Perception et relation aux archives
Les archives et le généalogiste
Les archives sont une étape centrale du voyage. Chaque quêteur de parenté vient y chercher le ou les « documents preuves » assurant une filiation incontestable avec le pays de l’ancêtre.
Mais les archives, avant le voyage, peuvent être l’objet de préjugés. Plusieurs de nos informateurs ont évoqué des programmes de télévision retraçant la généalogie de personnes célèbres au Québec. Ces émissions sont à l’origine d’une construction parfois idéalisée des archives françaises. Ainsi, un généalogiste ne s’étant pas encore rendu en France assimile les archives départementales de Charente- Maritime à « un centre d’archives pour tous les gens du Qué[bec]… de la France qui partaient pour la Nouvelle-France », il ajoute ensuite : « Ça semblait quand même bien, les gens semblaient être sympathiques, accueillants ». Cette personne s’attend à pénétrer dans un service dédié aux recherches des Canadiens francophones, avec des archivistes présents pour le « guider pour découvrir un peu [son] histoire et s’impliquer un peu ». Comme en Écosse, où la place de l’archiviste avait été questionnée on constate que les individus espèrent découvrir une information contextualisé par l’archiviste, qui semble dévolu à ce rôle de mise en valeur des documents. Mais ces programmes télé peuvent générer de la méfiance chez d’autres généalogistes, ainsi Claude nous dit : « après ils partent en Europe [durant l’émission], mais tu vois que là-bas ça a été préparé.
Parce qu’il y a des généalogistes, qui ont fouillé, qui ont fait des recherches pendant ce temps-là », un second quêteur se demande s’ils vont « être aussi accueillants si je leur rends visite. Je ne peux pas dire, il n’y aura pas de caméra avec moi », on note donc une forme d’appréhension, de suspicion, vis-à-vis de l’image des archives françaises véhiculée par ces émissions.
On retrouve cette crainte, à travers certains éléments de notre enquête. Presque la moitié des participants ne s’étant pas encore rendus en France imaginent que les recherches seront plus compliquées qu’au Canada, et plus des trois quarts pensent qu’ils auront des difficultés à mettre la main sur les pièces qu’ils souhaitent trouver. D’ailleurs presque 3/5 des répondants ont dit préparer leur parcours généalogique avant le départ, et cela afin d’optimiser les chances de découvrir le document attendu.
On relève aussi la difficile identification des services d’archives, un informateur, ne s’étant pas encore rendu en France, nous parle par exemple de « bureaux régionaux d’archives ». Le découpage administratif français peut donc constituer une complication supplémentaire pour ces quêteurs de parenté, qui en général possède des données sur les lieux de naissance de leur ancêtre antérieur aux différentes réorganisations administratives du pays. Par exemple ce généalogiste souhaite se rendre aux Archives en Charente-Maritime, alors que son aïeul : « est natif de Fontanet dans l’ancien Poitou, ce qui correspond aujourd’hui à la Vendée», l’idée qu’un service réservé aux Canadiens existe à La Rochelle lui laisse peut-être penser que les informations qu’il souhaite découvrir s’y trouveront.
La perception dominante reste tout de même que les recherches sont complexes, un généalogiste nous évoque : « la rumeur, que ce soit tellement difficile, qu’on puisse ne rien faire, qu’on puisse ne rien trouver de nouveau surtout 189». Face à ces difficultés il semble donc normal pour le quêteur de bien organiser sa recherche sous peine d’être « moins bien servi190 ». Les individus qui ont fait le séjour et avec qui nous avons eu des entretiens ont tous d’une façon ou d’une autre préparé leur passage aux archives.
La régularité des voyages et les liens se tissant au fur et à mesure mènent parfois au développement de véritables complicités avec les détenteurs d’archives, autorisant un accès facilité au document. Un généalogiste nous raconte son amitié avec un maire et évoque comment cela l’a conduit à se voir confier temporairement un lot de documents d’archives datant du 17e siècle : « Je racontais dans un de mes articles, que pour le village de Bignay, les archives n’ont des documents qu’à partir de 1779. Alors que dans le bureau du maire il y avait les archives de 1668 à 1719 […] il m’avait passé ces archives-là, pour que je puisse les apporter avec moi et les ramener deux ou trois jours plus tard. Il n’aurait jamais dû faire ça, en tant que généalogiste je trouve qu’il prenait un risque énorme en les prêtant à quelqu’un, alors que c’est des archives très importantes ». Ce genre de relation privilégiée n’est pas isolé, on retrouve chez un autre informateur un lien particulier avec le directeur des archives départementales d’alors : « À l’époque, la loi sur les archives en France était limitée à dix documents par jour. Monsieur Even m’avait dit : “je ne peux pas vous faire de dérogation, mais je vais aviser ma préposée au prêt pour qu’elle puisse dépasser ce nombre de dix documents” […] Donc parfois j’ai pu dépasser, aller jusqu’à vingt-cinq documents par jour ».
Il existe aussi des points de friction entre les quêteurs et les archives françaises. La perception même des services par les Canadiens francophones laisse augurer l’existence de possibles tensions. Nous avons relevé chez nos interlocuteurs ayant fait le voyage l’utilisation de mots émanant du champ lexical du commerce pour qualifier les archives : « clientèle », « client », « comptoir », « marché »… autant de termes induisant un certain type de relations et s’éloignant des notions d’usagers, de disponibilité des documents ou encore de bureau de la salle de lecture. Il nous semble donc que le paradigme du généalogiste canadien est différent de celui du lecteur local. Cela a donc nécessairement un impact sur la vision des archives et des archivistes français.
Un Canadien francophone évoquant les recherches qu’il fait aux archives départementales de Charente- Maritime nous dit : « Depuis deux ans c’est trois documents à la demi-heure, donc je rentabilise mon temps beaucoup plus, au grand dam des préposés au prêt193 ». Au-delà de l’utilisation du terme de rentabilité, qui sous-entend ici une notion de retour sur investissement, on relève que le généalogiste pense que l’équipe officiant en salle de lecture n’apprécie pas ses demandes répétées de documents.
Lorsque nous évoquons avec lui la comparaison entre les services d’archives canadien et français, il dit :
« Le niveau de vitesse en France pour la réception de services, on n’est pas sur la même vitesse. Quand je me présente au comptoir des archives, je trouve qu’en France ils ne sont pas très rapides à nous donner satisfaction (rire)». Il existe donc parfois une incompréhension entre le personnel des archives et le quêteur. Il nous semble que deux éléments s’affrontent dans ce témoignage, d’un côté le généalogiste nous explique son objectif : « moi je suis là pour trouver le plus de documents possible dans l’espace de temps que j’ai. En plus je débourse des frais, c’est quelque chose que j’ai du mal à leur faire comprendre », il nous décrit les agents en salle de lecture de cette façon : « Eux ils vivent là, ils viennent tous les jours, ils sont payés aux trente-cinq heures par semaine196 ». Il se révèle donc une dichotomie entre le touriste canadien qui est dans une situation extraordinaire lorsqu’il se rend aux archives en France, et le personnel, qui lui vit une journée ordinaire.
Une généalogiste nous évoque un de ses passages aux archives et la déception qu’elle a ressentie à l’égard du personnel l’ayant reçu : « la dernière visite que j’ai faite, à ce moment-là c’était beaucoup de jeunes qui travaillent aux archives, et eux ils étaient moins performants que des ordinateurs (rire). Je ne veux pas être méchante, mais à ce moment-là, ces sujets-là, c’était comme des sujets qui les dépassaient complètement. C’était des sujets démodés. Si ça parle de Richelieu, de Louis XIV, là ils connaissent ça. Mais de fouiller pour du monde ordinaire, parti de France… ils ont l’air de dire : “vous êtes bien bizarre à chercher après ça” ». Ici on remarque la difficile reconnaissance d’une quête pour laquelle Juliette B. aurait aimé voir susciter plus d’enthousiasme. La même informatrice nous révèle un clivage qui selon elle semble profondément ancré entre les deux sociétés : « ici [au Canada], je trouve que c’est plus facile d’avoir accès aux documents. Ici l’accès à l’information est un droit. Alors qu’en France ça semble être un privilège », cette notion de privilège nous permet de penser que la généalogiste fait ici ostensiblement référence à la France de l’Ancien Régime et l’oppose ouvertement à la Nouvelle-France.
Mais au-delà de ces problèmes culturels, la relation entre touristes canadiens francophones et service d’archives semble tout de même positive puisqu’on peut noter qu’une majorité des quêteurs qui sont venus dans un service d’archives déclarent avoir bénéficié de l’aide des archivistes dans leur recherche.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Les archives support identitaire du généalogiste
Se reconstruire grâce à la généalogie
La parenté sur mesure
Le généalogiste et l’émotion
2. Une quête de parenté transnationale
La construction d’un tourisme généalogique
Idéalisation du pays et de l’ancêtre
Un retour aux sources
3. Tourisme généalogique et archives
Le rôle des archives dans le développement du tourisme généalogique
L’archiviste et le touriste généalogiste
Le touriste généalogiste et les archives
BIBLIOGRAPHIE
Histoire du Québec et de son peuplement
Généalogie et histoire de soi
Tourisme généalogique
Archives et Nouvelle-France
Archives et émotion
État des sources
LE TOURISME GENEALOGIQUE DES CANADIENS FRANCOPHONES EN CHARENTE-MARITIME
1. Origines, profils et pratiques de la généalogie
La perception du lien France-Canada
Qui sont ces généalogistes atypiques ?
Pratique de la généalogie
2. Une traversée longuement murie
Les motivations du voyage
La préparation du voyage
Le déroulement du voyage
3. Perception et relation aux archives
Les archives et le généalogiste
Archives et archivistes face aux Canadiens francophones
ANNEXES
TABLE DES ANNEXES
TABLE DES ILLUSTRATIONS
TABLE DES GRAPHIQUES
TABLE DES MATIERES
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