LE RENARD ROUX DANS L’ARCTIQUE CANADIEN

 Un nouveau prédateur dans la toundra de l’ Arctique canadien

  Au cours du vingtième siècle, le renard roux (Vulpes vulpes) connut une expansion remarquable de son aire de répartition dans l’Arctique canadien (Fig. 0.1). Alors qu’il fut posté à Arviat (anciennement appelé Eskimo Point), bordant la rive ouest de la Baie d’ Hudson, le missionnaire anglican Donald Ben Marsh (1938) fut parmi les premiers à suggérer que cette montée nordique était plus qu’ une simple excursion de quelques renards errants. Il observa que les prises de renards roux par les trappeurs dans la toundra furent régulières les années suivant les toutes premières captures dans la région, et rapporta que des portées de renardeaux de cette espèce furent découvertes annuellement de 1934 à 1936 près de Tavani, à une centaine de kilomètres d’ Arviat. Du même coup, il nous communiquait aussi que les renards arctiques (Vulpes lagopus), prédateurs indigènes à la toundra, semblaient absents des régions où les renards roux occupaient des tanières, et qu ‘ ils sont attaqués et le plus souvent tués par les renards roux lorsqu’ils sont pris dans les pièges tendus par les Inuit de la région (Marsh, 1938). Le même phénomène d’ expansion nordique se déroulait à partir de la toundra de la péninsule d’ Ungava dans le nord du Québec, où le renard roux a une présence plus ancienne, car l’ espèce y était observée au dix-neuvième siècle (Anonymous, 1913; Gordon, 1887) et des restes remontant à environ deux mille ans ont été trouvés (Monchot et Gendron, 2011).Les travaux de Butler (1951) démontrèrent que dans les années 1930, le cycle d’abondance des renards roux de la péninsule d’ Ungava passait d’une périodicité de neuf ou dix ans typique de la forêt boréale (Krebs et al., 2001; Stenseth et al. , 1998), à une de quatre ans comme celle que connaissent habituellement les petits rongeurs (Gilg, Hanski et Sittler, 2003 ; Krebs et al., 2002) et leurs prédateurs (Gilg, Hanski et Sittler, 2003 ; fms et Fuglei, 2005) dans la toundra. Ce changement témoigne d’ une véritable implantation du renard roux dans cette région de l’Arctique. Des années 1920 aux années 1960, le renard roux étendit sa présence dans l’ est de l’ archipel de l’ Arctique canadien (Macpherson, 1964; Fig. 0.1).

L’importance des prédateurs dans les écosystèmes de l’Arctique

  Hairston, Smith et Slobodkin (1960) proposa qu ‘en général, la dynamique et la composition des communautés végétales sont influencées par l’effet des prédateurs sur les herbivores. Il est connu que les prédateurs peuvent exercer une influence considérable sur la structure des communautés et donc des écosystèmes (Estes et Palmisano, 1974; Paine, 1966; Ripple et Beschta, 2004), ainsi que sur la dynamique des populations qui les constituent (Post et al., 1999; Spiller et Schoener, 1990). Cependant, pour les écosystèmes de l’Arctique, certains considèrent que les prédateurs de ces écosystèmes relativement peu productifs n’ont pas d’effet de contrôle sur les herbivores et que ce sont les relations plantes-herbivores qUI dominent le système trophique (Oksanen et Oksanen, 2000). Selon Turchin et al. (2000), la forme des cycles d’abondance de lemmings, typiquement en pente forte et en angle pointu avec une amplitude irrégulière, serait plutôt représentative des cycles de prédateurs. La forme du cycle suggérerait que les lemmings soient limités par la disponibilité de nourriture plutôt que contrôlés par la prédation (Turchin et al., 2000). Dans les écosystèmes plus au sud, de nombreux exemples démontrent que les prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire peuvent exerce r une influence majeure sur la dynamique des populations de proIes et que les effets se répercutent sur les l1lveaux trophiques inférieurs (Estes et Palmisano, 1974; Krebs et al., 2001; Post et al. , 1999; Ripple et Beschta, 2004). Plusieurs recherches suggèrent que des mésoprédateurs comme les renards peuvent exercer, à tout le moins périodiquement, une influence considérable sur la dynamique de certaines populations de proies dans les écosystèmes de l’Arctique (Anthony, Flint et Sedinger, 1991; Bêty et al., 2002; Blomqvist et al., 2002; Larson, 1960; Reid, Krebs et Kenney, 1995; Spaans et al., 1998). Dans certains cas, les effets indirects de la prédation exercée par ces mésoprédateurs peuvent avoir des répercussions sur l’ensemble de l’ écosystème. Par exemple, l’introduction du renard arctique sur les Îles Aléoutiennes en Alaska a complètement changé la communauté végétale qui est passée d’ une communauté de toundra dominée par des plantes herbacées à une communauté dominée par des buissons et des plantes non-herbacées. Ceci s’ est produit car les renards ont fait diminuer la population d’oiseaux et ont limité, de fait, l’apport en nutriments au niveau du sol (Croll et al., 2005). Au niveau des écosystèmes de l’Arctique, pour lesquels les proies principales sont souvent les lemmings ou les campagnols, les données empiriques et les modèles de Gilg,Hanski et Sittler (2003) appuient la notion que le cycle d’abondance des lemmings peut être entièrement causé par la pression de prédation exercée par plusieurs prédateurs combinés, comme le harfang des neiges (Nyctea scandiaca), le renard arctique, le labbe à longue queue (Stercorarius longicaudus), et l’hermine (Mustela erminea). Le modèle de Gilg, Hanski et Sittler (2003) obtint le même type de cycle de lemmings décrit par Turchin et al. (2000) avec pour seul contrôle, la pression exercée par les prédateurs du système. Sur l’Île Bylot, dans le nord du Nunavut, il fut déterminé que les interactions prédateurs-proies étaient plus fortes que les interactions plantes-herbivores (Gauthier et al., 2011; Legagneux et al., 2012). Ces résultats suggèrent que l’ influence des prédateurs de la toundra sur la dynamique des écosystèmes de l’ Arctique est importante et que les effets descendants (des prédateurs vers le bas) ne doivent pas être sous-estimés au profit des effets ascendants (des plantes vers le haut) (Gauthier et al., 2009; Krebs et al., 2001; Schmitz et al., 2003).

Le cas des renards

  La compétition pour les ressources serait généralement plus élevée entre les prédateurscomparativement à ce que l’on peut observer pour les autres niveaux trophiques (Hairston, Smith et Siobodkin, 1960; Menge et Sutherland, 1976). De plus, les carnivores de taille et de morphologie similaires sont généralement en forte compétition entre eux (Darwin, 1872; Wilson, 1975), l’espèce de taille supérieure dominant celle de taille inférieure (Creel et Creel, 1996; Fuller et Keith, 1981 ; Rudzinski et al., 1982; Sargeant et Allen, 1989; Tannerfeldt, Elmhagen et Angerbjorn, 2002). Le renard roux peut faire plus de deux fois le poids du renard arctique, être jusqu’à 70% plus long (Audet, Robbins et Larivière, 2002; Hersteinsson et Macdonald, 1982; Larivière et Pasitschniak-Arts, 1996), et il est aussi plus gros dans le Nord (Cavallini, 1995; Davis, 1977). Ce prédateur est donc en position de dominance physique par rapport au renard arctique et peut agresser et tuer ce dernier (Frafjord, Becker et Angerbjorn, 1989; Pamperin, Follmann et Petersen, 2006; Tannerfeldt, Elmhagen et Angerbjorn, 2002). Malgré sa taille corporelle plus importante, le renard roux, comme le renard arctique, demeure sous le seuil qui démarque le point où un prédateur doit passer de petites proi es à ce lles de grande taille pour subvenir à ses besoins énergétiques efficacement (Carbone, Teacher et Rowcliffe, 2007). Ils sont tous deux des prédateurs relativement petits, qui se nourrissent principalement d’espèces plus petites que leur propre taille corporelle (Fig. 0.2). Ils sont donc des prédateurs similaires qui exploitent le même bassin de ressources. Dans la toundra, le degré de chevauchement de la niche alimentaire de ces deux prédateurs est élevé (Elmhagen, Tannerfeldt et Angerbjorn, 2002; Frafjord, 2000; Smits, Slough et Yasui, 1989). Les différences potentielles au niveau de leurs niches alimentaires réalisées (Eberhardt, 1977; Frafjord, 1995; Smits, Slough et Yasui, 1989) résultent potentiellement de la compétition par interférence entre ces espèces, puisque le renardarctique peut être déplacé de régions productives par le renard roux, particulièrement lors de la période de reproduction (Dalén, Elmhagen et Angerbjorn , 2004; Tannerfeldt, Elmhagen et Angerbjorn, 2002). Le renard roux s’installe également dans les tanières de renard arctique préexistantes lorsqu ‘ il s’implante dans une région de la toundra (Dalerum et al., 2002; Frafjord, 2003; Linnell, Strand et Landa, 1999). Ces deux prédateurs sont donc très similaires au niveau de leurs niches écologiques fondamentales et de leurs comportements (Hersteinsson et Macdonald, 1982), au point que certains considèrent que le renard arctique n’ est qu ‘ un « … small red fox in white (or blue) clothing.»1 (Hersteinsson et Macdonald, 1992). Ils sont des compétiteurs directs pour les ressources alimentaires et les tanières.

Réchauffemenl climatique

  La terre connut un réchauffement climatique considérable au cours du dernier siècle. Les reconstructions historiques du climat de l’ hémisphère nord, que ce soit par les carottes de glace (Fischer el al., 1998; Mann, Bradley et Hughes, 1999; Mann, 2002) ou par l’inspection des anneaux de croissance des arbres (Mann, Bradley et Hughes, 1999; Mann et al., 2008; Mann, 2002), démontrent que le vingtième siècle était considérablement plus chaud que les siècles précédents. À partir de la fin du vingtième siècle, les mesures de température de la surface terrestre dans l’hémisphère nord atteignirent des températures qui sont les plus chaudes du dernier millénaire (Mann, Bradley et Hughes, 1999),  voir plus (Mann et Jones,2003; Mann el al., 2008). La terre serait potentiellement à moins de 1°C d’avoir les températures de surface les plus chaudes au cours du dernier million d’années (Hansen el al. , 2006). Le climat du globe se réchauffe potentiellement plus rapidement que les prédictions des modèles présentées dans le premier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’ évolution du climat (GIEC) de 1990 (Rahmstorf et al., 2007). L’influence des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique sur ce réchauffement climatique devint prépondérante au cours du vingtième siècle, plus spécifiquement depuis les années 1950 (Mann, Bradley et Hughes, 1998).Les tendances climatiques peuvent se manifester de façon plus intense à de hautes latitudes CIPCC, 2007); c’est un phénomène appelé l’amplification polaire (Chylek et al., 2009; Serreze et Barry, 20 II). En Amérique du Nord, la région ayant connu le réchauffement récent le plus intense fut en effet une région de l’Arctique: l’ Alaska et le nord du Yukon. Les températures de la surface terrestre pour cette région se sont réchauffées en moyenne de 1.6 à 2.I O C lorsque l’on compare le début du vingt-et-unième siècle (2001-2005) à la période 1951-1980 (Hansen et al., 2006). Les réchauffements climatiques ont entrai né une augmentation de la productivité primaire dans l’Arctique (Myers-Smith et al., 20 Il; Sturm, Racine et Tape, 2001), des suites de l’ allongement de la saison estivale durant laquelle les plantes peuvent croître, et de la fonte du pergélisol qui peut entrainer un renforcement positif en augmentant le taux d’humidité, le taux de décomposition, et la part de nutriments disponibles aux plantes dans le sol (Mack et al. , 2004; Schuur et al., 2007; Walker et al., 2006). Les chronologies paléolimnologiques des sédiments de plusieurs lacs d’ eau douce dans l’Arctique démontrent aussi que des changements considérables dans les assemblages d’espèces de diatomées et de diptères eurent lieu au cours des dernières décennies, et que ces changements sont les plus extrêmes observés au cours de plus d’un millénaire (Thomas,Axford et Briner, 2008; Wolfe, 2003). Ces exemples démontrent l’impact considérable des réchauffements climatiques actuels dans l’ Arctique. Ces changements ébranlent la base même des chaînes alimentaires, ce qui laisse présager une multitude d’ effets sur les écosystèmes de cette région.

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Table des matières

LISTE DES FIGURES
LISTE DES T ABLEAUX
RÉSUMÉ
ABSTRACT
INTRODUCTION
0.1 Sujet et contexte d’étude
0.1.1 Un nouveau prédateur dans la toundra de l’Arctique canadien
0.1.2 Modèle d’étude: les renards
0.1.3 L’ importance des prédateurs dans les écosystèmes de l’Arctique
0.1.4 La compétition interspécifique
0.1.5 Les deux grandes forces transformatrices de l’ Arctique canadien
0.2 Problématique, objectifs et hypothèses 
0.2.1 Problématique : l’expansion du renard roux dans l’Arctique canadien
0.2.2 Objectifs et hypothèses de recherche
0.3 Méthodes et approches scientifiques
0.3.1 Données de récoltes de fourrures
0.3.2 Suivis de tanières dans le nord du Yukon
0.3.3 Approches pour l’analyse des données
0.4 Plan de la thèse 
CHAPITRE 1 LES SUBSIDES DE NOURRITURE PLUTÔT QUE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE POURRAIENT EXPLIQUER L’EXPANSION DU RENARD ROUX DANS L’ARCTIQUE CANADIEN AU COURS DU VINGTIÈME SIÈCLE
1.1 Résumé  
1.2 Food subsidies rather than c1imate warrning may explain the twentieth century red fox expansion into the Canadian Arctic
1.2.1 Abstract
1.3 Introduction 
1.4 Methods 
1.4.1 Fur harvest data
1.4.2 Climate data
1.4.3 Human presence data
1.4.4 Statistica l analyses
1.5 Results
1.6 Discussion 
1.6. 1 Supporting a new probable cause for the red fox expansion in the Canadian Arcti c
1.6.2 Scrutinisin g past support for the climate hypothesis
1.6.3 Concl usion
CHAPITRE II LE RENARD ARCTIQUE ET LE RENARD ROUX DANS L’ARCTIQUE DANS UN CONTEXTE DE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE : ANALYSE DE SUIVIS DES TANIÈRES SU R QUA TRE DÉCENNIES DANS LE NORD DU YUKON 
2.1 Résumé
2.2 Arctic fox versus red fox in the wanning Arcti c: fo ur decades of den surveys in north y ukon 
2.2.1 Abstract
2.3 Introduction
2.4 Materials and methods
2.4.1 Study area
2.4.2 Den surveys
2.4.3 Statistical analyses
2.5 Results 
2.6 Discussion 
CHAPITRE III LA SELECTION DES TAN IERES DE REPRODUCTION PAR LES RENARDS ROUX ET ARCTIQUE EN SITUATION SYMPATRIQUE SUR L’ÎLE HERSCHEL AU YUKON, CANADA
3.1 Résumé
3.2 Natal den selection by sympatric arcti c and red foxes on Herschel Island, Yukon, Canada 
3.2.1 Abstract
3.3 Introduction 
3.4 Methods 
3.4.1 Studyarea
3.4.2 Den surveys
3.4.3 Variables
3.4.4 Statistical analyses
3.5 Results
3.6 Discussion
CONCLUSION
4.1 Rappel des objectifs de l’étude
4.2 Originalité et importance 
4.2.1 Originalité et importance dues au contexte général de l’étude
4.2.2 Originalité et importance dues aux sujets précis abordés par l’étude
4.3 Discussion des principaux résultats
4.3.1 Les causes de l’expansion du renard roux dans l’Arctique canadien
4.3.2 Le réchauffement climatique et l’occupation du nord du Yukon par les renards
4.3.3 La sélection des tanières de reproduction par les renards roux et arctique en situation sympatrique
4.4 Implications et perspectives
4.4.1 Les changements dans les écosystèmes de l’Arctique et l’expansion du renard roux
4.4.2 La compétition interspécifique entre les renards roux et arctique
4.4.3 Les études de cas et la problématique des changements climatiques
4.4.4 Limites de l’étude
4.4.5 Bilan
APPENDIX A IMPUTATION AND INTERPOLATION OF CLIMATE DATA
APPENDIX B NON-NATIVE PRESENCE AS FOCAL POINTS OF HUMAN ACTIVITY
APPENDIX C RED FOX EXPANSION CHRONOLOGIES
APPENDIX D SCREENING OF FUR HARVEST TIME SERIES
APPENDIX E TREATMENT OF FUR PRICES AND TRAPPING EFFORT
APPENDIX F DETAILED GENERALISED LINEAR MODEL RESULTS
APPENDIX G LONG TERM CLIMATE AND ECOLOGICAL CHANGES
APPENDIX H PROCEDURE COMPARING PROPORTIONS IN OVERLAPPING SAMPLES (FROM BLAND AND BUTLAND, UNPUBLISHED)
APPENDIX I VALIDATION OF VARIABLES USEDIN REGRESSION MODELS
BIBLIOGRAPHIE

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