Les années de formation et construction théorique de Prebisch : des expériences théoriques et professionnelles décisives sur sa théorie du développement
Dans cette partie nous essayerons de retracer l’origine des idées contenues dans El desarrollo económico de América Latina y algunos de sus principales problemas (1949), et dans Hacia una dinámica del desarrollo latinoamericano (1963). En continuité avec des auteurs comme Adolfo Gurrieri et avec certaines idées développées par Edgar J. Dosman, nous soutenons dans cette première partie que les idées de Prebisch développées dans le texte de 1949 étaient présentes dans ses travaux précédents, remontant aux années 20. Nous nous rapprocherons ainsi du point de vue de Gurrieri, selon lequel Prebisch n’a jamais vraiment été convaincu par l’orthodoxie, malgré ce que lui-même et d’autres auteurs aient pu dire.
Effectivement, comme nous le montrerons plus loin, on retrouve dans sa jeunesse plusieurs indices de rejet de l’orthodoxie.
Comme Gurrieri le fait remarquer, le texte de 1949 de Prebisch préparé pour la Conférence de la Havane reflète surtout des idées passées de Prebisch avant son entrée à la Commission Economique Pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPAL). En effet, il a d’abord joint la CEPAL pour une courte période de 4 mois dans laquelle il devait aider à la formation de cette institution nouvellement créée et préparer un rapport pour la 2ème Session de la CEPAL à la Havane qui devait se tenir en juin 1949 . Cette période étant très courte et la tâche très ardue, il n’a pas vraiment eu le temps de fréquenter et échanger avec les autres économistes de la nouvelle branche de l’ONU . Il a été rapporté par Dosman (2010) et Celso Furtado (1986, p.59-60) qu’un premier brouillon du rapport a circulé, et que Furtado a critiqué le manque de prise de position et de nouveauté dans le contenu, qui était trop prudent selon lui. Alors qu’il travaillait encore sur son rapport, Prebisch a lu un brouillon non publié de Hans Singer où se trouvaient des idées similaires aux siennes, et cela l’a apparemment conforté dans ses thèses et motivé à écrire l’article final pour la Conférence. Mais étant donné que la Conférence était imminente, l’article final a été écrit en 3 jours et 3 nuits, et présenté à ses collègues de la CEPAL le jour de leur départ. Aucun commentaire ou modification n’étaient possibles à cause du manque de temps. Donc, mis à part une probable inspiration de Hans Singer et peut-être le changement de ton suggéré par Celso Furtado, les idées de l’article de 1949 étaient celles de Prebisch, fruit de son expérience antérieure à son entrée à la CEPAL.
Sur cette base, nous pensons qu’il est nécessaire de se pencher sur les années de formation académique et professionnelle de Prebisch afin de comprendre les idées qui ont inspiré sa théorie du développement présentée dans son texte de 1949. Cet exercice montrera que la théorie du développement de Prebisch rassemble ses différentes expériences en un tout cohérent.
Afin de montrer la cohérence dans les idées de Prebisch dès ses années d’étudiant (qui commencent en 1918), il nous semble important d’apporter des éléments biographiques concernant son enfance et surtout sa formation et ses expériences dès l’Université.
Nous montrerons de cette façon que son initiation aux statistiques est un élément important de sa formation, car il les utilisera souvent pour appuyer sa théorie du développement. En mentionnant certains textes théoriques écrits dans ses années d’étudiant, nous montrerons que Prebisch n’avait jamais vraiment adhéré à l’orthodoxie de son époque, et que certaines idées se retrouveront plus tard dans ses écrits de 1949 et 1963. De cette façon, nous nous situons en continuité avec les idées développées par Adolfo Gurrieri (2001).
Ses diverses expériences professionnelles − qui se chevaucheront dans un premier temps avec ses études universitaires et les enrichiront considérablement − connaîtront un tournant important en 1943, date où il perd son poste de directeur général (gerente general) de la Banque Centrale de la République Argentine. Ces expériences vont avoir une influence dans le texte de 49. Prebisch approfondira dans cette période ses connaissances sur la situation de dépendance de l’Argentine envers les pays développés dans le commerce international. Notamment, dans les années trente, au sein du Ministère des Finances (1930-32), du Banco de la Nación Argentina (1927-1935) ainsi que dans la Banque Centrale (1935-1943), il proposera et mènera des politiques économiques et monétaires. Egalement, c’est dans cette période que débute son expérience dans les négociations internationales : nous mentionnerons notamment son implication dans les négociations du Traité Roca-Runciman en 1933, un traité commercial entre l’Argentine et l’Angleterre, et ses négociations avec les Etats
Unis afin d’établir un accord commercial en 1940. Nous montrerons que les expériences professionnelles et diplomatiques de Prebisch ont fait mûrir sa pensée d’économie du développement et l’ont enrichie en lui apportant des angles de vue pratique et politique.
Finalement, nous parlerons de la période d’après 1943, durant laquelle se mêlent sa réflexion théorique et son renom international. En effet, il écrira un livre en 1943, mais qui ne sera pas publié, dans lequel il utilise ses expériences passées pour proposer des politiques économiques et monétaires pour l’Argentine proches de celles qu’il proposera dans son texte de 1949. Il aura aussi des expériences personnelles où il connaîtra d’avantage l’Amérique Latine et entrera en contact avec d’autres économistes reconnus, ce qui est important par rapport au contenu plus international du texte de 1949 en comparaison avec ses textes précédents qui concernait uniquement l’Argentine. Finalement, nous montrerons comment les connexions, la réputation, voire le charisme de Prebisch l’ont aidé à obtenir un poste de responsabilité de haute responsabilité aux Nations Unies. Il est intéressant de mentionner cela, étant donné que le texte de 1949 a été élaboré pour la Deuxième Session de la CEPAL à la Havane et qu’il est considéré par la CEPAL comme étant son « document fondateur ».
Le jeune Prebisch et ses années universitaires : l’importance du lien entre la théorie et la pratique, l’importance du « réel »
Le milieu social et l’enfance de Prebisch
Raúl Prebisch est né en 1901. Il est le fils d’un immigré allemand, Albin Prebisch, qui était agriculteur dans la région de Saxe, et de Rosa Linares Uriburu, de famille aristocratique dans l’oligarchie argentine.
Du côté de la mère de Prebisch, la famille Linares était issue des anciens colons espagnols, et faisait partie de la classe sociale dominante : elle comptait des sénateurs, des évêques, des généraux. Toutefois, ceci n’a pas empêché le père de Rosa d’avoir des problèmes financiers. La famille Uriburu, originaire du pays Basque espagnol, était parmi les familles les plus puissantes de l’oligarchie argentine. Il est important de noter que le général José Félix Uriburu, Président de l’Argentine du 6 septembre 1930 au 20 février 1932, a un lien de parenté avec Prebisch.
Le père de Prebisch n’avait pas quitté l’Allemagne pour des raisons financières, mais pour changer de vie : après l’Angleterre et l’Inde il arrivera en Argentine. Après avoir essayé plusieurs métiers, souvent agricoles, dans plusieurs villes , il se marie avec Rosa Linares Uriburu vers 1887 à Jujuy. Après encore quelques changements de ville et de travail, ils finissent par s’établir à San Miguel de Tucumán. Albin acheta une petite imprimerie vers 1893, puis diversifia son activité : son commerce s’agrandit et il fut reconnu comme un homme d’affaires respecté dans la ville. Sa réputation était alimentée par ses diverses activités qui gagnaient en importance : d’abord il enseignait l’anglais pendant son temps libre à l’Ecole Nationale locale, puis il fut le directeur de la Banque Commerciale de Tucumán, et enfin le consul honoraire allemand pour le Nord-Ouest de l’Argentine. Raúl Prebisch est donc issu d’un milieu social particulier : en ascension sociale du côté de son père (immigré allemand qui fit « fortune » en Argentine) mais en déclin du côté de sa mère (descendante appauvrie d’une famille aristocratique du Nord de l’Argentine, les LinaresUriburu). Cependant, la situation globale est d’ascension sociale : tant Albin Prebisch comme Rosa Linares-Uriburu augmentent leur capital économique suite à l’ouverture de l’imprimerie. De même, Albin gagne en capital social et symbolique : il passe d’agriculteur à homme d’affaires respecté, avec une implication dans la vie publique de Tucumán. Quant à Rosa, son capital social et symbolique restent inchangés, vu que les Linares-Uriburu restent une famille aristocratique, dans l’oligarchie et avec un membre de la famille qui prendra le pouvoir de 1930 à 1932.
La situation sociale et financière de sa famille a permis à Raúl d’aller à l’Université de Buenos Aires en 1918, d’autant plus que les études supérieures faisaient partie des objectifs d’une famille en ascension sociale : « L’éducation jouait un rôle central dans le foyer des Prebisch à Tucumán ; c’était la voie de la réussite, et les deux parents exigeaient les meilleurs résultats scolaires. […] La maison était remplie de livres […] », (Dosman 2010, p. 47). En effet, une des aspirations familiales était que les fils de la famille aillent à l’Université dans la capitale, pour qu’ils bénéficient de la meilleure éducation que le pays pouvait dispenser. C’est ainsi que son frère Alberto s’orienta vers l’architecture, Julio vers la médecine et Ernesto vers l’ingénierie. Cependant, telles n’étaient pas les aspirations pour les quatre filles de la famille, qui n’ont pas été à l’Université. L’économie était une discipline nouvelle en Argentine, et elle n’avait pas encore acquis ses titres de noblesse. La faculté des Sciences Economiques de l’Université de Buenos Aires avait été créée le 1er Mars 1914, et elle s’annonçait comme la meilleure faculté d’Economie d’Amérique Latine, ce qui séduit Raúl Prebisch. Ce dernier ne voulait pas faire une carrière « traditionnelle » comme le droit ou les domaines choisis par ses frères et qui offraient plus de débouchés que l’économie. C’est plutôt son intérêt pour les problématiques d’inégalités économiques et sociales de Tucumán qui semblent avoir déterminé son choix. En effet, à plusieurs reprises dans sa biographie, Edgar J. Dosman insiste sur comment l’exploitation des ouvriers agricoles dans les plantations de canne à sucre de Tucumán avait pesé dans la conscience sociale de Raúl et dans sa volonté de changer cette situation : « comme son père, Raúl grandit en ressentant un dédain de classe moyenne envers l’oligarchie argentine, haïssant particulièrement les magnats du sucre de Tucumán, dont les techniques de travail faisaient que la province soit la plus en retard socialement dans tout le pays. L’exploitation des travailleurs de la canne à sucre [était si présente et sans cesse rappelée que Raúl ressentait] une répugnance permanente envers l’injustice commise contre les faibles », (ibid, p.46) … ; « Petit, Raúl jouait avec les enfants indiens pendant la saison des récoltes, quand ils remplissaient les rues de Tucumán en mendiant pour manger », (ibid, p.47) … ; « Les plantations de sucre à Tucumán étaient encore un souvenir vif, où la souffrance des travailleurs émigrants marginalisés était bien pire que celle du prolétariat urbain à Buenos Aires, même s’ils étaient trop apeurés pour s’insurger. » (ibid, p.63)
L’intérêt de Prebisch pour la problématique du développement en Amérique Latine et pour les questions économiques et sociales semblent trouver leurs racines dans le fait qu’il ait grandi dans une région agricole où les inégalités sociales sont présentes au quotidien. De même, son appartenance à une famille aristocratique en déclin économique peut avoir contribué à éveiller ces intérêts. Dans ses écrits sur le développement, il insistera sur la nécessité d’avoir une agriculture productive, intensive et non extensive, avec des ouvriers d’avantage qualifiés afin de ne pas perdre des « éléments productifs ». Ceci se démarque de la nature des plantations de canne à sucre de Tucumán, qui étaient une production peu productive, qui employait une main d’œuvre peu qualifiée avec des conditions de travail très dures.
La formation Universitaire et intellectuelle de Prebisch : l’importance de l’expérience.
La théorie économique enseignée à l’Université et la déception de Prebisch
Prebisch a commencé à étudier l’économie à l’Université de Buenos Aires (UBA) en 1918. Cependant, il a été déçu autant par la qualité de l’enseignement − les professeurs étaient souvent absents, occupés par d’autres emplois à temps plein − que par son contenu. En effet, l’enseignement en économie se limitait aux concepts enseignés en Europe avant la Première Guerre Mondiale, qui continuaient à être enseignés après la guerre « comme si la guerre avait été une aberration infortunée sans une répercussion durable », (Dosman, 2010, p.55). La réalité économique de l’Europe n’était pas prise en compte, et les théories n’étaient pas adaptées pour l’Argentine, qui était la principale préoccupation de Prebisch. Tout ceci contrastait avec les bouleversements internationaux qui ont suivi la Guerre Mondiale. De même en Amérique Latine il y avait un changement social perceptible avec des avancées démocratiques (les premières élections non truquées ayant eu lieu en Argentine en 1916). Prebisch s’attendait à trouver dans la capitale un dynamisme et un stimulant intellectuels en accord avec cette période de changement, qu’il ne pouvait pas trouver dans son Tucumán rural. Le manque d’intérêt de l’enseignement à l’Université pour le contexte, le manque de lien entre la théorie et la pratique contribuaient à sa déception . Comme conséquence il n’assista pas souvent aux cours, et se forma principalement en autodidacte.
L’importance de l’expérience professionnelle chez Prebisch
Que Prebisch ait été autodidacte et qu’il ait pu se former à l’économie par une expérience non académique nous semble décisif pour expliquer l’originalité de son parcours intellectuel et professionnel. En effet, nous comprenons comment il a commencé par être formé à l’orthodoxie classique et comment il était influencé par elle et semblait même adhérer à certains de ses postulats.
Mais également, nous voyons comment le milieu intellectuel dans lequel il s’était inséré a pu lui permettre d’avoir un esprit critique et ouvert et l’a poussé à progressivement à la remettre en cause. Sa fréquentation d’hommes politiques, de sociologues, ainsi que d’Alejandro Bunge qui avait d’autres méthodes en économie, lui permettait d’avoir un contact avec d’autres disciplines et de se familiariser avec des problématiques sociales et appliquées. Ceci sera important dans l’affirmation de l’hétérodoxie de Prebisch et dans la rapide remise en cause de ses conceptions premières plus proches de l’orthodoxie. Ceci nous semble cohérent avec ses écrits sur le développement qui ont une prétention à être appliqués et non pas à être simplement académiques. Nous voyons également que ses relations en dehors de l’université ont sûrement joué un rôle dans sa politisation et dans la formation ou la consolidation de sa conscience politique.
Même s’il ne négligeait pas la théorie, les intérêts de Prebisch en tant qu’étudiant étaient surtout l’économie politique, « et son but évident était de comprendre la position de l’Argentine dans l’économie internationale afin de servir son pays dans un travail pratique », (Dosman, 2010). Or une simple formation académique dans la nouvelle faculté des sciences économiques à Buenos Aires ne lui semblait pas suffisante, il s’est donc tourné vers l’expérience professionnelle dans les domaines économiques pour compléter ses compétences. Il a travaillé au Bureau National de Statistiques de 1925 à 1927, dans le Bureau de Statistiques de la Sociedad Rural de Agricultura (SRA) en 1923 puis 1927, il a travaillé au ministère des Finances en 1923 et 1930, au ministère de l’Agriculture en 1924, au Bureau de Recherches et d’Information de la Banque de la Nation Argentine de 1927 à 1935, et finalement il a été le directeur de la Banque Centrale de 1935 à 1943. Dans ces postes il a eu accès à des données empiriques, il a acquis plus de connaissances sur la conjoncture économique de l’Argentine, et plus d’expériences sur la définition et la conduite des politiques économiques, notamment lors de son passage par la Banque Centrale.
Le Bureau de Statistiques de la Sociedad Rural de Agricultura
Il obtient en 1923, et grâce à l’aide d’Eleodoro Lobos, un contrat d’un an pour travailler à la Sociedad Rural de Agricultura (SRA), en tant que directeur du Bureau des Statistiques. Ce poste lui avait été proposé dans le cadre de la création d’un bureau de recherche pour étudier les causes et les implications de la baisse d’après-guerre sur les prix internationaux de la viande bovine (Dosman, 2010, et González del Solar, 1983). La SRA attribuait la baisse des prix de la viande aux emballeurs de viande étrangers, surtout britanniques et états-uniens, qui exerçaient un oligopole sur l’emballage et le transport de viande dans des bateaux réfrigérés.
Elle voulait prouver le lien entre cet oligopole et les bas prix de la viande afin de pousser l’Etat à intervenir et établir un prix plancher de la viande. Pour cela, elle avait besoin de statistiques pour soutenir ses arguments. Cependant, Prebisch trouva que l’oligopole n’expliquait pas toute la baisse des prix qui était aussi due était à l’offre abondante de viande.
De même, il craignait que les producteurs ne soient pas assez puissants contre le trust des emballeurs et ne puissent gagner la bataille. Suite à ce compte rendu, la SRA licencie Prebisch six mois avant la fin de son contrat et le qualifie de « pro-britannique ».
Malgré cette expérience négative en 1923, il travaillera une deuxième fois à la SRA en 1927. Effectivement, lors de sa première embauche, la qualité de son travail avait plu aux directeurs Enrique Uriburu et Ernesto Bosch, qui étaient devenus ses protecteurs. Or, le licenciement de Prebisch avait eu lieu dans une période où ces protecteurs n’étaient plus dans l’institution. En 1927, un ami de ces protecteurs, Luis Duhau, était devenu le directeur de la SRA, et Prebisch lui avait été recommandé. Prebisch est donc embauché premièrement pour aider Duhau lors d’un voyage à Washington pour négocier des accords sur le commerce de viande entre les Etats-Unis et l’Argentine. L’Argentine avait besoin de technologie produite par les Etats-Unis, et voulait en échange exporter de la viande vers ce pays. Mais les EtatsUnis produisaient déjà la quasi-totalité des biens agricoles que l’Argentine avait à offrir, et n’importaient pas la viande argentine à cause de la fièvre aphteuse. Ayant apprécié son travail, Duhau embauche Prebisch au sein de la SRA lui donnant comme mission de « produire un annuaire statistique annuel avec une référence spéciale pour l’agriculture, mais comprenant tous les secteurs dont le commerce extérieur », qui fut « le premier annuaire statistique sur le commerce extérieur dans l’histoire de l’Argentine », et de « préparer un autre rapport spécial sur l’industrie de la viande » (Dosman, p.87-88). Le rapport sur l’industrie de la viande avait comme conclusion qu’il fallait que l’Etat régule les grandes entreprises qui avaient la mainmise sur le commerce de la viande et qu’il fixe un prix plancher pour la viande. Ce rapport fut considéré comme de la propagande pour la SRA, ce qui créa une grande agitation politique à son encontre, et mena Prebisch à la démission au bout de moins d’un an de travail.
Le Ministère des Finances et un bref passage au Ministère d’Agriculture
En 1923, lorsque Prebisch est licencié de la SRA, Eleodoro Lobos intervient de nouveau et convainc le Ministère des Finances de l’embaucher « en tant que consultant pour visiter l’Australie et la Nouvelle Zélande » (Dosman, 2010) en octobre 1923. En effet, le Ministère voulait réformer le système d’impôt, et ces deux pays étant agricoles comme l’Argentine ils étaient considérés comme pouvant servir d’exemple. Prebisch devait ainsi étudier et comparer les systèmes d’impôts et d’administration de ces trois pays. Ce voyage a confirmé Prebisch dans ses croyances sur la nécessité d’une réforme agraire argentine, car l’Australie et la Nouvelle Zélande n’avaient pas une concentration de terres aussi grande qu’en Argentine. Ce facteur était important également au niveau de la justice sociale, car la distribution de la rente était plus égalitairement répartie. Prebisch perd le poste au Ministère des Finances suite à un changement dans la direction du Ministère en 1924. Lors de son retour en bateau en Argentine, Prebisch se lie d’amitié avec Tomás Le Breton, qui était le ministre d’Agriculture argentin. Ce dernier lui propose de travailler pour lui comme conseiller personnel, et Prebisch accepte : en juillet 1924 Prebisch devient l’assistant technique du sous-secrétaire du Ministère d’Agriculture. Il y travaille jusqu’en 1925, date où il est embauché par le Bureau National de Statistiques.
A partir de 1943 : un moment de réflexion théorique pour Prebisch, et la création d’un renom en Amérique Latine qui lui ouvrira les portes de la CEPAL
La moneda y el ritmo de la actividad económica, 1943 : l’importance de ce texte inédit de Prebisch
Suite au Coup d’Etat de 1943, plusieurs ministres et Prebisch ont été renvoyés de leur poste . Ce dernier a donc été forcé à être inactif et isolé à Mar del Plata en tre 1943 et 1944, mais il profita de cette période pour écrire sur son expérience à la Banque Centrale. Au début c’était un livre très descriptif, puis il décida de lui conférer un contenu beaucoup plus analytique et théorique. Le résultat fut un livre qu’il ne réussira pas à publier : La monnaie et le rythme de l’activité économique. Malheureusement, le texte n’est pas facilement accessible et les sources sur ce livre sont peu nombreuses. Dosman étant le principal auteur à avoir détaillé le contenu du texte, nous nous basons donc principalement sur ses écrits.
Cet ouvrage serait divisé en trois parties : la première serait un exposé théorique, la deuxième analyserait la politique monétaire et économique pendant la décennie de 1930, et la dernière partie évaluerait les perspectives de l’Argentine et ses options politiques après la Seconde Guerre Mondiale. Toutefois, pour notre exposé, nous allons procéder différemment.
Nous allons identifier différentes politiques : la politique agricole, la politique industrielle, la politique commerciale, la politique monétaire et la politique contra-cyclique. Et nous montrerons que la façon dont Prebisch les lie ressemble fortement à sa théorie du développement développée dans le texte de 1949.
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Table des matières
Introduction
I- Les années de formation et construction théorique de Prebisch : des expériences théoriques et professionnelles décisives sur sa théorie du développement
A) Le jeune Prebisch et ses années universitaires : l’importance du lien entre la théorie et la pratique, l’importance du « réel »
1. Le milieu social et l’enfance de Prebisch
2. La formation Universitaire et intellectuelle de Prebisch: l’importance de l’expérience
2.1 La théorie économique enseignée à l’Université et la déception de Prebisch
2.2 Le choix de Prebisch d’être autodidacte
2.3 Le travail théorique de Prebisch en tant qu’étudiant et sa direction de groupes de recherche étudiants
B) L’importance de l’expérience professionnelle chez Prebisch
1. Le Bureau de Statistiques de la Sociedad Rural de Agricultura
2. Le Ministère des Finances et un bref passage au Ministère d’Agriculture
3. Le Bureau National de Statistiques
4. Prebisch dans le Banco de la Nación Argentina (BNA): les débuts du pouvoir et de l’expérience internationale de Prebisch
4.1 L’expérience au sein du BNA
4.2 L’expérience internationale de Prebisch impulsée par le BNA
5. Prebisch en tant que directeur général de la Banque Centrale de la République Argentine (BCRA) : un grand pouvoir sur l’économie et une importance diplomatique
5.1 Les politiques monétaires de la BCRA : des politiques contra-cycliques et le contrôle des capitaux
5.2 Les négociations avec Washington, et un essai d’intégration régionale avec le Brésil
6. Conclusions : l’importance des institutions dans la théorie de Prebisch, et les apports de son expérience professionnelle dans les textes de 1949 et 1963
6.1 L’importance des institutions dans la théorie de Prebisch
6.2 Résumé des apports de son expérience professionnelle dans les textes de 1949 et 1963
C) A partir de 1943 : un moment de réflexion théorique pour Prebisch, et la création d’un
renom en Amérique Latine qui lui ouvrira les portes de la CEPAL
1. La moneda y el ritmo de la actividad económica, 1943 : l’importance de ce texte non publié de Prebisch
1.1 Le texte de 1943 : l’Etat doit activement mener et combiner différentes politiques pour le bon fonctionnement de l’économie
1.1.1 Le lien entre politiques commerciale et industrielle
1.1.2 Les politiques agricole et monétaire, et leur lien avec la politique contracyclique
1.1.3 Le rôle des politiques commerciale et industrielle dans une politique de diversification à long-terme
1.2 En 1949, ces mêmes idées sont d’avantage développées et structurées clairement autour d’une théorie du développement
1.3 Résumé des ressemblances entre 1943 et 1949
2. Son expérience personnelle liée à l’académie latino-américaine et à la gestion des
banques centrales ont contribué à la dimension internationale du texte de 49
3. Le renom de Prebisch en Amérique Latine et son charisme lui ouvrent les portes de la CEPAL
3.1 Le charisme « institutionnel », lié à ses postes de travail
3.2 Le charisme plus « personnel », mais pas pour autant indépendant de son statut dans les institutions
II- Le tournant dans la théorie de Prebisch : vers une théorie du développement dans son « Manifeste de la CEPAL » en 1949 à sa concrétisation dans Hacia una dinámica del desarrollo Latinoamericano en 1963
A) Les débuts d’une théorie du développement solide, normative et pragmatique
1. Les enjeux de la création de la CEPAL : prouver qu’il s’agit d’un organisme utile
et autosuffisant
2. Une rhétorique convaincante
2.1 Des statistiques et des exemples numériques pour convaincre de la réelle inégalité dans l’échange entre le centre et la périphérie
2.2 Les Etats-Unis offrent un exemple concret dont nous pouvons nous inspirer
3. Les moyens possibles pour se développer
3.1 Monnaie crédit et change
3.2 Les politiques commerciale et industrielle
3.3 La politique contra-cyclique
4. Conclusion : le texte de Prebisch est moins sectoriel et a une approche globale visant l’Amérique Latine
B) L’affirmation de la théorie et des politiques du développement de Prebisch : un bilan en 1963, fruit de 13 ans passés à la CEPAL (influences de l’institution dans son contenu théorique, et influence de son expérience internationale)
1. Une connaissance plus poussée de la réalité économique et sociale latinoaméricaine, et comment cela se reflète sur sa vision de l’agriculture et le progrès social
1.1 La description de la structure sociale latino-américaine
1.2 L’accumulation du capital par la réduction de la consommation des classes aisées et quelques limites
1.3 Pour se développer économiquement, la structure sociale doit changer
2. Les marchés régionaux
2.1 Le rôle de Prebisch dans la création de l’Association Latino-américaine de Libre Commerce
2.2 La conception du marché commun de Prebisch
3. Conclusions
Conclusion
Bibliographie
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