Le rôle de l’enseignant en classe de langue
Guider ses élèves vers la théâtralité
L’atelier théâtre au sein du cours de langue peut être un réel atout pour favoriser la participation orale auprès des élèves. Cependant, il est parfois difficile de savoir comment le mener à bien : Quelles vont être les répercussions sur le cours de langue standard ? Quelle place dois-je occuper en tant que professeur ? Comment donner envie à mes élèves de participer à cet atelier ? Un panel de questions qui nous invite à réfléchir sur ce que signifie « guider ses élèves vers la théâtralité ».
Quelle que soit la matière enseignée, le professeur endosse le rôle de guide, il mène ses élèves sur le chemin de la découverte, de l’apprentissage, de la réalisation de soi, et s’il y arrive, de la réussite. Un tel parcours n’est pas de tout repos, les obstacles sont nombreux, tant pour l’élève que pour le professeur. S’exprimer à l’oral est essentiel mais peut s’avérer particulièrement compliqué pour certains élèves, et constitue l’un des écueils majeurs observé en cours de langue. Le professeur doit par conséquent amener l’élève à prendre confiance en lui, le rassurer lors de ses interventions et l’encourager. Sur le chemin de l’apprentissage, le théâtre peut apparaitre comme un pont, une passerelle permettant aux élèves de progresser, d’avancer plus aisément malgré les obstacles. Quant au professeur, il guide ses élèves sur cette passerelle, veillant à ce que tous l’empruntent pour atteindre des objectifs de classe ou des objectifs personnels. Néanmoins, ce détour par l’art dramatique pour favoriser l’apprentissage de la langue doit apparaitre comme « un plus » dans la formation de l’élève, il doit donner à l’élève l’envie de jouer : l’aspect scénique du jeu de l’acteur et l’aspect ludique du jeu pour rire et se divertir . Il ne s’agit pas de forcer l’élève à emprunter un chemin, mais plutôt de lui proposer le théâtre comme une aventure novatrice. Dans son mémoire sur « la dimension ludique en didactique des langues », présenté en 2013, Marine Godard souligne que le jeu « participe à la formation de l’élève, au savoir être de celui-ci » et que l’enseignant « doit permettre à l’élève de trouver sa place dans le monde, il doit lui donner les outils nécessaires pour être un citoyen unique » . Il y a donc bien la position de guide qui apparait pour l’enseignant, avec comme objectif l’accompagnement vers la réalisation de soi en tant que citoyen mais aussi en tant qu’être humain pour l’élève.
Mener une séance de théâtre est un engagement, l’enseignant doit réellement s’impliquer dans cette démarche pour qu’elle fonctionne auprès des élèves et garde sa dimension de cours, et ne soit pas interprétée uniquement comme un moment de détente, de récréation. En effet, l’objectif de cet atelier au sein de la classe est bien de faire progresser les élèves et qu’ils acquièrent des compétences, il ne s’agit pas de faire du théâtre pour passer le temps ou se divertir. Pour convaincre ses élèves de l’intérêt de cet atelier, le professeur doit lui même être convaincu et convaincant, voilà pourquoi l’engagement doit être total.
La maitrise de l’atelier théâtre pour l’enseignant
Si l’enseignant et l’élève gagnent à exercer ce genre d’activité, ne serait-ce que pour découvrir l’Autre sous un nouveau jour, grâce à une ambiance plus relâchée, amusante, il faut tout de même veiller à ce que chacun garde sa place hiérarchique: l’enseignant, metteur en scène, dirige la séance, et l’élève, acteur, respecte l’autorité de celui-ci. Les élèves ne doivent pas percevoir cet atelier comme un moment de récréation, il s’agit bien de construire des compétences en expression orale mais de façon originale, différente de ce dont les élèves ont l’habitude. Il parait donc essentiel que le professeur explique en début d’année l’objectif de cet atelier et rappelle que les règles de bienséance et de discipline lui sont aussi applicables. Le professeur qui devient lors de cet atelier l’animateur du groupe doit veiller à l’équilibre de la classe, afin qu’il n’y ait pas de débordements, de laisser-aller, car si l’atelier théâtre est une façon plus décontractée d’aborder la langue, il n’en reste pas moins dépendant du cours standard avec toutes ses obligations (respect de la discipline, respect des règles imposées, ponctualité, savoir-vivre et savoir-être, etc.) .
La classe et l’espace
Afin de guider ses élèves lors de cet atelier théâtre dans les meilleures conditions, l’enseignant doit s’approprier l’espace et réorganiser sa classe : déplacement des tables, des chaises, création d’un espace scène et d’un espace public. L’élève n’oublie pas qu’il se trouve dans la salle de cours mais le réagencement du mobilier lui permet aussi de percevoir un nouvel espace lors de cet atelier. Ce changement attire les élèves car il rompt avec le schéma du cours standard et la disposition habituelle de la salle. S’offre alors à eux un moment agréable et divertissant, certains n’auront pas l’impression de travailler, c’est la nonconscience de l’apprentissage sur laquelle nous reviendrons au cours de cette étude.
Même si la réorganisation de l’espace-classe apparait comme une rupture du cours standard, les objectifs d’apprentissage restent identiques.
Que dit le cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) autour du théâtre ?
La pratique théâtrale en cours de langue s’est développée ces dernières années, car elle permet la pratique et l’acquisition de la langue, tout en plaçant l’élève dans une approche actionnelle. Cette méthode de travail, préconisée par le CECRL, consiste à mettre l’élève en position d’acteur de son apprentissage. Il n’est plus uniquement à l’écoute du professeur dans le but d’acquérir des connaissances et compétences (écrites et orales), il participe et agit pour construire son savoir-faire. L’art est un outil qui impose à l’élève d’agir, de créer, d’imaginer ; lié à la découverte d’une langue et d’une culture, cet atelier peut réellement se transformer en un moment de plaisir et d’évasion pour l’élève. Le CECRL soutient ce mélange des disciplines :
L’utilisation de la langue pour le rêve ou pour le plaisir est importante au plan éducatif mais aussi en tant que telle. Les activités esthétiques peuvent relever de la production, de la réception, de l’interaction ou de la médiation et être orales ou écrites .
La place et le rôle de l’élève en cours de langue
Apprendre à communiquer
Théâtralité et apprentissage
L’atelier théâtre doit permettre à l’élève d’acquérir des compétences linguistiques, phonologiques et culturelles, comme le fait un cours standard de langue vivante. Mais il doit aussi apprendre à l’élève à « se servir de ses mains, de son visage, de son regard, de ses attitudes (…) », et pour cela, « le jeu dramatique exige de préciser ses sentiments (que veut-on exprimer ?), sa pensée, ses réflexions, de trouver le mot juste, d’acquérir une aisance physique, développer des qualités d’imagination » . Toutes les expressions corporelles expérimentées par l’élève lors d’un exercice d’art dramatique doivent lui permettre d’accompagner son texte, le geste doit venir accompagner la parole. L’apprentissage n’en sera que meilleur car l’élève fait appelle à deux mémoires différentes pour enregistrer son texte :
une mémoire visuelle (lire le texte pour apprendre) et une mémoire kinesthésique (mettre en relation un geste avec un mot ou une phrase). L’élève travaille sur la précision de l’expression : que dis-je ? le geste que je mime représente-t-il ce que dis ? Cet apprentissage oral et gestuel va permettre à l’élève de travailler sur des exercices d’art dramatique, en fixant les mots de vocabulaire. Donnons un exemple: si l’élève veut mimer une pluie abondante, il fléchira les genoux et mettra les mains sur la tête. Ensuite, l’élève va combiner les éléments et construire des énoncés en ajoutant par exemple le verbe courir, il mimera alors un déplacement par des petits pas rapide sur la scène, les genoux fléchis et les mains sur la tête, prononçant sa phrase dans le même temps. Ainsi, d’un accès relativement limité à la langue, l’élève va progresser vers l’acquisition d’un lexique cible et d’une base grammaticale solide (ordre des mots, répartition des mots en classes grammaticales). Il semble évident qu’à la phrase prononcée doive s’ajouter l’intonation, laquelle permettra à son tour de faire un point sur l’accentuation dans la langue visée.
Ce type d’apprentissage où l’élève est aussi acteur, doit lui permettre de réciter un texte en ayant conscience de ce qu’il raconte, et ne pas être uniquement dans la récitation. Michèle Pendanx écrit que « le rapport existant dans toute activité langagière entre connaissances linguistiques et connaissances contextuelles se pose différemment selon la richesse de la langue de l’apprenant, et évolue à mesure que sa langue se développe : en compréhension comme en production, les connaissances contextuelles finissent par peser moins que les connaissances linguistiques » , pourtant, grâce au théâtre certains élèves en difficulté réussissent à exprimer plus de choses, et peuvent être plus convaincus et convaincants dans leur prestation que des élèves ayant un bon niveau de langue (Dans le cas du texte appris, par une mise en voix orientée par des intonations différentes. Dans le cas de l’improvisation, par la liberté d’expression gestuelle ou orale, même si limitée). On peut donc considérer que les émotions transmises lors d’une production orale, ou encore la gestuelle, ont tout autant de poids que le discours prononcé. Comprendre et se faire comprendre au théâtre passe également par la maitrise du corps. Dans l’article intitulé « Pour une éducation artistique et culturelle», publié dans la revue Le Nouveau Théâtre d’Angers, Jean-Paul Pacaud nous fait remarquer que « Cultiver son regard, son écoute, se cultiver, c’est constituer des repères pour s’y retrouver, pour se trouver, pour donner du sens à ce que l’on sait et à ce que l’on fait » . Travailler la langue, et la façon de dire cette langue, est donc pour l’élève une façon de se constituer des repères lors de cet apprentissage.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Théories de l’apprentissage
1.1. Le rôle de l’enseignant en classe de langue
1.1.1. Guider ses élèves vers la théâtralité
1.1.2. La maitrise de l’atelier théâtre pour l’enseignant
1.1.3. La classe et l’espace
1.1.4. Que dit le cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) autour du théâtre ?
1.2. La place et le rôle de l’élève en cours de langue
1.2.1. Apprendre à communiquer
1.2.1.1. Théâtralité et apprentissage
1.2.1.2. Stratégies de communication et opérations d’apprentissage
1.2.2. L’envie d’apprendre
1.2.2.1. Non-conscience de l’apprentissage
1.2.2.2. La motivation pour apprendre
1.2.3. S’ouvrir à la matière et au regard des autres
1.2.3.1. L’affectivité en cours de langue
1.2.3.2. Porter le masque en cours de langue
1.2.3.3. Accomplissement de l’élève
2. Mise en pratique de l’activité théâtrale au lycée
2.1. Mise en place et déroulement du projet théâtre
2.1.1. Pourquoi avoir initié les élèves au théâtre ?
2.1.1.1. Présentation de l’établissement
2.1.1.2. Genèse d’un atelier théâtre en classe de seconde
2.1.2. Exercices et mise en pratique
2.1.3. Réalisation de projets artistiques
2.1.4. Conséquences sur le cours standard de langue vivante
2.2. Les obstacles et les difficultés rencontrés
2.2.1. Premiers pas vers le théâtre
2.2.2. Un espace pour l’atelier théâtre
2.2.3. L’atelier théâtre, un projet chronophage
2.3. Evaluations et constats
2.3.1. Evaluer les élèves à travers l’atelier théâtre
2.3.2. Mener l’atelier théâtre : une réflexion pour le professeur
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
SITOGRAPHIE
Annexes