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Les origines du roman historique
Le roman historique a pris son essor au XIXe siècle comme la plupart des formes romanesques. On sait que le genre du roman a souvent puisé dans l’histoire pour avoir matière à créer ses fictions. Cette technique donne un certain prestige au genre et l’amène au plus près du semblable. Dans son article intitulé « Roman Historique », Claude Burgelin4, professeur de littérature française à l’université de Lyon, explique qu’à partir du XVIIIe siècle l’histoire commence à être traité comme étant une science. La compréhension de l’histoire entre donc dans certain domaine comme la politique, ou elle devient un moyen d’agir sur les réalités présentes. On peut voir cela avec la Révolution où les hommes prennent conscience d’être « les agents de l’histoire » comme le signale l’auteur dans son article.
On apprend aussi qu’au cours du XIXe siècle, presque tous les romanciers s’essayent au roman historique. Ils utilisent des formes variées mais ils s’appuient tous sur l’histoire, qui certes souvent est placée en toile de fond mais elle est aussi au cœur du récit dans ces romans. On peut citer quelques exemples comme Balzac avec Les chouans, où l’auteur restitue l’esprit d’une époque empli de guerres civiles, Victor Hugo avec Quatrevingt-treize, qui illustre les conflits entre révolutionnaires et monarchistes, Zola avec La débâcle, qui se déroule pendant la guerre franco-allemande et la chute de l’Empire. L’histoire de France est bien présente dans ces récits, c’est pourquoi l’on peut parler de romans historiques même si ce n’était pas le but premier des auteurs de composer dans ce genre romanesque, leur trame choisie fait que ces romans rentrent dans le cadre de ce sujet d’étude et peuvent y être assimilés. Claude Burgelin explique bien dans son article que les auteurs ont une conception de l’histoire et y assignent un but bien diversifié concernant le roman historique, notamment en ajoutant des exemples. On peut citer comme exemple Quatrevingt-treize où Hugo dans son œuvre trouve dans le roman historique un lieu ou faire s’interpénétrer des faits, des idéologies, … et le cadre fictionnel parait plus en adéquation avec la manière de faire de l’auteur, surtout pour en faire ressortir le côté « phénomène révolutionnaire ». On peut comparer le but qu’assigne Hugo au roman historique au but que lui assigne Michelet avec son œuvre Histoire de la Révolution Française. Ce dernier se sert des procédés de dramatisation empruntés à la technique du romanesque pour dire l’histoire, ce qui est le contraire de la démarche de Victor Hugo.
Le roman historique connait son âge d’or au XIXe siècle car c’est la période où les exigences d’analyse réaliste et les constructions utopiques coexistent. Ce genre, qu’est le roman historique, introduit des personnages représentatifs aptes à incarner, à la fois, l’esprit d’une époque, d’une classe, d’un pays, et qui ont d’une certaine manière un pouvoir sur le cours des choses.
En revanche, le roman historique change de statut au moment où s’intensifie la lutte des classes en France. La lutte des classes sera un moteur des transformations des sociétés et de l’histoire moderne, c’est-à-dire « l’histoire écrite ». On peut prendre pour exemple l’œuvre de Flaubert, Salammbô de 1862, qui nous montre que le roman historique qui décrit la rencontre d’individus symboliques et privilégiés avec l’histoire perd du terrain. En effet, dans ce roman, Flaubert prend pour sujet la guerre des Mercenaires qui a eu lieu au IIIe siècle avant J.C., opposant la ville de Carthage aux mercenaires barbares qu’elle avait employée pendant la première guerre punique. Pour ce roman, l’auteur veut respecter l’histoire connue mais profite aussi qu’on ait peu d’informations pour décrire un Orient à l’exotisme sensuel et violent. Cette manière d’écrire prouve que le roman historique utilise davantage l’Histoire comme un décor de fond et privilégie la fiction afin de plaire au lecteur et de le captiver. L’Histoire est donc souvent tournée à l’avantage de son auteur qui va s’octroyer plus de libertés dès lors ou peu d’informations subsistent. Mais si des auteurs continuent à se référer à l’Histoire, c’est aussi pour dépeindre une vision plus pessimiste des choses. Commence donc à se faire ressentir les inhérences du genre, comme le fait qu’il cède trop sa place à l’imaginaire, qu’il n’est plus crédible et on ajoute également que si ce dernier est centré sur l’explication des faits, il n’est plus un roman. Le fossé commence donc à se creuser entre les partisans purs et durs d’un récit dépeignant une époque de l’Histoire de France et les partisans du roman traditionnel, constitué d’une grande partie de l’imaginaire de son auteur et non influencé d’un bout à l’autre par l’histoire. C’est donc là que va naitre le débat entre historiens, scientifiques de l’histoire et littéraire, romanciers d’une époque.
Au XXe siècle, les propos tenus au sujet du roman historique évoluent encore. Les auteurs prennent de nouveau des directions très divergentes. Dans certains cas, ils racontent les aventures d’individus isolés et écrasés par l’histoire, dans d’autres cas, ils offrent une méditation distanciée sur le cours même de l’histoire. Les directions que peuvent employer les auteurs sont encore très nombreuses. Claude Burgelin, nous apprend également que le roman historique post-moderne, c’est-à-dire le roman qui privilégie le hasard à la technique et emploie la métafiction, qui dévoile ses propres mécanismes par des références explicites, pour affaiblir le contrôle de la voix unique de l’auteur, « remet en question notre attitude face à l’histoire en tant que série d’évènements objectivement décelables ». Il faut donc se méfier en tant que lecteur des sources employées pour créer un tel récit, même si des références explicites nous sont confiées. C’est pourquoi, l’histoire en tant que récit où évoluent des personnages fictifs ou non, devient une source d’interrogations diverses.
Le roman historique se développe donc durant ces siècles tout en étant associé à la littérature populaire qui bien évidemment fait que ce genre se développe, étant accessible à un large public. Les raisons en sont multiples. La bourgeoisie prend le pouvoir et la censure est relâchée, la compréhension de l’histoire devient donc un moyen politique d’agir sur le présent. Le nombre de lecteurs évoluent également, notamment grâce à la loi Guizot de 1833, qui entraîne l’ouverture de 2 275 écoles. La presse s’accroit davantage également et permet de diffuser de nombreuses œuvres. Un goût du concret chez les lecteurs se fait ressentir, que ce soit dans le passé historique ou dans le monde contemporain de l’époque. Avec l’époque Romantique, au XIXe siècle, on voit naitre le goût du public pour l’Histoire, qui fournit un cadre et une matière aux romans de nombreux auteurs : Dumas, Vigny, Hugo, Balzac…
On peut, bien évidemment, citer un des pionniers du roman historique, qui nous a apporté sa manière de narrer et eu une influence très forte sur les auteurs et la découverte du genre : Walter Scott. Ses romans intéressaient les lecteurs grâce à une intrigue romanesque mais aussi grâce à la description d’éléments marquants tirés de l’Histoire de l’Ecosse, de l’Angleterre ou de la France. Pour cela, il utilisait des héros-narrateurs, ce qui permettait au lecteur d’avoir l’impression d’être plongé dans l’intrigue et donc dans l’Histoire, de la vivre au même rythme que les personnages. Cet auteur a inspiré et influencé grandement nos écrivains romantiques du XIXe siècle, c’est à lui qu’on doit l’invention du roman historique en partie. Nombreux sont nés ces auteurs qui ont cherché à dépeindre au plus près leur société, leur époque, les conditions dans lesquelles ils vivaient, etc. C’est ce qu’a fait Victor Hugo en écrivant Les Misérables. Son but était d’écrire un grand roman sur son époque et sur son peuple, en plaidant la cause de tous ceux que la société méprise.
Lorsque le genre du roman se développe, le roman historique aussi et il est le produit de la liberté. On peut expliquer ceci par le fait que la monarchie empêchait, à l’époque, les auteurs d’introduire la fiction dans l’histoire. Les seuls qui pouvaient se le permettre était les historiographes officiels. Il était inconcevable que l’image du roi soit incorporée dans une œuvre d’imagination, sachant que le passé de la France est indissociable de la personne des rois. La censure était bien trop présente à l’époque. C’est lorsque celle-ci est relâchée, après la révolution de 1830, que le roman historique prend place en France parmi les principaux genres littéraires.
Un conflit entre histoire et littérature
Les frontières
De nombreux critiques se demandent, encore aujourd’hui, si dans le roman historique il n’existerait pas une certaine frontière entre histoire et littérature. Pour évoquer ce sujet, je m’appuierai essentiellement sur un article de Sam Zylberberg5, historien. Ce dernier nous révèle que l’historien en tant que tel est transformé par rapport à son objet d’étude. Souvent, il le modifie en fonction de son engagement personnel avec ses émotions, ses connaissances et ses croyances tout en l’agrémentant des mythes sociétaux et de la période dans laquelle il vit.
Comme on le sait, le romancier, lui, puise son inspiration et le cadre de son intrigue dans les faits historiques. Mais ce fait pose diverses questions ayant un enjeu sociétal et interroge les influences mutuelles entre histoire et littérature. On peut en venir à se demander quel est le public qui s’intéresse à ce genre d’ouvrage et quel en est son succès.
A la fin du XVIIIe siècle l’histoire sert de décor de fond, mais lorsque la Révolution Française a lieu, une rupture se crée et l’humanité entre dans l’histoire. Le concept qu’on connait jusqu’à présent de l’histoire change. Le roman utilise donc cette évolution pour trouver une nouvelle manière d’ancrer l’histoire dans sa forme. Après cela, l’histoire devient une science à part entière, ce qui pousse le roman historique à tirer sa légitimité du besoin de narration. Durant certaines périodes, comme lors de la Première Guerre Mondiale, le roman historique montre davantage une forte part d’imagination alors que l’histoire est nourrie par une ambition de connaissance de plus en plus scientifique. C’est après la Seconde Guerre Mondiale, qu’un bouleversement autour du personnage s’opère. Ce dernier est vu comme un acteur individualisé de l’histoire. Le personnage est central dans l’histoire, c’est lui qui tient le fil conducteur, l’individu est un témoin important de l’histoire et il en est la clé pour la décrire. Certes cela a souvent été le cas mais l’individu l’est davantage dans cette partie de l’histoire de France qui a particulièrement marquée les esprits.
Le roman historique conserve un véritable succès par le fait qu’il entretient un rapport contemporain à une historicité problématique : les lecteurs attendent de ce genre de récit, un tas de réponses à leurs questions concernant tel ou tel univers de l’histoire de France, sans se soucier du fait que la fiction reste la majorité de ce qui fonde le roman historique. De plus, les rapports qui existent entre histoire et littérature ont évolués au cours des décennies.
La méthodologie scientifique est primordiale pour que le récit du passé soit légitime, fondé et trouve ses caractéristiques dans la quête de la vérité, c’est alors que l’on peut parler d’histoire en tant que récit du passé humain, mais dans ce cas l’imagination et l’invention doivent être contraintes par la méthode historique. L’histoire vise une interprétation des faits où se mêle la subjectivité de l’historien et les valeurs, les concepts de son époque. Selon Sam Zylberberg, « la littérature ne peut être considérée comme un acteur passif, elle ne se contente pas de représenter ou d’illustrer des faits ». Selon cet historien, elle fabriquerait une forme de savoir intelligible par l’histoire culturelle et par l’histoire générale. Parfois l’historien peut avoir du mal à trouver des sources pour illustrer une période. La fiction devient alors tentante pour que ce dernier réalise une étude sur les représentations qui n’ont laissées aucune trace. Avec le fait que l’historien s’appuie sur ce qui est probable, le lecteur peut essayer lui-même de construire le roman historique dans son imaginaire. Mais selon les historiens, le lecteur doit pouvoir voyager dans le passé sans qu’eux-mêmes usent de la fiction, sinon cela irait à l’encontre des codes des historiens qui se veulent scientifiques et non romanciers.
La différence notable entre histoire et littérature reste l’écriture. L’une est historique et l’autre romanesque. Elles ne doivent être confondues. L’objet de l’écriture historique sera la relation au corps social, ce sont des faits qui sont décrits en l’état, qui évoquent les relations de la société telles qu’elles sont, alors que l’objet de l’écriture romanesque sera le produit d’un lieu social dont elle découle, l’écriture romanesque s’inspire de ces faits sociétaux pour dépeindre une société, elle ne les reproduit pas forcément comme ils étaient exactement à l’époque. Une autre différence entre les deux domaines est que l’histoire suppose l’analyse et le traitement des sources, l’historien doit être dans la capacité de dire ce qui est vrai ou non et ce que l’histoire permet ou ne permet pas. Au contraire, le roman et donc la littérature ne signifie pas du tout cela, le roman laisse travailler l’imaginaire et l’opinion de chacun.
Globalement, le roman emprunte à l’histoire pour situer la nature et la dimension historique dans laquelle vivent ses personnages. Il faut prendre en compte le fait que dans l’histoire comme dans la littérature, la tentation d’aller plus loin et de fictionnaliser le récit est grande surtout quand on veut ajouter ce qu’on pense qu’il s’est passé car des éléments nous manque. Mais il faut savoir que le roman peut tendre à l’expression d’une autre vérité ou à l’enrichissement de la vérité, son but est donc de faire réfléchir. Le roman historique permet d’introduire des personnages historiques réels. Le roman historique permet de répondre à des interrogations sur une période passée. C’est donc le rôle du roman d’assumer une part de la vérité du passé et à l’histoire de livrer son expertise sur la vraisemblance du récit.
Il existe donc bel et bien des frontières entre les deux domaines. Il ne faut pas dénigrer le roman historique toutefois car il permet de plonger au présent dans un monde passé et de revivre des événements, de remettre au premier plan des figures délaissées par le temps et de mettre en second plan des figures déjà bien connues. Le succès de ce genre est dû au fait qu’il y a une dynamique d’intrigues, de rebondissements, d’une écriture au présent et des questions que soulève l’histoire.
« Le roman historique : mensonge historique ou vérité romanesque ? »
Le but du roman historique n’est pas toujours décelé par tous. Gérard Gengembre, critique littéraire français, spécialiste de la littérature française du XIXe siècle, propose une étude sur le roman historique et ses capacités à dire le vrai ou accentuer sur le fictionnel dans l’un de ses articles6. Il s’est énormément penché sur le sujet en portant notamment sa pensée sur les rapports entre littérature, idéologie et politique. L’auteur cherche à comprendre ce qui rend le roman historique aussi populaire auprès des lecteurs. Je vais donc m’appuyer sur son article « Le roman historique : mensonge historique ou vérité romanesque ? » afin de développer mes propos.
Comme on le sait, le roman historique « est à la mode », notamment du fait qu’aujourd’hui nous vivons dans une période où l’historicité est « devenue problématique ». Cela expliquerait donc un tel enthousiasme pour l’histoire mise en fiction. L’Histoire semble « incertaine, contradictoire, obscure » et les lecteurs se méfient de ce qu’on peut relater, à savoir si les faits sont avérés ou non. Dans le style romanesque, l’Histoire est souvent prise comme étant une toile de fond. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’Histoire sert davantage de décor pour illustrer l’intrigue. Dans le roman de l’âge classique, on commence à repérer une dimension historique qui permet aux individus de retrouver des marques du passé. La Révolution marque un tournant dans la représentation de l’Histoire chez les lecteurs, entre autre. Le roman va davantage se nourrir de ce changement au niveau de la conception de l’Histoire. Il connait donc, lui aussi, une certaine évolution dans sa manière de traiter l’Histoire. Une nouvelle forme sera donc inventée et explicitement historique. Comme nous l’avons déjà évoqué, c’est au XIXe siècle que nait réellement le roman historique en tant que tel, car c’est une période qui le permet. La période romantique offre plus de liberté concernant l’introduction de la narration, c’est à ce moment-là que les romans sont produits en masse et donc les domaines se développent. C’est aussi l’époque où émerge la littérature populaire, ainsi l’Histoire peut être accessible à un plus grand nombre.
Les grands ouvrages historiques peuvent paraitre trop difficiles pour être compris d’une large diversité de lecteurs au XIXe siècle. C’est alors que l’on comprend l’utilité du roman historique car il permet de mêler à l’Histoire le roman et ainsi rendre plus simple de compréhension les moments clés de l’Histoire. L’Histoire serait donc une science qui a davantage besoin d’être illustrée par le roman historique qui « tire sa légitimité du besoin de narration ». Il est donc évident que le roman historique permet, d’une certaine manière, de simplifier l’Histoire, de la reconstituer d’une manière plus accessible avec une forme plus attirante grâce à « l’écriture romanesque ».
En revanche, selon Gérard Gengembre, il ne faut pas oublier de faire la différence entre roman historique et histoire romancée. Il est vrai que ces deux notions se rapprochent vaguement par leur sens, pourtant « l’histoire romancée prétend raconter sous une forme plaisante les événements historiques et la vie de personnages authentiques » alors que le roman historique est « une mise en forme séduisante de problématiques, comme reconstitution pas trop infidèle ou simplifiée d’une époque restituée, rendue vivante et plu proche par les procédures de l’écriture romanesque ». On pourrait presque en venir à entremêler les deux définitions qui semble quasiment similaires et indifférenciables. Mais, l’histoire romancée sert à séduire un public désireux « de se dépayser et de se plonger dans une autre époque ». On ne peut identifier l’histoire romancée au détriment de l’histoire pure car cette histoire romancée demande à être adaptée à son genre littéraire, au niveau des personnages, des mentalités afin de les rendre plus proches des lecteurs actuels qu’elle vise. Les faits, dans la plupart des cas, sont ainsi déformés soit pour simplifier ce que l’on veut transcrire de l’Histoire, soit pour dramatiser les faits ou tout simplement pour rendre ce qui est raconté plus pittoresque. Dans l’histoire romancée, la « dose romanesque » est beaucoup trop importante, ce qui signifie qu’il vaut mieux prendre du recul quant à la trame historique du récit. Le roman historique devient, ensuite, un genre à part entière dès le XXe siècle. Selon Gérard Gengembre, le roman historique appartient davantage au monde littéraire qu’au monde historique notamment à cause des attentes du lectorat dues « aux grands mouvements et aux grandes catastrophes historiques d’un siècle de bouleversements et de convulsions ».
On peut donc constater qu’une sorte d’ambigüité existe entre vraisemblance historique et intérêt romanesque. Selon les romantiques, il n’est pas question de séparer le romanesque et l’histoire étant donné que les changements dus à la Révolution ont fait entrer l’humanité dans l’Histoire. Ainsi, chaque période illustrée dans un roman va faire appel à cette rupture révolutionnaire et faire revivre sa spécificité. L’Histoire est donc, d’emblée, liée au roman et à ce que l’on veut évoquer. Afin d’expliciter ce propos, on peut citer une phrase qu’à dite Alexandre Dumas et que Gérard Gengembre cite dans son article également : « Notre prétention en faisant du roman historique est non seulement d’amuser une classe de nos lecteurs, qui sait, mais encore d’instruire une autre qui ne sait pas, et c’est pour celle-là particulièrement que nous écrivons ». En effet, le roman historique permet d’instruire une classe de la population qui n’est pas forcément érudite dans le domaine de l’Histoire et qui souhaite accéder à ce savoir de manière simple et accessible, en surface. Le roman historique est ainsi assimilé au roman d’aventure et au roman de cape et d’épée, cela peut s’expliquer par son besoin de retracer l’histoire de manière romanesque et plus facilement imaginable par ses lecteurs. Mais se pose alors la question de savoir ce qui est lié à une « vérité historique ». La vérité historique que tient à souligner le roman est-elle centrée sur les personnages, les événements ou bien le sens de l’Histoire ? Dans son article, Gérard Gengembre en conclut que « le roman se donne donc comme un leurre pour piéger l’histoire, la rendre vivante et compréhensible ». Pour illustrer cela, il s’appuie sur le roman de Victor Hugo, Notre Dame de Paris. Pour lui, les personnages masculins ont une symbolisation historique. Chaque personnage renvoie à un aspect précis de l’histoire : l’archidiacre renvoie à l’Église théocratique, le capitaine à la nouvelle monarchie de Louis XI, le monstre au « peuple enfant », c’est à dire au peuple qui ne sait pas encore correctement employer sa force. On voit ainsi naître l’État moderne dans ce roman et les conflits de l’époque qui sont réels. Toutefois, le critique nous signale que le dénouement de cette œuvre interroge la vérité morale de l’Histoire. Ainsi les faits plus ou moins réels sont toujours à prendre avec un certain recul et un certain regard critique. On ne peut pas considérer comme véridique un fait qui est retranscrit dans un univers à moitié fictif. Tout doit faire l’objet d’une certaine réflexion.
Le roman historique moderne continue à se développer dans une direction herméneutique, il favorise l’interprétation des signes comme éléments symboliques d’une culture, d’une histoire. Selon les propos de Marguerite Yourcenar, femme de lettres et romancière du XXe siècle, « l’Histoire est une « école de liberté » favorisant la méditation de l’homme ». En effet, on constate que l’Histoire mise en roman peut permettre au lecteur de réfléchir sur l’époque illustrée et se faire ses propres idées tout en se basant sur une source historique.
Le roman historique est à voir comme un genre à part entière car il a renouvelé la manière de voir l’Histoire comme le fait un tableau qui dépeint une époque, un événement. Le roman fait revivre un moment particulier de l’Histoire tout en la rendant davantage pittoresque, telle une Histoire « tumultueuse ». De plus, la véracité du détail permet une compréhension de l’époque et du moment.
Ainsi, on comprend le rôle important que joue la narration dans le roman historique. Elle permet de montrer des événements de l’histoire d’un point de vue le plus réaliste possible grâce à l’écriture et son style particulier pour raconter et rendre vivant. Chantal Thomas, écrivaine et universitaire française, écrit aussi un roman historique : Les Adieux à la Reine, où elle met en fiction le destin de Marie-Antoinette. Gérard Gengembre explique que dans l’une des conférences de Chantal Thomas, cette dernière « attribue à sa lecture du roman7 d’Aragon un rôle décisif », et il rapporte ses propos dans son article. Elle explique à un moment que Aragon « décide de narrer au présent cette histoire passée et même très lointaine ». On retrouve donc le mélange entre les époques, une histoire du passé racontée au présent, permet au lecteur de se plonger plus aisément dans l’histoire et de mieux la saisir. Elle précise dans la suite de son discours que « la très grande mobilité et même la fugacité dont Aragon fait le récit d’une aventure nous confronte au caractère incompréhensible, monstrueux, de l’histoire en train de se faire ». Cela permet de confirmer que l’histoire écrite au présent a certainement plus de poids pour un lecteur qui souhaite se plonger dans une autre époque sans forcément approfondir dans des recherches d’historien trop poussées. Chantal Thomas continue son discours en évoquant les détails des scènes du roman qui permettent d’avoir l’impression d’être immergé dans un autre univers complètement réaliste et à la fois troublant. Elle explique aussi l’utilité très importante du présent dans un roman historique en disant ceci : « l’ouverture au présent – c’est cela qui doit permettre de lire un roman historique à la fois comme une plongée exotique dans un monde disparu et comme un récit qui nous touche d’une manière absolument contemporaine – se vit comme la dynamique d’une enquête policière ». Le présent donne donc une certaine dynamique au récit et lui permet d’exister.
La place de la recherche documentaire dans le processus créateur
En général, les romanciers et les historiens ne sont pas d’avis à ce qu’on mélange leurs deux professions. Nous le savons, des débats épistémologiques persistent entre les deux camps. Pourtant, selon divers chercheurs, la consultations d’ouvrages historiques, dans le cadre d’une fiction historique, est primordiale. Elle pourrait, de plus, conduire à une sorte de hiérarchisation des sources, ce qui montrerait l’ampleur considérable du travail qu’effectuerait le romancier, presque au même titre que l’historien. Pour cela, je m’appuierai sur le travail de recherche de Philippe Clermont et Danièle Henky8, maîtres de conférences à l’Université de Strasbourg qui ont déjà traité la question du genre en littérature de jeunesse, notamment celle de l’écriture engagée.
Le processus de création est donc complexe quand on y regarde de plus près. On peut souligner les interactions nécessaires avec des sources, plus ou moins historiques, pour ce qui est de sa mise en œuvre. Le choix de la source est donc fondamental et la mise en écriture de l’histoire qui s’ensuit dépend de diverses contraintes, que ce soit au niveau du genre ou du projet de l’auteur. Généralement, l’importance de l’Histoire, qui est la matière documentaire ici, rappelle que la littérature de jeunesse est l’héritière romanesque du XIXe siècle, qui est considéré comme le « siècle de l’enquête ». Il faut prendre conscience de la complexité de la littérature de jeunesse, notamment lorsque celle-ci est basée sur l’Histoire. Naît dans ce genre romanesque, le souci didactique d’une fidélité à la source et la nécessaire créativité de la fiction. Le but est d’adapter une période historique en évitant de simplifier de manière abusive la réalité des faits pour ne pas amoindrir la visée esthétique du roman historique.
Utiliser le langage de l’Histoire pour raconter un récit, c’est s’intéresser à la notion de transmission patrimoniale. Le but est de transmettre une œuvre pour ce qu’elle est, « une œuvre du passé qui parle aujourd’hui », selon Brigitte Louichon qui a également écrit sur le sujet.
La question de la fabrique du texte pour le roman historique est davantage importante dans ce genre littéraire car il a pour objectif principal de transposer des événements d’autrefois et pour cela le travail du romancier doit être minutieux. Le récit a pour premier impératif d’être lisible et pour cela il faut réaliser un véritable travail de technique narrative, notamment dans le roman historique dédié à la jeunesse. En effet, on ne peut s’adresser à un enfant comme on le ferait à un adulte, le langage doit être adapté. Les mots inconnus, par exemple, doivent être expliqué et de préférence dans le texte, il en va de même pour certaines informations, comme toutes les connaissances historiques nécessaires à la compréhension d’une époque, car le jeune lecteur n’a pas le même bagage que le lecteur adulte. Dès lors qu’on s’adresse à un jeune lecteur, l’écriture, qu’il s’agisse du lexique ou des connaissances historiques, s’avère donc plus contrainte. Il est donc intéressant de se demander comment un auteur de roman historique pour la jeunesse fabrique son texte, notamment pour affronter les contraintes que l’on vient d’évoquer.
Quels sont donc les textes sources qu’utilisent les auteurs ? En général, que ce soit pour le roman historique ou pour tout autre genre de roman, les auteurs utilisent une documentation très variée : des écrits d’époque, des essais actuels, des données archéologiques, etc… Il faut aussi insister sur la nécessité de varier ses sources, c’est ce que font la plupart des auteurs afin de confronter les points de vue et avoir une représentation la plus précise possible. On constate que les auteurs de littérature de jeunesse écrivent en ayant constamment à l’esprit la vérification possible du lecteur, se méfiant en permanence de leur imagination et se sentant soumis à « une sorte de devoir d’exactitude, de vraisemblance historique ». Pour ce qui est de la fabrication du texte, l’Histoire semble être un réservoir d’inspirations, de récits mais aussi un cadre extrêmement contraignant. Parfois, les romanciers s’adressent à leur lecteur comme s’ils étaient des historiens, c’est à quoi l’on peut apparenter leurs discours dans certains cas, comme lorsque le romancier introduit une compétence explicative qui met en évidence l’importance de l’événement dans la représentation historique. Souvent, les romanciers emploient le présent de l’indicatif dans leurs romans, ce qui éloignent une reconstruction de type romanesque et nous situent entre fiction et histoire. Ce qui est difficile à mettre en œuvre dans la littérature de jeunesse, ce sont les deux pactes de lecture qui doivent cohabiter dans le roman historique : d’une part, celui du roman qui « implique adhésion à la fiction, identification aux personnages, actions, tensions narratives », et d’autre part, celui de l’Histoire qui « implique au contraire une distance de l’auteur comme du lecteur et une communication fondée sur l’échange d’informations, dans un objectif d’explication, d’interprétation ». On va pouvoir identifier la différence entre ces deux contrats notamment grâce au traitement du personnage. Avec le côté historique, le romancier se doit de couvrir une certaine chronologie et ce dernier doit donner les informations nécessaires à la compréhension du récit historique. En revanche le côté romanesque se doit de donner vie aux personnages, de les incarner, sous peine qu’ils disparaissent derrière l’information historique et que ce ne soit pas suffisant pour qu’il y ait l’illusion de la vie dans le texte. Le fait d’imaginer, de la part des romanciers, certes, atténue la vraisemblance historique mais en contrepartie, donne une consistance au personnage, ce dont tout bon roman à besoin afin d’accrocher le lecteur.
Ainsi, on peut constater que le roman historique est un excellent indicateur des contraintes qui pèsent sur la littérature de jeunesse. La question de la fabrique du texte renvoie à celle de la représentation de l’histoire. Le lecteur oscille donc entre deux lectures, une à la fois historique, cherchant à nous montrer la manière de vivre, les coutumes, les évènement d’autrefois et l’autre romancée, prête à tout remettre en question notamment par l’intermédiaire de l’imagination. De plus, les romans historiques les plus intéressants pour un jeune public sont ceux qui permettent aux lecteurs, en plus du plaisir de la lecture, de mener une véritable enquête historique, tout en suivant les péripéties d’un ou plusieurs personnages.
Le débat autour du genre
Le récit des romanciers et des historiens
Depuis des décennies, existe ce débat entre romanciers et historiens qui veulent avoir des frontières bien distinctes entre leurs deux domaines. Plusieurs critiques ayant écrit sur le sujet vont prendre pour exemples des romanciers ou historiens reconnus. C’est le cas de Mona Ozouf9, historienne et philosophe française, qui a rédigé un article sur le sujet. Elle prend l’exemple de Stendhal et Hugo, qui ont chacun écrit des récits qu’on pourrait qualifier d’historique mais les auteurs se défendent en exprimant n’avoir écrit que des romans qui se veulent vrais et non des romans historiques.
Par ailleurs, les écrivains tiennent généralement à ce qu’une frontière soit bien dessinée entre les deux genres narratifs que sont l’histoire et le roman. Le romancier peut se permettre d’écrire des choses que l’historien ne peut écrire et cela joue sur le scepticisme du lecteur. Par exemple, dans le récit des Chouans de Balzac, Danton, personnage réel de l’histoire de France, épouse Marie de Verneuil, un personnage fictif du roman. Le romancier a cette liberté de marier, introduire n’importe quel personnage dans son récit en lien avec des êtres imaginaires ou réels, alors que l’historien ne peut pas mêler n’importe quel individu, il doit avoir des preuves solides et s’appuyer sur des faits avérés.
Pour certains auteurs, comme Paul Valéry dans les années 1930, l’histoire est une manière naïve de conter les événements, car l’historien peut se permettre de dire « ceci est un fait » et il faudrait comprendre par là qu’on peut le croire sur parole. De ce fait, le récit historique apparait comme un objet ayant un caractère arbitraire car d’une part les faits sont innombrables, il faut donc en choisir certains pour que le discours ne soit pas confus ou trop vaste, et par ailleurs, les faits ne parlent pas seuls et ne prennent sens que dans l’organisation narrative de l’historien. Naissent ainsi des interprétations diverses car les historiens, comme tout être humain, vont faire part de leur ressenti, leurs passions, on va voir naître des avis, rien qu’avec le fait qu’ils choisissent les éléments qu’ils veulent évoquer.
Pourtant, le récit historique semble, dans le courant du XXe siècle, échapper à la défiance radicale à laquelle est confrontée le récit romanesque. L’historien se rapporte à une réalité extérieure et il a une dette à l’égard de ce qui a existé. Ce dernier se réfère à des citations, des documents pour chercher à valider ce qu’il avance. Mais en réalité, ce qui s’est passé pour le roman a gagné l’histoire également, à la fin du XIXe siècle, avec la tentative de retirer les facteurs individuels, c’est-à-dire le partage d’un avis trop personnel qui pourrait influencer le lecteur. Une certaine objectivité et impartialité devait être faite envers les documents pour une histoire qui se voulait plus « scientifique ». Pourtant, si on élimine la partialité de l’historien, on échappe à l’arbitraire.
Les avis sur le genre hybride du roman historique sont divergents. Autrefois, au début du XIXe siècle, Chateaubriand a qualifié le roman historique comme étant un « parangon de la fausseté ». Les deux genres que sont le roman et l’histoire sont donc renvoyés à la même indignité. Ils sont qualifiés de « fables historiques » puisqu’ils prétendent tous deux à une vérité générale. On pourrait ainsi croire que romanciers et historiens sont proches du fait d’avoir eu la même critique à un moment donné. Mais cela n’est pas le cas car la frontière reste réelle. On a d’un côté, une histoire scientifique, qui se cantonne aux phénomènes qui présentent des régularités et exhibe son appartenance à la science et de l’autre côté, le roman qui se voue à décrire des événements et des personnages singuliers et condamnés à la subjectivité.
Le XXe siècle est une époque ou formalisme du récit se fait sentir et lorsque cette époque est révolue, de nouvelles relations entre le roman et l’histoire s’établissent. Cela est notamment dû à la lassitude qu’éprouvaient les lecteurs, au sujet de ces romans dépassés, qui ne trouvaient plus de lien avec une réalité historique. Avec le temps, les historiens ont atténué leur méfiance envers la narration, notamment avec l’arrivée d’une nouvelle génération d’historiens qui considéraient que « l’histoire traditionnelle » n’était plus en cohérence avec la France d’entre-deux guerres. Par la suite, les historiens ne peuvent présenter leurs résultats qu’en les inscrivant dans des formes de narration et de mise en intrigue, comme le signale Michel de Certeau en affirmant que « le langage poétique est le moyen selon lequel l’historien donne corps à l’altérité du passé afin qu’elle puisse devenir, d’une certaine façon, visible et mémorable » 10 . Il faut bien que l’historien use de la narration, rien que pour conter la vie des individus à une époque donnée, les caractéristiques de leur façon de vivre, de leurs coutumes. Ce dernier n’a donc jamais pu s’éloigner ou échapper aux contraintes de la narration. Michel de Certeau souhaite affranchir l’histoire de sa prétendue « objectivité » en évoquant le non-dit de l’histoire et des historiens.
De plus, l’histoire est redevenue une source d’inspiration pour les romanciers. Avec le roman historique, le romancier rappelle à l’historien que les récits historiques s’incarnent dans des visions particulières, et l’invite à réfléchir aux aspects personnels et privés des grands événements. C’est alors que commence à se ressentir une proximité entre les deux genres. Les historiens se font donc romanciers lorsqu’ils utilisent l’imagination pour passer outre le silence ou l’insuffisance des sources.
De nos jours, ces frontières qui existent entre les deux genres nous paraissent plus évidentes. On peut penser aux contraintes auxquelles est toujours exposées l’historien. Ce dernier s’installe sur un terrain qui est déjà balisé dans le temps et dans l’espace. Il part d’une réalité qui est fixée et passée, mais qu’on ne peut pas contester. Ils évoquent des personnages réels qui ont un vécu, une histoire, qui vivent dans une époque précise, il n’est pas possible de faire évoluer ces éléments. L’historien, contrairement au romancier, est obligé d’organiser son récit sur un axe chronologique, en respectant l’ordre dans lequel se sont succédés les événements. Le romancier peut se permettre tout l’inverse, son personnage n’est pas contraint par le temps qui n’est ici pas définit par une date mais par un enjeu. Le romancier peut manipuler le temps comme bon lui semble. On peut confirmer le fait qu’une frontière est encore bien distincte entre les genres, rien qu’avec leurs contraintes auxquelles ils sont soumis.
La visée idéologique du roman historique
On peut désormais en venir à assimiler le roman historique à l’idéologie. En effet, ce dernier à une portée idéologique, il s’agit même de sa particularité la plus marquante. Son « emprise idéologique » est exercée à la fois par son auteur et les grands débats de notre époque. Gérard Gengembre, dont nous avons évoqué le nom plus tôt, affirme que le sens même de l’Histoire est remis en cause dans le roman à partir du XIXe siècle. Il prend l’exemple de deux grands romans, Quatrevingt-treize de Victor Hugo et Les Dieux ont soif d’Anatole France, en les comparant. Il remarque qu’à l’époque de Hugo, la Révolution en elle-même n’était pas remise en cause, en revanche lorsque Anatole France écrit son roman, on constate des aspects plus « atroces de la Révolution » et cela dominerait la production de ces dernières années selon lui.
A cette époque, le roman participe à une révision du « moment Révolution française » dans l’histoire mondiale. La combinaison de la fiction et de la référence historique, avec ses propres codes, permet cette révision. Il ne s’agit pas de voir dans ces œuvres des romans contre-révolutionnaire mais plutôt des « symptômes littéraires de nos interrogations et de nos retours sur les fondations de notre modernité, pour le meilleur et pour le pire ». Autrement dit, le roman historique porté sur la Révolution Française a pour but de réviser ce qui a permis un tel changement en revenant aux sources historiques de cet événement marquant et que la littérature permet de rendre compte des moments primordiales comme des moments difficiles. Plusieurs auteurs ont mis en roman les origines de diverses révolutions, comme Soljenitsyne avec La Roue Rouge qui « met en lumière les origines de la Révolution russe », d’autres ont également mis en roman les origines de tels ou tels événements, comme le communisme, le marxisme par exemple. Le roman est ainsi souvent qualifié de « lieu de mise en scène, de déploiement, de problématisation des conflits », il s’agit là d’une tradition mondiale. Ainsi on peut constater que l’Histoire est mise en scène grâce au roman.
Un débat contemporain
Le roman historique est source de débats contemporains également. Ce roman peut tout s’accaparer de l’Histoire mais il doit cela à sa forme, et au fait que rien n’est exclu de la mise en fiction. Ce qui fait source de débats sont en l’occurrence les sujets plutôt sensibles. Si on se réfère de nouveau à l’article de Gérard Gengembre, on sait que les fictions télévisées prennent une envergure importante à notre époque. Il cite en particulier une émission : La caméra explore le temps. Dans son article, le critique explique qu’on assiste à l’explosion d’un genre nouveau qui est le « docufiction ». Pour illustrer son propos, il cite deux études, celle d’Isabelle Veyrat Masson avec Quand la télévision explore le temps (2000) et Télévision et Histoire : la confusion des genres (2008), et celle de Béatrice Fleury-Vilatte avec « Comment la télévision écrit et réécrit l’Histoire » (dans Communication et langages de 1998). Béatrice Fleury-Vilatte, explique que « les liens entre le fait historique et son énoncé télévisuel confèrent […] un sens très particulier aux notions d’exactitude ou de vérité. » nous rapporte Gérard Gengembre. Certains faits reproduits ont donc des conséquences médiatiques, ce qui explique les conflits qu’ont pu avoir télévision et Histoire en France, selon le critique. Comme pour la littérature, des codes particuliers s’imposent au média. Cela va engendrer des simplifications et modifications qui seront en accord avec notre époque, ce qui cause des problèmes de fidélité à la crédibilité des faits.
On apprend également que certaines émissions ont été source de débats comme sur France 2 avec la série « Ce jour-là, tout a changé », la diffusion de L’Évasion de Louis XVI avait fait polémique. Ce qui ne plaisait pas dans cette diffusion était le fait que l’accent soit mis sur les amours du roi et que l’on montrait une vision du roi développée par une interprétation anachronique. Gérard Gengembre rapporte les propos d’Aurore Chéry, docteure en histoire, qui a contribué à la polémique sur le site de l’Institut d’Histoire de la Révolution française. Elle souligne le fait que la réussite de l’union entre télévision et Histoire « réside dans une vigilance d’autant plus grande face à des problématiques mémorielles de plus en plus prégnantes et auxquelles la télévision offre une formidable caisse de résonance ». On apprend, de plus, que beaucoup de faits sont modifiés en faveur de la télévision et du média, ce qui ne plaît absolument pas aux historiens car cela transforme les faits. Gérard Gengembre évoque aussi le fait qu’avec certaines émissions, on a affaire à une « double médiation par la fiction romanesque et par la fiction télévisuelle ». L’Histoire est ainsi fortement modifiée pour faciliter la reproduction et la traduction de ses événements. De plus, certains sujets sont traités en fonction des orientations idéologiques de leurs auteurs. Cela confronte, une fois de plus, la relation complexe entre Histoire, mémoire et révision. Selon Gérard Gengembre, la « fictionnalisation télévisuelle aggrave considérablement les déformations, voire les manipulations du roman historique ». L’Histoire devient donc de moins en moins fiable dans des représentations telle que les montre la télévision.
Il faut également se méfier du fait, qu’aujourd’hui, énormément de romans historiques relèvent de la littérature de consommation, mais cela doit-il réellement être condamnable étant donné qu’il s’agit d’un genre qui plaît ? En revanche, certains critiques condamnent le fait que pour une grande quantité de lecteurs, « un roman historique pèse du même poids qu’une information historique rigoureuse ». On doit être conscient qu’il s’agit de fiction donc d’un point de vue imaginatif et pas forcément réaliste traduisant avec exactitude les faits déroulés à l’époque.
Gérard Gengembre rapporte ce que souligne l’historien Patrick Boucheron dans l’un de ses propos au sujet de la polémique autour de l’ouvrage Jan Karski de l’écrivain Yannick Haenel, accusé d’avoir falsifié l’histoire pour écrire sur ce résistant polonais. Cet historien souligne le fait « que les historiens ne doivent pas évaluer une œuvre de fiction en fonction de la seule vérité des faits relatés ». De plus, l’auteur de notre article précise qu’utiliser un roman « comme un assemblage de documents est parfaitement réducteur et ne permet pas d’en saisir la pertinence, ni d’en apprécier la valeur de miroir de notre temps ». Il complète son propos en explicitant que le roman historique de « qualité » ne nous parle pas spécifiquement du passé mais au contraire, ce roman nous parle de nous aujourd’hui. Il faut donc avoir une vision reculée par rapport à ce qui est raconté dans un roman historique car pour la plupart, l’histoire fait référence au présent. On revit le passé par le présent, d’une certaine manière.
L’usage de la fiction dans l’histoire
Généralement, les auteurs écrivent des romans historiques pour donner une voix à des personnages de l’histoire qui leur a été refusée par le passé du fait de leur condition subalterne. L’imagination du romancier comble les vides de l’histoire. L’essentiel dans le roman historique, selon Antony Beevor11, historien britannique, est que lorsqu’un romancier met en scène un grand personnage historique, le lecteur ne sait pas ce qu’il a puisé dans les faits attestés et ce qu’il a inventé.
La littérature apporterait une sorte de supplément à l’histoire grâce à sa narration notamment et au fait qu’elle peut exprimer ce que l’histoire même ne peut pas expliquer faute de sources. Mais à partir de là, la littérature déconcerterait notre propre rapport au temps en exprimant les travers d’une époque. Il ne faut pas oublier que l’histoire est complexe et que la littérature offre de nombreuses diversités, c’est ce qui fait que le roman historique existe. Il permet d’apporter des réponses claires aux questions complexes que pose l’histoire et à travers la littérature ces réponses se multiplient sous diverses formes. De plus, la manière dont le discours de l’historien assure sa propre scientificité et se démarque de l’invention fictionnelle n’est rien d’autre en elle-même qu’un procédé narratif. Lorsqu’on parle de roman historique, on doit évoquer la fragilité de l’histoire. En effet, l’historien ne peut pas se résoudre à narrer des faits dont il n’a pas de preuves et doit uniquement souligner la réalité historique qui existe mais pourtant il doit se voir presque obligé, par moment, de s’orienter vers une narration même futile car quelqu’un d’autre, comme un romancier par exemple, finira par interpréter les faits à sa place. C’est pourquoi l’histoire reste une discipline fragile. Il y aura toujours quelqu’un pour essayer de combler les vides qui se sont creusés dans l’Histoire. Si ce n’est l’histoire elle-même, la littérature s’en occupera.
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Table des matières
NTRODUCTION
1. Le roman historique : un genre qui évolue dans le temps
1.1 Qu’est-ce que le roman historique ?
1.1.1 Définition du genre
1.1.2 Les spécificités du roman historique
1.1.3 Les origines du roman historique
1.2 Un conflit entre histoire et littérature
1.2.1 Les frontières
1.2.2 « Le roman historique : mensonge historique ou vérité romanesque ? »
1.2.3 La place de la recherche documentaire dans le processus créateur
1.3 Le débat autour du genre
1.3.1 Le récit des romanciers et des historiens
1.3.2 La visée idéologique du roman historique
1.3.3 Un débat contemporain
1.3.4 L’usage de la fiction dans l’histoire
2. Le roman historique en tant que support pédagogique
2.1 L’avis de quelques chercheurs
2.1.1 Pourquoi choisir le roman historique ?
2.1.2 Les réticences des auteurs
2.1.3 L’intérêt des jeunes lecteurs pour le roman historique
2.2 L’enseignement de l’histoire à travers la littérature de jeunesse
2.2.1 Réflexion sur la chronologie et la temporalité
2.2.2 Les références du récit historique dans les programmes scolaires
2.2.3 La vision des enseignants
2.3 Les pistes pédagogiques proposées
2.3.1 Les points essentiels à traiter avec les élèves
2.3.2 Des exemples de situations d’apprentissages
2.3.3 Les récits brefs pour illustrer l’histoire
2.3.4 Une méthode historique
3. Expérimentation sur le travail autour du roman historique en classe de CM1
3.1 Présentation de la séquence et des supports employés
3.1.1 La séquence sur Les orangers de Versailles
3.1.2 Les supports employés pour la séquence
3.2 Les activités réalisées par la classe
3.2.1 La sortie à Versailles
3.2.2 La phase de recherche des élèves
3.3 Bilan et réflexion sur la mise en pratique
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
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