Le rôle du sédiment dans la dynamique du nitrite dans la Seine
Le sédiment est un compartiment important d’une rivière. En tant que tel, son étude permet de comprendre quel rôle il joue dans les cycles biogéochimiques ayant cours dans la rivière. Dans cette thèse, la relation entre le sédiment et la dynamique du nitrite dans la Seine est étudiée. Les flux benthiques de nitrite sont mesurés, ainsi que les profils en oxygène, et différents nutriments (ammonium, nitrite, nitrate et sulfate). La répartition verticale de différentes communautés appartenant au cycle de l’azote est également déterminée afin de connaitre leur importance dans le sédiment aux différentes profondeurs. Le croisement des résultats obtenus pendant ces expériences doit permettre de formuler une hypothèse sur le rôle du sédiment dans la dynamique du nitrite dans la Seine, et sur l’impact d’une STEP sur le sédiment.
Le sédiment du fond des milieux aquatiques tels les lacs et rivières est le lieu de nombreuses réactions des cycles biogéochimiques (Hedges, 1992). La surface du sédiment est en effet en interaction permanente avec la colonne d’eau ce qui provoque de fortes variations physico-chimiques dans un espace réduit et favorise le développement de nombreuses réactions biogéochimiques, et le sédiment participe ainsi à l’équilibre biogéochimique des cours d’eau. En rivière, le sédiment est surtout présent dans des zones de faible débit, où les matières en suspensions se déposent dans le lit de la rivière (Kindle, 1918). Il présente en général une forte concentration en matière organique, et la consommation d’oxygène en surface induit une anoxie à faible profondeur, dès 2 mm sous la surface en général pour des sédiments fins (Ziebis et al., 1996). Cependant la profondeur de pénétration de l’oxygène peut être beaucoup plus importante suivant la structure du sédiment, avec une profondeur jusqu’à 12 cm observée dans un lac selon les travaux de Li et al. (2012). Les gradients entre la colonne d’eau et le sédiment font que les conditions physico chimiques y sont très variées. Le sédiment comporte donc des niches écologiques favorables à un vaste éventail de Procaryotes, impliqués dans différents cycles biogéochimiques. On peut donc retrouver dans le sédiment des Procaryotes autotrophes ou hétérotrophes, aérobies ou anaérobies.
La Seine est un fleuve de basse altitude (300 m environ, seul 1% du bassin dépasse l’altitude de 550 m, notamment dans le Morvan où il culmine à 900 m). Ces altitudes modérées expliquent les faibles pentes des cours d’eau (0,01 à 0,03 m / 100m) et la vitesse d’écoulement relativement faible (1 à 2 km/h) propices à l’accumulation de sédiment (Cuvilliez et al., 2015). La Seine est un fleuve fortement anthropisé : sa colonne d’eau ainsi que son sédiment sont fortement enrichis voire pollués par l’homme (e.g. nutriments, pesticides, médicaments, métaux, Procaryotes). Les eaux usées domestiques sont un composant majeur de l’impact humain sur les rivières, malgré des traitements en station d’épuration (STEP). La STEP la plus importante de l’agglomération parisienne est la station Seine Aval (SAV) localisée à Achères, et Cébron et al. (2003, 2004, 2005) ont montré que ses rejets modifiaient les communautés microbiennes de la colonne d’eau de la Seine. Pendant cette période qui précédait les changements de traitements des eaux usées en 2007 (traitement secondaire de type boues activées avant 2007, puis ajout de bassins de nitrification et progressivement de dénitrification), les concentrations en nitrites augmentaient d’un facteur 2 le long de la Seine de l’aval de SAV jusqu’à l’estuaire (Garnier et al., 2007, Raimonet et al., 2015), malgré une forte abondance de bactéries oxydant le nitrite (NOB) (Cébron et Garnier, 2005). Les fortes concentrations en nitrite étaient interprétées comme une accumulation du produit intermédiaire de la nitrification de l’ammonium dans la colonne d’eau. Cependant, le sédiment et ses échanges avec la colonne d’eau peuvent aussi constituer une source de nitrites, avec plusieurs facteurs de contrôle entrant en compte (Philips et al., 2002), qu’ils soient d’origine physico-chimique ou biologique. Il existe cependant des situations où le sédiment est un puit de nitrite, ce qui contribue à diminuer la concentration de nitrite dans la colonne d’eau (Hargreaves, 1998).
Matériel et méthodes
Site d’étude et prélèvement
La Seine est un fleuve situé dans la partie nord-ouest de la France, et son bassin versant est le plus peuplé de France. La plus forte concentration de population est concentrée dans l’agglomération parisienne (11 852 900habitants en 2011 selon l’INSEE). Deux sites de dépôts sédimentaires ont été étudiés en amont (17 octobre 2013) et en aval (18 octobre 2013) de la station d’épuration (STEP) Seine Aval (SAV) (Figure 14). Cette STEP est gérée par le ‘Syndicat Interdépartemental pour l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne’ (SIAAP). La STEP SAV reçoit 1,7 millions de m3 par jour d’eaux usées qui sont traitées par nitrification couplée à la dénitrification, ayant pour but d’éliminer le nitrate sous forme de N2 (Rocher et al., 2012b, Rocher et al., 2012a).
Les sédiments ont été prélevés depuis un bateau avec le concours du SIAAP, 300 m en amont et en aval de SAV, dans des zones de dépôt de sédiment. Un carottier à gravité a été utilisé, avec des tubes en plexiglas de 1 m de long pour 9 cm de diamètre. Six carottes ont été prélevées sur chacun de deux sites, deux sont utilisées sur place pour prélever l’eau interstitielle tous les cm sur 8 cm ainsi que l’eau surnageante au moyen de rhizons (Rhisosphere research, Pays Bas). Les quatre autres carottes ont été transportées au laboratoire pour les analyses de flux de nitrite, les profils d’O2 ainsi que d’azote et de carbone total et les extractions d’ADN. Des prélèvements d’eau sont effectués simultanément en surface de la Seine. Deux bouteilles en plastique de 2 L ont été remplies d’eau en chaque site après rinçage des récipients avec l’eau du site, puis conservées à l’obscurité jusqu’au laboratoire. Une sonde multi-paramètre YSI 6920 (YSI, USA) est utilisée pour mesurer le pH, la température, la conductivité ainsi que la concentration en oxygène dissous de la colonne d’eau.
Prétraitement des échantillons et analyses chimiques
Afin de mesurer la charge des eaux en matière en suspension (MES) les échantillons issus de la colonne d’eau sont homogénéisés puis filtrés sur un filtre en fibre de verre Whatman GF/C (GE Healthcare, UK) de porosité 1,2 µm pré-pesés avant d’être séchés 24 heures à 110°C. Les filtres sont ensuite repesés afin de déterminer le poids sec de MES dans l’eau à chacun des points échantillonnés. Pour éliminer les Procaryotes présents dans l’eau en vue de dosages chimiques, l’eau est homogénéisée puis filtrée sur des filtres de porosité 0,22 µm en PolyVinyliDene Fluoride (PVDF) (Millipore, USA).
Les quatre carottes utilisées en laboratoire ont eu deux usages : une a été utilisée pour déterminer les profils en oxygène, et les trois autres pour mesurer les flux d’azote entre le sédiment et l’eau surnageante (flux benthique). Les trois carottes ‘flux’ ont été utilisées telles quelles, mais la carotte utilisée pour le profil d’oxygène a dû être reconditionnée dans une carotte plus petite afin de s’adapter à la sonde O2 (Unisense, Danemark). Ce sous carottage a été effectué en carottant au moyen d’une carotte de 2,5 cm de diamètre dans la carotte initiale de 9 cm de diamètre. Cette opération a été effectuée en prenant garde à minimiser tout impact à la surface du sédiment afin d’avoir un profil en oxygène le plus fiable possible. Après les expériences, deux carottes utilisées pour les flux ainsi que la carotte utilisée pour le profil d’oxygène ont été découpées tous les cm jusqu’à 8 cm de profondeur. Les 5 mm du bord extérieur des carottes ont été jetés afin d’éliminer l’effet des transferts verticaux de sédiment le long de la paroi lors de prélèvement. Chaque cm prélevé a été homogénéisé carotte par carotte au moyen d’une spatule dans un bécher (nettoyé à l’eau puis à l’alcool entre chaque échantillon). Environ 5 cm3 de chacun des échantillons préparés a été utilisé pour connaitre le pourcentage d’humidité du sédiment et 5 autres cm3 ont été conservés dans des sachets hermétiques à -80°C avant extraction d’ADN. Le reste du sédiment a été conservé à -20°C puis lyophilisé, avant d’être broyé en vue d’une mesure de l’azote et du carbone total. Les eaux interstitielles ont été utilisées pour déterminer les concentrations de nitrite, nitrate, ammonium et sulfate. La méthode utilisée pour le dosage du nitrite est la méthode colorimétrique de Griess, avec les réactifs suivant : sulfanilamide 1% m/v et N-1- napthylethylenediamine dihydrochloride (NED) 0.05% m/v. Après 20 minutes de coloration dans le noir, l’absorbances à 540 nm était mesurée avec un spectrophotomètre Spectrostar nano (BMG labtech, Allemagne). Les concentrations d’ammonium, de nitrate et de sulfate ont été mesurées par photométrie et électrochimie sur un GalleryTM (Thermo Scientific).
Flux benthique de nitrite
L’étude des flux de nitrite a été effectuée en triplicats, en analysant les variations des concentrations de nitrite dans l’eau surnageante des sédiments au cours d’incubations de quelques heures. Le niveau d’eau au-dessus du sédiment a été ajusté à 10 cm et la bonne oxygénation de cette eau a été assurée par bullage à l’air ambiant jusqu’à la fin de l’expérience. Les carottes prélevées sur site contenaient plus d’eau de Seine que nécessaire à l’expérience après le prélèvement (plus de 30 cm de hauteur d’eau), et l’ajustement à 10 cm d’eau surnageante a été effectué en siphonnant l’eau en excédent. L’incubation a été réalisée à température ambiante, à 20°C. Un volume de 5 mL a été prélevé dans l’eau surnageante au lancement de l’expérience et filtré sur membrane en PVDF de 0,22 µm de porosité (Millipore, USA). Ce t0 est établi au lancement de l’expérience, après environ 1h de préparation de la manipulation. L’eau surnageante est ensuite prélevée à raison de 5 mL toutes les heures (sans compensation du volume prélevé) jusqu’à 3h.
Quantification des gènes d’intérêt
Pour extraire l’ADN des Procaryotes présents dans le sédiment, le kit Powersoil ADN isolation Kit (MOBIO) a été utilisé en suivant le protocole du fournisseur modifié comme suit. La lyse physique est effectuée par agitation des tubes PowerBead contenant 0,25 g de sédiment et des billes de silice dans un appareil FastPrep FP120 (BIO 101) 45 secondes 2 fois à 4,5 Hz. Huit extractions ont été effectuées pour chaque carotte (3 carottes par site) et en 8 profondeurs, soit un total de 24 extractions pour l’amont de SAV et 24 extractions pour l’aval de SAV. Le kit utilisé inclut plusieurs étapes de purification qui permettent de diminuer la présence d’inhibiteurs de PCR à des niveaux satisfaisants permettant d’utiliser l’ADN issu du sédiment dans les mêmes conditions que celui issu de l’eau.
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Table des matières
1 Introduction, matériel et méthodes
I. Introduction
I.1. Activités humaines et pollutions
I.2. Les Procaryotes et leur rôle : le cycle de l’azote
I.2.1. Généralités
I.2.2. Nitrification
I.2.3. Dénitrification
I.2.4. Anammox
I.2.5. Réduction dissimilatrice du nitrate en ammonium (DNRA)
I.2.6. Le nitrite
I.3. Objectifs
II. Matériel et Méthodes
II.1. Site d’étude et prélèvement
II.2. Prétraitement des échantillons
II.3. Analyses physique et chimique
II.4. Calculs de similarité de communautés par DGGE
II.5. Quantification de gènes d’intérêt par qPCR
II.6. Spécificité et pertinence des amorces
II.7. Mesure des taux de nitrification dans la colonne d’eau
II.8. Etude des flux benthiques de nitrite
II.9. Profils dans le sédiment
2 Le rôle du sédiment dans la dynamique du nitrite dans la Seine
I. Introduction
II. Matériel et méthodes
II.1. Site d’étude et prélèvement
II.2. Prétraitement des échantillons et analyses chimiques
II.3. Flux benthique de nitrite
II.4. Quantification des gènes d’intérêt
II.5. Tests statistiques
III. Résultats
III.1. Caractéristiques physico-chimiques du sédiment
III.2. Flux de nitrites à l’interface sédiment-eau et profil des formes
de l’azote
III.3. Communautés microbiennes du sédiment
III.3.1. L’ensemble des communautés microbiennes.
III.3.2. Les communautés microbiennes nitrifiantes.
III.3.3. Les communautés microbiennes dénitrifiantes et DNRA.
IV. Discussion
3 Rôle de la colonne d’eau dans la dynamique du nitrite dans la Seine
A. Cinétique de la nitrification et persistance du nitrite dans la Seine
I. Introduction
II. Methodology
II.1. Study site
II.2. Sampling design
II.3. Measurement of ammonia and nitrite oxidation rates
II.4. Laboratory analyses
II.5. Statistics
III. Results
III.1. Environmental variables along the Seine River
III.2. Nitrification kinetics
III.3. In situ rates of nitrite production and consumption
III.4. Seasonal budgets
IV. Discussion
IV.1. Anthropogenic sources of nitrite
IV.2. Persistence of nitrite in riverine waters
IV.3. Nitrification kinetics of riverine microbial communities
IV.4. Implications for river water quality modelling and management
V. Conclusions
B. Analyse de la diversité microbienne dans la colonne d’eau
I. Introduction
II. Méthodologie
II.1. Site d’étude
II.2. Extraction de l’ADN
II.3. Etude de la diversité
II.4. Tests statistiques
III. Résultats
III.1. Conditions environnementales
III.2. Variation temporelle de la diversité des Bactéries
III.3. Variations spatiales de la diversité des Procaryotes
IV. Discussion
C. Les Procaryotes impliqués dans la dynamique du nitrite dans la colonne d’eau dans la Seine
I. Introduction
II. Material and methods
II.1. Sampling sites, samples collection and analysis
II.2. DNA extraction and molecular analysis
II.3. Statistical analysis
III. Results
III.1. Environmental variables
III.2. Microbial abundance in the water column and WWTP outlet
III.3. Microbial abundance related to seasonal and environmental factors
IV. Discussion
V. Conclusions
VI. Material and methods
VI.1. Comparison qPCR 16S versus NxrA Nitrobacter
VI.2. Impact of plasmid linearization on qPCR calculus
VI.3. Nitrite oxidation in environmental or controlled conditions
VI.4. Results and discussion
4 Discussion et perspectives
I. Discussion : dynamique du nitrite en Seine et Procaryotes associés
I.1. Dynamique du nitrite dans la Seine
I.2. Les communautés de Procaryotes impliquées dans le cycle de l’azote
I.3. Fonctionnement écologique du secteur parisien de la Seine : nitrite et
pollutions diverses
II. Perspectives
5 Bibliographie
6 Annexe
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