Le risque grippal en France métropolitaine : étude géographique d’un risque sanitaire saisonnier

S’il semble dans l’air du temps de réaliser une thèse sur la grippe ce travail présente, au regard de l’actualité, une double originalité : il aborde une maladie du point de vue géographique et il a débuté il y a trois ans. Il est important de préciser ce point si précocement dans cette thèse afin de dissiper tout malentendu : ce travail aborde les grippes saisonnières en France métropolitaine. Bien qu’une partie de l’analyse réalisée puisse être transposée à la souche A/H1N1 en France, ce nouveau virus n’est pas l’objet de cette recherche. Ainsi donc, cette thèse vise à réaliser une géographie de la grippe en France. Une géographie de la grippe pourrait, de prime abord, aboutir à une simple spatialisation des nombres de cas ou des taux d’incidence et ne constituerait in fine qu’un atlas d’une maladie sur un laps de temps prédéterminé. Aucuns facteurs explicatifs ne seraient abordés, aucune grille de lecture apposée, aucun angle d’attaque pertinent déterminé. Une telle entreprise ne stagnerait qu’à un stade cartographique superficiel sans volonté descriptive et encore moins explicative. L’idée d’aborder des épidémies saisonnières par le prisme géographique vient d’une double explication : un intérêt personnel et un contexte scientifique.

De l’antiquité à nos jours : quelle place pour la géographie dans les études de santé ?

Aux origines de la géographie médicale 

Les premiers acquis de la géographie médicale seraient issus de l’étude des interrelations maladies – environnement remontant à l’Antiquité. Ce mode de raisonnement qualifié d’écologique recherche la cause des maladies dans les caractères des milieux géographiques. Un consensus est désormais établi afin d’admettre que « Airs, eaux, lieux » serait le premier document de géographie médicale (Grmek 1963, Barrett 2000). Ce traité prend place dans la collection hippocratique ou corpus. Le corpus, aux dires des spécialistes, n’est pas l’œuvre d’un seul homme mais l’homogénéité tant dans la construction de l’ouvrage que dans la pensée pousse à parler de pensée hippocratique et confère, de fait, la paternité de cette œuvre à Hippocrate de Cos.

Hippocrate : le fondateur de « l’art médical » 

Hippocrate « le Grand » (460-370 av. J.C.) exerce dans un premier temps à Cos, puis devient médecin itinérant en Grèce septentrionale et enfin en Thessalie. Force est de reconnaître que la médecine ne naît pas réellement avec Hippocrate (d’antérieures traditions médicales existaient en Egypte ou en Inde) mais celui-ci apparaît comme l’artisan de son développement occidental. Bien que faisant partie d’une famille de prêtres – médecins (les Asclépiades), il est connu comme le premier à distinguer clairement l’exercice de son art de tout contexte religieux. Il tenta ainsi d’élaborer une médecine rationnelle en essayant d’analyser les mécanismes causaux des maladies et les remèdes appropriés à celles-ci. Hippocrate semble être le premier auteur à s’intéresser à d’éventuels liens entre le climat et la santé humaine (De Félice 2005) et recommande immédiatement, à quiconque souhaitant approfondir les questions médicales, de «considérer d’abord les saisons de l’année et l’influence que chacune d’elles exerce puis d’examiner quels sont les vents chauds et froids, et surtout ceux qui sont communs à tous les pays, ensuite ceux qui sont propre à chaque localité. » .

Les enseignements hippocratiques 

Evoquer un réel déterminisme dans les démonstrations d’Hippocrate est toujours hasardeux tant celui-ci s’opère dans une grande confusion (nombreux facteurs causaux, variétés des individus, difficulté d’appréhension des interrelations « physiques – humains » etc. …). Staszak (1993) parle alors de « déterminisme relâché ». Malgré tout, en prenant le parti de la définition la plus stricte du déterminisme, il n’est pas erroné d’affirmer que la pensée hippocratique appuie l’essentiel de ses avancées sur une posture déterministe : tel milieu a telle influence sur la santé. Cette méthode basée, avant tout, sur l’observation renvoie à la notion platonicienne de « connaissance causale » : la connaissance du pourquoi (Thouez 2005). Staszak justifie le déterminisme hippocratique par le fait que « l’on se trouve face à une vraie physique du corps et du milieu ». Les médecins hippocratiques consignaient leurs observations sous formes de fiches détaillées sur les malades auscultés, parfois complétées par des notices sur les maladies. La principale faiblesse des médecins hippocratiques résidait dans l’absence de toute connaissance anatomique : ainsi la « mécanique interne » du corps humain leur était totalement inconnue. De fait, afin d’expliquer l’apparition des maladies ils tentèrent d’avancer les interprétations les plus plausibles en étudiant les analogies entre phénomènes externes et phénomènes internes du corps. Hippocrate va ainsi traiter longuement du mouvement des « humeurs ». Les humeurs en médecine désignent les fluides contenus dans l’organisme . Il va ainsi considérer que ces humeurs réagissent à des stimuli externes (i.e. les changements du milieu) en argumentant son propos à l’aide d’exemples précis et concrets basés sur des comparaisons avec d’autres fluides externes (lait, eau etc.). Un certain nombre de processus a été envisagé sur les quatre humeurs que la médecine hippocratique a identifiées : le sang, le phlegme, la bile noire et la bile jaune.

L’action du chaud et du froid, du sec et de l’humide et des « changements extérieurs » 

Il est fait, à de nombreuses reprises, mention d’une action directe de la froideur ou de la chaleur. Le principe d’analogie évoqué précédemment veut que l’on retrouve dans le corps les mêmes effets qu’à l’extérieur du corps. La chaleur induit une dissecation tandis que le froid entraîne une contraction : « l’exposition aux vents froids produit des ruptures intérieures, car le froid des eaux dispose les vaisseaux à se rompre  ». Dans le même temps que le caractère thermique du milieu, le caractère hygrométrique, dans sa distinction « sec et humide », intervient de la même manière sur le milieu interne de l’être humain. Le sec va épaissir quand l’humide va diluer : « quand les eaux sont abondantes, les habitants ont la tête humide, ils sont phlegmatiques » ; « si les saisons sont trop sèches, les bilieux secs de nature, voient la partie la plus humide et la plus aqueuse de la bile se dissiper ».

Enfin un troisième processus envisage l’importance des changements extérieurs. Aux changements du milieu correspondent des changements du/dans le corps. Le changement intervient donc comme un stimulus : « ce sont les changements du tout ou tout qui, éveillant l’intelligence, la tire de l’immobilité ».

La santé : un produit entre « tempérament » et évènements climatiques et saisonniers

Le tempérament désigne l’ensemble des dispositions organiques innées de l’individu. Le tempérament se réfère à la constitution physique du corps humain. Tous les corps subissent l’influence du milieu extérieur mais tous les individus ne réagissent pas de la même manière : ils ne sont pas de même constitution, ils n’ont pas le même tempérament. Hippocrate a défini les quatre tempéraments fondamentaux : le nerveux, le bilieux, le sanguin et le lymphatique . En effet, suivant son propre organisme, un être humain a des réactions psychiques et physiologiques différentes de celles d’un autre. Pour Jouanna (1999), la santé selon Hippocrate est définie comme « l’adéquation entre le tempérament et l’ensemble des évènements climatiques ». Par delà la diversité des maladies, la médecine hippocratique a tenté des déceler des traits communs pour aider à formuler des pronostics.

De l’influence des saisons, des vents et de l’exposition 

Hippocrate affirma que la considération fondamentale sur laquelle doit se baser le médecin pour un diagnostic doit porter sur les saisons. Chaque saison a une influence différente sur le milieu intérieur. Le rythme saisonnier est fondamental en ce sens qu’il commande (à la latitude de la Grèce) les variations thermiques, hygrométriques et l’orientation principale des vents tout au long de l’année. Un médecin qui arrive dans une ville inconnue doit en observer la situation dans ses rapports avec les vents et avec le lever du soleil car « les mêmes effets ne sont pas produits par une exposition au nord ou à midi, ou au levant, ou au couchant ». Ainsi, Hippocrate va réaliser une énumération exhaustive des maux, des traits, des « tempéraments » pouvant être observés dans les villes ouvertes au levant ou au couchant, aux vents du nord comme aux vents du midi. Une ville exposée aux « vents chauds » verra ses habitants affectés par des maux de ventre, des convulsions, des dysenteries, des fièvres ardentes voire des paralysies. Les villes ouvertes aux vents froids connaîtront de nombreux cas de pleurésies. Les hommes y sont « robustes et secs », le cerveau y est sain. Les habitants de villes ouvertes vers l’Est sont les plus robustes, ils ont le teint meilleur et une voix claire. Leur caractère est vif et leur esprit pénétrant. En outre, les femmes y sont extrêmement fécondes. Les villes orientées au couchant sont, pour Hippocrate, malsaines. Ces considérations peuvent, a posteriori, paraître étranges en envisageant nos agglomérations de plaines ouvertes à tous les vents et pouvant suivre le trajet de l’astre du jour de son lever à son coucher. Le compartimentage du relief du nord-est du bassin méditerranéen explique pour une large part l’attention portée à l’exposition tant au soleil qu’au vent. Nombreuses sont les villes enserrées dans des montagnes qui permettent au soleil de ne briller qu’une partie de la journée, aux vents de ne venir que d’une direction. On comprend mieux, dès lors, cette volonté typologique de classer les maux comme on classe les villes.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
1ERE PARTIE
INTRODUCTION
I – DE L’ANTIQUITE A NOS JOURS : QUELLE PLACE POUR LA GEOGRAPHIE DANS LES ETUDES DE SANTE ?
1 – Aux origines de la géographie médicale
1-1 Hippocrate : le fondateur de « l’art médical »
1-2 Les enseignements hippocratiques
1-2-1 L’action du chaud et du froid, du sec et de l’humide et des « changements extérieurs »
1-2-2 La santé : un produit entre « tempérament » et évènements climatiques et saisonniers
1-3 De l’influence des saisons, des vents et de l’exposition
1-4 L’apport d’Hippocrate
2 – Le Moyen-Age : le temps des compilations
2-1 Des pratiques médicales distinctes
2-1-1 La médecine raisonnée : garante d’une tradition hippocratique
2-1-2 La médecine culturelle pratiquée par le clergé
2-1-3 Rebouteux et ermites, praticiens de la médecine profane
2-2 Les facteurs de maladie au Moyen-Age
2-3 Le temps des grandes épidémies
2-4 Les premières facultés de médecine et les premiers hospices
3 – Le tournant de la Renaissance
3-1 D’importants progrès en médecine qui réfutent Galien
3-2 « La diversité des lieux peut entraîner un certain relativisme des mœurs »
4 – Les XVIIe et XVIIIe siècles amplifient les changements opérés lors de la Renaissance
4-1 L’impact de l’héritage hippocratique
4-1-1 L’esprit des Lois de Montesquieu
4-1-2 Le Dictionnaire Philosophique de Voltaire
4-2 Le poids des sociétés savantes
4-2-1 L’académie des sciences et l’Observatoire royal
4-2-2 La Société Royale d’Agriculture
4-2-3 L’apport majeur de la Société de Médecine
4-3 La topographie médicale : une approche purement géographique des problèmes de santé
4-3-1 Une réflexion géographique concomitante
4-3-2 L’inégale répartition des TM en France
4-3-3 Une étude des lieux et des hommes
4-3-4 Des données collectées hétéroclites
5 – De l’intérêt des médecins à celui des géographes
5-1 La révolution bactériologique
5-1-1 Le principe de spécificité et l’origine microbienne des maladies
5-1-2 Le principe d’atténuation et les premiers vaccins
5-2 La géographie humaine comme écologie de l’homme
5-2-1 Influence climatique sur les fonctions organiques
5-2-2 Les complexes pathogènes
5-3 La géographie médicale devient géographie de la santé
5-3-1 De la nécessité d’introduire des variables géographiques dans l’étude des phénomènes de santé
5-3-2 Quelles nouvelles approches ?
5-3-3 Epidémiologie et géographie : antagonisme et complémentarité
6 – Les relations climat – santé
6-1 Un « bon climat » pour être en « bonne santé » : la climatothérapie
6-2 Météoropathologie et risque « climatopathologique »
6-3 Quand le climat change les maladies migrent
CONCLUSION PARTIELLE
II – LE RISQUE GRIPPAL, UN OBJET GEOGRAPHIQUE
1- Le risque, un phénomène tant spatial que temporel
1-1 Risque et catastrophe : deux concepts étroitement liés
1-2 Deux visions du risque : sciences « dures» contre sciences « molles »
2 – Evaluer le risque
2-1 En calculant l’aléa
2-2 En analysant la vulnérabilité et les enjeux
3 – Qu’est ce qu’un risque sanitaire ?
3-1 Comportements humains et modes de vie : les facteurs prépondérants du risque sanitaire
3-2 Le rôle du milieu naturel
4 – Et l’épidémie dans tout cela ?
4-1 Le principe de l’épidémie : la contagion
4-2 Observer et étudier les épidémies
CONCLUSION PARTIELLE
III – LA GRIPPE : UNE MALADIE SOUS SURVEILLANCE. EVALUATION GEOGRAPHIQUE DU RESEAU SENTINELLES
1 – Vigilance du réseau Sentinelles
1-1 Le réseau Sentinelles
1-2 Les épidémies se suivent mais ne se ressemblent pas
2 – Un réseau qualitativement satisfaisant
2-1 Analyse des effectifs, une baisse inquiétante
2-2 Evolution de la répartition des médecins Sentinelles
3- Une représentativité spatiale correcte sur la majeure partie de la période d’activité mais des tendances actuelles inquiétantes.
CONCLUSION PARTIELLE
CONCLUSION DE PARTIE
2EME PARTIE
INTRODUCTION
I – LIER LE CLIMAT A LA GRIPPE
1 – Chercher un « temps à grippe »
1-1 Un hiver ? Des hivers !
1-2 La méthode des « types de temps »
1-3 ONA – Grippe : un lien suspecté entre l’activité du virus en France et le temps qu’il fait
2- Redéfinir le déclenchement épidémique
2-1 Pourquoi changer de définition ?
2-2 L’accélération de la courbe d’incidence comme critère de départ épidémique
2-3 Répartition temporelle du déclenchement épidémique
3 – Analyse de l’évolution climatique « paramètre par paramètre » en période pré-épidémique
3-1 La température : une baisse systématique en période pré-épidémique
3-2 Le flux d’altitude : l’alternance suspectée
3-3 Nébulosité et précipitations
3-4 Le déclenchement épidémique de la saison 1999-2000
3-4-1 Le contexte épidémiologique
3-4-2 Le contexte climatique
4 – Intégrer tous les paramètres dans une classification pour mettre en avant des situations types
5 – Quels résultats pour la saison froide 2004-2005 en Tunisie ?
5-1 Collecte des données tunisiennes
5-2 Existe-t-il un lien entre baisse de température et augmentation de l’activité épidémique ?
5-3 Evolution spatio-temporelle de l’épidémie de grippe en Tunisie (2004-2005)
CONCLUSION PARTIELLE
II – DEFINIR LE RISQUE GRIPPAL
1- Le climat, facteur d’aléa et de vulnérabilité
1-1 Le climat, facteur d’aléa et de vulnérabilité
1-1-1 Quelles conditions optimales de transmission du virus grippal ?
1-1-2 Des individus affaiblis en saison froide
1-1-2-1Le rôle de la lumière
1-1-2-2 L’influence du froid sur le système immunitaire
2 – Un territoire inégalement confronté à des situations atmosphériques génératrices de baisses de température
2-1 Quelles sont les caractéristiques de la saison froide en France ?
2-2Les advections d’air froid ou vagues de froid en France métropolitaine
2-3 Le découpage climatique de la France selon Météo-France
CONCLUSION PARTIELLE
CONCLUSION DE PARTIE
3EME PARTIE
INTRODUCTION
I – LES VULNERABILITES LIEES AU RISQUE GRIPPAL
1 – L’inégale exposition au risque
1-1 Des régions plus ou moins touchées
1-2 Des épidémies qui se diffusent sur le territoire
1- 3 Des régions touchées plus ou moins précocement
1-4 Démographie et épidémiologie : des liens étroits
2 – Une double vulnérabilité : celle des lieux et celle des individus qui les habitent
2-1 Les enseignements du rapport Black
2-2 Une vulnérabilités des lieux
2-2-1 Des variables structurelles
2-2-2 Des variables de migrations
2 – 3 Une vulnérabilité des individus
2 – 4 Synthétiser puis cartographier la vulnérabilité
2 – 4 Doit-on tout conserver ?
CONCLUSION PARTIELLE
II – VERS UN MODELE EXPLICATIF DE L’INCIDENCE GRIPPALE
1- Une analyse de covariance insatisfaisante
1-1 Pourquoi une ANCOVA ?
1-2 Quels résultats pour l’ANCOVA ?
1-3 Comment améliorer le modèle ?
2 – Réalisation d’une ANOVA
2-1 En intégrant les résultats d’une ACP des facteurs de vulnérabilité liés aux individus
2-2 Quels résultats pour l’ANOVA ?
3 – Modèle et écarts au modèle.
CONCLUSION PARTIELLE
CONCLUSION DE PARTIE
CONCLUSION GENERALE

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