Le rôle du WLES dans la conservation des nutriments

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Le rôle du WLES dans la conservation des nutriments

Pour maximiser l’assimilation du carbone, la chaine photosynthétique requiert de nombreuses protéines riches en azote (Chapin, 1980). Cependant, cet élément est limitant dans la plupart des écosystèmes et les formes les plus abondantes ne sont pas directement assimilables par les plantes (Berendse & Aerts, 1987; Aerts & Chapin, 1999). En conséquence, l’absorption de l’azote est un processus coûteux qui doit engendrer de fortes contraintes sur l’utilisation de l’azote dans les feuilles. Dans ce contexte il est attendu une sélection pour des traits réduisant les pertes et maximisant la conservation des nutriments plutôt que des traits améliorant l’acquisition de l’azote (Aerts & Chapin, 1999). La capacité des plantes à conserver les nutriments est évaluée classiquement à travers la durée de vie des feuilles et l’efficacité de résorption au moment de la senescence des feuilles. Investir dans la construction de feuilles à durée de vie longue, c’est-à-dire protégées sur le long terme contre d’éventuels dommages biotiques ou abiotiques, permet de conserver longtemps les protéines riches en azote et maximiser leur utilisation pour la fixation du carbone (Chabot & Hicks, 1982). Mais dans certaines conditions environnementales particulières ou en fonction des stratégies déployées par la plante, il peut être plus avantageux de remobiliser ce qui a été investi dans une feuille pour le réinvestir dans de nouvelles feuilles, plutôt que de protéger cette feuille contre la sénescence (Havé et al., 2017). La senescence des feuilles est un processus dynamique complexe, qui va au-delà de la mort progressive des tissus (Chabot & Hicks, 1982). La résorption de l’azote définit le processus par lequel les feuilles sénescentes catabolisent les protéines, en particulier les protéines des chloroplastes (Havé et al., 2017; Moison et al., 2018), pour remettre l’azote en circulation et le réallouer aux tissus vivants en croissance (Killingbeck, 1986). Ce processus se traduit par un jaunissement progressif des feuilles (Fig. 7). L’efficacité de la résorption est calculée par la différence entre la quantité d’azote d’une feuille adulte et la quantité d’azote de cette feuille à la fin de la sénescence. Elle est rapportée à la quantité d’azote de la feuille adulte pour obtenir un pourcentage d’azote résorbé (Killingbeck, 1986). Des études comparatives interspécifiques montrent que l’efficacité de résorption peut varier de 50% à 90% (e.g. Aerts & Chapin, 1999; Drenovsky et al., 2019). L’étude de la résorption chez des espèces modèles comme Triticum spp. et Arabidopsis thaliana montre que c’est un processus déterminant de la qualité des graines (Masclaux-Daubresse & Chardon, 2011; Vilmus et al., 2014). Cependant, l’exploration des corrélations entre l’efficacité de résorption de l’azote et une mesure plus complète de la valeur sélective des plantes manque dans la littérature. Plus généralement, le rôle de la résorption de l’azote foliaire dans le fonctionnement et la performance des plantes est encore mal connu.
Une interprétation du WLES étendue aux stratégies d’acquisition et de conservation des ressources permet d’intégrer le processus de résorption au fonctionnement des plantes. Le faible coût de production des feuilles à fort SLA permet une production rapide de nouvelles feuilles. Associées avec une durée de vie courte, elle permet un renouvellement rapide des tissus qui pourrait se faire au détriment d’une résorption efficace. C’est une stratégie qui peut néanmoins permettre une certaine flexibilité dans des milieux où les ressources sont distribuées de manière hétérogène (Grime, 1994). D’autre part, les espèces à faible SLA ont une durée de vie des feuilles longue, permettant de séquestrer l’azote plus longtemps. Cependant, même si ces mécanismes permettent de connecter les stratégies du WLES à la rétention des nutriments par la durée de vie des feuilles, rien n’indique qu’une grande efficacité de résorption soit également intégrée à une stratégie de conservation des ressources. L’efficacité de résorption pourrait agir comme une variable d’ajustement en fonction de la disponibilité en ressources du milieu. En effet, plusieurs études ont reporté une plasticité assez importante de ce trait dans des expérimentation à plusieurs niveaux de fertilisation (voir Drenovsky et al., 2019 pour une méta-analyse). En conséquence, les rares études comparatives examinant le lien entre les traits du WLES et l’efficacité de la résorption ne rapportent pas de signal clair (Kazakou et al., 2007; Freschet et al., 2010).
La vitesse de résorption des nutriments est une dimension de la résorption qui a encore été très peu étudiée. Pourtant, des références historiques de l’étude de la senescence la décrivent comme un processus dynamique complexe (Chabot & Hicks, 1982; Harper & Sellek, 1987). Des recherches plus récentes font état d’une importante variabilité de vitesse de jaunissement des feuilles entre génotypes de l’espèce modèle Arabidopsis thaliana (Diaz et al., 2005, 2008) et de variation de la vitesse de concentration d’azote dans des feuilles de blé au moment du remplissage des graines (Vilmus et al., 2014). Chez des espèces capables d’un renouvellement rapide de leurs feuilles, caractéristique des espèces à fort SLA (Grime, 1994), une vitesse de résorption rapide pourrait être avantageuse. A l’inverse, une stratégie de conservation des ressources, associée à des longues durées de vie et des renouvellements lents des feuilles, pourrait être associée à des vitesses de résorption plus lentes. En écologie comparative, l’approche classique pour caractériser la résorption de l’azote s’est concentrée sur des mesures instantanées des concentrations en azote, pendant le stade adulte de la feuille (LNC) et à la fin de la sénescence, permettant d’estimer l’efficacité de la résorption (Aerts & Chapin, 1999). Il apparait nécessaire de développer des techniques de mesure de la vitesse de résorption des nutriments, afin de mieux comprendre le rôle de ce processus dans le fonctionnement des plantes, leur performance et leur adaptation le long de gradients environnementaux.

Dimension adaptative des traits fonctionnels

La description du WLES et des traits associés que nous venons de faire souffre d’une constante : les études en écologie comparative manquent de tests de la valeur adaptative des traits fonctionnels. La valeur adaptative du WLES a été suggérée très tôt (Reich et al., 1997, 1999; Wright et al., 2004; Westoby & Wright, 2006) et la littérature plus récente indique que la sélection naturelle est probablement le facteur le plus important à l’origine de l’évolution du WLES (Donovan et al., 2011). Cependant, l’écologie comparative ne dispose pas d’outil pour tester correctement la valeur adaptative des traits. Pour y remédier, Violle et collaborateurs (2007) proposent de mesurer la force de la relation entre les traits et les trois composantes majeures de la valeur sélective : la survie, la fécondité et la croissance. La sélection naturelle tend à maximiser les valeurs de ces trois composantes (Calow, 1987). En pratique, ces composantes sont souvent inaccessibles par l’expérimentation du fait de la difficulté de mesure. Par exemple, évaluer la survie nécessiterait de suivre des individus parfois sur un temps très long, hors de contraintes temporelles raisonnables. Evaluer la fécondité nécessiterait de compter les descendants d’un individu et d’évaluer leur survie. En fait, plusieurs théories prédisent des compromis entre les composantes de la valeur sélective. Ces théories sont unifiées autour du syndrome du rythme de vie (Pace-of-life syndrome, Dammhahn et al., 2018). Historiquement, les premières preuves de ce syndrome ont été constatées par MacArthur & Wilson (1967) au travers d’un compromis entre taux de natalité et probabilité de survie. Stearns (1983) explique que deux stratégies différentes d’allocations des ressources à la reproduction peuvent être avantagées dans la nature. Une stratégie « rapide » consiste à atteindre la maturité sexuelle rapidement et avoir de nombreux descendants. Les individus sont alors de petite taille et peu résistants. Une stratégie « lente » permet de produire des individus plus grands en retardant l’allocation à la reproduction. Les individus sont moins nombreux mais leurs chances de survie individuelles plus importantes. De nombreuses études ont validé l’existence de ce syndrome chez les mammifères (Promislow & Harvey, 1990), les oiseaux (Sæther, 1988), les reptiles (Bauwens & Diaz-Uriarte, 1997), les poissons (Winemiller & Rose, 1992), les insectes (Johansson, 2000) et les plantes (Franco & Silvertown, 1996). Plus récemment, Ricklefs & Wikelski (2002) ont montré que de nombreuses adaptations physiologiques ont accompagné l’évolution de ces traits d’histoire de vie. Notamment, la variabilité des taux métaboliques serait à l’origine des différences d’âge de première reproduction, de fréquence de reproduction et de durée de vie des individus. En pratique, il est donc possible d’estimer les composantes de la valeur sélective par des traits plus accessibles tels que la vitesse de croissance et l’âge de maturité sexuelle. Chez les plantes, Violle et collaborateurs (2007) proposent d’estimer les composantes de la valeur sélective (croissance, fécondité, survie) par la mesure de trois traits de performance (Fig. 8, flèches et boites noires). La biomasse végétative représente la capacité d’une plante à fixer le carbone. Le nombre de graines produites ou la biomasse d’une graine est une bonne approximation de la fécondité (nombre de descendants x probabilité de survie) chez les plantes (cf. Schéma LHS). Enfin la survie est estimée par une variable binaire de présence/absence de l’espèce dans le milieu considéré.

Arabidopsis thaliana, un modèle d’étude pour l’écologie comparative

L’arabette des dames, Arabidopsis thaliana (L.) Heynh, est une espèce herbacée annuelle de la famille des Brassicaceae. Le stade végétatif ressemble à une rosette compacte de 5 à 10 cm de diamètre dont les feuilles sont initiées par un méristème central (Fig. 10). Le méristème a une croissance définie, ce qui signifie que la production de feuilles s’arrête par sa transformation en un méristème floral. Ce stade est facilement décelable car il s’accompagne d’une transformation du méristème en bourgeons floraux. L’inflorescence croît de dix à plusieurs dizaines de centimètres et peut ramifier à sa base ou le long de la tige. Les fleurs sont très réduites, conséquence d’un mode de reproduction essentiellement autofécondant. Les fruits sont des siliques longues d’un à deux centimètres et contiennent des graines d’un demi millimètre de diamètre. Le cycle de vie, de la germination à la fructification dure de 2 à 6 mois. Ces caractéristiques en ont fait un modèle de choix pour la biologie végétale : elle est à l’origine d’avancées considérables en biologie cellulaire, génétique et épigénétique et dans la compréhension des mécanismes moléculaires du développement, du métabolisme et de la physiologie (voir Krämer, 2015 pour une revue bibliographique). Son mode de reproduction autogame en fait un organisme essentiellement homozygote. Ceci suggère que les populations locales d’A. thaliana sont des clones génétiques, et que l’effet de la dépression de consanguinité a éliminé les gènes délétères. A ce titre, on considère qu’un génotype et le phénotype associé reflètent les adaptations locales de l’espèce, on parle alors d’écotype. Son aire de distribution native couvre la côte méditerranéenne et s’étend au Nord jusqu’au Nord de la Suède et à l’Est jusqu’en Asie. C’est une plante pionnière, qu’on retrouve essentiellement dans des sols perturbés et plutôt pauvres en nutriments. Il s’agit de la première plante à avoir été totalement séquencée en 2000 par le consortium Arabidopsis Genome Initiative. Depuis, plus de 1300 génotypes issus de populations couvrant son aire de distribution ont été séquencées (Alonso-Blanco et al., 2016). Plusieurs banques de graines donnent accès à des stocks de graines qui sont régulièrement multipliées et les séquences génétiques associées aux écotypes sont libres d’accès (https://www.arabidopsis.org/). Les études de la structure génétique des populations d’A. thaliana montrent qu’elle corrèle avec les gradients climatiques couvrant la distribution de l’espèce, suggérant des phénomènes sous-jacent d’adaptation locale (Lasky et al., 2012).
L’ensemble de ces éléments ont progressivement fait d’Arabidopsis thaliana un modèle intéressant en écologie et en évolution. Contrairement à la plupart de ses espèces cousines, A. thaliana a un potentiel d’acclimatation physiologique et d’adaptation à une large gamme d’environnements (Krämer, 2015) et les bases génétiques sous-jacentes à cette variabilité ont commencé à être étudiées. Par exemple, le déterminisme génétique des traits d’histoire de vie ont été largement explorées, conduisant notamment à la découverte des gènes contrôlant les transition développementales majeures, telles que la floraison (Simpson, 2002). Des variations alléliques de ces gènes se sont révélées importantes pour l’adaptation des populations le long de gradients latitudinaux et altitudinaux (Mendez-Vigo et al., 2011). Malgré un plan d’organisation simple, la grande variabilité phénotypique de l’espèce a été remarquée très tôt, lors de campagnes de récolte en milieu naturel (Somerville & Koornneef, 2002) (Fig. 11). L’étude de génotypes issus de croisements artificiels a révélé un fort potentiel de variabilité pour les traits du syndrome d’économie foliaire (Blonder et al., 2015), la biomasse végétative et le métabolisme (Vasseur et al., 2018). Des études ont montré des différences importantes pour des traits relatifs au capacités hydrauliques (Stewart et al., 2018). A cet égard, l’utilisation du modèle A. thaliana en écologie comparative est très récente, mais très prometteuse pour identifier les bases génétiques et la valeur adaptative des syndromes de traits identifiés par des comparaisons interspécifiques.

Variabilité intra-spécifique des traits foliaires : amplitude, déterminisme génétique et héritabilité

Une hypothèse centrale de l’écologie comparative stipule que quel que soit le contexte environnemental de mesure d’un trait fonctionnel, le classement des espèces pour ce trait est stable. L’hypothèse sous-jacente est que la variabilité des traits fonctionnels est en général plus grande entre des individus d’espèces différentes (variabilité interspécifique) qu’entre les individus d’une même espèce (variabilité intra-spécifique) (Keddy 1992). Cette hypothèse est en général supportée par les données empiriques (Kazakou et al., 2014). Au cours de la dernière décennie néanmoins, plusieurs études ont préconisé l’exploration de la variabilité intra-spécifique des traits fonctionnels en écologie, en particulier dans le cadre de l’analyse de l’assemblage des communautés (Bolnick et al., 2011; Albert et al., 2011; Violle et al., 2012), mais aussi le fonctionnement des écosystèmes, la diversité et les flux de nutriments (Roches et al., 2018), et l’adaptation des espèces à leur environnement (Donovan et al., 2011). Cependant, la plupart de ces études ne permettent pas de distinguer les causes proximales (ontogénie, plasticité phénotypique, diversité génétique) de la variabilité intra-spécifique de ces traits.
En cultivant 150 à 400 génotypes du modèle Arabidopsis thaliana en milieu contrôlé, notre objectif était de maximiser la variance génétique d’une part et d’autre part de minimiser la variance environnementale et l’interaction génotype-environnement potentiellement responsables de la variabilité phénotypique. Comme attendu, nos données montrent que la variabilité génétique des populations d’A. thaliana est reflétée par une grande variabilité phénotypique. Ceci est illustré par la projection de nos données dans le spectre global des formes et fonctions des plantes, présenté en introduction (Fig. 12). Ceci est particulièrement vrai pour la concentration en azote et la vitesse de photosynthèse qui varient entre 2 et 8%, et entre 40 et 600 nmol g-1 s-1, respectivement, dans l’ensemble de nos données, contre 0.2% à 6.4% et 5 à 660 nmol g-1 s-1, respectivement, dans des comparaisons interspécifiques globales (Wright et al., 2004). Ces gammes de variation chez A. thaliana correspondent aux gammes précédemment observées (ex. Vasseur et al., 2012). L’efficacité de résorption de l’azote foliaire varie entre 30 et 90%, ce qui couvre une grande partie de la variabilité interspécifique (Yuan & Chen, 2009). En revanche, comme attendu pour une espèce annuelle, la durée de vie des feuilles est courte en moyenne et peu variable au regard de la gamme interspécifique : de 0.5 à 1.7 mois chez A. thaliana contre 0.9 à 288 mois à l’échelle interspécifique (Wright et al., 2004). La gamme de valeurs de densité de nervures (3.4 et 8,3 mm mm-2) correspond à la gamme observée par le passé chez cette espèce (Rishmawi et al., 2017) et se situe dans la partie basse de la gamme interspécifique (de 0.5 à 25 mm mm-2, Sack et al., 2012). Les héritabilités relativement élevées pour la majorité des traits (Tableau 3) et les fortes associations génotype-phénotype suggèrent que les différences phénotypiques observées entre génotypes traduisent effectivement des différences génétiques, qui peuvent être sélectionnées dans des environnements différents. Ces résultats montrent qu’une certaine variance des traits fonctionnels est maintenue par la sélection naturelle entre les individus d’une même espèce, ce qui constitue un terrain d’investigation du rôle des traits fonctionnels dans la performance et l’adaptation des plantes.

Coordination des traits foliaires et stratégies écologiques

Nous faisons l’hypothèse que le syndrome d’économie foliaire (WLES) doit s’observer à l’échelle intra-spécifique s’il est le résultat d’une contrainte physiologique ou évolutive (Donovan et al., 2011). Nos résultats ont montré que chez A. thaliana, la vitesse maximale de photosynthèse et la durée de vie d’une feuille sont fortement négativement corrélés et la dispersion autour de la relation est faible (Sartori et al., 2019). Comme attendu, la surface spécifique foliaire est un bon indicateur de la position des génotypes le long du WLES puisqu’elle est corrélée positivement au taux maximal de photosynthèse et négativement à la durée de vie. Néanmoins, les pentes des relations log-log deux à deux diffèrent des pentes observées dans des comparaisons interspécifiques (Reich et al., 1999; Wright et al., 2004). En dépit de la généralité apparente du WLES, les pentes des relations bivariées associées dépendent de l’échelle d’organisation considérée, que l’on compare des espèces à l’échelle globale (Wright et al., 2004), les espèces d’un groupe taxonomique particulier (Anderegg et al., 2018), les espèces d’un type biologique (Tucker et al. en révision, Annexe 1), ou les individus d’une espèce (cf. paragraphe suivant). Ce constat est probablement la conséquence de propriétés secondaires des plantes, spécifiques à certains niveaux d’organisation, qui interagissent avec les traits fondamentaux du compromis (Grubb, 2016).
Les explorations intraspécifiques des traits du WLES montrent que les combinaisons de valeurs de traits de l’ensemble des individus d’une espèce se situent dans les limites de l’« enveloppe phénotypique » définie par les comparaisons interspécifiques (ex. Niinemets, 2015; Martin et al., 2017; Hayes et al., 2019). Pour comprendre l’origine d’un compromis si généralisé, il faut se demander ce qui limite l’existence d’exceptions phénotypiques. Les possibilités de sortir de ce type d’enveloppe des contraintes dépendent du type de compromis considéré. Nous avons identifié quatre mécanismes pouvant être à l’origine d’un compromis entre deux traits : l’allocation de ressources limitées, la pléiotropie antagoniste, l’existence d’une contrainte physiologique et la canalisation évolutive des stratégies écologiques. Le compromis d’allocation des ressources (modèle en Y) définit une situation dans laquelle deux traits d’un organisme sont en compétition pour la même ressource (Roff & Fairbairn, 2007). Dans ce cas, il est possible d’observer des phénotypes qui maximisent simultanément les valeurs des deux traits en augmentant la réserve de ressources à allouer, soit en augmentant artificiellement les ressources du milieu, soit en améliorant la capacité des individus à les extraire. Cependant, jusqu’à présent, ni la culture des plantes en milieu maximisant les conditions de croissance (Roucou et al., 2018; Sartori et al., 2019), ni la sélection artificielle ou la culture de mutants (Vasseur et al., 2012; Roucou et al., 2018) n’ont produit de tels phénotypes. Un compromis génétique (pléiotropie antagoniste) peut exister lorsqu’un gène contrôle plus d’un trait à la fois, et que n’importe quelle version allélique de ce gène est à la fois bénéfique pour un trait et défavorable pour un autre. Chez A. thaliana, la mesure conjointe des traits du WLES chez des lignées recombinantes montre que la variabilité allélique de certaines portions du génome (QTL) est associée à la variabilité de la surface spécifique foliaire, la concentration en azote et la vitesse de photosynthèse (Vasseur et al., 2012), suggérant l’existence de gènes pléiotropes. Cependant, la culture de génotypes mutés sur les gènes associés à ces traits n’a pas révélé l’existence d’exceptions phénotypiques (Vasseur et al., 2012). Plus généralement, Donovan et al. (2011) ont montré que les contraintes génétiques ont un rôle moins important que les contraintes biophysiques et la sélection dans l’évolution du WLES.

La densité de nervures foliaire, une contrainte biophysique à l’origine du WLES ?

La densité de nervures du réseau vasculaire foliaire a été proposée comme une limite physiologique qui contraint à la fois la durée de vie et le taux maximal de photosynthèse des feuilles (Blonder et al., 2011). La densité des nervures primaires (la ou les nervures principales qui émergent du pétiole des feuilles et les nervures qui leur sont directement connectées) est un déterminant majeur de la résistance mécanique des feuilles et, par extension, un déterminant de la durée de vie des feuilles (Hua et al., 2020). De plus, la théorie métabolique de l’Écologie postule que les taux métaboliques des organismes peuvent être prédits par l’architecture de leurs réseaux vasculaires terminaux (West, 1997). Il est notamment attendu chez les plantes que le taux maximal de photosynthèse augmente avec la densité totale du réseau de nervure foliaire (Blonder et al., 2011). Le mécanisme en jeu est une réduction de la distance moyenne entre toute cellule photosynthétique et un vaisseau vecteur d’eau et de nutriments. Cependant, une telle ambivalence de l’architecture des nervures chez A. thaliana n’est pas supportée par nos données. Dans l’expérience décrite dans le chapitre 2, j’ai mesuré la résistance des feuilles à la coupe des 169 génotypes étudiés (Encadré 1). Une analyse préliminaire de ces données montre que la densité de nervures est significativement positivement corrélée à la résistance des feuilles à la coupure (r = 0.22, P < 0.01, Fig. 13b) (Encadré 1). Cependant, la relation entre la densité de nervures et le taux maximal de photosynthèse est inverse à l’attendu et marginalement significative (r = -0.21, P = 0.04, Fig. 13a). Des caractères propres à l’espèce peuvent être à l’origine de cette divergence entre les patrons de corrélations attendus et observés. L’architecture des nervures présente des caractères hautement spécifiques à certains genres et familles, et peut évoluer relativement rapidement entre des familles proches (Schneider et al., 2018). Des comparaisons interspécifiques ont montré que la différentiation du réseau de nervures en ordres hiérarchisés permet un découplage entre la surface de la feuille et la densité de nervure (Sack et al., 2012). Dans notre jeu de données, la forte relation allométrique qui existe entre la taille des feuilles et la densité de nervures (Chapitre 2) suggère qu’une distinction entre nervures primaires et terminales est peu marquée (Schneider et al., 2017). Ce résultat pourrait expliquer l’absence d’un double rôle de l’architecture des nervures chez A. thaliana. Au moment de la rédaction de ce manuscrit, nos images de réseaux de nervations sont en cours d’analyse par l’équipe de recherche de L. Sack (University of California, Los Angeles, CA, USA) afin de mesurer les diamètres de nervures et tester cette hypothèse. L’existence du WLES chez A. thaliana – en dépit de ses relations attendues avec la densité des nervures – suggère que la contrainte physiologique que nous cherchons n’est pas imposée par l’architecture du réseau vasculaire des feuilles. Les divergences entre les patrons interspécifiques et intra-spécifiques sont relativement communs en écologie fonctionnelle (Price et al., 2014b; Messier et al., 2017; Anderegg et al., 2018; Osnas et al., 2018). Ils traduisent l’existence de contraintes écophysiologiques et évolutives différentes en fonction de l’échelle d’étude et/ou du niveau d’organisation.

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Table des matières

Introduction
PREAMBULE HISTORIQUE
De l’histoire naturelle aux sciences de l’écologie
L’originalité de l’écologie comparative
L’ECOLOGIE COMPARATIVE COMME CADRE CONCEPTUAL
Objectifs de l’écologie comparative
Outils de l’écologie comparative
La notion de trait fonctionnel
VERS UN DIAGRAMME H-R EN ECOLOGIE COMPARATIVE
Le schéma Leaf-Height-Seed
Le spectre général des formes et fonctions des plantes
LA PLACE DE L’ORGANE FOLIAIRE EN ECOLOGIE COMPARATIVE
Le syndrome d’économie foliaire (WLES)
Origines éco-évolutives du syndrome d’économie foliaire
L’ARCHITECTURE DES NERVURES, UNE CONTRAINTE A L’ORIGINE DU WLES ?
LE ROLE DU WLES DANS LA CONSERVATION DES NUTRIMENTS
DIMENSION ADAPTATIVE DES TRAITS FONCTIONNELS
QUESTIONS SCIENTIFIQUES
ARABIDOPSIS THALIANA, UN MODELE D’ETUDE POUR L’ECOLOGIE COMPARATIVE
Chapitre I – syndrome d’economie foliaire : variation intraspecifique et signification adaptative 
INTRODUCTION
RESULTS
DISCUSSION
MATERIALS AND METHODS
SUPPLEMENTAL INFORMATION
Chapitre II – exploration de la valeur adaptative de l’architecture des nervures.
INTRODUCTION
MATERIALS AND METHODS
RESULTS
DISCUSSION
SUPPLEMENTAL INFORMATION
Chapitre III – implication du wles dans la resorption de l’azote foliaire.
INTRODUCTION
MATERIALS AND METHODS
RESULTS
DISCUSSION
SUPPLEMENTAL INFORMATION
Synthèse et perspectives
VARIABILITE INTRA-SPECIFIQUE DES TRAITS FOLIAIRES : AMPLITUDE, DETERMINISME GENETIQUE ET HERITABILITE
COORDINATION DES TRAITS FOLIAIRES ET STRATEGIES ECOLOGIQUES
LA DENSITE DE NERVURES FOLIAIRE, UNE CONTRAINTE BIOPHYSIQUE A L’ORIGINE DU WLES ?
LE WLES, UN SYNDROME GENERAL D’UTILISATION DES RESSOURCES AVANT ET PENDANT LA SENESCENCE FOLIAIRE ?
LE MAINTIEN DE LA VARIABILITE AU SEIN DE L’ENVELOPPE PHENOTYPIQUE DU WLES
LA COORDINATION DES SYNDROMES FOLIAIRES AVEC LES SYNDROMES DE LA PLANTE ENTIRE
ROLE DES TRAITS FONCTIONNELS DANS LA PERFORMANCE DES PLANTES
ROLE DES TRAITS FONCTIONNELS DANS L’ADAPTATION DES PLANTES A L’ENVIRONNEMENT
MARQUEURS GENETIQUES DE LA VALEUR SELECTIVE DES TRAITS FONCTIONNELS
IMPLICATION DE NOS RESULTATS POUR L’ECOLOGIE COMPARATIVE ET L’ECOLOGIE D’ARABIDOPSIS THALIANA
INTERET DU MODELE ARABIDOPSIS THALIANA EN ECOLOGIE COMPARATIVE
UN AUTRE REGARD SUR LE WLES ET L’IMPORTANCE EVOLUTIVE DE LA DUREE DE VIE FOLIAIRE
PERSPECTIVES
CONCLUSION
Annexes
ANNEXE 1 – THE SCALING OF PLANT VARIATION: COMPARING EVOLUTIONARY CONSTRAINTS ON TRAIT RELATIONSHIPS
ACROSS TAXONOMIC SCALES.
ANNEXE 2 – CLIMATE AS A DRIVER OF ADAPTIVE VARIATIONS IN ECOLOGICAL STRATEGIES IN ARABIDOPSIS THALIANA
ANNEXE 3 – SECONDARY METABOLITES HAVE MORE INFLUENCE THAN MORPHOPHYSIOLOGICAL TRAITS ON LITTER
DECOMPOSABILITY ACROSS GENOTYPES OF ARABIDOPSIS THALIANA
Remerciements

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