Le salariat déguisé, entre flexibilité professionnelle et abus
Le salariat déguisé est délicat à identifier et à caractériser (A), d’autant plus que ce type de pratique est susceptible d’être justifiée (B).
Une pratique complexe à situer
Il y a deux principales raisons à la difficile appréhension du salariat déguisé : l’absence d’écrits et de règles juridiques visant à expliciter le sujet et organiser les relations de travail (1) ainsi que la subjectivité dans la caractérisation de l’abus concernant le recours à une prestation de travail sous un statut autre que le salariat (2).
Des carences juridiques et rédactionnelles
Au même titre que le code pénal qui peut être appelé « code des voyous », le code du travail peut être appelé « code des salariés ». En effet le code du travail ne contient pas ou peu de dispositions relatives à l’organisation du travail pour les travailleurs indépendants. Pour la majorité, le Code du travail ne contient que des dispositions relatives aux droits et obligations de l’employeur et du salarié.
Le travailleur indépendant est une personne qui exerce une activité économique pour son propre compte. Il est donc indépendant et autonome dans l’exercice de son travail et surtout, n’est sous les ordres d’aucun supérieur hiérarchique. Ainsi les dispositions relatives au travailleur indépendant vont se retrouver éparpillées dans différents codes : Code de Commerce, Code Civil, Code du travail, Code de la Sécurité Sociale etc.
Il n’y a donc pas réellement de statut légal structuré et organisé pour le travailleur indépendant. Puisque celui-ci est réputé travailler à son compte, il dispose d’une très grande flexibilité dans l’exercice de ses fonctions et ne fait pas l’objet de restrictions et de protections comme c’est le cas pour un salarié. Par exemple le travailleur indépendant n’a pas un nombre d’heures maximales hebdomadaires qu’il peut effectuer, ou encore n’a pas d’obligation légale de se rendre à son poste. Le travailleur indépendant va s’organiser comme il le souhaite. Il peut travailler seul, de son côté ou en collaboration avec un tiers. Jusque-là il n’y a pas de problème, seulement les choses deviennent un peu plus compliquées lorsque le travailleur indépendant est mandaté par un tiers pour l’exercice d’une tâche en particulier.
En effet, un travailleur indépendant crée une structure afin de dégager un bénéfice économique de son activité, de son savoir-faire. Sans surprise il se peut qu’un autre entrepreneur, souhaite bénéficier de ce savoir-faire ou de l’activité, que ce soit pour une mission ponctuelle ou durable. De manière générale cette relation s’organise autour d’un contrat de prestation de services dit « contrat d’entreprise » ou « contrat de louage d’ouvrage ». Il s’agit des dispositions de l’article 1710 du Code Civil.
Une appréciation subjective de l’abus
L’existence d’un contrat de travail suppose la réunion de trois éléments : une prestation de travail, une rémunération et l’existence d’un lien de subordination entre le prestataire et le donneur d’ordre.
Si les deux premiers critères ne posent pas de problème dans le cadre du salariat déguisé, puisqu’il s’agit d’une prestation de travail par nature rémunérée, il faut en revanche expliciter le lien de subordination.
Celui-ci a été défini dans un arrêt dit « Société Générale » de la chambre Sociale de la Cour de cassation du 13 novembre 1996 : « Attendu, selon le premier de ces textes, que, pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion d’un travail accompli dans un lien de subordination ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail »
Une pratique aux enjeux antagonistes
Le recours au salariat déguisé est motivé par des raisons économiques pour l’employeur (2), bien que la flexibilité de certains statuts puisse justifier une telle relation de travail (1).
La flexibilité du travail comme justification
Comme il l’a été mentionné précédemment, la relation de travail salarié est règlementée par le Code du Travail. L’employeur qui embauche un salarié est donc enfermé et tenu par de très nombreuses dispositions protectrices du salarié.
Le statut d’autoentrepreneur est ouvert quelle que soit l’activité de l’intéressé. Le régime est allégé : simplification des opérations fiscales, peu d’obligations comptables, déclaration et radiation allégées etc.
Finalement beaucoup optent pour ce statut dans un souci de simplicité. Cette forme juridique peut d’ailleurs être mise en place pour différentes raisons comme s’assurer un complément de revenu ou essayer un nouveau concept.
L’autoentrepreneur va pouvoir en principe être libre de négocier sa rémunération, ses horaires et plus généralement l’organisation de son travail. L’essence même du statut d’auto entrepreneur est de pouvoir accomplir des prestations pour plusieurs clients. En conclusion, il s’agit d’un statut tout à fait flexible dans son fonctionnement, son organisation et l’exercice de ses prestations.
Ici aucune raison ne laisse penser que l’autoentrepreneur puisse être tenu par un lien de subordination.
Pourtant de la flexibilité à la subordination il n’y a qu’un pas. C’est sur cette limite très délicate à situer que les donneurs d’ordres jouent, que ce soit de manière volontaire ou non.
En effet, avoir recours à un autoentrepreneur est très intéressant pour une entreprise ou un particulier ayant besoin d’un savoir-faire ponctuel ou pseudo-régulier. Le problème c’est que bien souvent ce lien contractuel dégénère en abus. « Https://www.deliveroo.fr ». Le site est très facile d’accès. L’onglet « devenir biker » apparaît vite. Le lien est ouvert. En 2 clics il est possible de remplir un très court formulaire d’inscription pour devenir livreur.
Finalement après avoir rentré quelques informations personnelles il est fait part d’une note d’information dont la constitution est sans surprise: Il est énoncé que DELIVEROO ne fait appel qu’a des prestataires indépendants (comprendre autoentrepreneurs). Plus encore, DELIVEROO propose de contacter différents partenaires pour simplifier la création de la micro entreprise pour le futur livreur.
Ce qui est intéressant c’est qu’ici on ne devient pas autoentrepreneur pour partager un savoir-faire que l’on possède à des fins commerciales mais on le devient uniquement pour pouvoir travailler auprès d’une entreprise car c’est le seul statut qu’elle accepte. Pourquoi cela serait-il critiquable ? Rien ne l’interdit. De plus l’autoentrepreneur est parfaitement libre de travailler avec les autres plateformes. D’ailleurs l’autoentrepreneur fixe lui-même ses horaires, sans qu’un minimum soit imposé.
Lors de mon stage de fin d’études dans la ville de Paris, où la pratique est répandue, j’en ai profité pour discuter avec des chauffeurs et livreurs pour tenter d’obtenir des informations pertinentes. Thomas , chauffeur Uber m’a fait part de la chose suivante : « Tu travailles autant que tu veux. Si tu as envie de bosser vingt-deux heures par jour tu peux. Si tu as envie de bosser une heure une fois tous les deux jours tu peux. Il n’y a pas de règles. Tu t’organises comme tu en as envie c’est ça l’avantage […] Ils sont beaucoup à avoir un boulot la semaine et à installer UBER pour faire quelques courses le samedi afin d’arrondir leurs fins de mois ».
Témoignage d’un chauffeur UBER Tout est fait pour que la relation soit ambigüe : dans le cas d’UBER il n’y a pas d’horaires fixes imposés, pas de directives directes, pas de contrôle avéré sur ce que fait le chauffeur puisqu’il conduit son propre véhicule.
L’existence d’avantages certains pour l’employeur
Tout salarié est nécessairement rattaché au régime général de Sécurité Sociale en vertu de l’article L. 311-2 du Code de la Sécurité Sociale.
Au titre du régime général de Sécurité Sociale, le salarié va bénéficier d’une très complète protection sociale. Celle-ci est financée d’une part par le salarié (part salariale) et d’autre part, par l’employeur (part patronale).
La protection sociale du travailleur salarié est financée par des cotisations et contributions qui sont calculées à partir du salaire brut. Certains de ces prélèvements sont à la fois à la charge du salarié (part salariale) et de l’employeur (part patronale). Vont être financées des cotisations de sécurité sociale qui couvrent les assurés en cas de sinistre (maternité, invalidité, décès, maladie etc.) ainsi que les contributions d’assurance chômage. De la même manière, les cotisations de retraite sont financées conjointement par l’employeur et le salarié.
Il reste enfin les cotisations APEC (Association pour l’emploi des cadres) qui ne sont financées que pour les salariés cadres.
Il convient de préciser que c’est l’employeur qui paye la part salariale, qui est déduite du salaire, ainsi que la part patronale aux organismes de recouvrement, généralement l’URSSAF.
D’autre part, d’autres cotisations vont être à la charge unique de l’employeur :
Il s’agit des cotisations d’allocations familiales, la contribution de solidarité autonomie, le forfait social, les cotisations d’accident du travail ainsi que la cotisation pour les AGS.
Le montant de ces cotisations n’est pas fixe et va dépendre du statut professionnel du salarié. Pour donner une estimation, le montant va d’environ 43% du salaire brut à 51% de celui-ci.
L’employeur d’un salarié, supporte donc une charge conséquente en plus du salaire, au titre de la protection sociale.
Lorsque l’employeur à recours aux services d’un autoentrepreneur, il ne paye aucune cotisation sociale… Ce qui fait un avantage financier très conséquent. Tellement que bien souvent, certains employeurs n’hésitent pas à augmenter le versement de la rémunération au titre de la prestation de service afin d’inciter les prestataires à utiliser le statut d’indépendant.
Le salarié va par ailleurs se voir appliquer la législation du travail. Il va donc pouvoir bénéficier d’importants avantages au titre des dispositions du Code du Travail : droit aux congés payés, bénéfice du régime des heures supplémentaires , possibilité de faire partie des instances représentatives du personnel , bénéfice des dispositions relatives à la cessation du contrat, protection contre les abus tels que la discrimination ou le harcèlement , obligation de sécurité de l’employeur.
Ne pas être tenu par ces dispositions est tout de même très avantageux pour un employeur dans le cadre d’une relation professionnelle. Pourquoi choisir de faire face à autant de contraintes dès lors qu’il est possible de faire effectuer le travail d’un salarié à un indépendant pour un coût moindre ? C’est l’idée même du salariat déguisé.Tout d’abord le nouveau salarié est fondé à demander une indemnisation au titre du travail dissimulé soit 6 mois de salaire . Il sera par ailleurs fondé à réclamer une indemnité pour congés payés ainsi qu’un rappel de salaire sur la base du SMIC ou du salaire minimum applicable en vertu de la convention collective applicable sur les trois dernières années. Bien sûr le nouveau salarié va pouvoir bénéficier immédiatement de toutes les dispositions du Code du Travail applicables qui ne sont pas rétroactives comme par exemple les durées maximales du travail, l’obligation de sécurité de l’employeur etc. Si la requalification intervient après la rupture du contrat de travail, le prestataire nouvellement salarié pourra contester la rupture du contrat de travail et formuler différentes demandes au titre de la rupture du contrat : l’indemnité compensatrice de préavis, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité compensatrice de congés payés ainsi que l’indemnité de licenciement. Par ailleurs selon la jurisprudence de la Chambre Criminelle de la Cour de cassation, le fait d’avoir recours à un prestataire dans une relation salariée sans respecter les formalités liées à l’emploi permet de caractériser l’élément intentionnel du délit de travail dissimulé.
Enfin, l’employeur risque bien évidemment un redressement de la part de l’URSSAF qui est habilitée à mener des contrôles et à assurer le recouvrement des cotisations sociales. Cette dernière, qui a la personnalité morale, possède la qualité pour attraire l’employeur devant les juridictions de Sécurité Sociale afin d’obtenir le paiement des cotisations des travailleurs non versées dans le cadre de la relation déguisée. Cette possibilité est ouverte à l’URSSAF sans que la personne faisant objet du salariat déguisé ne sollicite elle-même la requalification du contrat devant le Conseil des Prud‘hommes.
En conséquence l’employeur réalise incontestablement des économies en ayant recours à ce type de pratiques. Cependant, lorsqu’une requalification du contrat en contrat de travail est prononcée, les conséquences sont financièrement désastreuses pour l’employeur. Il est donc aisé de comprendre tout l’enjeu du salariat déguisé : y recourir cause un préjudice indéniable aux travailleurs concernés mais procéder à une requalification de masse pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l’économie, puisque de telles mesures pourraient mener à la faillite de plusieurs multinationales qui fournissent du travail à des milliers de personnes…
La situation est donc délicate à gérer et c’est ce pourquoi le statu quo est plus ou moins maintenu.
Une relation professionnelle à rééquilibrer
Il ne fait aucun doute qu’il va falloir construire un régime juridique à part entière pour les travailleurs concernés (A) mais ce besoin de nouveauté se heurte à des problématiques qui entrent en concurrence avec le Droit (B).
Un remaniement inévitable du régime juridique
Les prestataires faisant l’objet de salariat déguisé se trouvent dans une situation tout à fait précaire (1), raison pour laquelle il y a une vraie nécessité de faire preuve de nouveauté juridique (2).
Une situation précaire pour les travailleurs concernés
Les travailleurs ayant un statut non salarié mais se trouvant dans un lien de subordination font face à une situation tout à fait précaire pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, et il convient de le rappeler, ce lien de subordination est un frein au développement de l’activité du prestataire. En effet, même si le travailleur prétendu indépendant ne se trouve pas à la disposition permanente de l’employeur il doit lui rendre des comptes et fait l’objet de directives et de sanction. En ce sens une grosse partie de son temps lui est consacré.
Dès lors pour les rares prestataires qui ne font pas l’objet d’une exclusivité, il est tout de même difficile de développer une autre clientèle, ce qui constitue un préjudice indéniable. Pour les autres c’est encore pire.
En effet, Vincent PEDRENO, tout juste diplômé de l’école d’architecture de Montpellier et exerçant sous le statut d’autoentrepreneur témoigne : « On m’a proposé quelques projets aux alentours de Montpellier. Pour trente heures de travail j’étais payé environ trois mille euros soit un taux horaire d’environ cent euros ce qui très confortable quand tu débutes […] j’avais besoin avant toute chose d’expérience à ma sortie de l’école ».
Ils ne disposent par exemple pas de droit au chômage, ni d’assurance générale contre la perte d’activité, ce dont bénéficient les salariés. Ils ne possèdent par ailleurs pas de mutuelle. Si les prestations proposées par la sécurité sociale des indépendants sont de plus en plus larges il y a encore des écarts avec les salariés. Par exemple pour un arrêt de travail, il sera proposé au travailleur indépendant une indemnité de 1/730ème de son revenu annuel d’activité lorsqu’un salarié peut toucher 50% de son salaire journalier. Les autoentreprises par exemple étant des petites structures réalisant un faible chiffre d’affaires, ces dispositions ne sont pas réellement favorables, bien qu’elles tendent à s’améliorer.
Il en est de même pour le bénéfice des dispositions du Code du Travail, comme il l’a été précédemment mentionné. Pas de congés payés, pas de possibilité représentative, pas de protection en cas de rupture du contrat, pas ou peu de protection vis-à-vis des agissements du donneur d’ordre, pas d’heures supplémentaires etc.
Un exemple très simple : la relation de travail peut s’arrêter suite à une décision discrétionnaire du donneur d’ordre sans que le travailleur puisse invoquer les dispositions protectrices du Code du
Travail puisqu’il n’est pas salarié.
En plus d’être une situation précaire pour le prestataire, le salariat déguisé entraîne une situation d’insécurité professionnelle à son égard, car il ne bénéficie d’aucune protection en cas de changement non désiré de sa situation. Enfin il convient de souligner que les prestataires d’une plateforme, font face à des difficultés dans la régularisation d’une situation problématique. En effet, trop souvent, il y a peu d’interlocuteurs physiques ce qui peut s’avérer problématique dans certaines situations Si le statut de travailleur indépendant lié à un donneur d’ordre peut sembler alléchant en théorie, il apparaît qu’en pratique il est lié à une certaine précarité. Certains, pour y faire face, n’hésitent pas à travailler davantage comme a pu le faire Tom , sans qu’ils puissent arriver à une situation confortable : »J’ai démarré avec Uber il y a quatorze mois, après deux ans à chercher un emploi. J’avais fait un business plan avec un chiffre d’affaires de 6.000 euros et en prenant un crédit pour investir dans un véhicule à 25.000 euros. Avec la baisse des prix, j’ai réussi à tenir mon objectif en jouant sur la variable temps, avec des journées de travail de 14 ou 16 heures.
Les charges d’entretien de ma voiture sont terribles : elles me coûtent autour de 1.900 euros par mois, auxquels il faut ajouter l’essence et les éventuelles réparations. Récemment, je me suis fait plafonner par un motocycliste, j’ai payé 700 euros pour la franchise.
Une réforme juridique comme seule solution acceptable ?
L’ubérisation et dans un sens plus large la flexibilité de ces « nouvelles » relations de travail ne doit pas être entravée.
Certes, les situations de certains travailleurs sont tout à fait précaires, mais ces relations professionnelles offrent de nouvelles perspectives de travail à l’ère du numérique qui ne doivent pas être abandonnées ou limitées, mais au contraire améliorées.
L’idée n’est alors pas d’éradiquer le phénomène mais de le promouvoir en essayant de compenser ses lacunes notamment en ce qui concerne les droits et la protection des travailleurs. C’est le 1er janvier 2009 que le régime de l’autoentrepreneur a été instauré en France sous l’influence d’Hervé NOVELLI, alors secrétaire d’Etat. Aujourd’hui, il y a 1,3 millions d’inscrits sous ce statut pour 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Selon ce dernier, ce n’est donc pas un statut qui se meurt, mais qui bien au contraire évolue et à l’égard duquel il faut désormais s’adapter.
Des problématiques sous-jacentes, freins au rééquilibre
Au-delà de la simple problématique juridique, il y a notamment des enjeux économiques (1) et politiques (2) qui cloisonnent la façon dont peuvent être promues ces relations de travail.
Des enjeux implicitement économiques
Le 23 juillet 2019, Christophe LÈGUEVACQUES, avocat au barreau de Paris a introduit une action collective afin de demander la requalification des contrats de prestation de services liant 500 livreurs UBEREATS à la plateforme, en contrats de travail . L’affaire d’une vie.
Aucun jugement ne sera porté à l’opportunité d’une telle action en justice, les travailleurs s’estimant à bon droit lésés.
C’est finalement assez paradoxal du point de vue des travailleurs. Ils deviennent eux même leurs pires ennemis. Canis Canem Edit . Choisir entre un maintien du statu quo, c’est-à-dire la précarité du travail ou une requalification en masse qui entrainerait la faillite des entreprises et donc la perte de leurs emplois à long terme, revient à se trouver dans une situation très délicate.
Les requalifications de la relation en contrat de travail sont donc viables à court terme pour des prestataires au compte-goutte mais elles seront inefficaces sur le long terme, et pire, ne pourront que desservir un modèle économique qui a plus besoin d’être accompagné et agrémenté que dénoncé. Il ne faut pas simplement colmater les brèches. A tout le moins la vague de requalifications qui semblent arriver permettra de faire sonner l’alarme pour que le législateur et les pouvoirs publics réagissent à cette problématique de manière efficace.
Les grandes entreprises de l’économie collaborative interviennent donc économiquement auprès de l’état à plusieurs niveaux : emploi, développement, fiscalité etc.
En ce qui concerne la fiscalité il sera souligné qu’UBER, par un montage financier très complexe, arrive à s’exonérer d’une très grande partie de l’impôt en France . Là aussi il s’agit d’un angle d’attaque pour tous les intervenants : plutôt que de dénoncer la plateforme pour ce genre de pratique et essayer de la faire condamner pour un recours abusif au salariat, il faudrait peut-être plutôt prendre des mesures incitatives afin que son activité puisse prospérer en France dans les meilleures conditions. Cela commence par des régimes ad hoc de droit social ou la création d’un droit de l’activité professionnelle et peut se terminer jusqu’à une réduction des charges sociales pour l’employeur.
Des enjeux implicitement politiques
Il se pourrait bientôt que le statut juridique de milliers de personnes vienne à changer. Cela ne pourrait pas se faire que par de la jurisprudence et il faudrait créer un ou des régimes légaux à part entière pour ce nouveau type de relations professionnelles. Il s’agit d’une question importante et un projet juridique d’une telle ampleur ne peut pas aboutir en un instant, compte tenu des nombreux intérêts antagonistes à concilier (économie, liberté d’entreprendre, droit du travail etc.).
Car évidemment, sauf interdictions particulières chaque personne est libre de s’établir et d’entreprendre sur le territoire Français. En soi l’économie collaborative est une bonne chose car elle est un acteur majeur de l’économie Européenne. Mais il faut aussi composer avec certaines règles légales.
Le statut juridique du travail à la demande se trouve donc dans une phase « batarde » ou les idées
entrepreneuriales ainsi que les moyens d’organiser une prestation professionnelle sont en éternelles croissance mais font face à un régime juridique qui ne peut plus s’adapter à son modèle économique et qui se retrouve donc, dans une certaine mesure, dépassé. « Même si la part relative de ces travailleurs outsiders n’a pas encore surpassé celle des salariés traditionnels (aux États-Unis, ce seuil pourrait être atteint dès 2020), la pérennité d’un système juridique, fiscal et social taillé sur mesure pour un contrat de travail salarié apparaît fort compromise. »
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Table des matières
TABLE DES ABREVIATIONS
INTRODUCTION
I – Le salariat déguisé, entre flexibilité professionnelle et abus
A) Une pratique complexe à situer
1) Des carences juridiques et rédactionnelles
2) Une appréciation subjective de l’abus
B) Une pratique aux enjeux antagonistes
1) La flexibilité du travail comme justification
2) L’existence d’avantages certains pour l’employeur
II – Une relation professionnelle à rééquilibrer
A) Un remaniement inévitable du régime juridique
1) Une situation précaire pour les travailleurs concernés
2) Une réforme juridique comme seule solution acceptable ?
B) Des problématiques sous-jacentes, freins au rééquilibre
1) Des enjeux implicitement économiques
2) Des enjeux implicitement politiques
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