPTIMISATION DE LA LOCALISATION DES MOYENS
CHAPITRE 1 – CONTEXTE
CHAPITRE 2 – ÉTAT DES LIEUX DES METHODES DE LOCALISATION DES MOYENS DE SECOURS A PERSONNE UTILISEES DANS LE MONDE PROFESSIONNEL
CHAPITRE 3 – ÉTAT DE L’ART DES METHODES DE LA LOCALISATION DES MOYENS DE SECOURS A PERSONNE UTILISEES DANS LE MONDE SCIENTIFIQUE
CHAPITRE 4 – PROBLEMATIQUE DE L’OPERATIONNALITE DES METHODES ET OUTILS DISPONIBLES POUR OPTIMISER LA LOCALISATION DES MOYENS DE SECOURS A PERSONNE
PARTIE 2 – MÉTHODE ET OUTIL D’AIDE À LA DÉCISION PROPOSÉS POUR L’OPTIMISATION DE LA LOCALISATION DES MOYENS DE SECOURS À PERSONNE : APPLICATION AU CAS DES ALPES-MARITIMES115
CHAPITRE 5 – SPATIALISER : DIAGNOSTIC DU SECOURS A PERSONNE
CHAPITRE 6 – MODELISER : OUTIL ET DONNEES
CHAPITRE 7 – OUTIL D’AIDE A LA DECISION : SIMULATIONS ET ETUDES DE CAS
CHAPITRE 8 – LIMITES, DISCUSSIONS ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE
CONCLUSION GÉNÉRALE