LE RENVERSEMENT DES ROLES ENTRE TUTEUR ET TUTORE
INTRODUCTION
Quand on pense au tutorat, on pense souvent à une relation d’aide entre un individu « expert »dans un domaine, et un autre individu « novice » dans ce même domaine. A l’école, cette relation peut se faire entre l’enseignant et l’élève, mais également entre élèves. L’introduction de cette méthode de travail en classe peut être un atout pour les enseignants, ces derniers pouvant être, dans une certaine mesure, secondés par les élèves formés au tutorat. Nos lectures sur le tutorat nous ont rendu attentive au fait que cette modalité de travail semble profitable surtout pour le tuteur. En effet, nous pouvons lire dans la littérature scientifique que le fait de donner des explications à autrui permet de restructurer nos propres connaissances. Nous pourrions alors en déduire que, si le tuteur est celui qui s’enrichit principalement, c’est cette posture-là qui apporte le plus d’avantages. Nous pourrions alors nous demander s’il est toujours pertinent de placer celui qui est le plus « en retard » dans un rôle qui ne lui permet que peu de progresser.
Pourquoi ne pas imaginer une inversion des rôles qui permettrait à chacun, quelque soit son niveau de base, de se placer parfois en situation de tuteur ? En effet, si la position de tuteur permet de donner une explication à un camarade, elle-même amenant à une restructuration des connaissances, on peut faire l’hypothèse que cette posture serait la meilleure pour aider les élèves plus faibles. Cette façon de faire favoriserait potentiellement la prise de conscience par chaque élève de ses habiletés cognitives, affectives et métacognitives. C’est à cette réflexion que notre recherche qualitative a voulu donner une réponse. Nous nous questionnerons également sur l’opportunité et la faisabilité de modalités de travail où chaque élève pourrait se trouver en position de tuteur. Pour ce faire, des élèves de 2ème année primaire (2ème HarmoS) ont été enregistrés en situation de tutorat. Quatre élèves ont été suivis de plus près, dont deux étant dits « avancés » dans les apprentissages, ainsi que deux dits « plus en retrait ». L’occasion a été donnée à chacun d’être placé en posture de tuteur plusieurs fois, tout en bénéficiant de retours collectifs sur la manière d’endosser ce rôle-ci
Le tutorat des années 60
Au début des années 60, aux USA, les enseignants se retrouvent confrontés à un problème non négligeable : celui de la barrière culturelle et langagière de leurs élèves migrants (Baudrit, 2003). En effet, les enfants immigrés, ou issus de milieux socioéconomiques défavorisés,rencontrent plus de difficultés dans leurs apprentissages scolaires que leurs camarades (Baudrit, 2002). Dans son ouvrage, ce même auteur nous explique qu’en effet, le niveau langagier des enseignants semblent trop éloigné de celui de ces élèves. Difficile alors pour eux de progresser dans leurs apprentissages. On a de ce fait tenté de mettre en place une modalité de travail qui favorise l’entraide entre ces élèves et des camarades plus âgés qu’eux.Les échanges (langagiers) s’avèrent alors plus accessibles pour eux avec ces camarades qu’avec leurs enseignants, rendant les contenus académiques plus abordables.
Le tutorat d’aujourd’hui
S’il trouve son origine dans ce qui est écrit ci-dessus, le tutorat d’aujourd’hui a évolué. Les résultats des recherches effectuées sur ce sujet ont permis d’apporter des éléments supplémentaires. Tout d’abord, selon Bensalah et Berzin (2009), le tutorat est une situation pédagogique dans laquelle deux individus de niveau scolaire différent interagissent. : l’un sera nommé « expert », car il est considéré comme plus avancé scolairement, tandis que l’autre % sera appelé « novice », car il dispose de moins de connaissances que l’expert. Brunner (1983),ajoute que le contexte de tutelle se caractérise par une interaction entre un expert et un enfant qui se trouve devant une tâche qu’il ne peut résoudre seul. L’expert mettra alors en place certains moyens afin d’aider l’individu non expert (Berzin, 2005).Ensuite, Baudrit (2003) présente les recherches menées par Moust en 1993, auprès d’étudiants. Celles-ci démontrent que la congruence cognitive, qui est la capacité à combiner des compétences académiques et des qualités personnelles (Baudrit, 2000), est une composante essentielle de la réussite du tutorat.
Interaction de tutelle : interaction maître-élève
Pour Bruner (2011), « les interactions de tutelle sont une caractéristique primordiale de la prime enfance et de l’enfance » (p.262). L’adulte peut apporter une aide en prenant en charge des éléments d’une tâche qui seraient hors d’atteinte pour un enfant. Dans une interaction de tutelle entre adulte et enfant, six fonctions entrent en jeu : L’enrôlement, la réduction des & degrés de liberté, le maintient de l’orientation, la signalisation des caractéristiques déterminantes, le contrôle de la frustration, ainsi que la démonstration. Lors de l’enrôlement, le tuteur devrait montrer l’intérêt de la tâche à effectuer et ainsi attirer l’attention de son tutoré sur les éléments essentiels. Ensuite, la réduction des degrés de liberté impliquera « une simplification de la tâche par réduction du nombre des actes constitutifs requis pour atteindre la solution » (Bruner, 2011, p.277). Le tuteur se doit également de maintenir l’attention de son élève sur la tâche et ainsi éviter qu’il s’en éloigne par une distraction quelconque. En outre, le tuteur peut prendre en charge des actions inaccessibles au tutoré si nécessaire, comme par exemple le fait de montrer ce qui est déterminant dans la tâche. Lors de l’interaction, le tuteur soutient aussi l’élève face aux obstacles ou difficultés qu’il peut rencontrer, afin que ce dernier ne les perçoive pas comme des échecs. Enfin, la description des ses propres stratégies par le tuteur, qui servira ici de modèle, est nécessaire afin de rendre visibles les processus de pensée que le tutoré devra s’approprier.
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Table des matières
1 TABLE DES MATIERES
2 INTRODUCTION
3 CADRE THEORIQUE
3.1 LE TUTORAT
3.1.1 LE TUTORAT DES ANNEES 60
3.1.2 LE TUTORAT D’ AUJOURD’ HUI
3.1.3 INTERACTION DE TUTELLE : INTERACTION MAITRE-ELEVE
3.1.4 TUTORAT ENTRE ELEVES
3.1.5 STRATEGIES ET ATTITUDES DES ELEVES TUTEURS
3.1.6 LA PLACE DU LANGAGE DANS LE TUTORAT
3.1.7 L’ IMPORTANCE DE LA DIFFERENCE DE NIVEAU ENTRE ELEVES
3.1.8 L’ EFFET-TUTEUR
3.2 LES CONCEPTS D’HETERO ET AUTO REGULATION
3.2.1 L’ APPROCHE HISTORICO-CULTURELLE DE VYGOTSKI
3.2.2 LES CONCEPTS D’ HETERO- ET D’ AUTOREGULATION
3.3 L’IDENTIFICATION DES OBJETS D’APPRENTISSAGE DES TACHES
3.3.1 IDENTIFICATION DES ENJEUX DES TACHES
3.3.2 LA SCOLARISATION DES OBJETS
4 PROBLEMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE
4.1 PROBLEMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE
5 METHODOLOGIE
5.1 CARACTERISTIQUE DE LA RECHERCHE
5.2 CONTEXTE DE L’ETUDE
5.2.1 LES NIVEAUX DES ELEVES
5.3 ORGANISATION DES ACTIVITES
5.3.1 DEROULEMENT DES ACTIVITES
5.3.2 CONSTITUTION DES GROUPES
5.4 RECUEIL DES DONNEES
5.5 TACHES CHOISIES
5.5.1 LE TANGRAM
5.5.2 JEU DE DEPLACEMENT
5.5.3 COMPTINE DE « LA SOURIS VERTE »
5.5.4 DESSIN DIRIGE : SOURIS AVEC DES FORMES
5.5.5 LE SUDOKU DES ANIMAUX
5.5.6 ECRITURE DE MOTS EN FONCTION DE LEURS SONS
5.5.7 MESURAGE « MAISON DE PAILLES »
5.6 ANALYSE DES DONNEES
5.6.1 EXTRACTIONS DES PARTIES PRINCIPALES DES INTERACTIONS
5.6.2 CONSTITUTION DES PATTERNS
6 RESULTATS
6.1 PRESENTATION DES PATTERNS
6.2 RESULTATS DES DIFFERENTS DUOS D’ELEVES
6.2.1 LIENS ENTRE PATTERNS ET TYPES DE DUOS
6.2.2 EVOLUTION DES FORMES DE TUTORAT DANS LE TEMPS
6.2.3 LIENS ENTRE PATTERNS ET TACHE
6.3 RESULTATS INDIVIDUELS EN TANT QUE TUTEURS
6.3.1 ELEVE + : ALICE EN POSTURE DU TUTRICE
6.3.2 ELEVE + : ARTHUR EN POSTURE DE TUTEUR
6.3.3 ELEVE – : AMANDA EN POSTURE DE TUTRICE
6.3.4 ELEVE – : ALEXANDRE EN POSTURE DE TUTEUR
6.3.5 SYNTHESE
6.4 RESULTATS INDIVIDUELS EN TANT QUE TUTORES
6.4.1 TABLEAUX DES RESULTATS
6.4.2 CONSTATS POUR LES ELEVES +
6.4.3 CONSTATS POUR LES ELEVES –
7 DISCUSSION
7.1 DISCUSSION DES RESULTATS
7.1.1 LE RENVERSEMENT DES ROLES ENTRE TUTEUR ET TUTORE
7.1.2 L’ ABSENCE MOMENTANEE DE GUIDAGE DES TUTEURS PLUS FAIBLES
7.1.3 LA MISE EN ŒUVRE D’ UNE STRATEGIE
7.1.4 L’ ENTREE DANS LA TACHE
7.1.5 LES DIFFERENTS GUIDAGES
7.1.6 LA DECENTRATION DE LA TACHE
7.2 RETOUR SUR LA QUESTION DE RECHERCHE
8 CONCLUSION
9 BIBLIOGRAPHIE
10 ANNEXES
10.1 RETRANSCRIPTIONS
10.2 TABLEAUX DES ANALYSES DE DONNEES
10.3 TABLEAU DES RESULTATS (DUO D’ELEVES +/-, -/+, -/- ET +/+)
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