Le rôle de l’enseignant dans la recherche de l’implicite
L’intérêt principal des œuvres proliférantes est qu’elles contiennent une grande part d’implicite. Les réponses aux questions « Qui parle ? A qui ? Pourquoi ? Où ? et Quand ? » ne suffisent pas pour comprendre le message du texte. De ce fait, les élèves doivent engager une lecture plus avancée de l’œuvre pour découvrir sa portée symbolique. Ils entrent donc dans une lecture experte. Agnès Perrin souligne la difficulté de ce type de lecture pour l’élève en rappelant qu’il n’y a pas de modèle d’analyse, les œuvres étant toutes différentes les unes des autres . Par conséquent l’élève seul aura du mal à entrer dans la lecture symbolique à laquelle invite le texte. C’est donc à ce moment que l’enseignant intervient pour guider les élèves. Il les aide à avancer dans leurs interprétations, à les modérer tout en gardant son rôle à la fois « de garant des droits du texte » et de garant « des droits et des devoirs des élèves » . En effet, le maître est un intermédiaire entre le texte et les élèves, il doit faire en sorte que les élèves respectent les interprétations de chacun et que ces dernières respectent le texte.
Lors d’échanges oraux, l’enseignant est comme le président de la séance. Il mène le débat du début à la fin. Tout d’abord il ouvre la séance en lançant une question ouverte à laquelle il aura réfléchi pendant son travail de préparation. Puis il devient le régulateur des échanges : il veille à ce que tout le monde puisse prendre la parole et justifie ses propos, il relance le débat lorsque celui-ci perd de sa dynamique, enfin, il s’applique à ce que les règles de vie soient respectées au cours de ces échanges. Ainsi, comme le soulignent Jacques Crinon, Brigitte Marin et Jean-Claude Lallias dans Enseigner la littérature au cycle 3, l’enseignant incite les élèves à s’interroger réciproquement et il fait en sorte qu’ils s’écoutent les uns les autres . Enfin, pour terminer la séance, le maître aide à reformuler et synthétise tout ce qui a été dit au cours de la discussion.
Par les risques pédagogiques qu’il prend en lançant ce type d’activité, l’enseignant est également l’élément clé de la fécondité des échanges. En effet, il doit diriger de la meilleure façon les phases d’interaction pour conduire les élèves vers le hors texte en observant et en écoutant leurs interventions . C. Tauveron compare d’ailleurs le rôle du maître au travail du jardinier qui récolte toutes les interprétations qu’il a su percevoir lors des échanges, les fait mûrir, puis les présente à la classe pour relancer la réflexion . Cela demande un réel travail de préparation et de réflexion sur lui-même. D’autre part, l’enseignant prend des risques car son activité repose essentiellement sur les réactions des élèves qu’il ne peut pas toujours prévoir. Par conséquent, il doit toujours être à l’affût des interventions de ses élèves et développer des capacités d’adaptation à ce genre de situations. C. Tauveron nous donne quelques exemples d’adaptations auxquelles le maître devra être préparé : « accepter de renoncer à ses questions préparées ou de les reformuler, être prêt à en construire d’autres inopinément, modifier sa propre interprétation initiale pour accompagner les élèves dans une autre logique, etc. » . Il est important de souligner que pendant le débat, l’enseignant tient le rôle de médiateur et non de décideur. Bien qu’à certains moments il soit dans l’obligation d’intervenir, F. CalameGippet et D. Marcoin insistent sur le fait que « l’activité des élèves est prioritaire par rapport aux interventions de l’enseignant » . Comme nous l’avons dit précédemment, son rôle est de guider les élèves, de les mener vers la construction du sens, mais en aucun cas de leur donner la réponse ni d’imposer un avis.
La formation du lecteur
En confrontant les élèves à des œuvres littéraires et d’autant plus à des œuvres résistantes, nous cherchons à former de jeunes lecteurs mais néanmoins experts, à développer chez eux des compétences relevant de la littérature, de la maîtrise de la langue ou bien encore des compétences liées à la citoyenneté. Malgré ces avantages, les habitudes des élèves sur ce point sont encore très faibles.
Le rôle de la littérature et les compétences qu’elle développe
La littérature est au premier abord un support à l’apprentissage de la lecture pour l’enfant.
Mais toute œuvre de littérature fait grandir son lecteur d’une manière ou d’une autre. Agnès Perrin souligne cette idée en mettant en avant le fait que la littérature forme : « – l’individu en l’aidant à décrypter le monde qui l’entoure, à donner du sens à l’existence et à se mettre en capacité d’apprendre.
Une volonté de faire bouger les représentations des élèves
Au cours de ces dernières années, les résultats des enquêtes internationales PISA et PIRLS ont montré que les élèves français étaient peu préparés à l’interprétation des œuvres auxquelles ilssont confrontés et qu’il leur était très difficile de répondre de façon personnelle aux questionsouvertes qui sont associées à ces œuvres, comme le souligne Max Butlen lors de sa conférence sur la littérature de jeunesse en 2008 . La dernière enquête de 2009 ne fait pas non plus remonter les élèves français dans le classement puisqu’à l’item « intégrer et interpréter », la France se situe juste au-dessus de la moyenne des pays participants, et il en est de même pour l’ensemble des items en compréhension de l’écrit (d’après la synthèse du rapport PISA 2009 sur le site de l’OCDE). Ainsi ces élèves ont une représentation toute particulière de l’acte de lire. Dans son livre, C. Tauveron nous fait part des résultats des enquêtes sur ces représentations : pour certains élèves, lire se résume à répondre à des questions, pour d’autres ces questions sont liées aux compétences en maîtrise de la langue (expression écrite) plutôt qu’à la lecture, et pour d’autres encore tout ce questionnement au cours d’une lecture ne leur serait d’aucune utilité . D’autant plus que ces représentations trèssommaires de la littérature ne mettent pas les élèves dans un contexte propice à l’apprentissage et à l’acquisition de compétences en littérature, et dans notre cas aux compétences liées à la compréhension et à l’interprétation. Dès lors, nous voyons parfaitement l’urgence qu’il peut y avoir de faire bouger ces conceptions, non seulement du côté des élèves, mais également du côté des enseignants.
Par le manque d’activités de réflexion et de questionnement personnel, les élèves se retrouvent le plus souvent totalement démunis et par conséquent bloqués face à des questions ouvertes. Leur rapport habituel au texte s’en trouve perturbé et il leur est alors très difficile d’entrer dans ce genre d’activités. De plus, toutes les émotions que la littérature s’emploie à faire passer aux jeunes lecteurs à travers les textes se trouvent réduites à néant. Une des causes principales est que pendant longtemps seuls les lecteurs experts pouvaient accéder au plaisir de lire et à tout ce qui s’y rattache (goût du questionnement, de la réflexion, de la prise de distance par rapport au texte, plaisir d’échanger, de débattre) . Il faut alors que les enseignants, lors de l’étude d’une œuvre, qu’elle soit résistante ou non, fassent un important travail de réflexion afin de laisser les élèves construire le sens de l’œuvre plutôt que de le déterminer eux-mêmes. C’est pourquoi il y a cette volonté aujourd’hui de faire bouger les représentations des élèves concernant la compréhension d’un livre.
Analyse
Le résumé interprétatif
C’est un écrit de réflexion personnelle qui introduit la séquence. Il permet de constater la compréhension et l’interprétation de chacun des élèves. Les productions nous ont aussi aidées à entrer dans l’analyse poussée de l’œuvre avec les élèves.
Analyse des productions
Après leur avoir lu l’œuvre en entier, nous leur avons demandé d’écrire ce qu’ils avaient compris de l’histoire. A travers ce premier écrit, nous voulions voir si certains élèves avaient vu plus que l’histoire elle-même. Mais nous avons constaté que tous les élèves avaient fait un résumé de l’histoire sans percevoir qu’il y avait un deuxième sens (cf. annexe 3). Leurs productions montrent néanmoins qu’ils ont tous compris l’histoire.
Les élèves sont tout de suite entrés dans l’activité et semblaient inspirés. Certains ont mis des détails, voire même des citations. Par exemple Emile écrit: « Chaque soir elle sonne à la porte des gens et leur demande : « Vous n’avez pas vu mon enfant? » A chaque fois ils répondent : « Au secours la diablesse à moi, à moi. » Ou encore Mellie : « Elle dit – « J’ai perdu mon enfant, es-que vous loriez vu ? » ».
La plupart des élèves ne font pas le lien entre le fait que la diablesse ait retrouvé un enfant et le fait que ses sabots redeviennent des pieds et qu’elle retrouve sa maison . Quelques-uns font cependant le rapprochement. C’est le cas d’Arthur : « Et depuis qu’elle a retrouvé sa fille la diablesse a des pied normaux. », et de Mellie : « Elle est heureuse parce qu’elle a retrouvée sa fille alors ses pied son redevenu normal et elle a retrouvé sa maison. ».
Concernant l’enfant que la diablesse trouve, un grand nombre d’élèves déduisent que c’est son enfant, sans même se poser de questions. Ils interprètent le texte, de façon unilatérale sans voir l’ouverture du texte : « Finalement elle rencontre une jeune fille qui n’a pas les pieds comme les autres et cette fille la est son enfant. » (Arthur). Une élève a rajouté un élément qui n’est pas dans le texte : « La diablesse va dans la forêt et elle voit une petite fille elle la prie et remarqua que c’est sa fille. ». Cependant certains élèves ont respecté le sens littéral du texte sans préciser que la petite fille qu’elle trouve est la sienne : « elle décide de prendre le premier enfant qu’elle rencontrera ; et donc elle prend une petite fille qui avait des problème de pieds. » (Louna).
Remédiations envisagées
En analysant les productions, nous avons réalisé que nous aurions pu aller plus loin dans le questionnement. En effet, nous aurions pu aussi demander aux élèves s’ils se posaient des questions suite à la première lecture de l’œuvre, afin de voir si spontanément ils s’étaient posés des questions du type : « est-ce que l’enfant qu’elle trouve est le sien? », « pourquoi les villageois ont peur de la diablesse? », de ce fait, nous aurions pu les comparer aux questions qu’ils se sont posées à la fin de la séquence. Ceci nous aurait permis de voir s’ils avaient toujours les mêmes int errogations ou s’ils avaient trouvé des réponses. En effet, la lecture d’une œuvre permet d’approfondir le questionnement sur cette œuvre. Elle ne permet pas forcément de répondre aux questions mais au contraire peut en appeler de nouvelles.
Le débat interprétatif
Le débat interprétatif intervient à la dernière séance. Après avoir récolté par écrit les questions que se posaient les élèves, nous avons décidé de relancer celles qui ne trouvaient pas de réponses dans le texte. Puis nous sommes revenues sur la dernière phrase de l’œuvre : « Je ne pensais pas qu’une aussi petite fille était aussi lourde à porter. ».
Analyse du débat
Première phase : réflexion sur les questions que se posent les élèves
Pour répondre à chacune des questions, nous avons suivi la même démarche. Pour entamer le débat, nous commençons par demander à un élève de lire sa question. Nous lançons ensuite la discussion en invitant les élèves à donner leur avis. Ils formulent des hypothèses et nous veillons à ce qu’ils les justifient. Puis nous les incitons à chercher des indices dans le texte pour faire naître des interprétations. Enfin nous faisons une synthèse de ce qu’on a tiré des réponses des élèves.
Concernant la première question (« est-ce que l’enfant qu’elle trouve est le sien? »), les élèves font l’hypothèse que c’est le sien et ils donnent deux justifications. C’est son enfant car :
l’enfant n’a pas peur de la diablesse
quand la diablesse retrouve son enfant elle retrouve sa maison.
Lors de la prise d’indices dans le texte, nous constatons que les élèves ont beaucoup de mal à rebondir sur les propos des autres et nous sommes obligées d’intervenir souvent pour les relancer.
De plus, lorsque nous revenons sur la question principale, nous remarquons qu’Arthur cherche encore des indices à propos de la question intermédiaire « qu’est-ce qu’on nous dit d’autre dans le texte sur cet enfant? ». Là encore nous devons intervenir pour réorienter les élèves. Bien que les élèves aient l’habitude de faire des débats, ils ont encore des difficultés à entrer dans ce type d’activité et à ne pas s’éloigner de l’axe.
Au bout d’un moment, les élèves se rendent compte que l’auteur ne précise pas que l’enfant est le sien, ce qui laisse la place aux interprétations. En effet, quand nous demandons « est-ce qu’on nous dit que c’est l’enfant de la diablesse? », Sabri répond : « nan mais je l’imagine ». Les élèves tentent de répondre à la question en utilisant ce qui a été dit dans les séances précédentes et en interprétant les éléments du texte. Cependant, nous avons été obligées de leur indiquer la ligne sur laquelle s’appuyer pour qu’ils remettent en cause leur hypothèse. Voici la ligne que nous leur avons indiquée: « Ils croyaient avoir trouvé l’enfant de la diablesse et s’étaient dit: « Chassons celle-là ou elle portera malheur. Ses tout petits pieds mal formés vont tourner en sabots, et alors il sera trop tard. » ». Comme le débat n’avançait plus, nous sommes passées à la synthèse pour clore la question.
Nous avons enchaîné sur la question d’Emile : « comment la diablesse a-t-elle perdu son enfant ? ». Les élèves arrivent très rapidement à la conclusion qu’il n’y a aucune indication dans le texte qui nous permette de répondre à la question.
Le débat continue sur la question de Paola : « qui est le papa de l’enfant de la diablesse ? ».
Les élèves font plusieurs hypothèses mais cette fois, ils réagissent aux interventions des autres sans que nous ayons besoin d’intervenir. D’ailleurs, nous pouvons remarquer qu’à partir du moment où Lou évoque l’idée que le père est mort, les autres reprennent cette idée en l’étayant. Nous nous sommes rendu compte que les élèves savent qu’il n’y a aucun indice dans le texte donc nous avons enchaîné sur la synthèse. On voit, à travers le fait de poser une question comme celle-là, à quel point les enfants investissent l’espace du récit à partir de leur vécu, de leurs expériences et de leurs préoccupations. L’activité du lecteur dépasse parfois l’exploration des blancs du texte pour laisser place à une appropriation fantasmée. Nous leur avons toutefois fait remarquer que l’absence de réponse à cette question ne gênait pas la compréhension du sens.
Pour clore le débat, nous avons fait une sorte de synthèse générale. Nous intervenons principalement pour leur faire remarquer que toutes ces questions ont en commun le fait qu’elles n’ont pas de réponses. De même, en tant que lecteurs, les élèves peuvent les interpréter comme ils veulent tout en se tenant garant des droits du texte.
Deuxième phase : réflexion sur la dernière phrase
Avec la question « qu’est-ce que vous pensez de la dernière phrase ? », nous partons d’une impression personnelle des élèves pour arriver à une réflexion collective sur le texte.
Après avoir lancé le débat sur la dernière phrase, les élèves sont tous très vite entrés dans le débat en réagissant sur l’intervention de Clara : « Elle avait jamais porté un enfant de sa vie. ». Ils réussissent à faire des inférences, à mettre en lien plusieurs éléments du texte, comme le fait Lou : « quand elle l’a portée avant elle était plus petite donc elle a grandi depuis ». Elle prend en compte le fait que l’enfant était petite et légère quand elle a disparu et que le temps s’étant écoulé depuis, cette enfant a grandi et est devenue plus lourde. Cependant les élèves sont focalisés sur cette première réponse. Il aurait donc été judicieux de commencer par demander aux élèves de répondre à la question par écrit et individuellement afin qu’ils ne soient pas influencés par les réponses précédentes et pour éviter qu’ils ne restent centrés sur celles-ci. Alors, pour les guider vers une autre interprétation, nous évoquons la notion de sens propre et sens figuré. Ceci les a amenés à formulerd’autres hypothèses tout à fait pertinentes :
Lara: « Ça peut se rapporter à supporter. »
Sarah: « à élever »
Anna: « Elle est lourde à porter dans son cœur. »
Daphné: « C’est des responsabilités »
Grâce aux différentes hypothèses, nous avons pu conclure avec les élèves que cette phrase appelait plusieurs interprétations.
Rôle du maître
Le maître a un rôle très important à jouer au cours du débat interprétatif. Bien que l’objectif soit que les élèves discutent entre eux, l’enseignant doit être très présent. En effet, ils ont besoin de quelqu’un pour animer le débat. Son rôle comprend plusieurs fonctions.
Tout d’abord, c’est lui qui lance la discussion. Nous l’avons fait par des questions comme par exemple « qu’est-ce que vous pensez de la dernière phrase ? ». Afin de faciliter l’engagement des élèves, la question doit être simple à comprendre et ouverte. Elle doit accepter plusieurs réponses.
Le maître doit ensuite réguler la discussion afin que ce ne soit pas toujours les mêmes élèves qui parlent. Cette régulation empêche que plusieurs enfants ne parlent en même temps ou se coupent la parole. C’est pour cela que nous préférons donner la parole à un élève quand plusieurs souhaitent parler. D’autre part, la discussion ayant un temps imparti, l’enseignant doit veiller à ce qu’elle ne dépasse pas le temps prévu en s’attardant sur des détails ou en répétant ce qui avait déjà été dit.
Son rôle consiste également à guider les élèves vers une analyse plus approfondie. Le maître doit réorienter la discussion pour que les élèves ne s’éloignent pas de l’axe de réflexion. Dans la première partie de notre débat, lorsqu’Arthur répond « elle boîte » à la question « est-ce que l’enfant qu’elle trouve est le sien ? », nous sommes obligées de reposer la question « mais qui c’est cet enfant ? ». De plus, nous devons veiller à ne pas nous attarder sur des hors sujets. C’est le cas avec l’intervention de Nolan qui dit « comme elle boîte et ben elle va la porter » alors que nous demandions « est-ce qu’on nous dit que c’est l’enfant de la diablesse ? ». Spontanément, nous lui avons répondu « oui » sans s’appesantir sur sa proposition. Or ceci fait partie de notre rôle de guidage d’indiquer à un enfant qu’on est hors sujet car il est important dans un débat de savoir qu’il y a un sujet posé à respecter. Savoir participer au débat, c’est savoir rester dans le sujet. Comme l’indiquent les programmes, l’élève doit « participer aux échanges de manière constructive: rester dans le sujet, situer son propos par rapport aux autres. ».
Pour le CM1, les programmes en littérature insistent sur le fait que l’élève doit « participer à un débat sur une œuvre en confrontant son point de vue à d’autres de manière argumentée ». C’est pourquoi il est indispensable d’inciter les élèves à justifier leurs propos, ce qui leur permet de comparer leurs points de vue. De plus, pour que le groupe puisse accepter ou réfuter une hypothèse,il faut qu’elle soit argumentée. C’est donc au maître à pousser les élèves à expliquer leurs choix, comme nous l’avons fait au début de la deuxième partie du débat.
Productions finales
Analyse
Après le débat, nous avons demandé aux élèves de nous dire par écrit ce qu’ils pensaient d’un tel livre, d’un livre à la fin duquel on se pose encore des questions et à propos duquel on peut formuler plusieurs hypothèses d’interprétation. Nous aurions dû mettre les enfants en confiance sur cette activité en soulignant que la longueur n’importait pas et qu’il s’agissait seulement de dire ce qu’ils pensaient eux. Nous l’avons précisé qu’à certains d’entre eux, alors qu’il aurait fallu le dire à tous. En effet, nous avons senti qu’ils avaient du mal à répondre à cette question, ils ne savaient pas trop quoi écrire.
En lisant leurs réponses, nous nous sommes d’abord rendu compte que, pour eux, dire ce qu’ils pensent de ce livre signifie dire s’ils l’aiment ou s’ils ne l’aiment pas. Nous pensons que cela est dû au côté inhabituel de la question. Ensuite, nous avons constaté que pour justifier ou alimenter le fait qu’ils aiment ou qu’ils n’aiment pas, les élèves se sont servis de ce qu’on avait fait dans les séances précédentes. Par exemple, Nolann a répondu : « J’aime pas ce type de livre, en plus, les images sont flou et trouble ». Il a été influencé par la séance sur l’analyse des images lors de la mise en réseau des livres illustrés par Nadja. De même, Émile a écrit : « L’auteur insiste vraiment sur ce que dit la diablesse pour montrer qu’elle veut vraiment retrouver son enfant et j’aime ça ». Il a redit ce que l’on avait vu lors de la séance sur les répétitions présentes dans le texte.
Nous pensons donc que le fait de leur avoir demandé de répondre à cette question par écrit les a induit à penser qu’il existait une réponse correcte attendue et que c’est pour cela qu’ils ont réécrit ce dont on avait déjà parlé ensemble. D’autres hypothèses sont envisageables, comme le fait qu’ils aient été déstabilisés par le côté ouvert de la question, donc ils se raccrochent à ce qu’ils connaissent; peut-être que d’autres avaient envie de parler de quelque chose qui les avait marqué ou dont ils se souvenaient.
De plus, cinq élèves ont écrit que ce livre était « bizarre », en raison soit de l’histoire fantastique, soit parce qu’il véhicule à la fois de la tristesse et de la joie, soit à cause du fait qu’il reste des questions sans réponses.
Nous avons aussi constaté que plus d’un tiers des élèves auraient aimé qu’il existe une suite et beaucoup semblent frustrés que des questions restent sans réponses. Voici quelques extraits de leurs productions :
Léna : « Il y a beaucoup de suspens et ça donne envie d’avoir une suite même s’il n’y en a pas. » Daphné : « Je pense que ce livre devrait avoir une suite. Ça me jaine un peut quand même de ne pas savoir répondre au question de ma tête. Mais ça laise du suspènse si l’écrivain ferat une suite. Je n’ai pas trop aimée car il n’y a pas de suite. »
Louna : « Je pense que ce livre devrait avoir une suite pour mieux comprendre. Et je croix qu’ils devraient rajouter des chose. »
Amandine : « Ce livre est bizarre pour moi parce que on direz qui se termine en queut de poisson. Je préfére qui se termine autrement parce que il y a des question ou on ne sais pas les réponse. » Arthur : « Ce livre est bizarre car il nous laisse imaginer beaucoup de choses au début et la fin. ». Le fait qu’il y ait des questions sans réponses a donc poussé les élèves à dire que ça ne leur plaisait pas. En effet, aucun d’entre eux nous a dit qu’il avait apprécié ce manque d’informations dans le récit.
Cependant, la plupart des élèves disent que ce qu’ils ont aimé dans ce livre, ce sont les différentes émotions qu’il véhicule. Voici des exemples de ce qu’ils ont écrit:
Anna : « Je trouve que ce livre est pas mal parce que j’ai eu deux émossion, au débu j’aitais triste et à la fin j’aitais un peu ému. »
Valentin : « C’est triste au début est joyeux a la fin. »
Melvin : « Il y a du suspense, de l’aventure, de la tristesse et de la joie, un livre avec plein d’émotions. »
Lara : « Cette histoire est sombre triste… Elle fait resentire de la peine pour la diablesse. Je l’ai bien aimée car elle est triste et intéressente jusqu’a la fin. »
Remédiations envisagées
Nous avions choisi de faire cet exercice par écrit afin qu’ils ne soient pas influencés par les réponses des autres. Mais finalement, ce dispositif nous paraît inadapté pour répondre à cette question. En effet, il aurait en fait été plus judicieux de leur faire écrire les réponses, puis ensuite d’en parler tous ensemble. Les élèves auraient ainsi pu confronter leur point de vue avec ceux de leurs camarades. Ceci nous aurait effectivement permis de rebondir et de les aider à approfondir leur réflexion, de les guider dans la justification de leur avis, par exemple en leur demandant en quoi cela les gêne qu’il reste des questions sans réponses à la fin du récit, en quoi les émotions du livre le rendent intéressant.
De plus, ces élèves n’ont peut-être pas l’habitude de donner leur avis et de justifier leurs opinions à propos de la particularité d’un livre, ce qui explique qu’ils aient pensé qu’on attendait une réponse précise. Une réponse écrite de chaque élève suivie d’un débat oral aurait donc été plus approprié pour comprendre la démarche et se rendre compte que toutes les réponses étaient acceptables.
Nous pouvons toutefois souligner qu’aucun des élèves ne mentionne le fait que ce texte possède un second niveau de signification, nous ne pouvons donc pas savoir ce qu’ils pensent de cette spécificité. En tant que lectrices expertes nous voulons amener les élèves vers un hors-texte.
Les productions obtenues ne permettent pas de savoir si certains sont restés uniquement sur ce que dit le texte, sans lire entre les lignes. Nous ne savons donc pas s’ils sont tous passés à une autre attitude de lecture. Nous aurions pu constater les progrès effectués en leur présentant, plus tard dans l’année, une nouvelle œuvre résistante.
Suite au travail mené avec les élèves, il aurait été pertinent d’évaluer la compréhension fine des élèves en comparaison avec le résumé produit lors de la première séance. Pour cela nous aurions pu leur demander de réécrire le résumé de l’histoire afin de voir les nouvelles configurationsde réception de l’œuvre. Cela nous aurait permis de voir l’évolution du cheminement des élèves et de vérifier que tout le monde ait accédé au deuxième niveau de signification du texte.
Nos impressions
A travers la mise en œuvre de cette séquence, nous avons pris conscience de la complexité que représente le fait d’initier chez les élèves une attitude visant à interroger le texte, et pas seulement à attendre qu’on les interroge dessus. En effet, nous avons tenté de les faire s’interroger sur les éléments discutables et implicites du texte, lors par exemple du débat interprétatif, en centrant les échanges sur leurs propositions, plutôt que sur ce qu’on attendait qu’ils répondent précisément. De ce fait, nous avons réalisé à quel point il est important de bien préparer en amont ce genre de débat, afin de savoir ce qu’il faut dire pour le faire avancer sans trop orienter les élèves.
Nous avons aussi pris conscience du travail préalable nécessaire de la part des élèves. En effet, il est préférable que chacun ait préparé ses interventions par écrit en justifiant ses idées. Ceci évite que le débat stagne dès la première intervention à cause de l’influence qu’elle a sur les autres élèves.
Nous restons cependant conscientes que le travail nécessaire pour leur faire acquérir toutes les compétences de lecteur, qui ne feront qu’accroître leur goût pour la lecture, est un travail qui se mène à long terme, et non pas sur une seule séquence.
En tant que futures enseignantes, nous serons prêtes à reproduire cette expérience qui a été très enrichissante et très positive. Nous avons réalisé qu’il était primordial de montrer aux élèves que la littérature ce n’est pas seulement lire des livres et répondre à des questions, mais ressentir des émotions, jouer avec l’auteur pour découvrir ce qu’il cache dans son œuvre. Leur faire découvrir également qu’un texte ne se laisse pas comprendre aussi facilement qu’il en a l’air mais qu’il dissimule bien plus de vices que l’on imagine.
Conclusion
La littérature de jeunesse regorge d’œuvres invitant les élèves à se questionner, à donner leur point de vue, à interpréter, à chercher le pourquoi de tel texte, à remettre en cause leurs conceptions.
En bref, des œuvres qui initient au plaisir de lire tout simplement. Et pourtant, bon nombre d’élèves se retrouvent complètement déboussolés face à ces œuvres, en partie à cause des représentations incomplètes voire même erronées qu’ils se font de l’acte de lire. Il convient alors aujourd’hui, dans un souci de développement des compétences cognitives et culturelles, de faire évoluer leurs conceptions. Pour cela, il est impératif de confronter les élèves à des œuvres qui vont les faire réfléchir, se questionner sur les significations qu’elles dégagent, de faire émerger des interprétations qu’ils vont pouvoir confronter en débattant, ce que Catherine Tauveron appellera des œuvres résistantes.
Au cours de notre séquence, nous avons pu constater que grâce aux textes résistants, l’élève va enrichir ses connaissances en littérature et développer un certain nombre de compétences dans le domaine de la langue française aussi bien que dans celui de la littérature. L’auteur incite également les élèves à entrer en collaboration pour construire le sens de son texte et confronter l eurs interprétations. Les élèves vont ainsi être à la fois en position de lecteurs et d’investigateurs en coopération avec l’auteur. Les enjeux de ce type de lecture sont donc à la fois des enjeux d’apprentissage, des enjeux cognitifs, culturels et des enjeux liés à la formation du citoyen.
Pour pouvoir mener à bien notre projet, il nous a fallu réfléchir aux dispositifs à mettre en place au sein de la classe afin d’amener tous les élèves à lire entre les lignes. Nous avons donc, en tant qu’enseignantes, chercher à inciter les élèves à interpréter et à approfondir leurs réflexions personnelles : par la production d’écrit à travers des questions ouvertes et par des séances de débats interprétatifs, car c’est pendant ces moments d’échanges que les élèves enrichissent le plus leurs connaissances et développent leur compétences. Mais c’est aussi à travers ces phases que nous avons vu toute la difficulté de mettre en place de telles activités et pris conscience de leur importance.
Par toutes les compétences développées et les connaissances acquises, ce travail reflète parfaitement une des compétences du socle commun à savoir la culture humaniste. L’acquisition de connaissances sur le monde, d’une culture partagée par tous, le développement de l’esprit critique et de la réflexion, sont autant de choses qu’il est important de faire naître chez les jeunes lecteurs. C’est pourquoi il nous faut réfléchir à présent, aux capacités et aux moyens que nous mettons en oeuvre en tant qu’enseignant pour les transmettre aux élèves.
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Table des matières
Introduction
I. Cadre théorique
1) Les œuvres proliférantes
1.1. Différence comprendre / interpréter
1.2. Pourquoi choisir une œuvre proliférante ?
1.3. Le rôle de l’enseignant dans la recherche de l’implicite
2) La formation du lecteur
2.1. Le rôle de la littérature et les compétences qu’elle développe
2.2. Les compétences travaillées grâce au débat
2.3. Une volonté de faire bouger les représentations des élèves
3) Choix et analyse de l’œuvre
II. Description de la séquence et des dispositifs mis en place
III. Analyse
1) Le résumé interprétatif
1.1. Analyse des productions
1.2. Remédiations envisagées
2) Le débat interprétatif
2.1. Analyse du débat
2.2. Rôle du maître
2.3. Remédiations envisagées
3) Productions finales
3.1. Analyse
3.2. Remédiations envisagées
IV. Nos impressions
Conclusion
Bibliographie