Le régime évolutif du lancement de la procédure et de la communication par voie électronique
Introduction
La dématérialisation « constitue certainement le sujet phare de cette année de transition vers un nouveau processus achats »1 selon Jean-Marc JOANNES, Rédacteur en chef de la Gazette des communes. Quant à Jean MAIA, Directeur de la Direction des affaires juridiques (DAJ) au ministère de l’économie, il estime que la préparation de la transformation numérique de la commande publique, dont on s’apercevra dans les développements qu’elle ne consiste en réalité qu’en un prolongement de ce qui existait déjà avant la réforme du droit des marchés publics de 2015-2016, est « le grand chantier de ces prochaines années »2.
Cet engouement pour la dématérialisation s’explique par le fait qu’à compter du 1 er octobre 2018, l’ensemble des procédures de passation des marchés publics seront entièrement dématérialisées.
« La dématérialisation désigne la transformation des supports d’informations matériels, de types documents papier, en traitement numérique, sous la forme de fichiers informatiques, permettant la gestion électronique des données et documents qui transitent au sein d’une structure ou dans le cadre d’échange avec des partenaires grâce aux technologies de l’information et de la communication (TIC) »3.
Selon le 2ème alinéa de l’article 4 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, « Les marchés publics sont des contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ».
Les marchés publics constituent des contrats administratifs par détermination de la loi en application de l’article 3 de l’ordonnance précitée d’après lequel « Les marchés publics relevant de la présente ordonnance passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs ».
Le régime juridique de la dématérialisation des procédures de passation des marchés publics locaux
Conscient de l’appréhension que peuvent ressentir les acheteurs publics locaux face à la dématérialisation des marchés publics et dans un souci de respect du principe de sécurité juridique qui a valeur de principe général du droit42, le pouvoir réglementaire a souhaité dans un premier temps que l’emploi de la dématérialisation par les pouvoirs adjudicateurs et candidats aux marchés publics soit facultatif.
Des dispositions relatives à la dématérialisation des marchés publics ont été introduites pour la première fois en droit français par le CMP dans sa version de 2001 issu du décret n°2001-210 du 7 mars 2001 portant Code des marchés publics. Ainsi, il est possible de conclure des marchés publics par voie électronique depuis 2001.
L’article 56 du CMP dans sa version de 2001 énonçait alors que « les échanges d’information intervenant en application du présent code peuvent faire l’objet d’une transmission par voie électronique ».
Messieurs MOLES et NOEL en déduisent que le recours à la dématérialisation des marchés publics est une simple faculté laissée à l’appréciation des acheteurs publics, c’est-à-dire aux pouvoirs adjudicateurs et aux entités adjudicatrices dans une moindre mesure.
Quelques mois plus tard, le décret n°2001-846 du 18 septembre 2001 pris en application du 3° de l’article 56 du CMP et relatif aux enchères électroniques ainsi que le décret n°2002-692 du 30 avril 2002 pris en application des I. et II. de l’article 56 et relatif à la dématérialisation des procédures de passation des marchés publics sont venus compléter la réforme de 2001.
Le régime évolutif du lancement de la procédure et de la communication par voie électronique
En attendant l’échéance du 1er octobre 2018 à partir de laquelle les procédures de passation des marchés publics locaux seront toutes dématérialisées, tantôt le régime juridique de la dématérialisation des marchés publics impose déjà des obligations telles que celles relatives au lancement de la procédure sur un profil d’acheteur (§1), tantôt le régime pose des règles dont le recours est laissé à la libre appréciation de l’acheteur public local comme c’est le cas des communications et des échanges d’informations par voie électronique (§2). Quoi qu’il en soit, comme beaucoup de principes en droit, celui posant la règle de la dématérialisation totale des procédures de passation des marchés publics connaît des exceptions (§3).
Le lancement de la procédure de passation d’un marché public sur une plate-forme dématérialisée
Le lancement de la procédure dématérialisée d’un marché public passe par la publication des documents de la consultation ainsi que des avis d’appels à la concurrence43 sur un profil d’acheteur.
En la matière, un régime juridique existe depuis 2010 (A), mais l’objectif d’une dématérialisation complète des procédures de passation des marchés publics locaux au 1er octobre 2018, que les pouvoirs publics cherchent à atteindre, a eu pour conséquence de supprimer tout seuil en-dessous duquel de telles publications sur un profil d’acheteur ne s’imposeraient pas (B).
La publication des documents de la consultation d’un marché public d’un montant supérieur à 90 000€ HT
C’est le décret n°2008-1334 du 17 décembre 2008 modifiant diverses dispositions régissant les marchés soumis au CMP qui fixe les premières obligations incombant aux acheteurs publics locaux en matière de lancement de la procédure sur un profil d’acheteur ou plate-forme dématérialisée. En effet, ce dernier oblige les acheteurs publics locaux à publier les documents de la consultation sur le profil d’acheteur pour les achats supérieurs à 90 000€ HT depuis le 1er janvier 2010.
Ainsi, au 1er janvier 2010, la lettre de l’article 41 du CMP disposait que « pour les achats de fournitures, de services et de travaux d’un montant supérieur à 90 000€ HT, les documents de la consultation sont publiés sur un profil d’acheteur, selon les modalités fixées par arrêté du ministre en charge de l’économie ».
La publication des documents de la consultation de tous les marchés publics sur un profil d’acheteur à compter du 1er octobre 2018
Selon l’aliéna 1er du I. et l’alinéa 1er du IV. de l’article 39 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016, l’obligation consistant à ne mettre gratuitement à disposition des opérateurs économiques sur un profil d’acheteur que les seuls documents de la consultation des « marchés publics répondant à un besoin dont la valeur estimée est égale ou supérieure aux seuils de procédure formalisée » et des marchés publics, dont le montant estimé du besoin à satisfaire est égal ou supérieur à 90 000€ HT, passés par les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements, s’applique jusqu’au 1er octobre 2018.
Le Directeur des affaires juridiques de Bercy, Jean MAIA, insiste sur le fait que « la dématérialisation complète des procédures s’imposera à tous, acheteurs comme opérateurs économiques, et ce, quelle que soit la procédure de passation utilisée »44 à compter du 1er octobre 2018.
Dans cette perspective, l’aliéna 1er du I. et l’aliéna 2nd du IV. de l’article 39 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics énonce qu’au-delà du 1er octobre 2018, l’obligation consistant à mettre gratuitement à disposition des opérateurs économiques, sur un profil d’acheteur, les documents de la consultation sera applicable à l’ensemble des procédures auxquels recourent l’ensemble des acheteurs publics locaux.
Les documents exemptés d’une diffusion sur un profil d’acheteur et d’un partage par des moyens électroniques
Un certain nombre d’exceptions sont prévues à l’obligation de recourir aux moyens électroniques pour toutes les communications et tous les échanges d’informations à compter du 1er octobre 2018 ainsi qu’à l’obligation de mettre gratuitement à la disposition des opérateurs économiques les documents de la consultation des marchés publics sur un profil d’acheteur à compter de la même échéance dans la mesure où la lettre de l’aliéna 1er du II. de l’article 39 renvoi au II. de l’article 41 du décret relatif aux marchés publics en date du 25 mars 2016.
L’extension progressive de la faculté reconnue à l’acheteur public local d’imposer la remise des plis par voie électronique
Madame POUPEAU considère que la réglementation des marchés publics de 2001 permettait à l’acheteur public local d’imposer la transmission de plis par voie électronique dans le cadre des marchés à procédure simplifiée devenus marchés à procédure adaptée (MAPA).
Par la suite, cette possibilité a été étendue aux procédures formalisées ou européennes afin d’atteindre davantage de marchés publics locaux. Effectivement, depuis sept (7) ans déjà, il est désormais possible pour l’acheteur public local d’imposer la transmission des plis dématérialisés pour toutes les procédures.
L’acheteur public local peut imposer la transmission des candidatures et des offres par voie numérique, à la condition d’en avoir informé les candidats, notamment à travers le règlement de consultation (RC).
Par un raisonnement a contrario, on peut en déduire que l’acheteur public local est habilité à rejeter les candidatures et plis transmis sur support papier lorsqu’il impose la remise d’une offre dématérialisée dans son RC.
Monsieur Alexis BOUDARD, Directeur du programme de Développement concerté de l’administration numérique territoriale au Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) reconnaît lui – même que « Les acheteurs peuvent imposer la réponse électronique depuis 2010 »48.
Selon le I. de l’article 40 alinéa 4ème du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 « L’acheteur peut imposer la transmission des candidatures et des offres par voie électronique ». Le décret relatif aux marchés publics ne fait ainsi plus référence à un quelconque seuil ni à une quelconque procédure de passation d’un marché public local en dessous desquels l’acheteur public local pourrait ne pas imposer la remise des candidatures et des offres par voie numérique.
Le maintien des règles existantes en matière de dématérialisation des procédures de passation des marchés publics locaux
Depuis quelques années déjà, la dématérialisation offrait des opportunités dont il appartenait aux acheteurs publics locaux de se saisir .
En revanche, au cours de la même période, la dématérialisation était à l’origine d’obligations à l’égard des opérateurs économiques .
Les éléments des procédures de passation des marchés publics déjà ouvert à la dématérialisation du côté des acheteurs
Tout indique que les notifications de décisions ainsi que les lettres de rejet à destination des candidats évincés pouvaient déjà faire l’objet d’une transmission par voie électronique.
La dématérialisation intégrale des procédures de passation des marchés publics locaux à l’horizon automne 2018 n’apportera alors rien de nouveau d’un point-de-vue juridique en la matière (A). Depuis 2010, le recours à la transmission des candidatures et des offres par voie dématérialisée procure une réduction des délais réglementaires.
Ces avantages qui constituent un des attraits de la dématérialisation des marchés publics locaux sont maintenus avec la réforme du droit des marchés publics de 2015-2016 (B).
La réduction des délais en cas d’envoi par voie électronique maintenue
Présente au moment de la mise en concurrence, comme à l’étape des procédures de passation d’un marché public local située entre la notification aux candidats évincés et la signature de l’offre par l’acheteur, la faculté de réduire les délais réglementaires constitue pour beaucoup ce qu’il y avait de plus attrayant dans la dématérialisation des marchés publics locaux jusqu’ici. Déjà ouvert dans le droit des marchés publics antérieurs à la réforme de 2015-2016 (1), cet aspect positif perdure avec le « décret marchés publics ».
Conclusion
La réforme du droit des marchés publics est venue poser de nouvelles obligations en termes de dématérialisation des procédures de passation des marchés publics et de nouvelles échéances, celles du 1er avril 2018 et du 1er octobre 2018.
En effet, à compter de celles-ci, devront respectivement être systématiquement dématérialisées les présentations des candidatures et la totalité des étapes des procédures de passation des marchés publics locaux.
Certes, les grands principes de cette dématérialisation sont établis par l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et le décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.
Toutefois, force est de constater que les dispositions de la nouvelle règlementation des marchés publics vont rapidement faire l’objet de précisions comme l’ont exprimé Messieurs MAIA et NOEL et Madame ABBOUB.
Ces dernières concerneront notamment les outils et dispositifs de communication et d’échanges d’informations par voie électronique, mais aussi les modalités de mise à disposition des documents de la consultation sur un profil d’acheteur, dont il a déjà été fait mention dans l’introduction.
On remarque que les acheteurs publics locaux utilisaient déjà les outils de la dématérialisation des procédures de passation des marchés publics depuis quelques années, comme en témoignent les contentieux relativement importants dont ceux-ci sont à l’origine147 et notamment la signature électronique.
Bien que cette dernière soit d’ailleurs à l’origine de crispations, son emploi ne peut pas être occulté par les acteurs locaux s’ils veulent exceller dans la mise en oeuvre intégralement dématérialisée des procédures de passation des marchés publics locaux.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1ER : LE REGIME JURIDIQUE DE LA DEMATERIALISATION DES PROCEDURES DE
PASSATION DES MARCHES PUBLICS LOCAUX
Section 1 – Le régime évolutif du lancement de la procédure et de la communication par voie
électronique
Section 2 – Les règles conduisant aux rejets de toutes les offres transmises sous forme matérialisée
au 1er octobre 2018
Section 3 – Le maintien des règles existantes en matière de dématérialisation des procédures de
passation des marchés publics locaux
CHAPITRE 2EME : LES OUTILS DE LA DEMATERIALISATION DES PROCEDURES DE PASSATION DES
MARCHES PUBLICS LOCAUX
Section 1 – « L’outil indispensable » : le profil d’acheteur
Section 2 – Les outils de la présentation dématérialisée des candidatures
Section 3 – Les outils clés de la remise d’une offre électronique
CHAPITRE 3EME : LA MISE EN OEUVRE DE LA DEMATERIALISATION COMPLETE DES PROCEDURES DE
PASSATION DES MARCHES PUBLICS LOCAUX
Section 1 – L’accompagnement du changement qu’implique la dématérialisation intégrale des
procédures de passation des marchés publics locaux
Section 2 – La généralisation de la dématérialisation des marchés publics locaux passe par une
standardisation de profils d’acheteur opérationnnels
CONCLUSION
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