Le rôle des matériaux hybrides à base d’argiles dans la protection des œuvres d’art

La recherche scientifique sur les sujets d’art est un domaine qui a toujours passionné même les personnes les moins férues de science. Alors lorsqu’une étude est en plus supportée par une équipe mixte d’archéologues, d’historiens de l’art, de chimistes et de physiciens, il est normal qu’arrive un moment où l’on souhaite reproduire et étudier sur des matériaux modèles, les phénomènes observés sur le terrain. D’autant plus, lorsque ces observations sont réalisées sur des œuvres artistiques, de valeurs parfois inestimables tant elles font parties du patrimoine culturel. Il est alors impossible de repartir avec un petit bout de… un morceau du… chaque grain de sable compte dans le désert.

Des premières peintures rupestres du paléolithique aux graffitis modernes de l’art urbain, l’Homme dessine, peint, reproduit, crée, expose. Et comme rien n’est jamais trop beau pour satisfaire son génie créatif, il use de couleurs dont l’élaboration se révèle de plus en plus audacieuse. La quête de la couleur est depuis le début un défi technique.

Question couleur, il est probable que les premiers hommes se servaient déjà du charbon de bois, de craie, de jus de baies coloré, de sang et de terre dans la palette des peintures corporelles. Ces peintures avaient plusieurs rôles, le camouflage lors de la chasse, un signe identitaire d’appartenance à une tribu, ou encore en peinture guerrière pour impressionner l’adversaire. Dans tous ces aspects, la réussite est cruciale, il en va parfois de la survie. Perfectionner la technique, trouver de nouvelles peintures, de nouvelles couleurs, seraient finalement gage de succès. Pour peindre dans les grottes, et ainsi raconter les exploits, les aventures et les rencontres, les terres ocres gorgées d’oxyde de fer fournissaient une formidable source de peinture. Il était parfois nécessaire aux premiers « artistes » de procéder à une cuisson des terres pour modifier leur couleur. Ainsi naissaient il y a plus de 15 000 ans les premières transformations chimiques réalisées par l’homme dans le but d’obtenir de la couleur et des peintures. Le lien entre l’artiste et le matériau coloré perdurera longtemps. Il est son propre producteur et également l’expérimentateur en charge d’améliorer sa palette. Jusque dans la renaissance, les traités des peintres décrivaient la bonne manière de préparer son pigment et sa peinture. Si la réussite récompense souvent l’audace des expérimentateurs, il arrive aussi de faire fausse piste ou d’être déçu, dans la recherche des belles couleurs comme ailleurs. Prenons la palette d’un peintre impressionniste, car il y a ici un exemple qui illustre notre dernier propos. Le courant de l’impressionnisme, né dans la seconde moitié du XIXème siècle en France, regroupe des artistes tels que Frédéric Bazille, Claude Monet, Paul Cézanne ou encore PierreAuguste Renoir, qui souhaitaient rompre avec le mouvement de néo-classicisme du début du siècle. Le milieu artistique est alors dominé par l’Académie Royale de peinture et de sculpture, fondée sous Louis XIV, et qui définit les goûts à la mode en matière d’art pictural. Pour la peinture académique qui reprend les préceptes d’Aristote, la couleur est considérée comme un accident de la lumière, elle n’est peu ou pas appréciée ou enseignée à cette époque. L’académie met aussi en avant le dessin préparatoire comme une étape incontournable d’une peinture, et les peintures sont presque exclusivement réalisées dans l’atelier du peintre. Le mouvement impressionniste se distingue alors de plusieurs manières. Les artistes vont rechercher de nouvelles couleurs, plus éclatantes, plus a même de représenter la lumière et la beauté du monde qui les entourent, les peintures sont également souvent réalisées « sur le motif », c’est-à dire sans dessin préalable, mais également en plein air, devant leur modèle ou devant un paysage, et non plus seulement en atelier.

Les pigments laqués

La garance des teinturiers est certainement le meilleur exemple de colorant utilisé dans les pigments laqués. Il s’agit d’une plante appartenant à la famille des Rubiacées, surnommée ainsi car elle est la source de plusieurs colorants appartenant tous à la famille des anthraquinones, aumême titre que l’acide carminique. Les anthraquinones possèdent tous la même structure de base   sur laquelle viennent se greffer différents groupements, principalement des –OH ou des sucres, comme c’est le cas de l’acide carminique. Comme décrit précédemment, l’âge d’or de la création de colorant synthétique voit apparaitre en 1868 la première synthèse de l’alizarine, qui permettra ensuite son essor en tant que colorant à grande échelle.

La propriété d’absorption de la lumière de ces colorants provient de la conjugaison des doubles liaisons C-C ainsi que des liaisons doubles C-O. La présence des groupes annexes module les différentes absorptions par délocalisation des électrons, ce qui donne un large panel de couleurs issu de ces molécules. La véritable expansion de ce colorant commence avec l’industrie textile. La teinture rouge est généralement obtenue en utilisant un mordant, tel que le sel d’aluminium ou d’alun, pour former des complexes qui se fixent sur les fibres de cellulose. Les résidus sédimentés au fond des bassins de mordançage présentaient de bonnes qualités esthétiques, et c’est ainsi que ce composé a été utilisé comme l’un des premiers pigments organiques laqués de l’époque moderne. Les études récentes sur les complexes formés par les laques ont été souvent portées sur les mélanges d’anthraquinones avec de l’aluminium, comme c’est notamment le cas des études réalisées pas Soubaryol (1996), Wunderlich (1993) ou Sayanova (2001). Le but de ces travaux repose principalement sur l’étude du degré de coordination du complexe formé par la molécule organique avec le cation métallique, via des caractérisations par FTIR et spectres de masse. Les procédés s’orientent aussi sur la caractérisation des pigments laqués par méthode de chromatographie sur couche mince, déjà décrite par Masschelein (1967), ou améliorée par la chromatographie liquide à haute pression par Wouters en (1989). Ces techniques ont permis de caractériser la présence de garance dans des pigments gréco-romains (Didier et al, 1990), et également de quantifier le rapport entre purpurine et alizarine dans les mélanges, afin d’essayer de déterminer la provenance antique de certains pigments issus de la garance des teinturiers (Wouters 1993). Enfin, les dernières techniques en matière de caractérisation font appel aux appareils de spectroscopie les plus modernes, le Raman, notamment en Micro-Raman et en SERS (Surface Enhanced Raman Spectroscopie), avec une étude en 2015 des pigments laqués utilisés par Lefranc [4], et la micro-spectro-fluorimétrie, utilisée sur les peintures de Vincent Van Gogh en 2010 [5].

L’exemple du Bleu Maya

Le Bleu maya est l’un des pigments principaux de l’art précolombien, les traces les plus anciennes de son utilisation remonte à 800 avant J.-C., il est alors utilisé aussi bien sur des sculptures, des peintures murales , en teinture de vêtement ou pour décorer les codex mésoaméricains. Les sources anciennes sur sa fabrication mentionnent l’utilisation de l’añil, ou indigo, responsable de la couleur bleue du pigment [6].

Mais le secret de sa fabrication est percé au XXème siècle, par l’historien et chimiste Constantino Reyes-Valerio, qui découvre lors d’une analyse de ce pigment par spectroscopie infrarouge la présence d’argiles. Les argiles du mélange sont plus tard décrites [7]. Il s’agit principalement de Palygorskite, un phyllosilicate d’aluminium et de magnésium à canaux, facilement disponibles dans le bassin mexicain et sud est américain. Les détails de la fabrication artisanale par la civilisation Maya demeurent inconnus, mais il est probable que des cuissons rituelles soient une étape de la synthèse [8]. En s’appuyant sur les propriétés des argiles, et en choisissant de les mélanger avec des colorants organiques sensibles à la lumière, le travail de cette thèse vise à se rapprocher du modèle du Bleu Maya pour accroître la durée de vie des pigments en présence de lumière.

Le choix du colorant 

L’acide carminique 

Le premier colorant organique étudié dans le cadre de ce travail, est l’acide carminique, constituant principal du carmin de cochenille [9]. Le carmin de cochenille est un colorant naturel rouge, obtenu à partir d’insectes, plus particulièrement des femelles Dactylopius Coccus, une espèce de cochenille que l’on retrouve presque exclusivement sur les cactus de la variété Opuntia. Il est d’abord utilisé par les populations Aztèques, dont certaines tribus ont pratiqué l’élevage de cochenille, puis importé en Europe par les espagnols au XVIème siècle. Aujourd’hui, la production est surtout concentrée en Amérique latine, le Pérou étant le premier producteur mondial. Le pigment est obtenu via la principe de mordançage, qui consiste àmélanger le colorant naturel issu de l’insecte avec des sels métalliques, comme l’alun d’aluminium, on obtient alors la laque rouge carmin. Si le colorant est rapidement utilisé comme teinture dans l’industrie textile en Europe, notamment après la chute de l’Empire Byzantin, comme solution de remplacement au Pourpre de Tyr [10], il faut attendre davantage pour voir son utilisation dans le domaine artistique en Europe. C’est finalement dans la seconde moitié du XIX siècle avec le courant de l’impressionnisme que la couleur arrive dans la palette des artistes. Le rouge du carmin de cochenille séduit des peintres en quête de couleurs vives, comme c’est le cas de Pierre Auguste Renoir.

L’alizarine

L’alizarine est un colorant organique obtenu à partir d’extraits de racine de garance Rubia tinctorum L (ou garance des teinturiers). Initialement cultivée dans les régions d’Asie, la garance produit à la fois de l’alizarine et de la purpurine, ces deux composés sont rapidement utilisés comme colorants rouges naturels, dans la réalisation de teintures ou de pigments [14], [15]. La fonction quinone permet la réalisation de liaisons hydrogènes qui peuvent être mises en évidence par un décalage des pics en RMN [16]. Le spectre d’absorption du composé en solution aqueuse est dépendant du pH de la solution, les couleurs varient d’un jaune vif à pH acide vers un violet intense à pH basique, en gardant une couleur rouge orangé intense au pH neutre, ce qui explique l’intérêt des teinturiers pour ce colorant et les tentatives d’incorporation de ces différentes configurations pour élaborer une gamme de pigments stables [17].

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Table des matières

Introduction Générale
Chapitre I : Introduction
I- Les pigments laqués
II- L’exemple du Bleu Maya
III- Le choix du colorant
1- L’acide carminique
2- L’alizarine
3- Les spiropyranes
IV- La matrice minérale
1- Les argiles
a) Qu’est-ce qu’une argile ?
b) La composition d’une couche
c) La compétition Agrégation – Dispersion
d) La compétition Délamination – Empilement
2- Le choix de l’argile
a) De la palygorskite à la montmorillonite
b) La Montmorillonite
3- La modification d’argiles
a) La capacité d’échange cationique
b) L’échange cationique inorganique
c) L’échange cationique organique
d) L’inversion de la charge de surface
4- Les argiles à piliers
5- La co-précipitation
V- La photodégradation
VI- Bibliographie
Chapitre II : Partie Expérimentale
I- Les réactifs
II- Les techniques de caractérisation
1- L’analyse thermogravimétrique
2- La diffraction de rayons X
3- La résonance magnétique nucléaire
4- La résonnance paramagnétique électronique
5- La spectroscopie infra-rouge
6- La mesure du potentiel zêta
7- Les autres caractérisations
III- Le cas du vieillissement sous LED
IV- La synthèse du pigment
1- La synthèse de la montmorillonite
2- Le système argile – colorant
3- Les synthèses à partir de spiropyrane
a) La co-précipitation avec le TEOS
b) Les pigments avec différentes matrices
Chapitre III : Le pigment hybride d’acide carminique avec la montmorillonite
I- Introduction
II- Experimental part
1- Reagents
2- Montmorillonite synthesis
3- Surface modification of the different clay minerals
4- Adsorption of carminic acid
5- Desorption experiments
6- Photo-fading
7- Characterization
8- Computational Details
III- Results and discussion
1- X-ray diffraction
2- Transmission Electron Microscopy
3- DFT Calculations
4- Thermogravimetric Analysis
5- Zeta Potential
6- Infrared spectroscopy
7- Nuclear Magnetic Resonance
8- Fluorescence imaging and time resolved fluorescence
9- Desorption test
10- Spectrophotocolorimetry
11- Electron Paramagnetic Resonance
IV- Conclusion
V- References
VI- Ce qu’il faut retenir
Chapitre IV : Élaboration de pigment à partir d’argile à pilier
I- Introduction
II- Experimental
1- Montmorillonite (Mt) synthesis
2- Pillaring process of Montmorillonite (PILC)
3- Dyeing procedure
4- Oil painting formulation
III- Characterizations
1- X-ray diffraction (XRD)
2- Textural investigation
3- Transmission electron microscopy (TEM)
4- ATR-Infrared
5- Thermal Analysis (TGA)
6- Solid state nuclear magnetic resonance (13C and 27Al NMR)
7- Fluorescence Characterization
8- Light-Induced Aging
IV- Results and discussion
1- Structural and textural properties
2- Morphological analysis
3- ATR-Infrared
4- Thermal Analyses
5- Solid state nuclear magnetic resonance of 13C and 27Al
6- Fluorescence analysis
7- Colours and hue of pigments
8- Light-Induced Aging
V- Conclusions
VI- References
VII- Ce qu’il faut retenir
Conclusion Générale

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