Le rôle du jardin sur la perception et la pratique d’espaces de nature en ville 

Méthodologie

Déterminer les formes d’appropriation des enjeux relatifs à la « Nature en Ville » impliquait dans un premier temps d’établir le profil de chaque jardinière à partir de leurs caractéristiques socio-démographiques (âge, sexe, origine, habitat, statut professionnel) afin d’ordonner une esquisse du cheminement psychologique pouvant les avoir conduit et motivé à s’investir dans le projet de jardin partagé. Il s’agissait ensuite de dégager leurs pratiques urbaines et jardinières afin de rendre compte de leurs différentes perceptions (du quartier, de leur collectif, du jardin et des acteurs qui gravitent autour de lui) suggérant différentes modalités d’appropriation du projet de jardin partagé d’une part et des enjeux relatifs à la trame verte et bleue d’autre part. Cette étude exigea l’analyse de sources directes avec la réalisation d’une enquête de terrain. Elle se formalisa par des entretiens semi-directifs auprès des jardinières, soutenus par un questionnaire, ainsi que par des observations directes participantes.
L’exploitation de ces sources devait permettre de répondre à une série d’interrogations inhérentes au sujet : comment ce jardin, à la fois outil et enjeu de géopolitique locale pour les élus, est-il perçu et considéré par ses usagères ? Quel est leur sentiment quant au fait de partager ce jardin avec le monde institutionnel ? Outil pluriel, quel est son rôle dans le processus de sortie de rénovation et de restructuration urbaine dans lequel il s’inscrit ? Que représente-il pour elles ? Comment s’y exprime leur investissement ?
Attendent-elles quelque chose de ce jardin ? Qu’y recherchent-elles : une reconnaissance, une valorisation de soi à travers la démonstration et le partage de savoir-faire ?
Afin d’esquisser le cadre général de ce mémoire, ces connaissances de terrain sont complétées par des recherches bibliographiques sur le thème du développement durable, des jardins collectifs urbains, du jardinage et du développement social ainsi que par la lecture de productions universitaires (mémoires et thèses), la consultation d’appels à projets, de rapports, d’actes de colloques et de conférences notamment sur les questions de trames vertes et bleues urbaine et la présence de « nature » en ville.

LA PLACE DES JARDINS PARTAGES DANS LES ENJEUX DE « NATURE EN VILLE »

« Depuis la fin de l’ère des chasseurs-cueilleurs et dès l’aube des sédentarisation agricoles, c’est la ville qui concentre et exprime l’essence des civilisations humaines » (Melot, 2010). L’urbanisation présente un caractère exponentiel nettement avéré depuis les années 1800 où la première révolution industrielle imputa aux territoires de profondes mutations avec les premiers exodes ruraux de masse.
Avec le temps, les villes se sont adaptées aux nouveaux idéaux, modes de vies et exigences des citadins telles que la recherche d’une nouvelle qualité de vie. La seconde révolution industrielle et la reconstruction post seconde guerre mondiale font croître les villes qui concentrent alors toujours plus de populations, attirées par l’emploi et la certitude d’échapper à la pauvreté.
Les habitants de la ville ne travaillant pas la terre, le citadin s’oppose au paysan en excluant de l’urbanité la terre et ce qui se rapporte à elle. Le besoin d’espace vert en ville devient accessoire mais, avec le développement du tourisme de masse dans les années 1960- 75, les citadins sont en recherche de « vraie nature », c’est-à-dire la nature sauvage, lointaine, rurale ou exotique. Ce mouvement est renforcé par les architectes, qui conçoivent alors des villes fonctionnelles et minéralisées, ainsi que par la promotion immobilière spéculative des années 1970-80 qui ont fortement contribués à l’amoindrissement de visibilité et d’usage du végétal dans la ville (Decelle, Pannassier, Pinchart, 2007). Mais sonnant le glas des Trente Glorieuses, les chocs pétroliers de 1973 et 1975 génèrent de profondes mutations économiques, technologiques et sociales, poussant les moins aisés à habiter en périphérie des grandes villes. La démocratisation des moyens de transports, en particulier de l’utilisation de la voiture individuelle, s’accompagne alors de la fuite d’une ville polluée et d’un foncier dispendieux guidant un nouvel exode qui s’inscrit dans la perpétuelle recherche d’un environnement « plus hospitalier » généralement basé sur l’habitat pavillonnaire individuel avec jardin. Pourtant, la volonté de créer ou restaurer des espaces de nature dans ville n’est pas récente. Elle s’inscrit dans le courant hygiéniste du 19ème puis dans celui des concepts de cité-jardin et de ville verte du 20ème siècle.
Au 21ème siècle, ce besoin de nature ne désemplit pas. Sous le couvert de l’urgence environnementale, l’émergence du courant écologique touche toutes les sphères, du privé au publique en passant par la clase politique. Que ce soit par l’initiative sociale, à travers des pratiques dites écologiques individuelles (compost, tri sélectif, consommation de produits de saison, énergie « propres » etc.) et/ou collectives (co-voiturage, jardins partagés), ou bien issue d’une entreprise étatique (des politiques publiques telles que les lois relatives à la Solidarité et au Renouvellement Urbains (SRU), Grenelle I et II etc.), la volonté de densifier la ville en y « réintroduisant la nature » tout en enrayant les inégalités sociales est révélatrice des rôles et des enjeux que sous-tend la présence de « nature » dans la ville. Dans un souci de compréhension dans la lecture de ce mémoire, le terme de « ville » fait globalement référence au territoire urbain et périurbain ; celui de « nature » rassemble l’air, l’eau, les sols, le tissu vivant floristique, faunique et fongique et plus largement les parcs urbains et les jardins (individuels, familiaux et collectifs).

Un stage qui s’inscrit dans une réflexion globale sur la fonction de la présence de « nature » dans les villes denses

Afin d’intégrer la Stratégie européenne de Développement Durable (2001) et de s’inscrire dans ses prises de positions lors du Sommet de Johannesburg (2002), la France institutionnalise le développement durable sur son territoire à travers l’adoption de stratégies nationales, de chartes et l’organisation de grandes rencontres. Elle définit et met en oeuvre en 2003 une Stratégie Nationale de Développement Durable (renouvelée en 2010) qui a pour déclinaison la Stratégie Nationale pour la Biodiversité (SNB) constituée en 2004 par le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie (MEDDE). La même année, l’élaboration de la Charte de l’environnement fait figure de référent juridique à valeur constitutionnelle posant les principes directeurs en matière de protection de l’environnement, de maîtrise de la consommation d’énergie, de prévention des risques, de préservation de la biodiversité etc. Texte fondateur du droit de l’environnement français, il reconnaît les droits et devoirs au regard des patrimoines naturels et culturels et inaugure trois grands principes (le principe de prévention, le principe de précaution et le principe de pollueur payeur) obligeant dorénavant les politiques publiques à promouvoir le développement durable. La prise en compte des enjeux de développement durable requiert ainsi l’implication de trois types d’acteurs :
– le marché (les entreprises) ;
– l’Etat, qui fait figure d’autorité publique au niveau mondiale, à celui de chaque grande zone économique (telle que l’Union Européenne) ainsi qu’aux niveaux national et territorial (région, intercommunalité, commune) ;et les acteurs de la société civile (associations, ONG, citoyens).
Basé sur les principes du « pacte écologique », qui a pour mission de placer les enjeux écologiques et climatiques au coeur de l’action politique, le Grenelle Environnement, organisé à l’initiative de Nicolas Sarkozy en 2007 dans la continuité de la SNB, est l’occasion de rencontres politiques entre les différents acteurs du territoire, de l’état à la société civile, autour d’une recherche d’outils opérationnels pour engager le territoire français et ses habitants dans une démarche d’aménagement et de développement « soutenable ». En tant qu’outil transversal, entre fonction écologique, économique et sociétale, l’élaboration de trames vertes et bleues (TVB) en est une mesure phare. Pour un aménagement viable du territoire national, elle est déclinée à l’échelle locale sous l’impulsion de la « Ville durable » dont l’enjeu central est la végétalisation de la ville et la sobriété de son bâti et de ses modes de transports. Officiellement lancé en octobre 2008, au lendemain du Grenelle Environnement, le plan « Nature en Ville » institutionnalise les enjeux de sa présence en chaque toit et recoin de la ville. Bien qu’il ne soit pas règlementaire, ce plan traduit la tentative étatique de rapprocher les citoyens des gestionnaires des espaces publics afin de renforcer leurs rôles sur leur territoire.

Des mesures phares du Grenelle Environnement

Selon le Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt (MAAF), 8,3% du territoire français métropolitain est artificialisé (urbanisation, expansion des infrastructures) en 2008. En effet, entre 1992 et 2004, la France a perdu chaque année 3 000 hectares (ha) de prairies permanentes, 30 000 ha de surface agricoles hors prairies, 26 000 ha arborés (arbres isolés, haies) sur un ensemble de 5,7 millions d’ha (prairies permanentes, jachères, haies, murets, agroforesteries, zones humides etc.). Au regard de ces constats, le Grenelle Environnement place la mise en oeuvre de trames vertes et bleues (TVB) ainsi que la restauration de la nature en ville au coeur de ses engagements pour un aménagement soutenable du territoire national.

La TVB, vers un aménagement soutenable du territoire national

Conformément à l’objectif n°5 de la SNB 2011-2020 (annexe 1), 73ème engagement du Grenelle Environnement, la trame verte et bleue, en tant qu’outil d’aménagement durable du territoire ayant pour objectif de mettre en réseau les milieux permettant aux espèces de circuler et d’interagir librement, est caractérisée par des réservoirs biologiques reliés les uns aux autres par des corridors écologiques. Les réseaux d’échanges ainsi constitués permettraient d’assurer une certaine continuité (ou connectivité) écologique (schéma et définitions des notions en annexe 2). La TVB se décline donc en deux composantes qui forment ensemble un tout indissociable trouvant son expression notamment dans les zones d’interface (bandes végétalisées le long de cours et masses d’eau par exemple). Sa composante verte est caractérisée par les milieux dits naturels et semi-naturels terrestres (grands ensembles naturels, réservoirs de biodiversité reliés par des corridors) ; sa composante bleue représente les réseaux aquatiques et humides.
La mise en oeuvre d’une TVB nationale cohérente et efficiente s’établit tout d’abord à l’échelle de chaque Région à travers l’élaboration d’un nouveau schéma d’aménagement du territoire et de protection de certaines ressources naturelles : le SRCE. Celui-ci est établi conjointement par l’Etat (la DREAL) et la Région, en concertation ou co-construction avec les acteurs locaux (ateliers thématiques ou territoriaux) et en association avec les comités régionaux trames verte et bleue. Proposant une façon nouvelle de concevoir les territoires, spécifique et adaptée à leurs enjeux, la TVB traduit la volonté étatique de rassembler « préservation de la nature » et « développement économique et social ». Enclenchant une dynamique collective à toutes les échelles, ce dispositif se décline donc dans un jeu d’échelles multiples :
– L’Etat fixe le cadre de travail et veille à sa cohérence sur l’ensemble du territoire. Il préconise un renforcement de l’action publique en faveur de la réalisation de continuités écologiques et de TVB notamment en milieu urbain.
– L’Etat et les Régions élaborent conjointement les SRCE. Ces documents de planification respectent les orientations nationales et identifient la TVB à l’échelle régionale en intégrant notamment les enjeux de la nature en ville pour l’analyse des interactions entre les activités humaines et la biodiversité.
– Les départements pilotent la politique des grands espaces verts et des espaces naturels sensibles qui contribuent à la TVB et peuvent également mener des projets de restauration des continuités écologiques. C’est notamment le cas du département de Seine-Saint-Denis qui s’est engagé au titre de son projet département « Trame verte et bleue en Seine-Saint- Denis : de la réalité scientifique aux déclinaisons opérationnelles ».
– La prise en compte des continuités écologiques au niveau local (intercommunal et communal) se traduit par :
• la prise en compte des SRCE dans les Schémas de Cohérences Territoriales (ScoT), les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) et les cartes communales ;
• la mobilisation d’outils contractuels permettant d’intégrer la biodiversité aux projets de territoires à diverses échelles.
– Les entreprises peuvent agir en aménageant leur site pour préserver des continuités écologiques et veiller à réduire leur impact sur l’environnement. C’est le cas par exemple de l’entreprise Immobilière 3F qui a pour objectif d’augmenter la quantité et la qualité d’espaces verts dans ces lotissements. Nous développerons ce point dans la seconde partie de ce mémoire.
– Les agriculteurs et les forestiers jouent un rôle positif dans le maintien des continuités écologiques à conditions qu’ils pratiquent une gestion soutenable des sols et des ressources (agroécologie).
– Le citoyen qui, par ses pratiques, a les moyens d’agir à son échelle, notamment à travers la pratique du jardinage. Qu’ils soient familiaux ou collectifs, les jardins ont de multiples fonctions : tant écologiques dans la mesure où ils peuvent être utilisables par les espèces (lieu de transit ou lieu de vie), qu’économiques lorsque les jardins sont le produit d’une agriculture urbaine à fonction alimentaire, ou encore sociales en étant alors le support de rencontres ou de retrouvailles, de création et d’expression, de détente et de récréation.

La « Ville Durable », une nouvelle façon de concevoir et d’appréhender le rapport à l’urbain

En tant que projection spatiale des rapports sociaux, la ville est un enchevêtrement de temporalités différenciées. Les villes contemporaines sont majoritairement conçues, organisée et aménagée selon des processus d’étalement et de fragmentation urbaine. Or ce modèle extensif, consommateur d’espace et d’énergie, générateur d’artificialisation des espaces et des dégradations qu’elle incombe (pollution, fragmentation écologique etc.), est sujet à de nombreuses controverses au regard du rayonnement international que connaît le concept de « développement durable ». C’est pourquoi, s’interrogeant sur les façons de penser la ville, différentes selon ses enjeux et les sociétés qui l’habitent, le débat sur la « Ville Durable » en faveur d’une « densification verte » se renouvelle en France dans la continuité du mouvement européen (la voie des villes durables européennes s’est ouverte avec la signature de la charte d’Aalborg en 1994).
Pour cela, les lois SRU, Grenelle I et II et la loi Duflot plus récemment ont profondément marqué les instruments d’urbanisme, d’accès au logement et de gestion de la ville. En effet, appréhender la problématique de la « Ville Durable », c’est penser les enjeux de la durabilité urbaine à ses différentes échelles, de la ville-région à celle du quartier. La « ville durable » doit alors englober toutes les dimensions d’un aménagement qui s’adapte aux caractéristiques de son territoire afin de conduire à un développement économique, social et environnemental durable. Il s’agit alors de penser l’urbanité comme un mode de vie où chacun a « droit à la ville » (régulation du foncier, mixité sociale) et qui ne soit plus déconnecté des milieux qui l’entourent en replaçant les « services de la nature » (réduction de la pollution, de l’eau, effet d’ombrage, régulation des températures etc.) et sa « pratique » (agriculture, jardinage, facilité d’accès aux parcs et jardins publics etc.) au coeur du système urbain.
Le plan d’actions « Ville Durable » vise ainsi à favoriser l’émergence d’une nouvelle façon de concevoir, construire, gérer et faire évoluer la ville afin qu’elle puisse répondre à des objectifs globaux – changement climatique, la préservation de la biodiversité, la réduction de l’empreinte écologique – et des enjeux locaux –resserrement urbain, détérioration de la qualité de vie, nouvelles formes de mobilité, la mixité sociale etc. Pour une nouvelle façon d’appréhender la ville, ce plan propose quatre grandes actions reposant sur les principes fondamentaux du développement durable. Les trois premières sont la constitution d’éco-cités, d’éco-quartiers et le développement de transports collectifs en site propre. La quatrième est l’élaboration, pour 2009, d’un plan d’actions à mettre en oeuvre avec les villes pour « préserver, développer et valoriser la biodiversité urbaine » conformément au 76ème engagement du Grenelle Environnement « Restaurer la nature en ville et ses fonctions multiples : énergétique, thermique, sanitaire, esthétique, psychologique, anti-ruissellement et prévention de l’usage de produits chimiques ».
L’enjeu de la ville durable apparaît alors plus clairement comme une tentative de concevoir des politiques territoriales qui remettent l’Homme, les habitants et les usagers des territoires, au cœur de celles-ci, en conciliant la préservation de la biodiversité avec la prise en compte des enjeux sociétaux et culturels (bien-être). Car en effet, la présence de nature dans la ville semble receler d’enjeux pluriels, allant de la préservation de la biodiversité à la reconnexion des citadins à leur lieu de vie (Manusset, 2012). Appelant à réfléchir à la place des espaces verts dans la ville qui se densifie, la ville durable se veut être une réponse aux attentes des usagers, en leur donnant envie de rester dans les nouvelles formes de villes denses, afin d’éviter le phénomène d’exode fondé sur le ressenti d’un cadre de vie de moindre qualité.

La végétalisation de la ville au coeur de la « Ville Durable »

Volet transversal du plan « Ville durable », le programme « Restaurer et valoriser la nature en ville », repris dans la loi de programme du 3 août 2009 dite Grenelle I, concrétise le 76ème engagement du Grenelle Environnement.
Initié par le secrétariat d’Etat à l’Ecologie et au Développement Durable, ce programme est d’abord sujet à une conférence nationale de lancement, « Nature en ville, vers un plan d’actions dès 2010 », tenue à Paris en juin 2009. La démarche s’est poursuivie avec la mise en oeuvre de quatre ateliers de travail thématiques réunissant élus, experts, chercheurs, entrepreneurs, agriculteurs, représentants des milieux associatifs et professionnels. La conférence de restitution tenue à Paris en février 2010 présenta les principales propositions d’actions visant à valoriser la nature en ville, à la connecter aux systèmes en périphérie et à améliorer de façon significative la qualité de vie en ville. Le « Plan Nature en Ville » est coproduit entre avril et juin 2010 par un groupe représentatif des acteurs de la ville et composé des cinq collèges du Grenelle Environnement qui a identifié les priorités et les actions à mener en partenariat. Le plan est ensuite officiellement lancé en novembre 2010 par le Ministère de l’Ecologie, des Transports et du Logement (METL) et par le MEDDE. Il comprend 37 actions regroupées en trois axes stratégiques et seize engagements. Le premier axe intitulé « ancrer la ville dans sa géographie et son milieu naturel » recouvre les quatre premiers engagements. Rassemblant les engagements cinq à onze, le second axe vise à « préserver et développer les espaces de nature en quantité et en qualité ». Le dernier axe du plan tend à « promouvoir une culture et une gouvernance partagées de la nature ».
Enjeu de la « Ville Durable », la végétalisation de la ville recouvre trois grands aspects. Le premier est d’ordre écologique en permettant une meilleure mobilité et distribution des espèces. Le second concerne la dimension climatique car il s’agit d’adapter la ville aux variations climatiques, notamment grâce aux services écosystémiques de régulation (hydrique, thermique etc.) des paramètres de l’écosystème urbain qu’offre la présence de la nature en ville (abaisser les températures élevés propres aux îlots de chaleur, réduire les risques d’inondation par le maintien de sols perméables en favorisant l’infiltration des précipitations, réduire les pollutions etc.). Enfin, la végétalisation de la ville recouvre un troisième aspect qui est d’ordre social, psycho-social et culturel au regard de l’impact des espaces vert sur la qualité du cadre de vie, de l’importance symbolique de la nature dans la définition d’une « qualité de vie » et de celle des espaces végétalisés sur la santé (aspects récréatifs, de socialisation, de santé, de circuits court voire d’autosuffisance alimentaire). Elle intègre le besoin citadin de se reconnecter à son lieu de vie via la présence de nature dans son espace- vécu : la voir, la sentir, la toucher, voire parfois même la goûter (Bergeoënd, Blanc, Clergeau et al, 2013).
De prime abord, la « Nature en Ville » est une ambition politique qui souhaite développer une nouvelle forme d’organisation spatiale de la ville qui incorpore le volet environnemental du développement durable à travers les nécessités économiques et sociales que requiert la durabilité. Car en effet, dans sa dimension sociale, le projet de végétalisation de la ville s’articule autour d’une recherche d’amélioration de la qualité du cadre de vie à travers une meilleure accessibilité aux espaces verts par exemple, afin de proposer une alternative aux préférences résidentielles périurbaines. Il est donc question d’amélioration de la santé publique (qualité de l’air, détente), de création et/ou renforcement du lien social (rôles des espaces verts, jardins familiaux et collectifs urbains) et de reconnexion de l’homme à la temporalité (saisons, variations climatiques). La pérennité d’un projet passant très souvent par la sécurité (ou protection) qu’il propose, l’ambition de la « Nature en Ville » est aussi de toucher la sphère économique en se proposant source d’emplois, notamment à travers l’agriculture périurbaine, l’entretien des espaces verts, la gestion de l’eau ou encore en menant des actions pédagogiques liées à sa valorisation.
Concept politique que chaque agglomération est appelé à décliner, définir et construire, la « Ville durable » rassemble des acteurs dont les portées d’actions sont à différentes échelles : institutionnels (Etat, collectivités), professionnels (aménagement, urbanisme, bâtiment, gestionnaires d’espaces verts etc.), société civile et citoyens.
Pour ce faire, la déclinaison des TVB à l’échelle de la ville apparaît comme un outil dont les bénéfices sont doubles. D’une part, cela permettrait de préserver une biodiversité déjà présente mais que l’environnement urbain morphologiquement fragmenté fragilise plus qu’il ne renforce, d’autre part ce serait une réponse à une demande citadine croissante d’amélioration de la qualité de leur cadre de vie, notamment via la « réapparition » de formes de « nature » dans la ville. Déclinant ainsi la TVB à l’échelle de la ville, il ne s’agit pas ici nécessairement de préserver des fonctions écosystémiques d’approvisionnement mais plutôt les services de régulation (hydrique, thermique) et des services sociaux, psycho-sociaux et culturels de la présence de nature en ville, services qui participent à un ensemble d’aménités et de services socio- culturels (diminution du stress, détente, activités ludiques ou sportive, lien social etc.).
La présence de nature en ville est donc au cœur du modèle de la « ville dense mais soutenable » dont l’objectif global est de conduire au développement d’un nouveau mode urbain capable de rapprocher emplois, logements, commerces, loisirs et de favoriser la mixité et la cohésion sociales.

Les bouleversements économiques et sociaux changent le rapport aux espaces verts

La volonté de créer ou restaurer des espaces de nature dans ville n’est pas récente. Elle s’inscrit dans le courant hygiéniste du 19ème siècle avec la manifestation des médecins qui, face aux transformations induites par les révolutions industrielles, dénonçaient des conditions de vie urbaines misérables, l’entassement, l’insalubrité et leurs effets néfastes sur la santé et la morale. L’hygiénisme préconisait alors l’ouverture des villes, qui étaient jusqu’alors délimitées par d’anciennes fortifications, afin de favoriser une meilleure circulation de l’air et de réduire la densité de population. Il s’agissait ainsi d’aérer et d’embellir la ville, notamment en y faisant « entrer » la nature.
Au 20ème siècle, on voit que l’approche hygiéniste ne désempli pas, elle est même reprise et prolongée par deux grands mouvements. Le premier est le concept de cité-jardin. Théorisé par l’urbaniste Ebenezer Howard dans son ouvrage « Tomorrox, a peaceful path to real reform » (1898), la cité-jardin se propose comme une alternative à la ville industrielle qui devait permettre de profiter des avantages de la ville tout en habitant à la campagne. Appliqué à l’échelle de quartiers et non à celle de villes en périphérie, ce concept inspira de nombreuses villes européennes qui constituèrent de nouveaux quartiers appelés alors à tort « cité-jardin » porteurs toutefois de certains principes du concept fondateur en s’attachant à associer un habitat social, des services, des commerces et des espaces verts. Le second est le concept de la ville verte qui devait rassembler les objectifs hygiénistes et une architecture des logements axée autour de la place laissée à la nature et ses composantes que sont le soleil, l’air et la verdure.
Avec le développement urbain qui s’intensifie et se généralise à la moitié du 20ème siècle, il semblerait que plus la campagne s’éloigne, plus les signes de « nature » se développent dans les villes (ex : jardins publics, arbres dans les immeubles etc.). En effet, après la ville industrielle qui constitua un monde ouvrier fait d’anciens paysans dépaysés, la ville de la fin des Trente Glorieuses atteint une « zonecritique » (Lefebvre 1970, d’après Lethierry, 2011) caractérisée par la concentration urbaine, l’exode rural, l’extension du tissu urbain et la subordination complète de l’agraire à l’urbain avec, en France, environ 65% de la population qui est urbaine au début des années 1970 (La Banque Mondiale, 2013). Le phénomène urbain pose alors la question de la relation ville/campagne où l’urbain est pris à la fois entre le rural (espaces verts, zones pavillonnaires) et l’industriel (barres d’immeubles, trajets obligatoires entre travail et domicile, voisinage imposé).
Outre ses caractéristiques physico-chimiques aux impacts négatifs (îlots de chaleur, pollutions sonore, lumineuse, atmosphérique etc.), le système urbain laisse également place à d’autres formes de détériorations telles que celle des rapports humains, que ce soit dans les grandes métropoles ou dans les villes de taille plus modeste (Plan « Restaurer et valoriser la Nature en Ville », novembre 2010). Afin de trouver des éléments de réponse à ce type de problématique, nous nous référons à la sociologie urbaine, initiée dans les années 1950 par Henri Lefebvre dont le cadre de travail était le suivant : l’urbain a émergé à partir d’une dégradation du rural. Dans son ouvrage « Le droit à la ville » (1968), il constatait déjà la dégradation du vivre social dans l’habité (c’est-à-dire incluant le rapport au voisinage et pas seulement à l’habitat construit selon des visées productivistes d’après-guerre), mettant en avant le fait qu’au lieu d’instaurer une socialité, la ville déstabilise.
En tant que réponse à ce type déstabilisation provoquée par le mode de vie en « non campagne », on observe que déjà à la moitié du 19ème siècle (premiers exodes ruraux après la première révolution industrielle), ce que l’on appelle un « système de résilience » commençait à apparaître sous la forme de jardins ouvriers (appelés alors « champs des pauvres »). En effet, alors que la ville industrielle happe les paysans hors de leur campagne natale, la doctrine terrianiste puis le paternalisme social, voulaient que le jardin soit à la fois un complément de ressource et élément de structuration de la famille (renforcement des liens de filiation).
A la faveur du courant hygiéniste et précédant de peu l’urbanisme des cités-jardins (habitées principalement par des classes ouvrières) des années 1920, la pratique du jardinage en tant que système de résilience se développa massivement tout au long du 20ème siècle et connu un nouvel essor en France au début du 21ème siècle avec l’apparition de jardins collectifs partagés. Ayant pour point commun l’amélioration de la qualité de son cadre de vie, l’ouvrier et le citadin ont vu et voient encore aujourd’hui le jardin comme un outil de reconnexion. L’étude sociale de ces jardins, et plus généralement du besoin de cultiver, se penche alors vers la problématique suivante : une reconnexion … à qui, à quoi ? Retraçant leurs racines, inspirations et définitions, multiples et complexes, les « jardins collectifs » recouvrent différentes réalités. D’une parcelle familiale à une série de parcelles cultivées de manière individuelle ou collective, du jardin ouvrier français du 19ème siècle à la reconquête des friches new-yorkaise des années 1970, les essors et déclins des jardins traduisent tout autant l’évolution des sociétés (tantôt en crise tantôt dans la prospérité) qui les cultivent que celle des législations qui les englobent.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières
Introduction 
I. LA PLACE DES JARDINS PARTAGES DANS LES ENJEUX DE « NATURE EN VILLE » 
1. Une double réflexion sur la fonction de la présence de « nature » dans les villes denses
1.1 Des mesures phares du Grenelle Environnement
1.2 La domestication de la nature, une réponse sociale à la dégradation du lieu de vie
1.3 Les principes de la « Nature en Ville » en expérimentation en Seine-Saint-Denis
2. Un stage qui s’inscrit dans une série de partenariats
2.1 Une collaboration entre le MNHN et l’ODBU
2.2 Le quartier du Moulin Neuf, un « site-pilote » propice aux actions de médiations
3. Méthodologie
3.1 Liste des entretiens
3.2 Questionnaires
3.3 Difficultés rencontrées
II. PRATIQUES ET USAGES : DE LA PERCEPTION ET L’APPROPRIATION
1. Des profils relativement homogènes
2. Quel lien social ?
2.1 Entre les jardinières, avec la création et l’appartenance à un groupe spécifique ?
2.2 Entre les habitants ?
2.3 L’interaction intergénérationnelle, un lien présent mais encore relatif
3. Quelles perceptions pour quelles formes d’appropriation ?
3.1 Des perceptions à dominante idéelle ?
3.2 Des modalités d’appropriation différentes selon le statut des acteurs ?
4. Une médiation aux enjeux de Nature en Ville effective ?
4.1 Le rôle du jardin sur la perception et la pratique d’espaces de nature en ville
4.2 Le jardin, un outil de sensibilisation
Conclusion 
Bibliographie 
Annexes

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *