Le rôle de l’espace dans les mutations des sociétés : de l’aménagement urbain à la production de valeurs

Le rôle de l’espace dans les mutations des sociétés : de l’aménagement urbain à la production de valeurs 

Interroger le statut de l’espace, dans une perspective de géographie sociale, ce n’est pas étudier l’espace pour lui-même mais comme une clé de compréhension de l’organisation des sociétés. Dans cette perspective, l’espace est d’abord analysé comme une projection de l’organisation sociale, un moyen de l’apercevoir empiriquement, par opposition à certaines approches spatialistes qui tendent à le définir comme une entité agissante productrice de processus spécifiques en interaction avec des processus sociaux qui seraient d’un autre ordre. Toute intervention de la société sur l’espace est donc ainsi à considérer comme une projection de la société c’est-à-dire, une traduction spatiale de normes sociales particulières.

Toutefois, on ne peut se contenter d’analyser l’organisation de l’espace comme une simple projection des normes de la société. En tant que condition nécessaire à l’existence d’une société, ce dernier ne peut être complètement subordonné à elle comme s’il n’était que le simple contenant, ou la simple traduction matérielle et physique des processus sociaux. En tant que support d’enjeux sociaux spécifiques, la projection de la société sur l’espace participe à la transformation de l’organisation sociale elle-même. Ainsi, étudier la manière dont une société norme l’espace, c’est étudier la manière dont elle se norme en retour. L’espace est alors aussi un instrument de pouvoir des sociétés sur elles-mêmes.

Le terme technique d’aménagement, souvent employé pour définir les actions de transformations de l’espace par la société, ou celui d’urbanisation, qui suppose pourtant déjà des formes spécifiques d’organisation sociale, n’apparaissent alors pas assez précis pour interroger les modalités et les enjeux des projections de la société sur l’espace, et donc sur ellemême. En effet, que fait-on lorsque l’on aménage un espace ou même qu’on l’urbanise ? Audelà des formes matérielles spécifiques, sur quoi la société agit-elle précisément ? Ce premier chapitre aura pour objectif d’apporter des réponses à ces questions en analysant les enjeux analytiques du rapport entre les sociétés et leurs espaces et en apportant une définition théorique de l’espace comme une dimension de la construction et de la légitimation des valeurs qui norment les sociétés.

Penser l’urbanisation comme un processus d’organisation social e de l’espace : les trois dimensions de l’espace social 

Penser la dimension spatiale des sociétés (Veschambre, 2007), c’est donc interroger la manière dont ces sociétés agissent dans et à travers l’espace. En réinterrogeant la dialectique ancienne entre matériel et idéel (Godelier, 1984) au prisme des théories de l’espace social proposées par Henri Lefebvre dans La production de l’espace en 1974, nous proposons de catégoriser ces actions et ces projections selon trois dimensions qui seront au fondement de l’analyse des processus de dévalorisation/revalorisation que nous étudierons tout au long de ce travail.

De la dimension matérielle de l’espace à l’espace conçu 

Si l’espace social ne s’y limite pas, il prend la forme d’une réalité matérielle, physique et morphologique. Longtemps, la géographie classique a confondu cet espace physique avec l’espace naturel dont l’objet des interventions humaines serait de s’y adapter ou d’en contrôler les formes. Pourtant, loin de se limiter à cette vision originelle de l’espace naturalisé, l’espace morphologique est la matérialisation de l’histoire de l’intervention humaine et de la production d’objets géographiques (bâtis, réseaux, cultures, bref, des éléments topologiques de toutes sortes, crées ou transformés par l’activité humaine). Le processus d’urbanisation, qui nous intéresse ici prend ainsi nécessairement et presque tautologiquement la forme d’intervention sur l’espace physique dont l’objet va être d’en modifier les formes en projetant des éléments topologiques nouveaux et en en détruisant ainsi des anciens. Les interventions des sociétés sur la dimension matérielle sont ainsi des processus d’aménagement au sens le plus général ou elles visent à disposer, organiser et à distribuer des objets dans l’espace.

Il est donc possible de résumer les interventions des sociétés sur la matérialité spatiale à des actions de conceptions plus ou moins conscientes et organisées. En tant que dimension du social, l’espace matériel devient alors un espace conçu (Lefebvre, 1974), dans la mesure où il révèle une action de projection de formes matérielles par les sociétés. Celui-ci est à la fois hérité, produit de l’histoire et en cours d’aménagement. Loin de l’espace naturalisé, l’analyse des modalités d’intervention sur l’espace conçu dans des contextes de mutations urbaines va donc être portée sur les formes urbaines, leur ordonnancement, l’intensité de leur construction et leur évolution temporelle. Mais au-delà de la matérialité spatiale même, c’est bien ce qu’elle permet de révéler de l’organisation de la société qui réalise et qui s’approprie ces constructions matérielles, qui détermine la portée empirique et analytique de l’étude de l’espace conçu et de son évolution.

De plus, la conception de l’espace est régie par des règles, des coutumes et des modalités d’action spécifiques aux organisations sociales qui le conçoivent en fonction de leurs objectifs et de leur mode de vie. Dans la mesure où la conception de l’espace n’est pas uniquement projection d’objets géométriques, mais bien d’objets géographiques planifiés et destinés à des usages, donc à des usagers, elle est également institutrice de fonction sociale. L’action de planification, comme celle de la réalisation matérielle, traduit donc des relations d’acteurs aux intérêts et aux moyens divers qui conditionnent la matérialité des espaces.

L’espace conçu est ainsi régi par des conditions juridiques et normatives qui correspondent à une organisation institutionnelle et sociale de la production matérielle de l’espace. En ce sens, il est nécessairement teinté d’idéologie (Lefebvre 1974), de principes moraux, bref de valeurs qui s’affirment à la fois matériellement, mais aussi au sein des institutions qui le régissent. Pourtant, dans les sociétés contemporaines, la conception de l’espace tend à être constamment objectivée, naturalisée comme s’il s’agissait d’une science (Ibid.). De ce fait, elle fait l’objet d’une expertise particulière qui révèle des acteurs spécifiques. C’est en effet l’espace des architectes, urbanistes, juristes, ingénieurs, des élus…, qui opèrent des découpages géométriques de l’espace et qui l’aménagent selon des plans spécifiques. En ce sens, l’espace conçu est nécessairement l’expression d’un pouvoir de quelques-uns puisque la modification durable de l’espace matériel n’est pas une décision ou une compétence partagée par le plus grand nombre et que, même objectivé, elle est la traduction de normes et de valeurs qui ont évolué dans l’histoire et qu’il s’agira de révéler puis d’analyser.

Les représentations de l’espace ou la projection idéelle des sociétés 

Au-delà de formes matérielles, l’espace est également l’objet de projections symboliques à travers un ensemble de signes de différentes natures : images, discours, récits, etc. Nous parlerons ici, au sens large de représentations de l’espace, c’est-à-dire de visions où se mêlent « imaginaire et symbolisme » (Lefebvre, 1974) de l’espace tel qu’il fut, qu’il est et tel qu’il sera. Par essence, la représentation est subjective et ne peut se réduire à une simple description voire, à un calque d’un espace préexistant. Il convient d’y analyser une action humaine, plus qu’une information objective. En tant qu’intervention idéelle de la société sur l’espace, l’analyse des représentations de l’espace permet de comprendre la manière dont il est décrit, projeté, idéalisé, etc. par les sociétés.

En effet, les représentations ne sont pas seulement discours descriptifs ou explicatifs sur l’espace. En le définissant, en lui donnant une fonction (sociale, familiale, individuelle), les représentations de l’espace deviennent instituantes car elles participent à faire exister l’espace social. Elles guident à la fois sa conception matérielle et ses appropriations sociales. Ces projections, parfois contradictoires, circulent puis influencent les perceptions que l’on a d’un espace donné, la manière dont on se reconnaît en lui ou qu’au contraire on le rejette. Ces représentations peuvent avoir pour objectif d’informer, de convaincre ou d’affirmer, de démontrer voire d’imposer un rapport spécifique à l’espace ou un certain modèle imaginaire. De ce fait, la production et la diffusion de représentations de l’espace, en tant qu’enjeu de définition du réel, peuvent devenir des stratégies d’acteurs. Ces dernières peuvent émaner à la fois du pouvoir (institution d’une fonction spécifique à un espace, marketing territorial, stigmatisation d’un espace et d’une population, etc.) mais aussi de l’ensemble des groupes sociaux et des individus qui produisent des discours plus ou moins audibles sur l’espace et son histoire. Ainsi, tout autant que la conception matérielle de l’espace, sa représentation idéelle est chargée de normes et de culture, donc de valeurs et d’idéologie.

Là encore, il existe des inégalités de pouvoir importantes entre les classes sociales qui ont un accès différencié aux conditions de production et de mise en circulation des représentations et des discours, ainsi qu’à la valeur qui leur sont socialement attribués (Bourdieu, 1982). Ainsi, le signifiant revêt souvent une importance toute aussi forte que le signifié car il permet d’avoir accès aux producteurs du discours et de la représentation à travers le médium (documents d’urbanisme, publicités immobilières, articles de presse, slogans de manifestation, etc.). Capter l’origine de ces représentations, c’est ainsi affirmer que comme l’espace conçu, les représentations de l’espaces sont socialement situées. Elles sont fonction d’un contexte social et culturel de locution, reposant sur des acteurs aux intérêts souvent contradictoires, qui ne doit pas échapper à l’analyse au risque d’une approche trop idéaliste des images et des discours qui tendrait à les extraire de leurs conditions d’énonciation. Ainsi, dans les processus de développement urbain, nous nous intéresserons aux rôles de ces représentations et de ces récits dans les stratégies d’influence idéologique des acteurs, dominants ou contestataires, qui les mobilisent comme des « moyens pour imaginer le futur d’un lieu » (Mace et Volgmann, 2017, p. 806). De même, l’urbanisme, devenu communicationnel (Nicolas et Zanetti, 2013) implique désormais la construction d’une histoire convaincante sur le futur de l’espace qui puisse agir comme « catalyseur du changement » (Mace et Volgmann, 2017, p. 806).

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
Chapitre 1. Le rôle de l’espace dans les mutations des sociétés : de l’aménagement urbain à la production de valeurs
1.1. Penser l’urbanisation comme un processus d’organisation sociale de l’espace : les trois dimensions de l’espace social
1.2. L’espace comme produit, la ville comme système de production
1.3. Néolibéralisme et production de l’espace urbain : un champ de recherche en construction
1.4. Du produit urbain à la/aux valeur(s) urbaine(s)
Synthèse des questionnements théoriques. Quel rôle pour la production de l’espace dans l’émergence d’un système de valeurs néolibéral ?
Chapitre 2. Les anciens quartiers industriels en reconversion comme espaces privilégiés de l’observation des mutations du système de production urbain
2.1. Le quartier : une interface entre localités et structures
2.2. Les anciens quartiers industriels comme cadres exemplaires des processus de dévalorisation/revalorisation en question
2.3. Les anciens quartiers industriels en projet : les grandes tendances de la « régénération urbaine »
Synthèse et questionnements : entre poids des dynamiques d’accumulation, mondialisation des valeurs urbaines et négociations locales : les anciens quartiers industriels à la croisée des chemins
Chapitre 3. Justification du choix des espaces d’études, construction de la comparaison et méthodologie des enquêtes de terrain
3.1. Une comparaison des processus de revalorisation urbaine en France et en Allemagne
3.2. Présentation des espaces d’études
3.3. Méthodes
Synthèse méthodologique et objectifs de l’enquête de terrain
CONCUSION GENERALE

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