Le rôle des comptines avec hypozeuxe dans les apprentissages syntaxiques au cycle 1

Les recherches sur l’acquisition du langage

           L’acquisition du langage fait l’objet de multiples recherches, essentiellement en psychologie et linguistique. Dans ce domaine, un des plus grands débats se situe autour de la part d’inné et d’acquis (Karmiloff, Karmiloff-Smith, 2003). Pour les behavioristes comme Burrhus Frederic Skinner, l’enfant acquiert le langage uniquement à travers l’expérience, c’est-à-dire les inputs qu’il reçoit. À l’inverse, les nativistes, Noam Chomsky en tête, expliquent l’acquisition du langage par l’existence d’une grammaire universelle, présente à la naissance, que l’expérience permet d’appliquer à sa langue maternelle. D’autres théoriciens s’opposent sur le rôle du cognitif et de l’interaction sociale (Karmiloff, Karmiloff-Smith, 2003). Les constructivistes notamment Jean Piaget ne différencientpas l’acquisition du langage des autres apprentissages : elle nécessiterait les mêmes mécanismes cognitifs. Lev Vygotski, Henri Wallon ou encore Jérôme Bruner ont une approche interactionniste : c’est l’environnement social de l’enfant qui lui permettrait d’acquérir le langage. Si la psychologie joue un rôle majeur dans la compréhension des mécanismes d’acquisition du langage, la linguistique n’est pas en reste. Ferdinand de Saussure divise la linguistique en deux sous-disciplines : la linguistique synchronique étudiant le système d’une langue à un moment donné et la linguistique diachronique étudiant l’évolution de la langue dans le temps (Saussure, 2016). La structure syntaxique d’un énoncé relève donc de la linguistique synchronique. Roman Jakobson distingue aussi synchronie et diachronie, mais ne les sépare pas totalement. Il fait également la différence entre l’axe syntagmatique qui correspond à la combinaison des éléments dans la chaîne parlée et l’axe paradigmatique qui recouvre tous les éléments pouvant occuper cette position. La syntaxe correspond à l’axe syntagmatique (Jakobson, 2003). L’étude de la langue d’un point de vue synchronique et à partir du concept d’axe syntagmatique permet de mieux comprendre le fonctionnement de la syntaxe et son acquisition. Parmi les linguistes, Noam Chomsky est un de ceux qui se sont le plus intéressés à l’acquisition du langage. Il est le tenant du courant de la grammaire générative. Selon lui, il existe deux conditions pour qu’un enfant apprenne une langue : il doit posséder « une théorie linguistique caractérisant la forme de la grammaire d’une langue humaine possible » et « une stratégie lui permettant de choisir une grammaire appropriée et compatible avec les données linguistiques primaires » (Chomsky, 1971) c’est-à-dire les énoncés qu’il reçoit. Alors qu’une partie de la recherche s’oriente vers la compréhension des mécanismes d’acquisition du langage, il en existe tout un pan qui dresse la chronologie des acquisitions linguistiques. D’après Mireille Brigaudiot (2009), le lexique s’enrichit essentiellement lors des deux premières années de la vie, l’enfant déployant ensuite entre 2 et 4 ans plus d’efforts dans le domaine syntaxique. La recherche montre que l’acquisition du langage s’appuie sur des facultés innées et acquises, sur le développement cognitif et les interactions sociales.

Les implications de ces recherches sur le rôle des comptines dans les  apprentissages syntaxiques

            On trouve peu de ressources sur l’utilisation des comptines au service de l’apprentissage de la syntaxe. Le document d’accompagnement des programmes de 2015 mentionné ci-dessus donne quelques pistes : la comptine permet la répétition de modèles ou de structures de phrases, la reformulation et la production d’énoncés par les élèves. Même si la part d’inné et d’acquis dans le langage n’est pas clairement définie, il est certain que l’environnement de l’enfant est essentiel dans son apprentissage de la syntaxe. Les comptines combinent différents éléments linguistiques comme n’importe quel énoncé et confrontent donc l’élève à des mises en application de règles syntaxiques. Tous ces exemples d’utilisation des règles syntaxiques contribuent à la construction de la syntaxe chez l’enfant. Le cycle 1 constitue une étape importante dans cette construction. Entre 3 et 5 ans, la tranche d’âge de mes élèves, on voit apparaître les articles définis, les pronoms personnels, les prépositions de lieu, d’accompagnement et d’instrumentation, les adverbes de lieu et de temps, la conjugaison, les modalités du discours et les pronoms interrogatifs (Florin, 2016) L’apprentissage de comptines développe des habiletés musicales chez l’enfant et, par conséquent, des compétences dans le domaine du langage. Les spécificités de la forme de la comptine, listées par Anne H. Bustarret (2010), en font un outil privilégié pour découvrir l’organisation des énoncés d’une langue et donc sa syntaxe. En effet, les rimes et les assonances qu’on y trouve à foison marquent souvent la fin d’un groupe de mots. Ce groupe de mots constitue généralement une unité sur le plan syntaxique : un groupe nominal, une proposition, etc. L’enfant repère ainsi certaines unités syntaxiques dans la comptine. La dimension gestuelle a également son importance. Le geste intervient parfois pendant l’énonciation d’un mot en particulier, permettant ainsi à l’enfant de le séparer du reste de l’énoncé. La famille tortue, célèbre comptine à gestes, permet par exemple d’isoler les mots « tortue » et « rats ». Enfin, le caractère ludique de la comptine initie l’enfant aux systèmes de règles. De nombreuses comptines servent à désigner l’enfant qui jouera un rôle particulier dans le jeu, le « loup » par exemple. Tous les participants doivent accepter cette règle de désignation : si la comptine fait d’eux le loup, ils doivent l’accepter. Le document d’accompagnement des programmes de 2015 Comptines, formulettes et jeux de doigts m’a donné l’idée d’utiliser la comptine comme outil pour découvrir une structure de phrase puis l’employer. En effet, de nombreuses comptines sont formées autour d’une structure syntaxique répétitive. L’enfant est alors récepteur de plusieurs énoncés de même structure mais avec des termes différents. Pour reprendre la distinction de Roman Jakobson, l’axe syntagmatique reste identique mais les variations se font au niveau de l’axe paradigmatique : certains termes étant remplacés par d’autres. Ces recherches montrent qu’il existe un lien indéniable entre l’apprentissage de comptines en cycle 1 et l’acquisition du langage. Il reste à savoir comment maximiser l’intérêt pédagogique des comptines pour rendre leur utilisation en classe plus efficiente.

L’hypothèse opérationnelle du mémoire

              L’hypothèse générale doit être opérationnalisée pour pouvoir être évaluée en classe et ensuite confirmée ou infirmée. Mon hypothèse générale doit être adaptée à mon contexte de classe, qui est le lieu de ma recherche. J’enseigne dans une classe de 27 élèves : 6 en petite section et 21 en moyenne section. Les élèves disposent de compétences syntaxiques très hétérogènes. Il y a un élève allophone et plusieurs élèves ont des parents dont la langue maternelle n’est pas le français. Il faut également préciser ce que j’entends par apprentissage d’une comptine. Les élèves écoutent d’abord la comptine puis la produisent avec l’enseignant à plusieurs reprises avant de la réaliser seuls. Ils sont ensuite amenés à employer à nouveau la structure syntaxique mise en valeur par l’hypozeuxe dans d’autres situations, de plus en plus éloignées du contexte initial de la comptine.S’en suit l’hypothèse opérationnelle suivante : un élève de petite section ou moyenne section utilise dans d’autres contextes la structure syntaxique mise en valeur par l’hypozeuxe d’une comptine apprise.

Le choix de la comptine

                Le choix de la comptine est primordial car elle doit contenir une hypozeuxe mettant en valeur une structure syntaxique que des élèves de cycle 1 sont en mesure d’apprendre et elle doit également pouvoir être mémorisée à cet âge. J’ai utilisé les ouvrages Le chemin des comptines d’Odile Trémoroux-Kolp, Au bonheur des comptines de Marie-Claire Bruley et Marie-France Painset, l’Anthologie de la comptine traditionnelle francophone de Rémi Guichard ainsi que le recueil audio Chansonnettes pour mouflets et mouflettes, volume 2 pour sélectionner des comptines présentant une hypozeuxe. La liste complète se trouve dans l’annexe 1. J’ai ensuite relevé quelle structure syntaxique est mise en valeur par l’hypozeuxe de chacune de ces comptines. J’ai écarté les structures ne correspondant pas à la langue de l’école, plus proche de l’écrit que celle souvent utilisée dans les comptines. J’ai ensuite enlevé les structures syntaxiques qui correspondent à une structure profonde dans la théorie de Noam Chomsky mais qui, après transformation, donnent des structures de surface trop différentes les unes des autres pour que leur utilisation puisse être mesurée. D’autres comptines présentent trop peu de variations au sein de l’hypozeuxe et ne permettent donc pas à l’élève de saisir l’ampleur des transformations que peut subir cette structure syntaxique. J’ai également mis de côté les structures syntaxiques trop complexes ou pas assez courantes pour faire l’objet de toute une séquence d’apprentissage. En outre, certaines comptines ne sont pas adaptées à des élèves de cycle 1. J’avais choisi en premier lieu la comptine Dans Paris, mais sa longueur ne permettait pas la mémorisation par des élèves de cet âge. La thématique des comptines n’est par ailleurs pas toujours adaptée à des élèves de maternelle, soit parce qu’elle concerne des enfants plus âgés, soit parce qu’elle n’est pas appropriée dans le cadre scolaire. Afin de mesurer l’emploi de la structure syntaxique, il faut pouvoir mettre en place des situations provoquant le besoin d’utiliser cette structure pour communiquer. La situation que j’avais conçue pour amener les élèves à employer la structure dans + groupe nominal + il y a + groupe nominal, présente notamment dans la comptine Dans Paris, ne s’est pas révélée satisfaisante. En effet, les élèves devaient décrire le contenu d’un sac aux autres élèves qui n’en voyaient pas l’intérieur. Cependant, rien ne les contraignait à utiliser la structure en question, ils énuméraient alors les différents objets présents dans le sac : « du raisin », « du poisson », « fromage ». Ne parvenant pas à trouver une situation les y contraignant, j’ai mis de côté les comptines reposant sur une structure syntaxique de ce type. Il me restait alors le choix parmi 29 comptines. C’est vers la comptine « Qui est blanc avec des tâches ? », présente dans Chansonnettes pour mouflets et mouflettes, que je me suis portée. Il s’agit d’une variante de la comptine composée et écrite par Corinne Albaut. Elle m’a semblée idéale pour cette recherche car la structure syntaxique mise en exergue par l’hypozeuxe est adaptée au cycle 1. Il s’agit d’une structure courante à l’écrit, mais qui est aussi présente à l’oral. De plus, la comptine donne des exemples assez variés de phrases à partir de cette structure : le verbe change, un adverbe s’intercale entre le verbe et l’adjectif, un deuxième verbe s’ajoute, etc. En outre, la thématique des animaux est adaptée à des élèves de maternelle. Il s’agit d’une comptine chantée, j’ai donc décidé de ne pas écouter la mélodie pour pouvoir la présenter aux élèves comme une comptine scandée. On peut trouver cette comptine en annexe 2. Elle suit un rythme régulier : 5 strophes, chacune composées d’un vers de 7 syllabes puis d’un vers de 3 syllabes. Le rythme reste stable tout au long de la comptine, ce qui amplifie cette impression de régularité. Le premier vers est une question qui apporte une description de l’animal et le deuxième constitue la réponse. L’intonation est montante sur la question et descendante à la fin de la réponse. Cette comptine m’a servi de base pour construire une séquence de langage me permettant de recueillir les données nécessaires à cette étude.

La comptine comme biais de découverte d’une nouvelle structure syntaxique

                       Au regard des résultats de cette recherche, la comptine s’impose comme un outil intéressant pour faire découvrir une structure syntaxique à ses élèves. L’utilisation de la comptine pour développer l’utilisation d’une structure syntaxique chez les élèves est surtout intéressante si cette structure est peu connue voire inconnue des élèves. Dans cette recherche, avant d’apprendre la comptine, aucun élève ne pose de devinettes en commençant par le pronom personnel qui. En effet, même si certains l’ont peut-être déjà entendue voire employée, elle ne fait pas partie de ce que j’appellerai leur répertoire syntaxique. L’élève peut entendre une structure sans la conserver en mémoire car il n’a pas besoin de l’utiliser, de la même manière qu’on ne retient pas un numéro de téléphone quand on n’a pas besoin de le composer dans un futur proche. Par contre, s’il s’agit du numéro d’un couvreur et qu’on a besoin de refaire sa toiture, on le mettra en mémoire, mentalement ou à l’aide d’une trace écrite, pour l’appeler rapidement. Une fois la toiture refaite, le numéro sera oublié. Pour les élèves, on retrouve le même processus : s’ils ont besoin immédiatement d’une structure qu’il viennent d’entendre, ils la répètent sans pour autant la garder en mémoire sur le long terme. Le répertoire téléphonique contient tous les numéros que nous pouvons être amenés à appeler régulièrement. Il en est de même du répertoire syntaxique : il comporte les structures et les règles dont l’élève a souvent besoin. Dans le cadre de cette étude, les phrases interrogatives commençant par qui ne font pas partie du répertoire syntaxique des élèves. La comptine Qui est blanc avec des taches ? est donc un moyen de la faire découvrir ou redécouvrir aux élèves. Elle attire l’attention des élèves sur cette nouvelle structure. En effet, la figure de l’hypozeuxe entraîne une répétition de la structure. L’élève entend et produit cette structure à de nombreuses reprises. Même si la structure n’est pas explicitement isolée en classe, comme c’est le cas ici, l’enfant perçoit implicitement une certaine régularité à laquelle l’hypozeuxe contribue. La comptine est adaptée à la phase de découverte d’une séquence car elle peut permettre d’enrôler les élèves. Bien sûr, ce n’est pas le cas de toutes les comptines. Au début de l’étude, j’avais peur que mes élèves ne soient pas réellement entrés dans la comptine, car ils n’en chantaient que des bribes et ne semblaient pas très enthousiastes. Mais, au fur et à mesure des séances, la connaissant de mieux en mieux, ils ont commencé à chanter de plus en plus et même à la réclamer. Mes doutes ont donc été balayés. La comptine est particulièrement adaptée pour faire découvrir des structures syntaxiques qui appartiennent à la langue orale mais aussi à la langue écrite. La comptine est un genre oral et on y trouve donc un langage oral. Comme exposé plus haut, il est intéressant que la structure choisie ne fasse pas partie du répertoire syntaxique des élèves. On peut donc choisir une structure utilisable à l’oral, mais peu utilisée par nos élèves parce qu’elle est archaïque à l’oral ou fait partie d’un registre de langue peu employé par les enfants. Ce type de structure est souvent présent à l’écrit : on utilise plus le subjonctif et un registre formel de langue à l’écrit qu’à l’oral par exemple. Les comptines permettent d’isoler une structure peu familière des élèves et de les enrôler dans des activités à visée syntaxique.

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Table des matières

Introduction
1. Un état des lieux des recherches antérieures 
1.1. Les recherches sur l’acquisition du langage
1.2. Les recherches sur l’utilisation pédagogique des comptines
1.3. Les implications de ces recherches sur le rôle des comptines dans les apprentissages syntaxiques
2. Le cadre théorique du mémoire 
2.1. La grammaire générative (Chomsky, 1971)
2.2. Les schèmes sémantico-syntaxiques créateurs (Lentin, 1998)
2.3. Le problème et l’hypothèse de recherche
3. Le cadre opératoire du mémoire 
3.1. L’hypothèse opérationnelle du mémoire
3.2. Les variables
3.3. Les indicateurs
4. La méthode de recueil de données
4.1. Le choix de la comptine
4.2. Le protocole de recherche
4.3. La méthodologie de traitement des données
5. L’analyse du corpus 
5.1. La présentation du corpus
5.2. L’analyse statistique du corpus
5.3. L’analyse du langage des élèves du corpus
6. L’interprétation des résultats 
6.1. La comptine comme biais de découverte d’une nouvelle structure syntaxique
6.2. Les activités supplémentaires nécessaires
6 .3. La décontextualisation de la structure syntaxique
Conclusion
Bibliographie
Annexes
4ème de couverture

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