Le rêve américain dans l’oeuvre de Romain Gary

Les romans de Romain Gary sont de véritables palimpsestes où se croisent des références littéraires et culturelles aux origines aussi variées que celles de Gary lui-même, qui se définit, dans La Nuit sera calme, comme « russo-asiatique, Juif, catholique, Français, un auteur qui écrit des romans en français et en anglais, qui parle russe et polonais » . Comme le résume Jacques Lecarme, « la littérature romanesque de Romain Gary est une littérature mondiale de langue française » . Les romans de Gary, ouverts sur ces horizons multiples, y puisent des modèles, des allusions, des citations qui, plus ou moins déguisés, traversent ses romans en se dévoilant progressivement. À ces sources extérieures, Gary ajoute de fréquentes références au contexte entourant l’écriture de ses textes, une profusion de noms propres, d’événements et de lieux. Une partie en était sans doute transparente pour le lecteur contemporain, mais d’autres sont moins immédiatement accessibles, voire même visiblement destinées à égarer le lecteur. Les mentions de titres, d’auteurs ou de textes présentés comme réels mais en fait inventés fonctionnant comme des clins d’œil et dissimulant des jeux de mots ou citations qui passeront inaperçus du lecteur non attentif, sont notamment fréquentes. Dans toutes ces sphères, les référents américains occupent une place importante, révélant que Gary connaissait très bien la culture américaine, qu’elle soit cinématographique, littéraire ou musicale, ainsi que l’actualité contemporaine américaine.

Gary découvre le territoire américain en 1952 lorsque, après Sofia, Berne et Londres, il est envoyé en mission diplomatique au siège new-yorkais de l’O.N.U., comme Premier Secrétaire chargé des relations avec la presse. Une nouvelle étape de sa vie d’écrivaindiplomate s’ouvre alors, et l’expérience américaine a une influence décisive tant sur sa vie personnelle que sur son œuvre. Après New York, il est nommé à Los Angeles, comme Consul général de France, le poste le plus long de sa carrière diplomatique, qu’il conserve jusqu’à sa mise en disponibilité, en mars 1961. En Californie, il rencontre l’actrice Jean Seberg, qui devient sa seconde femme, fréquente les milieux hollywoodiens, et se plonge dans la vie trépidante des années soixante américaines, entre révolte de la jeunesse, lutte pour les droits civiques et guerre du Vietnam. Les différentes archives conservées dans les bibliothèques tant françaises qu’américaines, que nous avons pu consulter et dont beaucoup sont encore inédites, peuvent offrir une illustration complémentaire de ces aspects américains de sa vie et de sa carrière. Les archives de Joseph Barnes, Simon Schuster et Harper and Row, conservées à la bibliothèque de l’université de Columbia à New York, permettent de suivre la correspondance de Romain Gary avec ses éditeurs américains, tandis que les archives conservées à l’Académie des Oscars à Los Angeles ainsi que celles du Festival de Cannes conservées à la Bifi, à Paris, présentent un aperçu des liens de Gary avec le monde du cinéma américain, ses relations avec les réalisateurs et acteurs ainsi que son travail sur les scénarios. Une recherche détaillée dans les archives du Los Angeles Times et du New York Times des articles mentionnant Romain Gary nous a également permis d’entrevoir les rôles très variés qu’il a joué aux Etats-Unis. Le journal californien évoque autant ses activités consulaires, avec de nombreuses réceptions officielles et remises de prix, que son œuvre littéraire et ses relations avec le monde du cinéma Ŕ la quantité variable d’articles consacrés à ces différentes sphères de sa vie étant un bon indicateur de l’évolution de sa notoriété sur le territoire américain, et de la prise d’importance de chacune de ses carrières.

LE MODÈLE AMÉRICAIN 

Le rêve américain figure, pour les personnages garyens, parmi les imaginaires formateurs, qui accompagnent les plus jeunes dans leur passage à l’âge adulte, et possède un lien indéniable avec le monde de l’enfance. Ceux qui rêvent sont avant tout des personnages fragiles, qui recherchent ce soutien que peut leur apporter la puissance de l’imaginaire associé au rêve américain. L’Amérique représente l’espoir vers lequel se tournent les personnages les plus désespérés, ceux qui souffrent ou attendent plus que ce que la vie leur offre ; le rêve américain appartient en effet à ces rêves qui permettent de survivre, tels que les décrit Danthès dans Europa : Il ne s’agit pas de savoir si un rêve est absurde et irréalisable, mais s’il vous aide à tenir le coup. Il y a des chimères qui ont bâti des civilisations, vous savez, et des vérités qui ont tout détruit et n’ont rien su mettre à la place… Aussi bien en Orient qu’en Occident, tout ce qui a duré, tout ce qui fut progrès, a été bâti à partir de songes.

Comme l’art des Enchanteurs que pratique la famille de Fosco, le rêve américain aide à lutter contre « Sa Seigneurie l’Ordre des Choses, Nabab du Tel Quel et Gardien jaloux de nos limites » , « l’engeance du réel » qu’il permet aux hommes de « faire cocu avec l’objet de leurs désirs, qui est un monde tel qu’il n’en existe point ». L’Amérique du rêve américain est, en effet, un pays qui doit moins à la géographie qu’à l’imaginaire ; elle exerce sur les personnages un fort pouvoir de fascination, parce qu’elle est dépaysante et qu’elle leur montre une vie qui semble plus séduisante que la leur. Elle est la promesse d’un ailleurs dont l’attrait principal est qu’il n’est pas identique à l’univers souvent décevant où évoluent les personnages.

Un modèle héroïque

Parmi les vecteurs principaux du rêve américain, le cinéma et la littérature figurent en bonne place. Ils contribuent à façonner l’imaginaire des personnages en leur présentant des héros fascinants, des situations enviables et des univers construits et structurés selon des règles bien établies qui, dans un monde en perte de repères, offrent des réponses rassurantes.

Du Far West à la Libération

L’influence des romans d’aventure

Associées à la naissance de l’Amérique aux yeux du monde occidental, les images du Far West, l’Ouest américain, guident plusieurs personnages sur le chemin initiatique qui fait d’eux des hommes. Karl May, Mayne Reid et Fenimore Cooper figurent parmi les grands auteurs d’une littérature de jeunesse évoquant le Far West, les cow-boys et les Indiens. Ils contribuèrent à dessiner, avant la popularisation des westerns cinématographiques, la légende de l’Ouest américain. Tous ne sont pas américains, mais ils ont en commun de présenter un imaginaire revisité de l’Ouest américain, une vision mythique d’une Amérique originelle, proche de la nature. Leur Amérique est celle de la Frontière, qui séparait les espaces civilisés conquis par les colons européens des vastes espaces encore vierges et habités par les Indiens ; la colonisation se faisant principalement d’est en ouest, la Frontière se confond avec cet Ouest immortalisé par les westerns. L’idée de la Frontière a été théorisée en 1893 par Frederick Turner qui, dans son ouvrage La signification de la Frontière dans l’histoire américaine, voit dans cette notion le fondement du caractère américain .

Les auteurs qui évoquent cette époque particulière de l’histoire du pays appartiennent à un fonds de classiques de la littérature pour la jeunesse et sont rattachés à l’enfance de Gary. Il se dépeint, dans La Promesse de l’aube, enfant, « [plongeant] dans l’univers fabuleux » de Karl May ou de Mayne Reid, et déclare dans un entretien avoir été influencé par « les livres d’aventure de Karl May » . Leur lecture est partagée par différents personnages : Radetzky, dans Les Mangeurs d’étoiles, se souvient d’avoir lu Karl May et Mayne Reid pendant son adolescence , Janek emporte son « Winetoo, le Peau Rouge gentleman » de Karl May lorsqu’il rejoint les partisans, Ludo, lui, leur préfère James Oliver Curwood et Fenimore Cooper .

Ces auteurs ont connu le succès dès le milieu du XIXe siècle. Fenimore Cooper écrit ainsi entre 1823 et 1841 son cycle de romans autour du personnage de Bas-de-Cuir, dont le fameux Dernier des Mohicans. Il acquerra, en Europe, une grande notoriété : Après l’effacement progressif de l’Amérique de Chateaubriand, Cooper, abondamment traduit en France, restait le seul représentant de l’exotisme de la forêt et de la prairie. La série de ses cinq romans du cycle Bas-de-Cuir, constamment réédités jusqu’en 1970 et audelà avaient familiarisé le lecteur français avec cet homme des bois à l’accoutrement bizarre, trappeur et philosophe, sensible à la beauté d’une nature vierge, très attaché à la justice et à la liberté, ennemi des contraintes et des conventions de la civilisation.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 LE MODÈLE AMÉRICAIN
I. Un modèle héroïque
I.A. Du Far West à la Libération
I.A.1. L’influence des romans d’aventure
I.A.2. Ouest américain et Seconde Guerre mondiale
I.A.3. « Ils arrivent » : les soldats américains
I.B. Le cinéma américain et ses figures héroïques
I.B.1. Hollywood et le « réarmement moral »
I.B.2. Le cinéma comme guide
I.B.3. Cigarette et chewing-gum : enfance et illusion de virilité
I.B.4. Un modèle héroïque persistant
II. Le pays de l’incroyable et des miracles
II.A. L’Amérique, pays de l’extraordinaire
II.A.1. La différence américaine
II.A.2. La presse américaine, vecteur du rêve et de l’espoir
II.B. La puissance de la science américaine
II.B.1. Les prouesses des savants américains
II.B.2. De la science aux miracles
II.B.3. Illustres pionniers américains
CHAPITRE 2 LE NOUVEAU MONDE : L’AMÉRIQUE COMME DESTINATION
I. La nationalité américaine
I.A. Devenir américain
I.B. Les Américains « bien de chez nous »
I.B.1. Patronymes américains
I.B.2. L’ancrage dans le territoire américain
I.C. Multiculturalisme et origines des Américains
I.C.1. Les personnages juifs américains
I.C.2. Origines étrangères
I.D. Identités réinventées
I.D.1. Multiculturalisme et identités fantasmées
I.D.2. L’assimilation et le danger du rejet de ses origines
II. L’imaginaire de la ville américaine
II.A. New York
II.A.1. New York, capitale américaine
II.A.2. Le refuge new-yorkais
II.B. La Californie
II.B.1. « La Californie, son soleil, ses plages, ses jardins parfumés »
II.B.2. De la Californie à la Floride
II.B.3. Hollywood, ville de l’extraordinaire
CHAPITRE 3 L’AMÉRIQUE, UNE TERRE PROMISE
I. La réussite à l’américaine
I.A. Le modèle américain
I.A.1. L’Amérique, terre des opportunités
I.A.2. Incarnations du mythe
I.B. Le miracle de l’abondance américaine
I.B.1. Le marché noir
I.B.2. La provenance américaine, un signe recherché
I.C. Signes extérieurs de réussite
I.C.1. Le dollar
I.C.2. Les voitures américaines
II. L’influence du mode de vie américain
II.A. La sacralisation de la langue américaine
II.A.1. L’américain, langue de la jeunesse internationale
II.A.2. Maîtrise imparfaite de la langue et défaillance de la communication
II.A.3. L’anglais, langue étrangère par excellence
II.B. L’omniprésence de l’Amérique
II.B.1. L’Américanisation de la jeunesse
II.B.2. Le jean
II.B.3. Le Coca-Cola
CHAPITRE 4 L’AMÉRICAIN À L’ÉTRANGER
I. Les modes d’appréhension du pays étranger
I.A. Le voyage touristique
I.A.1. « Tous les touristes sont américains »
I.A.2. Du voyageur au touriste : le voyage sans danger et la recherche du confort153
I.A.3. Les hôtels : une enclave américaine en terre hostile
I.B. Le pays étranger, un lieu autre à décrypter
I.B.1. Citations et références
I.B.2. Stéréotypes, clichés et idées reçues
I.B.3. Ressemblances et comparaisons
I.B.4. Une nouvelle forme d’authenticité
I.C. Éléments pittoresques
I.C.1. Les figures locales
I.C.2. La langue étrangère
I.C.3. Les souvenirs
II. Loin des clichés touristiques rassurants
II.A. En terre inconnue
II.A.1. L’étrangeté de l’ailleurs
II.A.2. « Ces gens-là »
II.B. La recherche d’éléments connus
II.B.1. Le lien entre les Américains à l’étranger
II.B.2. L’Amérique au bout du monde
II. C. Du folklore exotique à la réalité
CONCLUSION

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