Le renouveau des théories du développement : l’émergence des institutions
« A l’image de la quête futile de la pierre philosophale par les chimistes, la recherche d’un facteur explicatif unique a guidé les recherches tant théoriques qu’empiriques en matière de développement tout au long du dernier demi-siècle. En tant que discipline, l’économie semble incapable de reconnaitre qu’un tel facteur n’existe pas, qu’une politique de développement requiert une compréhension plus complexe de systèmes qui combinent des institutions économiques, sociales, culturelles et politiques, dont les interactions changent elles-mêmes au cours du temps. Qu’en conséquence les interventions doivent être multiformes. Que ce qui est bon pour une phase du développement peut s’avérer défavorables ultérieurement. Que certaines irréversibilités créent des dépendances par rapport au chemin. Qu’en conclusion les prescriptions adressées à un pays donné à une époque précise doivent être ancrées dans la compréhension de sa situation, de la trajectoire qui conduit au présent, à travers le temps historique long ». Irma Adelman ([2001b], p. 104-105)
Il est généralement admis que l’économie du développement s’est constituée en tant que discipline spécifique de la science économique après la seconde guerre mondiale (1945- 1950), bien que le concept de développement puise ses racines dans des temps plus anciens, depuis Adam Smith et sa richesse des nations (1776)2. Ainsi, la seconde guerre mondiale prit fin, les institutions de Bretton-Woods se mettent en place (le fond monétaire international « FMI » et la banque internationale pour la reconstruction et le développement «BIRD »), un nouvel ordre économique s’institue, le mouvement de la décolonisation s’impose en Asie et en Afrique, le monde est divisé politiquement en bloc capitaliste et bloc communiste, et économiquement en pays développés et pays sous-développés ; c’est dans le cadre de ce contexte international que l’économie du développement pris naissance, et que le développement est devenu une préoccupation théorique et politique sur la scène international, et que les pays industrialisés s’attachent à la question du développement économique des pays du Sud.
Cependant cet attachement s’inscrit dans le but de maintenir la stabilité internationale et de contenir l’expansion du communisme3, d’ailleurs les questions de développement ne figureraient pas à l’ordre du jour de Bretton woods et « les PED avaient tendance à se considérer davantage comme de nouvelles nations productrices de matières premières que comme des pays confrontés à des problèmes généraux de développement »4. Par conséquent, « l’économie du développement se trouve prisonnière dès sa naissance du contexte des relations internationales de l’époque »5. Le chapitre présent ne tentera pas de décrire en détail les différentes théories du développement. Il vise plus modestement à dégager les traits saillants des limites des théories de développement qui ont favorisé l’émergence des institutions en tant que facteur décisif dans le processus de développement. Pour ce faire, notre chapitre est subdivisé en trois sections. Dans la première section, nous allons faire le retour sur les théories qui ont marqué l’économie de développement jusqu’aux années 80. Dans la deuxième section, nous présentons le renouvellement des théories du développement. Enfin, dans la dernière section, nous nous intéressons à l’apport du nouvel institutionnalisme à la théorie du développement.
Le structuralisme: le courant réformiste Construit au cours des années 1950 dans le cadre de la commission économique pour l’Amérique Latine (CEPAL), une agence des nations unies crée en 1948, le structuralisme a joué un rôle important dans l’évolution et l’enrichissement de l’économie du développement, notamment par le prsie en compte des aspects structurels dans l’analyse des économies du Sud. Les économistes pionniers du structuralisme sont45 : P. Prebisch, C. Fuurtado, A. Pinto, M. Conceiçao de Taveres, O Sunkel. L’approche structuraliste très influencée par la théorie kényésianne46, s’est formée contre la méthodologie a-historique du paradigme dominant néo-classique47, et elle contient plusieurs théories qui proposent une analyse spécifique du sous développement et différente des analyses précédentes, c’est l’analyse « Centre-Périphérie »48. Le paradigme « Centre-Périphérie » repose sur la conception de l’économie mondiale comme un ensemble hiérarchisé en un Centre (pays riches) et une périphérie (pays pauvres) 49, qui sont reliés par une relation d’interdépendance dans laquelle le Centre est dominant et la périphérie est dépendante. L’économiste argentin, Paul Prebisch, qui a dirigé la CEPAL de 1948-1962, est considéré comme l’initiateur de ce courant de pensée, à travers la publication d’un article célèbre en 1950, intitulé « la répartittion des gains entre pays investisseur et pays emprunteur » en collaboration avec Hans Singer (Distribution of Gains between Investing and Borrowing Countries).
La thèse Prebisch-Singer remet en cause la théorie du commerce international fondée sur le principe ricardien des avantages comparatifs, et considère que le sousdéveloppement est la conséquence de la division international du travail. Cette division confine les pays à la périphérie du système mondial, à un rôle d’exportateur de produits primaires, tandis que les pays industrialisés du centre, se sont spécialisés à la production et l’exportation des biens manufacturés. En effet, il ne s’agit pas de rejeter totalement le principe des échanges entre les nations mais plutôt de mettre en doute la théorie des avantages comparatifs qui stipule que tous les pays pourraient gagner à l’échange, comme le souligne Singer: « L’article de 1949- 950 portait essentiellement sur la question de la justice distributive, ou de l’équité ou encore du caractère souhaitable du partage des gains du commerce extérieur » 50 . Ainsi, le mode d’intégration des pays sous-développés à l’économie internationale, comme strictement fournisseurs des matières premières et à des prix bas, a engendré une structure économique duale avec un secteur moderne orienté vers l’exportation de produits de base (machines et technologie importées) et un secteur traditionnel. Ce dualisme structurel entrave les pays en développement de générer leur propre développement économique51.
Conclusion générale
Nous voici parvenu au terme de cette étude laborieuse intitulée ‘’ les Institutions de l’Etat et le développement économique en Algérie’’ avec des conclusions majeures mais aussi des questions essentielles. Le travail a analysé la problématique du développement en Algérie à travers une vision inspirée de la Nouvelle Economie Institutionnelle (NEI), et qui a confirmé l’idée que les institutions comptent dans l’analyse du développement. Evidemment, les institutions n’expliquent pas tout [Sachs J D., 2003], mais elles constituent une clé de compréhension importante des blocages du développement en Algérie. En effet, ceux-ci ne sont plus appréhendés sous le seul prisme des variables économiques, mais ils peuvent être aussi de nature purement institutionnelle tant que les institutions structurant les interactions entre les agents économiques sont le déterminant principal des performances économiques, et que le changement institutionnel prime sur le changement politique, économique et social. Tel que soutenu par le prix Nobel d’économie Douglass Cecil North, la sortie du sousdéveloppement dépend de la capacité des pays concernés de mettre en place des institutions politiques limitant le pouvoir discrétionnaire de ses acteurs, mettant en place des institutions économiques nécessaires permettant le passage des échanges personnels à des échanges impersonnels et faisant efficacement respecter les règles.
Or, ce processus de formation des institutions politiques et économiques ou de leur réforme dépend largement de la trajectoire historique du pays, appelée ‘’path dependence’’ (le sentier de dépendance) par North. Ainsi, tout au long de ce travail, nous avons mené une réflexion autour de la composante institutionnelle du développement en Algérie. En effet, les caractéristiques institutionnelles de départ peuvent influencer de façon déterminante les stratégies de développement et les réformes économiques. Les difficultés de développement économique de l’Algérie sont liées aux faiblesses institutionnelles courantes dans ce pays. Dès lors, nous avons abordé l’échec du développement de l’Algérie sous l’angle de l’inefficience de ses institutions économiques et politiques en mettant l’accent notamment sur la dimension historique. C’est pourquoi l’étude accorde une grande place à l’histoire (chapitre 3 et 4).
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Table des matières
Remerciements
Dédicaces
Sommaire
Introduction générale
Motivation et positionnement de la recherche
Objet de la recherche
Hypothèses et objectifs analytiques
Questions de méthode
Structure et contenu de la recherche
Chapitre 1. Le renouveau des théories du développement, l’émergence des institutions Introduction
I.Les limites des théories du développement : la crise du développement
1.L’approche libérale : les théories de la modernisation
1.1 La théorie dualiste : le modèle de surplus de main d’oeuvre (1954)
1.2 La théorie des étapes de Rostow : le modèle linéaire (1960)
1.2.1/1ère étape : « la société traditionnelle »
1.2.2/ 2ème étape : « les conditions préalables au décollage »
1.2.3/ 3ème étape : « le décollage »
1.2.4/ 4ème étape : « l’accès à la maturité »
1.2.5/ 5ème étape : « l’ère de la consommation de masse »
2.L’approche tiers-mondiste : l’Etat développeur
2.1 Le structuralisme: le courant réformiste
2.2 Le dépendantisme : le courant radicale
2.2.1 L’approche dépendantiste néo-marxiste
3.L’approche néo-libérale : le marché autorégulateur
3.1 Les plans d’ajustement structurel : un nouveau paradigme de développement
3.1.1 Définition du plan d’ajustement structurel : du conjoncturel au structurel
3.1.2 la mise en oeuvre de programmes d’ajustement struturel
II.L’étape de stabilisation(1980-1985)
L’étape de restructuration(1985-1990)
3.1.3 Bilan d’ajustement : la décennie perdue pour le développement
Les critiques théoriques
Les institutions de l’Etat et le développement économique en Algérie
Les résultats des PAS
III. Le renouvellement des théories du développement : l’économie du développement du post ajustement
Le néo-structuralisme
1.1 Le néo-structuralisme, un paradigme alternatif du développement
2.Le consensus de Washington augmenté
2.1 Les plans d’ajustement de second génération : les réformes institutionnelles
2.1.1 La bonne gouvernance : une solution universelle
2.1.2 La lutte contre la pauvreté
2.1.3 Une complémentarité entre l’Etat et le marché : market-freindly
L’apport de la nouvelle économie institutionnelle à l’économie du développement
La nouvelle économie institutionnelle : un nouveau paradigme
Les principales contributions néo-institutionnelles à l’économie du développement
2.1 L’analyse des marchés avec asymétrie d’information
2.2 D’un mode exclusif et optimal de coordination aux diversités des arrangements institutionnels
2.3 Des coûts de production aux coûts de transaction
2.4 Les droits de propriété
2.4.1 L’exclusivité
2.4.2 La transférabilité
2.5 Les relations principal-agent et le rôle des incitations
Conclusion
Chapitre 2. Les institutions dans l’analyse du développement, et leur qualité en Algérie
Introduction
L’approche néo-institutionnelle d’obédience northienne
1.Un programme de recherche à deux volets
1.1 Le volet « environnement institutionnel »
1.2 Le volet « arrangement institutionnel »
2.Un néo-institutionnalisme néo-classique : le nouveau mainstream
3.Les institutions et le développement économique
4.Les déterminants de la prospérité : la primauté du déterminant institutionnel
4.1 La géographie : un déterminant important
Les institutions de l’Etat et le développement économique en Algérie
4.2 Le commerce
4.3 Les institutions : un déterminant décisif
III. Les institutions : le point sur la théorie northienne
1.Définitions: institutions, structure institutionnelle, cadre institutionnel
1.1 L’étymologie du concept ‘’institution’’: un sens dynamique
1.2 Définition des concepts
2.Insitutions et incertitude : les institutions réductrices et génératrices de l’incertitude
3.Institutions et croyances : quelle relation ?
4.Distinction entre les institutions formelles et les institutions informelles
4.1 Les institutions formelles
4.2 Les institutions informelles
4.3 La transformation des normes informelles en règles formelles
5.Distinction entre organisation et institution
6.Le rôle des institutions politiques et économiques
6.1 Les institutions politiques
6.2 Les institutions économiques
L’efficience institutionnelle
La qualité institutionnelle en Algérie : des institutions faibles
Les indicateurs institutionnels
1.1 Les indicateurs de ‘’bonne gouvernance’’
1.2 L’indice de perception de corruption
1.3 Les indicateurs de Doing Business
1.4 L’indice de liberté économique
Les limites des indicateurs institutionnels
Conclusion
Chapitre 3. Sentier de dépendance et institutions économiques en Algérie
Introduction
Le sentier de dépendance : une dépendance aux institutions initiales
Définition
Le sentier de dépendance et la divergence des sentiers du développementIII. Histoire et institutions : l’Histoire compte
Histoire coloniale et institutions : le poids de l’héritage colonial
1.1 La domination coloniale et le système juridique
1.2 Les caractéristiques de la région colonisée et la politique coloniale
1.2.1 Les dotations en facteurs, l’inégalité, les institutions et la domination coloniale
1.2.2 La stratégie de colonisation et les institutions mises en place
Évolution des institutions économiques et sentier de développement en Algérie
La période précoloniale (1518-1830) : la domination ottomane
1.1 La structure institutionnelle : une structure stable, complexe et pluraliste
1.2 Les systèmes fonciers : des droits fonciers traditionnels
1.2.1 Les terres Beylik : la propriété d’Etat (la propriété publique)
1.2.2 Les terres Melk : la propriété privée
1.2.3 Les terres Arch : la propriété tribale collective
1.2.4 Les terres Habous ou Waqf (les terres de mainmorte) : une institution originale
1.2.4.1 Habous public ou ‘’Kheiri’’
1.2.4.2 Habous privés ou habous de famille (Ahli)
1.3 La sécurisation des droits fonciers traditionnels
1.4 Les conséquences économiques de la structure des droits fonciers traditionnels
1.4.1 Le système communautaire
1.4.2 Le système tributaire étatique
1.4.3 Le système économique urbain
2.La période coloniale (1830-1962) : la conquête et la colonisation françaises
2.1 La colonie de l’Algérie : une colonie de peuplement ou une colonie
d’exploitation?
2.2 La structure institutionnelle : une structure instable, contradictoire et incohérente
2.3 La domination française : de l’occupation restreinte à l’occupation totale
2.4 La colonisation et l’expropriation
2.4.1 Colonisation officielle, expropriation et accumulation primitive (1830-1880)
L’expropriation par domanialisation
L’expropriation par l’usure
2.4.2 Colonisation libre, expropriation et accumulation du capital (1880- 1930)
2.5 Les conséquences économiques de la restructuration coloniale des droits fonciers
3.La période postcoloniale (1962-2018)
3.1 La structure institutionnelle : une structure instable, pluraliste et complexe
Les institutions de l’Etat et le développement économique en Algérie
3.2 L’évolution postcoloniale des institutions économiques : une évolution désordonnée
3.2.1 L’Algérie socialiste (1962-1989) : la prééminence de la propriété publique
a) La nationalisation des terres : la récupération et la réappropriation des terres par l’Etat
b) La politique des biens vacants : la remise en cause des droits de propriété coloniaux
c) L’autogestion de 1963 : des droits de jouissance collectifs et la marginalisation de la propriété privée
d) La révolution agraire de 1971 (RA): des droits de jouissances individuelles
e) L’hégémonie constitutionnelle de la propriété d’Etat
f) Le ‘’Domaine national’’ : une conception unitaire
g) Les biens Waqfs : la persistance de ‘’domanialisation’’ du habous
h) Les réformes agricoles des années 1980
La restructuration du secteur public agricole : les DAS
Le droit d’accès à la propriété foncière agricole : la constitution de la propriété privée
La réorganisation du secteur agricole : des droits de jouissance individuels
3.2.2 L’Algérie postsocialiste (1989-2018) : la réhabilitation de la propriété privée
b) Le domaine national : une conception dualiste
c) Identification et sécurisation des droits de propriété : le cadastre général
d) Institutions économiques et développement économique
Conclusion
Chapitre 4. Le changement institutionnel et la difficile mise en place de ‘’bonnes’’ institutions
Introduction
Le changement institutionnel : un processus complexe
Définition du changement institutionnel : un changement structurel
Les caractéristiques du changement institutionnel
Les sources du changement institutionnel
3.1 L’interaction permanente entre les organisations et les institutions
3.2 La concurrence entre les organisations
3.3 Les incitations fournies par la matrice institutionnelle
3.4 Les perceptions proviennent des constructions mentales des acteurs
3.5 La nature du changement institutionnel
Les institutions de l’Etat et le développement économique en Algérie
III. Les principaux obstacles au changement institutionnel
Le sentier de dépendance : un héritage culturel limitant le changement
Le politique : un facteur puissant de blocage
Les croyances dominantes : des croyances non favorables au changement
Les contraintes informelles : leur ancrage non suffisant
Le processus des réformes en Algérie : un processus inachevé
Les réformes institutionnelles en Algérie
1.1 L’ère des réformes globales et démocratie (1989-1991) : un projet interrompu
1.1.1 Le contexte de lancement des réformes
1.1.1.1 La crise du modèle algérien de développement
1.1.1.2 La crise de 1985-1986
1.1.2 L’équipe des réformateurs : de nouvelles réformes économiques
1.1.3 Les émeutes d’octobre 1988 : une révolution inachevée
1.1.4 Le gouvernement de Kasdi Merbah : des réformes bloquées
1.1.5 De l’équipe des réformateurs au Gouvernement des réformateurs (1989-1991)
1.1.5.1 La mise en oeuvre du projet réformiste
1.1.5.2 La remise en cause des réformes (1991-1993)
Les obstacles institutionnels aux réformes économiques et politiques en Algérie
2.1 Les acteurs dominants dans la société algérienne
2.1.1 L’armée : un acteur politique majeur
2.1.2 Le FLN et le RND
2.1.3 L’UGTA
2.1.4 Le forum des chefs d’entreprises (FCE)
2.2 ‘’la légitimité historique’’, une croyance non favorable au changement
2.2 Une institutionnalisation insuffisante et une prépondérance des normes informelles
2.3 Le respect des institutions : leur application effective
Conclusion
Conclusion générale
Principales conclusions de la thèse
Retour sur les hypothèses
Perspectives de recherche
Bibliographie
Abréviations et acronymes
Les institutions de l’Etat et le développement économique en Algérie
Index des tableaux
Index des schémas
Index des figures
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