L’objet de l’étude de ce mémoire est d’analyser comment dans le genre du roman historique interagissent l’Histoire (l’écriture sur le passé réel) et la fiction, « [p]roduit de l’imagination qui n’a pas de modèle complet dans la réalité » (Trésor de la langue française). Au fond cette analyse est faite pour répondre à la question de savoir : Comment le récit fictif qui représente l’Histoire peut-il être convaincant et est-ce que l’interaction entre la fiction et le factuel influence la façon dont le récit arrive à convaincre ? Nous prenons aussi en compte à quel degré le lien qui existe entre la fiction et le réel (ici définit comme le plan où existe le lecteur) influence la réception quand il est possible pour le lecteur de se sentir ‘transporté’ dans la fiction.
Les trois livres choisis sont Les Naufragés de l’Île Tromelin (2009) par Irène Frain, Les Enfants d’Alexandrie (2011) par Françoise Chandernagor et Bison (2014) par Patrick Grainville. Pour ces trois romans chaque auteur a reçu le Grand Prix Palatine. Ce prix est distribué selon les critères suivantes: « une grande rigueur historique, un sens aigu du romanesque et une évidente qualité littéraire » (palatine.fr). Ces critères-là pointent vers une fusion d’une bonne qualité entre l’Histoire et la création littéraire, à savoir pourquoi les livres étudiés ont été choisis.
Comme cette analyse sera faite dans le champs du genre du roman historique, il faut se poser la question : quels sont les traits du roman historique ? D’abord, selon Heta Pyrrhönen (2007), un genre littéraire est un groupement de textes qui ont en commun certains traits et caractéristiques. La notion du genre suggère qu’il est possible de décrire des textes en dégageant des composants textuels qui le classifient. En outre, ‘genre’ dirige la façon dont les textes sont écrits, lus et interprétés. Ces conventions génériques sont normatives. Elles décident ce que les auteurs peuvent et ne peuvent pas faire. Pyrrhönen constate aussi que ‘genre’ permet une évaluation des œuvres littéraires (2007 : 109). Névine El Nossery (2009) présente les traits généraux du roman historique ainsi : premièrement, le genre se caractérise par la présentation des personnages et des événements empruntés à l’Histoire ; deuxièmement, la logique narrative (le sujet du livre, les descriptions, la focalisation et les plans narratifs) reste la création de l’auteur ; finalement, elle note que grâce à la conformité des événements de l’œuvre fictive à « une logique de l’Histoire », le roman historique « pourrait paraître plus authentique qu’un manuel historique » (2009 : 274). De son côté, Isabelle Durand-Le Guern soulève le degré d’information référentielle qui existe dans l’intersection entre le roman et l’Histoire : « un roman historique est un roman, c’est-àdire un récit fictif, qui intègre à sa diégèse une dimension historique. Sa première particularité serait donc sa dimension référentielle, dans la mesure où la réalité vécue vient nourrir le récit proposé » (2008: 9). La dimension référentielle doit être comprise comme : référentielle à notre monde, donc opposée à la fiction dans le sens ‘venu de l’imagination’. Deux remarques faites sont importantes à soulever pour cette recherche : qu’une œuvre fictive peut paraître plus fiable qu’une œuvre factuelle et qu’il existe une « dimension référentielle ». Durand-Le Guern ajoute que « [l]’enjeu essentiel du roman historique est bien celui de la représentation. Il s’agit de faire voir, de faire comprendre le passé» (2008 : 91). Il est problématique de constater que l’enjeu d’un roman est ‘de faire comprendre’. Plutôt, il est important de constater que l’imagination est capable de construire une image ou une représentation du passé, qui le rendrait ‘vivant’.
Le roman historique classique et le roman historique contemporain
Une clarification sur le choix de corpus reste à ajouter pour répondre à la question ‘Pourquoi seulement des romans contemporains ?’ El Nossey (2009) propose que le roman historique classique et le roman historique moderne diffèrent sur plusieurs niveaux. Le premier désaccord concerne le passé et le présent. Le roman historique du XIXe siècle, une tradition dérivée de Sir Walter Scott, était captivé par « le passé, source inépuisable de modèles et d’instruction. En d’autres termes, c’est le passé et non pas l’avenir qui détermine l’Histoire, et qui donne sens à la destinée humaine» (El Nossey, 2009 : 274). Le roman historique moderne est préoccupé par le présent du lecteur : « [l]e passé n’est utile que dans la mesure où il sert à mieux comprendre le présent et aide à trouver des réponses aux questions qui nous concernent » (El Nossey, 2009 : 274). Alors, il y a toujours un élément d’instruction par le passé, mais qui sert à la compréhension du présent.
Le deuxième désaccord concerne la façon dont le roman historique communique avec le « ‘métarécit’ qu’est l’Histoire » (El Nossey, 2009 : 275). À l’époque de Scott l’Histoire n’était pas encore une science, en d’autres termes pas encore un domaine codifié. Le roman historique était simplement une façon alternative d’éduquer. Cela est une conséquence du fait que le romancier consultait les mêmes sources que l’historien et que leurs travaux ne se différaient que sur le point de la qualité littéraire. Duran-Le Guern (2008) souligne que ce rôle éducatif est central : « [e]n effet, [il] permet de comprendre la portée souvent didactique et morale des romans historiques, et le rôle social qui leur est assigné » (2008 : 21). Regardons Balzac qui se proposait deux exigences : « se différencier des ouvrages historiques et respecter la vérité des faits » (2008 : 90). Unir ces exigences ne laisse pas beaucoup de place pour manœuvrer, constate Duran-Le Guern qui propose une solution : « [l]a liberté se trouve peut-être dans les marges de l’histoire » (2008 : 90). Les marges de l’histoire sont des parties des sociétés peu représentées dans le métarécit, ceux qui manquent de voix : par exemple des femmes et des esclaves. Le roman historique moderne, qui intègre également des éléments éducatifs, utilise plutôt « un métalangage et une critique du discours historiographique » (El Nossery, 2009 : 274) en signalant des lacunes ou des interprétations alternatives de l’Histoire. Dans les marges de l’histoire les auteures trouvent la porte à ce type de critique.
Le troisième et dernier désaccord concerne le fait que les marges de l’histoire sont plus marquées dans le roman historique moderne que dans le roman historique classique. Le roman historique classique s’intéressait plutôt aux grands personnages historiques : « [S]i le roman historique classique met en scène de grands hommes ou des héros historiques ayant marqué l’Histoire […] la fiction historiographie contemporain donne souvent voix au peuple, aux sujets anonymes […] qui ont subi l’Histoire plutôt d’en être les acteurs. (El Nossey, 2009 : 275). Une raison derrière cette exploration des marges pourrait être la solution proposée par Duran-Le Guern : que les marges laissent beaucoup de place à l’imagination. Une deuxième raison serait l’intérêt du roman historique contemporain de comprendre notre ‘maintenant’ en regardant notre passé (2008 : 90).
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Table des matières
1 Introduction
1.1 L’objectif
1.2 But et méthode
1.3 Le roman historique classique et le roman historique contemporain
2 Cadre théorique
2.1 La définition sémantique de la narration fictionnelle et de la narration factuelle
2.2 L’immersion
3 Analyse sur l’interaction entre la fiction et le factuel
3.1 Les descriptions avec des trous ontologiques
3.2 Les vérités référentielles au monde réel
3.3 Les personnages à la fois littéraires et historiques
3.3.1 Castellan
3.3.2 Séléné
3.3.3 George Catlin
4 Conclusion
Références
Annexe